Amalie MATERNA

Cette section présente une série de portraits biographiques de ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’édification de l’œuvre wagnérienne. Des amitiés ou des inimitiés parfois surprenantes ou inattendues, des histoires d’amour passionnées avec les femmes de sa vie, parfois muses et inspiratrices de son œuvre, mais également des portraits d’artistes (chanteurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre…) qui, de nos jours, se sont “appropriés” l’œuvre du compositeur et la font vivre différemment sur scène.

MATERNA Amalie

(née le 10 juillet 1844 – décédée le 18 janvier 1918)

Soprano dramatique

Magnétique… C’est sans doute le qualificatif le plus approprié à la soprano dramatique Amalie Materna, créatrice à la scène des rôles les plus emblématiques de Richard Wagner. Sa Brünnhilde, sa Kundry mais également son Elisabeth (Tannhäuser) révélèrent au public une voix particulièrement ample tout comme un sens inné de la mise en scène, des ingrédients essentiels qui firent de la belle soprano dramatique l’une des interprètes les plus célèbres de sa génération ainsi qu’une ambassadrice hors pair du chant wagnérien en dehors des frontières d’Allemagne.

Née à St Georgen en Autriche de parents pourtant non musiciens (son père était instituteur) la toute jeune Amalie Materna chanta dès l’âge de neuf ans dans les chœurs de la paroisse de l’église où elle avait été baptisée. Était-ce un signe, une prédisposition ou bien simplement un fait du hasard : à treize ans, la jeune fille fut tellement fascinée par le rôle d’Ortrud dans Lohengrin qu’elle en apprit par cœur tout le premier acte du rôle !

Elle vint ensuite prendre des cours de chant à Graz, la ville dans laquelle elle effectua ses débuts (Thalietheater) en 1864 en multipliant les apparitions dans les rôles de soubrettes des opérettes de Franz von Suppé. A Graz, Amalie Materna rencontra également celui qui allait devenir son époux peu de temps après, un chanteur d’opérette du nom de Carl Friedrich ; le couple fut engagé conjointement au Carltheater de Vienne en 1866. Il ne fallut pas attendre beaucoup plus longtemps pour que la jeune artiste effectue ses débuts sur la prestigieuse scène du Hofoper de Vienne (1869). Elle y débuta dans le rôle de Sélika dans L’Africaine avec un succès retentissant ; très vite, elle devint un pilier de la troupe en abordant tous les rôles de sopranos dramatiques du répertoire, avec le soutien de la presse et du public : avec une agilité déconcertante, l’artiste triompha aussi bien dans le répertoire mozartien – la Comtesse des Noces de Figaro ou bien Donna Anna (Don Giovanni) -, que les rôles titres de Médée de Cherubini, Alceste et Armide de Gluck, ou bien encore la Leonore de Fidelio. En 1874, Amalie Materna fut la première Amneris dans la création viennoise d’Aïda.

C’est cette année-là que Richard Wagner rencontra l’artiste, à la villa Wahnfried qu’il venait de faire construire à Bayreuth. Après une courte audition dans le cercle très privé du comité d’organisation du Festival, le compositeur réussit à convaincre la jeune femme d’accepter la création du rôle de Brünnhilde, pour la première édition du Festival de Bayreuth prévue deux ans plus tard. Autant dire qu’une grande partie de la réussite artistique et musicale du Festival reposait sur les épaules de l’artiste. Ce qu’elle réussit avec brio. Un témoin oculaire (et auditif) de la création rapporta la phrase suivante : Materna interpréta son rôle comme une déesse. Amalie Materna fut également de la troupe d’Angelo Neumann (The Richard Wagner Traveling Theater) qui fit connaître le Ring au-delà des frontières de la petite province de Bayreuth, notamment à Vienne (1877-1878) et à Berlin, au Victoria Theater en 1881.

Conscient que l’artiste pouvait jouer un rôle majeur dans la reconnaissance de son art, Wagner lui demanda de l’accompagner à Londres, en 1877, dans la série de concerts qu’il donna au Royal Albert Hall, au cours de son troisième séjour en Angleterre.

