Jessie LAUSSOT

Cette section présente une série de portraits biographiques de ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’édification de l’œuvre wagnérienne. Des amitiés ou des inimitiés parfois surprenantes ou inattendues, des histoires d’amour passionnées avec les femmes de sa vie, parfois muses et inspiratrices de son œuvre, mais également des portraits d’artistes (chanteurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre…) qui, de nos jours, se sont “appropriés” l’œuvre du compositeur et la font vivre différemment sur scène.

LAUSSOT Jessie

(née en 1829 – décédée le 8 mai 1905)

et “L’affaire Jessie Laussot”

L’unique photographie de Madame Jessie Laussot apparemment disponible et que nous nous sommes procurée n’est guère révélateur de ce que fut la jeune femme de 19 ans qui inspira (quelques dizaines d’années avant la prise de ce cliché !) à Richard Wagner l’une des passions amoureuses les plus enflammées que le compositeur connut. Et pourtant !

Cette idylle fut l’un des épisodes les plus “troublants” de la vie personnelle et amoureuse de Wagner qui conserve, encore aujourd’hui, une certaine part de mystère, tout en nous dévoilant certains traits des caractères du compositeur … les moins glorieux : “l’affaire Jessie Laussot” n’a certes pas encore livré tous ses secrets… !

Tout commença à Dresde en 1848 : Wagner commençait alors à connaître le succès (triomphe de Rienzi, puis succès plus modérés du Vaisseau fantôme et de Tannhäuser) et à jouir d’une certaine renommée.

Et c’est justement pour assister à l’une des représentations de Tannhäuser sur la scène du Semperoper de Dresde que la toute jeune Jessie Taylor, éperdument passionnée de musique, et tout particulièrement de celle de ce jeune compositeur allemand dont on commençait à entendre parler dans les salons privés, fit le voyage expressément depuis Bordeaux. Fascinée par l’œuvre, notre jeune mélomane suivit le déroulement de la représentation avec la plus fiévreuse passion, une copie de la partition qu’elle avait étudiée dans ses moindres détails sur ses genoux. A l’issue de la représentation, Jessie exprima le souhait de faire dédicacer sa partition par le Maître lui-même, par l’intermédiaire de Karl Ritter, compagnon de Wagner depuis leurs années de jeunesse et devenu depuis son secrétaire personnel.

La rencontre entre la jeune femme et le compositeur marqua profondément ce dernier : “la jeune dame me fit part de son admiration pour moi en des termes que je n’avais jamais entendus jusqu’alors” écrivit-il plus tard dans “Ma Vie” (Mein Leben).

Après cette furtive (mais néanmoins marquante) entrevue, Wagner reprit le cours de sa carrière et la vie auprès de son épouse Minna, et Jessie, … le train qui devait la ramener à Bordeaux.

Pour Wagner hélas, les mois qui suivirent furent le commencement d’un chemin de croix. Pour sa prise de position aux côtés des mouvements révolutionnaires de 1849, le compositeur fut recherché, interdit de séjour dans le Royaume de Saxe, exilé de sa patrie, et traqué partout où il se trouvait. De la Suisse où il se réfugia un moment, Wagner gagna Paris, sans un sou ni passeport valide, espérant être à l’abri des poursuites. Minna, quant à elle, préféra rester à Dresde, prétextant que les choses allaient s’améliorer avec le temps et qu’elle plaiderait pour le retour en grâce de son mari. Mais on sait que le jeune couple Wagner traversait des crises récurrentes ; Minna trouva donc sans doute là une manière de faire une pause dans les querelles qui l’opposaient en tout et quotidiennement à son insupportable époux.

Ayant eu connaissance des misères dont on accablait son compositeur préféré, Jessie – devenue entre temps Madame Laussot (sa mère, une riche héritière du nom de Madame Taylor, avait arrangé le mariage de sa fille avec un jeune négociant en vins, Eugène Laussot, qui n’aurait été autre que… son ancien amant) pria Wagner de venir “se réfugier” à Bordeaux, où certainement on ne viendrait pas l’inquiéter.

Wagner accepta l’invitation, quitta Paris après avoir subi de plein fouet le triomphe d’une représentation du Prophète de son rival Meyerbeer, et arriva à Bordeaux le 16 mars 1850.

Pour ses amis Theodor Uhlig à Dresde et Wilhelm Baumgartner à Zürich, il donna l’adresse postale suivante: «Madame Jessie Laussot, 26 Cours du XXX Juillet ». Pour sa femme Minna il laissa la même adresse, mais “… ℅ Monsieur Eugène Laussot » !

