PARSIFAL WWV111 : LE PARZIVAL DE WOLFRAM VON ESCHENBACH

L’œuvre musicale de Richard Wagner est composée d’opéras ou “drames musicaux” allant des “Fées” (Die Feen) à “Parsifal”. Une présentation détaillée de chacune de ces œuvres majeures est ici associée à un ensemble d’articles thématiques, replaçant celles-ci non seulement dans le contexte de sa vie personnelle mais également dans son contexte social, économique et culturel. Cette section regroupe également l’ensemble des œuvres musicales (hors opéra) et son œuvre littéraire.

PARSIFAL, WWV111

Parsifal, WWV111

LES ARTICLES THEMATIQUES

LE PARZIFAL DE WOLFRAM VON ESCHENBACH

par Danielle BUSCHINGER, Jean-Marc PASTRÉ et Wolfgang SPIEWOK

Monument représentant Wolfram von ESCHENBACH (1170-1220) érigée par le roi Maximilien II de Bavière à la gloire du chanteur allemand en 1860

Monument représentant Wolfram von ESCHENBACH (1170-1220) érigée par le roi Maximilien II de Bavière à la gloire du chanteur allemand en 1860

  1. La vie de Wolfgram von Eschenbach

Nulle chronique, nul document d’archive ne mentionne le poète du Parzival. Ce que nous savons de lui, nous le devons avant tout à lui-même. Des allusions historiques – par exemple le siège d’Erfurt par le landgrave Hermann von Thüringen en 1203, la mention de ce même landgrave, qui vivait entre 1155 et 1217, dans le Willehalm, etc. – et l’établissement d’une chronologie approximative grâce à des comparaisons parfois fort compliquées entre les oeuvres ont amené à situer la vie de Wolfram entre 1170 et 1220.

Il a écrit sa première oeuvre, le Parzival, selon toute vraisemblance, entre 1200 et 1210, puis deux autres oeuvres – restées inachevées -, le Willehalm, histoire de l’affrontement entre christianisme et paganisme dans le sud de la France à l’époque de Louis le Pieux, et le Titurel, histoire d’un amour tragique. Parallèlement aux oeuvres romanesques, il a composé plusieurs poèmes lyriques – en tout cinq aubes, le récit des adieux douloureux de deux amants au point du jour -, et deux poèmes d’amour qui, comme Parzival, portent l’empreinte évidente de l’originalité de Wolfram. Il est originaire de Moyenne-Franconie. Dans l’église Notre-Dame de la petite ville – située à environ trois kilomètres au sud-est d’Ansbach, et qui, en souvenir de son fils illustre porte aujourd’hui fièrement le nom de Wolfram-Eschenbachs – se trouvait son tombeau, décrit dans le Ehrenbrief (1462) de Jakob Püterich von Reichertshausen, un chevalier-poète du XVème siècle, et par le patricien nurembergeois Kress, qui l’a encore vu de ses propres yeux en 1608.

Voici la teneur de l’épitaphe selon Kress : “Hie ligt der strang Ritter Herr Wolfram von Eschenbach ein Meistersinger”. Selon les témoignages concordants des deux garants, les armoiries de Wolfram étaient un vase avec cinq fleurs, alors que la miniature du célèbre manuscrit de Manesse (XIVème siècle) montre deux haches (ou étendards) dressés.

Wolfram était chevalier, de naissance libre (il n’était pas ministérial), cependant selon son propre témoignage, il n’était pas particulièrement fortuné. Dans le Livre IV de son Parzival, il avoue avec une auto-ironie amère : “Où je mets pied à terre et où l’on m’appelle “seigneur”, là, dans ma propre demeure, une souris trouverait difficilement son bonheur. Il lui faudrait en effet voler une nourriture que d’ailleurs personne n’aurait à me cacher puisque je n’en trouve jamais. Il ne m’advient que trop souvent à moi, Wolfram von Eschenbach, d’être réduit à ce genre de confort domestique.”