En 1882, pour la deuxième édition du Festival de Bayreuth, Wagner, subjugué tant par les talents musicaux que théâtraux de la cantatrice, n’eut aucun mal à choisir cette personnalité particulièrement charismatique pour interpréter le rôle énigmatique de Kundry dans Parsifal pour la création de l’œuvre sur la Colline Verte. Tragédienne née pour la scène, la cantatrice apporta une telle dimension au personnage de Kundry qu’elle incarna celui-ci jusqu’en 1891. Quatre semaines avant sa propre disparition, le compositeur remerciait une dernière fois encore celle qui avait su convaincre le public avec ces termes élogieux : « Soyez remerciée pour votre grandiose et généreuse nature qui a su combler ma vie toute entière. Mon Dieu, comme je me souviens de votre dernière Kundry ! Adieu ! » La même année, la soprano donna sa première Isolde à Vienne.

 

Après la mort de Wagner, Amalie MATERNA fut aux Etats-Unis une parfaite ambassadrice de l’art du Maître de Bayreuth, comme elle l’avait déjà été au sein de l’entourage de la reine Victoria à Londres.  Après une tournée en 1884 qui la vit se produire aux côtés du ténor Hermann Winckelmann (créateur du rôle de Parsifal à Bayreuth) et d’Emil Scaria (baryton-basse, créateur du rôle de Gurnemanz), la soprano intégra la troupe du Met à New-York pour une année, où elle se distingua tout particulièrement dans les rôles d’Elisabeth (Tannhäuser) et de Brünnhilde, faisant ainsi connaître au public américain le répertoire wagnérien. Le critique du New-York Times, W.J. Henderson, décrivit ainsi son incarnation de la célèbre Walkyrie : « les sentiments profonds et des tonalités expressives ». Soprano Falcon par excellence, elle brillait également dans les rôles emblématiques de l’ennemi juré de Wagner, Meyerbeer ; elle interprétait les rôles de Rachel (La Juive) ou bien de Valentine (Les Huguenots) qui contribuèrent aussi à faire entrer l’artiste dans la légende.

En 1885, Amalie Materna revint en Europe et se produisit pendant encore neuf années sur la scène de l’Opéra de Vienne à la suite desquelles elle se retira de la scène : à l’apogée de sa carrière, sa dernière apparition fut dans Tannhäuser où l’artiste interpréta le rôle d’Elisabeth une dernière fois, le 21 décembre 1894. Pendant ces dernières années en Europe, elle fut invitée par les plus grandes maisons d’opéra et les plus grands théâtres, de la Staatsoper de Berlin (1886) à Rotterdam (1887), l’Espagne et le Portugal (1889) ou l’Opéra de Paris (1894).

Quand elle se retira de la scène, la soprano enseigna le chant à Vienne. Au cours d’un concert-hommage pour célébrer le centenaire de Wagner, elle interpréta une dernière fois le rôle de Kundry ; ce fut en 1913.

On ne saurait passer sous silence une anecdote la concernant rapportée par un témoin oculaire de la réception qui clôt la première édition du Festival en 1876 (la soprano y avait créé in loco le rôle de Brünnhilde) :

“Généreuse”, Amalie Materna ? On pourrait même dire “ plantureuse” pour Richard Wagner si l’on en croit Hugh Haweis qui raconte dans ses Souvenirs musicaux de 1884 l’embrassade entre la “généreuse soprano” et le compositeur : “Cette soirée-là, lorsque Brünnhilde, une femme immense, arriva en grande toilette parée de quelques-uns de ses plus beaux bijoux, elle se précipita directement sur Wagner – un petit homme bien fragile – pour l’embrasser. Alors que son énorme décolleté sembla un moment étouffer le compositeur, la soprano de s’écrier à la façon à la façon allemande “Ach Herr Wagner !” Wagner pourtant réussit tant bien que mal à se tenir droit et fier comme un homme, et lorsqu’arriva la fin de la soirée, alors que la Materna se préparait à une embrassade d’au revoir du même style, le compositeur eut quand même le temps de botter en touche pour éviter une seconde attaque en s’exclamant : “Non, Madame Materna, je ne veux point de cela !” La pauvre Brünnhilde dut se contenter à la place… d’une énergique poignée de mains !

 

NC

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