UNE COMÉDIE EN UN ACTE, WWV110

L’œuvre musicale de Richard Wagner est composée d’opéras ou “drames musicaux” allant des “Fées” (Die Feen) à “Parsifal”. Une présentation détaillée de chacune de ces œuvres majeures est ici associée à un ensemble d’articles thématiques, replaçant celles-ci non seulement dans le contexte de sa vie personnelle mais également dans son contexte social, économique et culturel. Cette section regroupe également l’ensemble des œuvres musicales (hors opéra) et son œuvre littéraire.

UNE COMÉDIE EN UN ACTE, WWV110

Ein Lustspiel in 1.Akt, WWV100

Scénario en prose écrit en 1868

Distribution :
Barnabas Kühlewind, souffleur
Hermine, sa fille
Kaspar Schreiblich, étudiant sans le sou et acteur débutant
Lorenz Pimper
David Bubes, régisseur
Napoléon Baldachin, premier rôle.

Une chambre chez Kühlewind. Au fond, un lit dans une  alcôve. Matin.

Kühlewind dort dans le lit et rêve, agité. Hermine  inquiète pour son père. Schreiblich passe la tête par la porte : Hermine tire le rideau de l’alcôve. C’est le jour de l’An : la  représentation de la Saint-Sylvestre, la veille, a été terrible pour  le vieux souffleur en dépit de toutes les mises en garde, voilà qu’il s’est remis à trop priser, ce qui lui a valu des éternuements  convulsifs au moment précis où le premier rôle, Baldachin, avait le plus besoin de son aide. Il en est résulté un quiproquo  irrattrapable, à la grande joie des spectateurs, et les éternuements cataclysmiques de Kühlewind n”ont fait qu’ajouter au scandale. Colère de l’acteur : à la clef, la mise à pied de Kühlewínd.

Accablement total. Cet entretien a été fréquemment interrompu par des gémissements venant de l’alcôve. Nouvelle crise  d’éternuements. Pimper vient avec le Petit Livre de l’Année Théâtrale, où il veut consigner sans tarder la dernière anecdote du théâtre. Schreiblich promet de la lui raconter. Dans le lit,  véritable explosion nasale, qui projette Kühlewind empêtré dans  ses draps. De tous côtés on s`active pour le libérer enfin, il est dégagé. Il s’habille, misérablement, derrière le rideau de l`alcôve, pendant que Schreiblich raconte l`anecdote de la veille à Pimper, qui la note. Puis café, petit-déjeuner. On parle de la  veille : comment est-ce arrivé ? Kühlewind très abattu : ses  plaintes. Schreiblich essaie de le consoler en parlant des brillantes  perspectives qu’il entrevoit pour lui-même : K. lui donnerait  Hermine comme femme, et il s’occuperait de toute la famille.

Mais K. lui rétorque un pronostic tout différent: il n’a aucun  talent de comédien. Sans doute sa mémoire est surprenante, merveilleuse, même, puisqu’il lui suffit de lire un texte une fois pour le retenir. Mais c’est précisément là ce qui le perd comme acteur : il récite tout d’un trait, sans marquer la moindre  respiration. Or c’est pendant les pauses, les silences, qu’on joue:  ce que l’on dit, et surtout quand il s’agit de Schiller, Goethe  ou Shakespeare, personne ne le comprend et tout le monde s’en moque, mais les silences, les hésitations significatives, lourdes de sous-entendus, voilà qui accroche et capte l’attention.

Les récents incidents prouvent que cette maxime est vraie. Baldachin n’est qu’un ingrat, car Kühlewind, en souffleur consciencieux, l’a maintes fois aidé à produire de profonds  effets. Cela étant, il y a eu aussi des cas où, etc. (Nombreuses interruptions.)

Pimper, qui corrige son anecdote. Son exposé va  en défaveur de Kühlewind. Puis café. Prise. Ne pas fumer ! Souci croissant : comment tout cela finira aujourd’hui, quelles  décisions seront prises. Crainte d’un renvoi. La misère qui s’en suivrait. Le passé de Schreiblich (entre autres choses). Hermine décide d’aller voir le secrétaire du théâtre de la cour, qui est  à tu et à toi avec le secrétaire du cabinet. Elle espère seulement  obtenir une pension convenable pour son père. La conversation principale, entre Schreiblich et Kühlewind, se prolonge. Pimper annonce l’entrée de Bubes, le régisseur. Ses manières extraordinairement compassées. Le renvoi est inévitable : on se dispute à ce sujet. Schreiblich l’interroge sur ses futurs emplois. Guère d’espoir de ce côté. Baldachin aurait menacé de partir : il semble qu’il craigne l’engagement de Schreiblich, à cause de  l’incroyable mémoire de celui-ci, qui le rend capable d’apprendre tous les rôles le matin pour le soir de telle sorte qu’à chaque  fois que Baldachin ne serait pas prêt, la direction pourrait le  remplacer au pied levé et assurer la programmation de son  choix, rendant proprement inutile le premier rôle officiel.

Discussion sur Baldachin. On dit que celui-ci intrigue depuis la veille au soir pour obtenir le renvoi de Kühlewind. Pimper prend Schreiblich à part, et l’informe que Baldachin fait les  cent pas autour de la maison, dont il attend que sorte Bubes.

Schreiblich, par la fenêtre, hèle Bald. et l’invite à participer au  débat. Celui-ci apparaît, mécontent et vexé. L’entrevue avec  Schreiblich est plutôt tendue: discussions embrouillées, où Bald. se contient avec hauteur. Il importe de parvenir à savoir ce  que veulent ceux qui ont tout pouvoir sur le théâtre. Bald. intrigue, pour que Schreiblich soit nommé souffleur, afin de l’écarter définitivement d’une carrière d”acteur. Pimper les  interrompt pour revoir une dernière fois l’anecdote. Lettre du secrétaire à Kühlewind, pour le prier d’abandonner sa charge. Buber et Baldachin laissent Schreiblich réfléchir: postulera-t-il  à l’emploi? Kühl. et Schreib. en débattent (pathos). Ils veulent tirer une vengeance souterraine de Baldachin, qui se voit maintenant promu unique premier rôle du théâtre. Hermine  revient du cabinet du secrétaire. Elle a obtenu une pension complète, en échange de la promesse de Schreiblich d’accepter l’emploi de souffleur, pour lequel tout le théâtre a entière  confiance en lui. Pathos croissant. Peut-être, à l’emploi de souffleur, pourrait-il ajouter quelque succès en créant un journal théâtral, des compte rendus, des essais, des poésies, son vrai métier. Il compare le trou du souffleur à ce point que cherchait Archimède pour soulever la terre. Pimper, pour remercier de  l’anecdote, apporte une bouteille de vin : on s’est arraché son  petit livre au coin de la rue. Kühlewind lui-même essaie de se  réconforter. On porte des toasts aux succès inimaginables que   connaîtra le nouveau souffleur dans son emploi. Kühlewind, qui a reniflé une trop forte prise de tabac, éternue si fort qu’il renverse son verre. Schreib. y voit un présage de bon  augure pour tous ses projets.

Là-dessus, fiançailles.

1er septembre 1868.
(Pour conjurer une pénible dispute.)

 

Texte en prose de Richard Wagner, traduction de Philippe GODEFROID
in Les Opéras imaginaires, Librairie Séguier, Archimbaud (1989)

 

 

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