Cette sombre situation économique ne permettait de s’adonner pendant de nombreuses années à une activité littéraire que si l’on trouvait de riches mécènes qui passaient commande d’une oeuvre et finançaient le coûteux travail de copie d’une oeuvre. Les mécènes de Wolfram étaient le landgrave Hermann von Thüringen, qui a passé commande du Willehalm, les comtes de Wertheim, dont la résidence – le Wettenburg – se trouvait non loin de la ville de Wertheim sur le Main, et les gentilshommes de Dürne avec leur résidence – le château de Wildenberg – dans l’Odenwald (Wolfram a traduit le nom de ce château en français pour désigner le château du Graal : Munsalvaesche, le Mont Sauvage).

Il est prouvé pour finir que Wolfram était en relation avec des familles nobles d’Autriche et de Styrie. On ignore qui a passé commande du Parzival ; toutes les tentatives pour résoudre l’énigme débouchent sur des suppositions plus ou moins crédibles.

 

  1. La culture de Wolfram

En dépit de circonstances familiales et personnelles difficiles, Wolfram von Eschenbach est fier de son état social et de son métier d’écrivain. A la fin du Livre II de son Parzival, il dit de lui-même : “Je suis chevalier.” Et on lit immédiatement avant : “Je m’appelle Wolfram d’Eschenbach et m’y entends assez en matière de vers.” Il se reconnaît un talent particulier qu’il ne pas devoir être entravé – voire brisé – par la contrainte d’une réécriture ou d’une traduction fidèle de sources latines et françaises. Il abandonne par là à ses yeux la voie tracée des traditions littéraires contemporaines qui exigeaient de chaque auteur qu’il se réclamât de sa source pour attester de la vérité poétique et pour montrer sa perfection artistique et sa grande culture.

Wolfram, qui selon toute évidence n’a pas joui d’une formation véritable, s’élève là contre et déclare dans le prologue du Willehalm de façon polémique : “J’ai peu appris de ce qui est écrit dans les livres. Ma formation consiste seulement dans mon talent poétique : c’est à lui que je dois mes capacités.” Et pourtant, qu’on ne s’y trompe pas ! Bien que par de telles remarques Wolfram prenne distance par rapport aux écrivains contemporains, qui étaient leur érudition, il n’est pourtant pas du tout hostile à la culture. Au contraire ! Il compense son manque de culture cléricale en ramassant, en autodidacte véritablement génial, avidement les connaissances les plus diverses, que ce soient des connaissances astrologiques, la description fabuleuse des forces secrètes de pierres précieuses, ou encore des allusions détaillées à la littérature allemande contemporaine ou aux légendes populaires. Et ce qu’il acquiert de connaissances, il l’utilise dans son oeuvre, au risque parfois de réfréner le cours de l’action par l’abondance compacte de références. De temps à autre, le lecteur ne peut s’empêcher d’avoir l’impression que dans l’énumération infinie des noms de personnes les plus curieux ou dans ce jonglage insouciant avec les noms géographiques se cache une secrète ironie qui cherche à rendre supportable cet excès de matière par le sel d’un persiflage enjoué des particularités de la pratique artistique contemporaine. La méconnaissance de ce trait caractéristique de la création wolframienne a conduit parfois à prendre pour argent comptant des déclarations au service d’une autodéfense à la fois ironique et hyperbolique. Quand par exemple il dit qu’il ne faut pas considérer son oeuvre comme un livre savant, car il ne savait lui-même ni lire ni écrire, il convient de prendre cette affirmation comme une simple riposte ironique aux prétentions à l’érudition des rivaux. Il serait insensé de vouloir dénier à l’auteur d’oeuvres romanesques si considérables, qui en outre témoignent de la connaissance de la littérature contemporaine – que ce soit Heinrich von Vedeke, Hartmann von Aue, Gottfried von Strassburg, Eilhart von Oberf, Walther von der Vogelweide, Reinmar von Hagenau ou la Chanson des Nibelungen -, l’initiation à la lecture et à l’écriture. Passons sur la question de savoir dans quelle mesure ce trait fondamental ironique de la création romanesque de Wolfram peut servir d’explication pour certaines bévues dans la traduction de sa source française. On doit bien plutôt supposer que Wolfram maîtrisait la langue française suffisamment pour son propos.