Initialement invité pour une brève visite, le compositeur finit par rester trois semaines en terre bordelaise et rapidement, la maisonnée bordelaise Laussot devint le théâtre d’une très curieuse situation. Jessie, d’une sensibilité à fleur de peau, avait du mal à cacher ses sentiments pour le compositeur pour lequel elle éprouvait un délicieux mélange d’admiration artistique et d’émois amoureux. Âgée de vingt et un ans à l’époque, c’était une femme cultivée qui parlait allemand sans accent et jouait du piano. Wagner lui lut son projet de livrets pour ses futurs opéras Siegfried et Wieland der Schmied (Wieland le Forgeron), qu’elle admirait particulièrement.

Présidant la tablée lors les repas, la mère trônait avec sévérité, imposant à sa fille ses moindres volontés et côtoyant avec une certaine ambiguïté son gendre et ancien amant. Le jeune Laussot ne voyait pas de son côté que l’auguste invité répondait avec une certaine décontraction à l’attraction de sa toute jeune femme.

Comme si la situation n’était pas assez complexe (voire malsaine), Julie Ritter, l’épouse de Karl, qui versait à Wagner une rente annuelle de 1.000 Thalers dans l’espoir de voir le compositeur perfectionner son époux dans l’art de la composition, se lia d’amitié avec Madame Taylor !

Les deux femmes décidèrent d’un commun accord d’apporter un soutien solidaire au compositeur qui devait dès lors bénéficier de… 3.000 Thalers, bien loin, l’une comme l’autre, de se douter que Wagner considérait d’un côté Ritter comme un sombre incapable, et vivait de l’autre les prémices d’une passion amoureuse avec la jeune Jessie !

Et pour ajouter encore à “l’étrangeté” de la situation, Minna, depuis Dresde, ne cessait d’envoyer des missives à Wagner, se doutant bien d’une imminente catastrophe du côté de Bordeaux !

Auprès de Jessie, Wagner trouvait chaque après-midi où ils partaient en promenade ensemble, réconfort, admiration et amour. L’idylle se transforma rapidement en la plus ardente des passions pour ces deux êtres malheureux en ménage. Sans penser un instant que les vivres lui seraient coupés s’il devait poursuivre ses projets, le compositeur échafauda les plans les plus fous avec Jessie. Comptant sur la rente des 3.000 Thalers, il envisagea de s’évader avec sa belle, loin de tout et de tous : Malte, la Grèce… le Moyen-Orient !

C’est pendant un aller-retour à Paris de quelques jours seulement du compositeur -assuré de la prochaine concrétisation de ses rêves les plus déraisonnés- que la bombe éclata.

Dans une lettre pleine de récriminations datant du 16 avril, Wagner informa sa femme Minna qu’il voulait se séparer d’elle. Pendant ce temps, Jessie confia ses inquiétudes ou ses plans à sa mère, qui à son tour en informa son gendre. Minna, pour sa part, menaça son époux d’un scandale. Et l’époux, comme cela se faisait à l’époque, de menacer de … dégainer les armes ! Jamais Richard Wagner qui, de plus, devait vivre en toute discrétion car recherché par la police française, ne se trouva à ce moment de son existence dans une situation plus complexe, malsaine et inextricable !

Pourtant inconscient, Wagner écrivit à son rival, pour suggérer une rencontre « amicale ». Laussot pouvait-il retenir de force une femme qui ne voulait plus de lui? En mai, il se précipita à Bordeaux. Arrivé à 9 heures le 18 mai 1850 à l’”Hôtel des Quatre Sœurs” – sur la même rue que les Laussot, Cours du XXX Juillet, il attendit en vain le mari : le couple avait quitté la ville. En lieu et place, il reçut une convocation du commissaire de la police locale, qui avait été informé que Wagner n’était pas en règle et lui donnait deux jours pour quitter la ville. Deux jours, ce fut le délai que le commissaire de police, par ailleurs fervent admirateur du compositeur, laissa à celui-ci pour quitter la ville. Wagner déposa une longue lettre pour Jessie. Mais en juin de la même année, cependant, sans doute revenue à la raison (ou sous la contrainte et la menace de sa mère et de son mari ?), la jeune femme fit savoir au compositeur qu’elle ne voulait plus le revoir.

Wagner n’a jamais écrit de « Laussotlieder» ni le Wieland Schmied. L’histoire d’amour s’était brusquement arrêtée. Wagner alla vivre à Zürich… et vivre une autre idylle, du nom de … Mathilde Wesendonck…

De son côté, Jessie Laussot finit par quitter son mari en 1853. Elle déménagea à Florence, où elle épousa l’écrivain Karl Hillenbrand, un ami de Nietzsche, qui avait été un chroniqueur pour le journal La Gironde à Bordeaux. Elle devait revoir néanmoins Wagner en 1876 ​​- certains disent à Florence, d’autres à Bayreuth. Puis mourir, en 1905, vingt-deux ans après la disparition de son amour de jeunesse.

“L’Hôtel des Quatre Sœurs” à Bordeaux dispose désormais d’un portrait sur le mur commémorant le très bref séjour du compositeur de mai 1850. Et son petit-fils, Wolfgang Wagner, y vécut même pendant un certain temps, en 1997.

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