Carl TAUSIG

Cette section présente une série de portraits biographiques de ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’édification de l’œuvre wagnérienne. Des amitiés ou des inimitiés parfois surprenantes ou inattendues, des histoires d’amour passionnées avec les femmes de sa vie, parfois muses et inspiratrices de son œuvre, mais également des portraits d’artistes (chanteurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre…) qui, de nos jours, se sont “appropriés” l’œuvre du compositeur et la font vivre différemment sur scène.

TAUSIG Carl

(né le 4 novembre 1841 – décédé le 17 juillet 1871)

Pianiste polonais, compositeur et transcripteur pour piano)

Carl Tausig est né à Varsovie de parents juifs et a reçu ses premières leçons de piano de son père, pianiste et compositeur Aloys Tausig, un étudiant de Sigismond Thalberg. À l’âge de 14 ans, il rencontre Franz Liszt à Weimar. Il est considéré comme un des élèves préférés de Liszt, qui l’envoie chez Richard Wagner à Zurich. Dans une lettre de recommandation du 18 mai 1858, Liszt a écrit:

« Je t’envoie un garçon fantastique, très cher Richard. Reçois-le amicalement. Tausig doit utiliser ton Erard comme il faut et jouer avec toi toutes sortes de choses. Recommande-le à nos amis communs de Zürich – HerweghWille, Semper, Moleschott, Köchly – et reçois-le avec sollicitude. »

Richard Wagner est surpris par l’arrivée le 20 mai 1858 de ce jeune homme précoce, charmant et effronté à la fois, qui fume les cigares les plus forts et déchiffre à vue les partitions les plus compliquées. Richard Wagner l’entraine  à le suivre dans ses longues promenades mais le jeune homme s’en lasse.

Quelques semaines plus tard, le 2 juillet 1858, Wagner répond à Liszt : « Tu m’as fait un grand plaisir en m’envoyant le petit Tausig. Un matin, lorsqu’il vint chez moi avec ta lettre, je crus presser ta main en serrant la sienne ! C’est une enfant terrible : il m’étonne, tantôt par so intelligence si remarquablement développée, tantôt par sa fougue insensée. S’il arrive à quelque chose dans cette vie, ce sera certainement à quelque chose d’extraordinaire. Avec sa passion pour le cigare et le thé, avec sa figure absolument imberbe, il m’effraye et me fait l’effet d’un de ces canetons couvés par une poule qui entrent soudain dans l’eau au grand émoi de leur mère. Jusqu’où ira-t-il ? Je n’en sais trop rien. Quant à de l’eau de vie et du rhum, il n’en aura pas chez moi. Il aurait été tout à fait de la maison si nous ne nous étions pas gênés réciproquement par le piano ; je l’ai donc casé tout près d’ici, dans un taudis, où il couche et travaille seulement ; pour tout le reste, il partage ma vie. Mais il ne fait guère honneur à ma table, qui n’est pas trop mauvaise malgré mon veuvage temporaire ; il vient à chaque repas en déclarant qu’il n’a pas d’appétit du tout ; cela m’ennuie d’autant plus que je sais qu’il arrive lesté de fromage et de pâtisserie. C’est ainsi qu’il me met constamment au supplice ; il dévore mes biscuits, pour lesquels ma femme me rationne moi-même. Il a horreur des promenades, et cependant il prétend qu’il m’accompagnerait volontiers quand je veux le laisser à la maison ; au bout de 30 minutes, il me soutient qu’il a marché pendant 4 heures […] L’invasion de Tausig a été une superbe diversion, dont je te remercie encore une fois. Tu savais ce qu’il me fallait. Naturellement, la présence de ce garçon me fait grand plaisir : s’il se conduit comme un gamin, il parle presque toujours comme un ancien. »