 

  1. Le problème des sources

Même s’il a été question de l’originalité de Wolfram, il faut cependant dire qu’il avait lui aussi un modèle, et que c’est justement cette question des sources qui a fait naître un grand nombre d’ouvrages scientifiques. La raison en est la tendance du poète à nous présenter des images déformantes pénétrées d’ironie secrète. Les faits sont les suivants : nous possédons un unique roman de Perceval, écrit avant l’oeuvre de Wolfram, qui est le Perceval ou li Contes del Graal de Chrétien de Troyes, composé sur l’ordre du comte Philippe de Flandre (mort en 1191). Le roman alerte et agréable de Chrétien, dont les acteurs analysent leurs motivations dans des monologues et des dialogues, parle lui aussi d’une source, que Chrétien nomme simplement le livre, sans que malgré de nombreux efforts on ait pu découvrir un tel livre. Or voilà que Wolfram reproche à Chrétien d’avoir été en infraction par rapport à l’histoire de Parzival ou du Graal. Il prétend que lui, Wolfram, a découvert la véritable source chez un poète provençal du nom de Kyot, et que ce Kyot est son véritable garant. Kyot – que Wolfram mentionne à six reprises dans son Parzival (notamment 416,20 sqq., 453,5 sqq., 827,3 sqq.) – a, continue-t-il, découvert à Tolède l’histoire du Graal dans un manuscrit arabe inconnu. L’auteur de ce manuscrit était le païen Flegetanis, expert en sciences de la nature, qui descendait de Salomon, et qui – regrettable idolâtrie – adorait un veau. Cet homme a lu le nom du Graal dans les étoiles, et le Graal lui-même fut laissé sur la terre par une troupe d’anges qui remonta au ciel e est gardé depuis par des hommes élus pour ce service. Kyot a recherché ensuite dans des chroniques latines de Bretagne, de France, d’Irlande et d’autres pays des renseignements précis sur ce peuple du Graal jusqu’à ce qu’il découvrît en Anjou la source recherchée. Se fondant sur cette source, il a ensuite composé son oeuvre en langue française.

Or il n’est dans toute la littérature française du Moyen-Âge fait aucune mention d’un poète du nom de Kyot – transcription du nom de langue d’oïl Guiot, alors que le nom provençal serait Guizot – qui serait l’auteur d’un roman de Parzival ou du Graal. Si l’on prend pour argent comptant le témoignage de Wolfram, on rencontre les plus grandes difficultés pour déterminer la performance personnelle de Wolfram en tant que traducteur ou adaptateur. En effet on est même tenté de reconstruire un Parzival, oeuvre de Kyot, à partir de l’oeuvre de Wolfram ! Cela semble être le comble de la crédulité ! De fait, si l’on examine en toute objectivité la référence que fait Wolfram de sa source, le caractère fantastique de cette indication devrait déjà inviter à la plus grande prudence. S’ajoute à cela le fait que Wolfram est tombé en discrédit auprès de ses collègues-écrivains pour avoir commis un délit inouï en gâchant une source connue d’eux. Gottfried von Strassburg lui reproche dans son roman de Tristan d’être “un inventeur d’histoires étranges, un braconnier d’histoires”.

Ces faits n’autorisent aucune autre conclusion que celle-ci : Wolfram – peut-être même par réaction contre le reproche de Gottfried – parodie les déclarations d’autres auteurs, qui décrivent leur recherche de la bonne version de l’histoire (c’est Gottfried qui est ici visé). Son vrai modèle était le Perceval de Chrétien de Troyes, qui, parce qu’inachevé, n’autorise une comparaison avec l’oeuvre de Wolfram que jusqu’au Livre XIII.

On doit voir dans l’oeuvre de Chrétien effectivement la source de Wolfram, cela est montré par de nombreuses concordances dans la composition, ainsi l’opposition du monde du Graal et du monde arthurien, le contraste de l’action et le parallélisme de l’action Parzival et de l’action Gawann. La comparaison du Perceval de Chrétien et du Parzival de Wolfram montre cependant de façon irréfutable que nous n’avons pas le droit de voir en Wolfram un traducteur ni un simple adaptateur ; car il a créé à l’évidence à partir du roman de Chrétien une oeuvre absolument personnelle. Son apport réside essentiellement dans le développement du monde du Graal, dans la peinture tout à fait nouvelle du caractère des personnages et dans la réflexion sur les questions politiques et religieuses de l’époque, auxquelles il s’efforce d’apporter une réponse. Cela ne conduit pas très loin de comparer le Parzival de Wolfram avec sa source pour en dégager le sens et la signification.

Pour comprendre et porter un jugement sur ce roman, il faut partir de l’oeuvre elle-même, qui forme un tout homogène et qui est composée de façon harmonieuse dans tous ses détails depuis la conception artistique présidant à sa création jusqu’au détail de la peinture des personnages.

 

  1. Le contenu du Parzival

Que se passe t-il dans le Parzival de Wolfram von Eschenbach ? Les deux premiers livres de l’oeuvre qui en comporte en tout seize sont consacrés au père de Parzival, Gahmuret. Gahmuret est le fils du roi Gandin d’Anjou, un cadet qui, pour cette raison, n’a pas droit à la succession, part en quête d’aventure en Orient et entre au service du baruc païende Baldac (le calife de Bagdad). Il libère la reine païenne Belakane de Zazamanc, assigée par ses ennemis, obtient par là sa main et son pays, mais l’abandonne peu après, poussé par une soif inextinguible d’aventures. Belakane lui donne un fils, dont la peau est bigarrée de blanc et de noir et qui pour cela reçoit le nom de Feirefiz (“fils vair”).

Dans un tournoi, Gahmuret, rentré en Europe, obtient par sa victoire la main et les royaumes de la reine Herzeloyde. Cependant rien ne peut le retenir, et il repart à l’aventure. Il trouve la mort au service du baruc. Herzeloyde donne le jour à un fils qui est nommé Parzival.

Après la mort de Gahmuret, Herzeloyde se retire dans la solitude de la forêt pour élever son fils loin du monde et le préserver des dangers de la vie chevaleresque. Là, le garçon sans expérience rencontre un beau jour quatre chevaliers revêtus de somptueuses armures et – se souvenant de l’enseignement religieux élémentaire donné par sa mère (Dieu est lumineux comme le jour, le diable est noir et perfide) – il prend le premier pour Dieu. Revenu auprès de sa mère, il lui demande un cheval parce que, mettant à profit un renseignement des chevaliers, il désire se rendre à la cour du roi Artus ert devenir lui-même chevalier. Dans l’espoir que la raillerie du monde le ramènera à elle, sa mère le vêt d’un habit de fou et lui donne un pitoyable roncin. Lors des adieux, elle lui donne quatre conseils : il ne doit traverser un cours d’eau que là où les gués sont transparents, il doit saluer les gens de façon aimable, écouter les conseils d’hommes d’expérience et obtenir l’anneau et le baiser de belles dames.. Quand Parzival s’éloigne, Herzeloyde a le coeur brisé.

Dans son inexpérience, Parzival suit à la lettre mes conseils de sa mère, sans en comprendre le vrai sens. Il n’ose pas s’engager dans un gué où l’eau lui apparaît troublée par de la végétation ; il trouve une belle dame dormant dans sa tente et lui ravit baiser, anneau et broche, si bien que pour Jeschute – tel est le nom de la dame – commence après le retour de son époux jaloux Orilus une période de vie bien pitoyable. Parzival, qui pourquit son chemin, découvre sur un rocher une pucelle gémissante : c’est sa cousine Sigune qui tient dans ses bras un chevalier mort, Schianatulander. Sigune reconnaît Parzival, le nomme par son nom et le renseigne sur sa famille. En poursuivant sa route, Parzival finit par parvenir à la cour d’Artus ; désireux d’obtenir l’armure éclatante du chevalier vermeil Ither, Parzival le tue en combat singulier d’un coup heureux de son javelot et revêt ensuite son armure. Son chemin le mène ensuite d’Artus à Gurnemanz, expert en éducation courtoise, qui l’accueille amicalement et lui explique aussi bien les principes de la culture aristocratique que le rituel de la messe. Entre autres conseils, il enjoint Parzival de ne pas poser trop de questions curieuses dans une conversation (Livre III).