A la suite de cette lettre, Liszt adresse une admonestation à Tausig pour sa « conduite incorrecte » et il écrit également à Wagner que « ce jeune titan a parfois des distractions et des intempérances de langue contre lesquelles il faut le mettre en garde dans son intérêt. » De même dans la correspondance entre Minna et Wagner, on retrouve de nombreuses allusions au « petit Tausig » que le compositeur considère comme un fils : « Mon petit Tausig (saperlotte !) a joué hier pour nous admirablement, presque aussi bien que Bülow. Il me fait grand plaisir, me procure de la distraction, s’entretient avec moi, me stimule. »

Tausig était considéré par certains critiques comme le plus grand des élèves de Liszt, d’un point de vue pianistique, et portant la pure virtuosité à des hauteurs seulement suggérées par Liszt. Anton Rubinstein l’ appelait «l’infaillible». Là où Tausig différait de son professeur, c’était dans son manque de gestes flamboyants lorsqu’il jouait. Tausig était assis immobile au piano et abhorrait ce qu’il appelait Spektakel. Alors que ses doigts faisaient des miracles sur le clavier sans aucune erreur, le seul signe de tension de Tausig était un léger resserrement d’un coin de sa bouche.

Le répertoire de Tausig était vaste; il pouvait tout jouer de mémoire allant de Scarlatti à Liszt. Il a été particulièrement remarqué pour ses interprétations de Chopin, Weber et Beethoven, à la fois pour la finition pianistique et l’intensité de l’émotion

A Zurich Tausig fréquente les amis de Wagner, il était un invité régulier d’Eliza Wille. Seule sa relation avec Hans von Bülow, qui vit clairement en lui un sérieux concurrent, restait difficile. Il est resté pendant un an auprès de Wagner, et il s’installe à Dresde. Puis il part pour Vienne en 1862. Il a toujours gardé des contacts étroits avec Richard Wagner. Tausig transposa pour lui la partition des Maîtres chanteurs de Nuremberg pour piano et composa des fantaisies pour piano sur Tristan et Isolde et La Walkyrie. Il assure son soutien et son amitié à Wagner malgré la publication de son livre Judaïsme dans la musique. De Berlin, il envoie un télégramme à Wagner: « Succès colossal de Lohengrin, tous les Juifs vont se réconcilier avec vous, votre Carl qui vous adore ».

Tausig poursuivit sans relâche la diffusion des œuvres de Richard Wagner. Aussi lorsque Wagner a annoncé en mai 1871 la recherche de financement pour la construction des Festspielhaus de Bayreuth et le premier festival par la vente de certificats de patronage, Tausig a pris la direction de la société. En outre, Tausig prévoyait de fonder à Berlin un orchestre pour interpréter des extraits de La Tétralogie. Malheureusement, Tausig décède deux mois avant le début du Festival à l’âge de 29 ans, la même année, à Leipzig. A l’instigation du facteur de piano Bechstein, son corps a été transféré à Berlin et enterré dans le cimetière protestant de l’église de Jérusalem. Wagner a été profondément affecté par sa mort prématurée. Pour la pierre tombale Tausig Wagner a écrit l’épitaphe suivant, très difficile à traduire:

« Reif sein zum Sterben,
des Lebens zögernd sprießende Frucht,
früh reif sie erwerben
in Lenzes jäh erblühender Flucht,
war es Dein Loos, war es Dein Wagen,
wir müssen Dein Loos wie Dein Wagen beklagen. »

(Soyez prêt à mourir / Fruit de la vie qui point avec hésitation, / Acquis dans une maturité prématurée/ Dans la fuite soudainement florissante du printemps/

Tel fut ton destin, tel fut ton audace/ Nous devons déplorer ton destin et ton parcours.)

Les oeuvres inspirées de Wagner composées par Tausig sont :
– Une transcription  des Maîtres Chanteurs de Nuremberg (arrangement pour quatre mains)
– La Kaisermarsch (ou Marche Impériale)
– Méditation sur Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg
– Trois paraphrases sur Tristan et Isolde
– Deux transcriptions sur La Walkyrie

CPL

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