Après avoir quitté Gurnemanz, Parzival délivre la reine du pays de Brobarz, Condwiramurs, qui est assiégée dans sa capitale de Pelrapeire. Il gagne et son coeur et son pays. Cependant, il ne reste pas très longtemps pas très longtemps auprès de sa jeune épouse. La soif d’aventures et l’incertitude dans laquelle il est sur le destin de sa mère le poussent à repartir (Livre IV). Il parvient à un lac sur lequel un homme de grande noblesse semble pêcher. Le pêcheur indique à Parzival le chemin du château le plus proche. C’est le château du Graal, Munsalvaesche, dans lequel le roi du Graal, Anfortas, qui souffre d’une blessure faite par une lance empoisonnée, dépérit. Parzival apprendra plus tard que c’est la punition d’un amour défendu. Anfortas pourrait être sauvé par une question de Parzival. mais bien qu’il puisse observer dans le château sombre de choses merveilleuses et curieuses – c’est ainsi que le Graal, qui n’est pas plus précisément décrit, pourvoit toute la compagnie du Graal abondamment de mets et de boissons -, Parzival se garde de poser quelque question que ce soit, en observance stricte du conseil de Gurnemanz. Le lendemain matin, le château est vide. Il s’en va de bien mauvaise humeur ; en guise d’adieu un écuyer lui lance des injures. Son chemin le conduit de nouveau auprès de Sigune et de son bien-aimé mort. Quand Sigune apprend qu’il n’a pas posé la question rédemptrice, elle le maudit. Continuant sa chevauxhée, Parzival rencontre Jeschute et Orilus : il vainc Orilus en combat singulier et le réconcilie avec son épouse (Livre V). Parzival parvient maintenant au voisinage du camp du roi Artus. Trois gouttes de sang dans la neige éveillent en lui le souvenir de son épouse Condwiramurs, souvenir qui le fait sombrer dans une méditation nostalgique. L’esprit absent, il vainc deux chevaliers d’Artus qui l’attaquent ; ce n’est que lorsque le compréhensif Gawann – le plus célèbre chevalier de la Table Ronde – étale un tissu sur les gouttes de sang que Parzival sort de ses méditations. Gawann le mène à Artus qui l’admet à la Table Ronde. Cependant, Parzival ne peut pas se réjouir longtemps de cet honneur qu’on lui a fait ; en effet apparaît la messagère du Graal, Cundrie, à la laideur repoussante, qui le maudit comme un homme dépouillé de tout honneur. En même temps surgit un chevalier inconnu, Kringrimursel, qui accuse Gawan de meurtre et le provoque à un duel qui doit avoir lieu quarante jours plus tard.

Pour Parzival, tout un monde s’écroule. Bien qu’il se soit toujours efforcé de satisfaire aux exigences d’une vie chevaleresque exemplaire, il a échoué. Après avoir rompu avec Dieu et le monde, il s’en va (Livre VI). Dans les livres qui suivent, consacrés essentiellement à Gawan, Parzival apparaît de temps à autre à l’arrière-plan de la scène ; ce n’est que dans le Livre IX, inséré dans l’action Gawan, qu’il est au centre des événements.

Sur le chemin d’Ascalun, le lieu du combat, Gawan parvient d’abord à Bearosches, où une bataille va opposerle roi Lyppaut à un prétendant à la main de sa fille. Cette fille, l’aînée, a une dispute avec la cadette à propos de Gawan, et la fillette prie Gawan d’être son champion contre l’ainée. La victoire de Gawan règle tous els conflits (Livre VII). Gawan a une aventure amoureuse plus sérieuse à Ascalun avec Antikonie, la soeur du souverain du pays, Vergulaht. Quand Gawan est reconnu, il est, malgré le sauf-conduit qui lui avait été accordé, assiégé dans une tout par la foule des bourgeois de la commune ; cependant Antikonie et le loyal Kingrimursel le sauvent. Gawn est libéré à la condition de se mettre en quête du Graal à la place de Vergulaht qyu a été vaincu par Parzival (Livre VIII).

A la recherche du Graal, Gawan rencontre la duchesse Orgeluse de Logroys, l’ancienne amie d’Anfortas. Depuis que le roi Gramoflanz a tué son époux bien-aimé Cidegast, elle poursuit Gramoflanz d’une haine implacable. Elle envoie tous les chevaliers qui la servent combattre contre lui. Cependant elle traite ses chevaliers servants avec arrogance et mépris pour les mettre à l’épreuve et découvrir lequel est le plus digne de ses faveurs. Gawan réussit toutes les aventures dans lesquelles elle l’a mêlé : il vainc le puissant Lischoys Gwelljus, duc de Gowerzin (Livre X) ; il triomphe de l’épreuve principale dans le château enchanté du magicien Clinschor (Schastel marveile) et délivre par là de nombreux chevaliers et dames, parmi celles-ci sa grand-mère Arnive, sa mère Sangive et ses soeurs Itonje et Cundrie (Livre XI) ; le lendemain matin, bien que blessé, il vainc finalement le turcoplier Florand d’Itolac, cavalier servant d’Orgeluse, de rang princier, qui approche avec celle-ci. Enfin Orgeluse le mène au pays de l’arrogant, de l’intrépide Gramoflanz, qui ne veut combattre que lorsque deux adversaires à la fois l’attaquent. Gawan brise le rameau d’un arbre qui lui avait été désigné et provoque Gramoflanz qui, exceptionnellement, se déclare prêt au duel quand Gawan se fait reconnaître. On convient que ce combat sera livré sur le pré de Joflanze devant une somptueuse assemblée de chevaliers et de nobles dames (Livre XII).

Quand Gawan a surmonté toutes les épreuves, Orgeluse se donne à lui pleine d’amour. Gawan part avec tous les habitants du château enchanté à Joflanze, après avoir invité également Artus, toute sa cour et toute sa suite à paraître sur la lice pour lui faire honneur (Livre XIII). Il n’y a cependant pas de duel entre lui et Gramoflanz, et ce pour la raison suivante : Parzival, qui s’en est remis à la volonté de Dieu et a été conforté par le piueux et sage ermite Trevizent, le frère d’Anfortas (Livre IX), est sur la route qui le mènera au Graal. Le hasard le fait pénétrer dans la plaine où campe Artus, et il est pris par Gawan pour Gramoflanz. Dans le combat qui suit, Gawan est près d’être défait quand des écuyers dissipent le malentendu et font que le combat est interrompu. Gramoflanz qui survient remet son combat avec Gawan, qui est épuisé, mais le lendemain matin il sort, lui aussi épuisé du combat avec Parzival si bien que cette fois-ci c’est Gawan qui remet le duel à plus tard. Mais comme Gramoflanz aime Itonje, la soeur de Gawan, la querelle entre les deux adversaires finit par être apaisée (Livre XIV).

Parzival se dérobe aux préparatifs de la fête et part en cachette. Le voici qui chevauche vers l’épreuve la plus difficile qu’il aura à tenter ; car il rencontre son demi-frère Feirefiz, qui est parti avec une grande armée à la recherche de son frère Gahmuret. Dans le combat fratricide, l’épée de Parzival se brise, et lorsque le magnanime Feirefiz jette sa propre épée, sur quoi les deux protagonistes se présentent, les deux frères se reconnaissent. heureux, ils chevauchent tous les deux à la cour d’Artus, où apparaît aussi la messagère du Graal Cundrie et, accompagné de Feirefiz, Parzival part pour le château du Graal (Livre XV) et par la question salvatrice : “Mon oncle, quel est ton tourment ?”, délivre Anfortas de son supplice. Condwiramurs, elle aussi, qui a mis monde dans l’intervalle de deux fils, Loherangrin et Kardeiz, est appelé au Graal. Alors que Kardeiz doit être le successeur de son père dans le monde, Loherangrin doit plus tard lui succéder dans l’office de roi du Graal. Quand Parzival va chercher son épouse et Loherangrin, il trouve sur sa route la cellule où Sigune s’est éteinte auprès du cercueil de son bien-aimé. Parzival fait déposer les deux amants dans un sarcophage pour leur dernier sommeil.

Feirefiz tombe amoureux de la porteuse du Graal, Repanse de Schoye, soeur d’Anfortas. Par amour pour elle, il se fait baptiser, obtient sa main et part avec elle pour l’Inde où lui-même et plus tard son fils, le Prêtre Jean, vont répandre le christianisme.

La fin est constituée par une ébauche de l’histoire de Loherangrin. Lohenrangrin sauve et épouse la princesse de Brabant, mais doit la quitter quand elle lui demande son nom. En effet, après la question salvatrice de Parzival, Dieu a décidé que tout chevalier désigné pour servir dans le monde devrait rentrer à Munsalvaesche si on venait à le questionner sur son origine (Livre XVI).

 

  1. La composition de Parzival

Dans le parallélisme de l’action Parzival et de l’action Gawan se dessine clairement la structure binaire de l’oeuvre. Le chemin de Parzival est parfois mis dans l’ombre par le récit du destin de Gawan. L’action proprement dite de Parzival remplit les Livres III à VI, IX, XIV à XVI. Dans le Livre XVI, les deux actions confluent. Les deux premiers livres (action Gahmuret) sont reliés par le personnage de Feirefiz avec les deux derniers et constituent avec eux, pour ainsi dire, le cadre de l’oeuvre dans son ensemble.

Le chemin de Parzival conduit le héros du stade de l’enfant naïf et privé par sa mère de l’éducation conforme à son rang jusqu’à la royauté du Graal en passant par le stade de chevalier arthurien parfait. Wolfram va donc bien au-delà de Hartmann. Pour Hartmann, le but suprême était de devenir le parfait chevalier arthurien, tandis que cette phase n’est dans le Parzival qu’un stade intermédiaire sur la route qui conduit à un but supérieur, et ce but est le monde du Graal.

Aun premier niveau l’enfant sans expérience et naïf quitte la solitude de la forêt pour se rendre dans le monde chevaleresque, pourvu de connaissances élémentaires et sans nuances sur la religion et le comportement dans le monde. Il ne comprend ces deux enseignements que de façon formelle sans en saisir le sens profond. La première rencontre avec Sigune fait prendre conscience à Parzival de sa personnalité et attire son attention sur son aptitude à partager les sentiments d’autrui de même que sur sa serviabilité naturelle. Une interprétation formelle des conseils reçus, son inexpérience et son égoïsme naïf ont pour conséquence que Parzival se rend coupable de graves fautes : il est responsable de la mort de sa mère (néanmoins Wolfram a grandement atténué la faute du héros : celui-ci n’a pas vu sa mère tomber morte à terre comme chez Chrétien), il a compromis Jeschute et il a tué son parent Ither.

La route qui mène à la chevalerie arthurienne exemplaire est frayée par l’éducation courtoise que lui dispense Gurnemanz. Parzival est instruit dans l’art de se comporter de façon courtoise et irréprochable, dans celui de manier parfaitement les armes tel un chevalier, enfin dans les détails du rituel de l’Eglise. C’est grâce à ces conseils qu’il conquiert à Pelrapeire une haute gloire et à la main d’une charmante femme – but de toutes les aspirations d’un chevalier arthurien. Il répare même sa faute commise envers Jeschute.

Cependant la maturité arthurienne n’est pas synonyme de maturité dans le monde du Graal ; car lors de sa première visite au château du Graal, Parzival échoue lamentablement. Il saurait certes poser la question qui délivrerait Anfortas, le roi du Graal, de ses souffrances, mais le respect formel des règles de conduite courtoise et aristocratique constitue ici un obstacle inquiétant qui enlève toute expression à une sympathie humaine et profonde et empêche de surmonter les épreuves. C’est de nouveau Sigune qui de bonne heure lui révèle qu’il a commis une erreur qu’un homme bien né ne devrait pas commettre, et il en est le premier honteux, avant même que Cundrie, la messagère du Graal, le précipite du haut – apparent – d’une carrière brillante en le maudissant devant tous les chevaliers arthuriens : des intérêts égoïstes lui ont fait oublier la responsabilité qu’il avait des autres. La crise humaine commence alors pour Parzival est en même temps une crise religieuse, car dans son identification naïve du service chevaleresque et du service de Dieu, il rend Dieu responsable de son échec personnel. La révolte conduit Parzival à cinq ans et demi d’une vaine quête : il a beau accomplir de grands exploits et garder une parfaite fidélité à son épouse, il n’approche pas du Graal. Mais le jour du Vendredi saint, après que Sigune, que Parzival rencontre pour la troisième fois, lui a affirmé qu’elle ne lui adressera plus de reproches, mais s’efforcera de l’aide dans sa quête du Graal, le héros remet son sort aux mains de Dieu et en est instruit et réconforté par un oncle ermite. Il a pris pleinement conscience de sa qualité de pécheur : il est réconcilié avec Dieu et poursuivra sa route en attendant qu’il plaise à Dieu de décider de son sort. Le hasard le fait passer tout près du camp d’Artus et, quand Cundrie l’appelle au service du Graal, elle met en lumière que Parzival a atteint, sur un plan nouveau, supérieur au monde arthurien, la perfection humaine et chevaleresque, si bien que la question posée à Anfortas n’est plus qu’un accord final, féerique et symbolique.

Au monde du Graal, que Parzival a enfin atteint, est opposé de façon contrastée le monde arthurien. Le plus éminent représentant de ce monde est Gawan, qui – suivant les impulsions de l’appétit de gloire et d’amour – connaît des succès brillants de contes de fées et dot lé développement correspond exactement à celui des héros des romans de Hartmann von Aue, Erec et Iwein. On peut lui comparer Gahmuret ; en effet, ce dernier, dans son désir de gloire et d’aven tures, comme dans ses expériences amoureuses, est apparenté au chevalier arthurien, même s’il n’appartient pas lui-même au monde arthurien.

 

  1. Le monde du Graal et sa signification

Il se pose maintenant la question de savoir dans quelle mesure le monde du Graal de Wolfram surpasse le monde arthurien en qualité esthétique.

C’est en construisant son monde du Graal en contraste avec le monde arthurien que Wolfram a cherché à donner une réponse claire – même si elle est utopique – aux questions décisives de son époque. Si on assemble comme dans une mosaïque les caractéristiques du monde du Graal, on découvre à certains égards un parallélisme étonnant avec l’idée – défendue par le parti des Staufen – d’un empire et d’une royauté forts, qui se justifient eux-mêmes en faisant régner la justice et en assurant la paix.

A l’opposé d’Artus le roi du Graal possède une autorité souveraine incontestable, à laquelle se soumettent sans réserve tous les chevaliers du Graal. Remarquable est la solidarité de ces chevaliers qui partent en petites formations serrées de gardes-frontières pour défendre le monde du Graal et qui ont de surcroît une mission claire aux motivations politico-religieuses. Ils ne combattent pas pour leur gloire personnelle ou au service d’une dame, mais pour protéger le Graal et faire expiation de leurs péchés.

La motivation politico-religieuse du combat fait reculer en conséquence le culte d’amour en tant qu’idée éthique et éducative. Le combat au service d’une dame devient purement et simplement un crime, et Anfortas doit subir pour cela un châtiment effroyable. Bien que dans le monde du Graal vivent des chevaliers et des nobles dames, le mariage est permis seulement au roi du Graal. Les autres membres de la communauté du Graal n’ont la permission de se marier que lorsqu’ils sont envoyés par le Graal dans le monde pour – s’il s’agit de chevaliers du Graal – rétablir la justice et assurer la paix dans des royaumes en danger ou – s’il s’agit de membres féminins de la communauté du Graal – étendre en tant qu’épouses de souverains temporels l’influence de l’ordre du Graal et assurer par leurs enfants la relève. L’amour devient ainsi chez Wolfram un véritable amour fondateur d’unions matrimoniales, il est la condition et le contenu du mariage.

Il est en outre remarquable que – malgré une incontestable piété de l’auteur et bien qu’il soulève des questions religieuses importantes – l’Eglise ou les particularités institutionnelles de l’Eglise ne jouent aucun rôle dans le Parzival. Dans la composante religieuse de l’oeuvre se traduisent de façon évidente les idées d’un mouvement de formes nouvelles de piété individuelle qui s’adresse à des laïcs ; car le chevalier Wolfram est attentif à toutes les idées religieuses nouvelles sur le culte et la théologie. C’est ainsi que l’ermite Trevizent, sans être ordonné prêtre, peut prendre sur lui le péché de Parzival et se porter garant devant Dieu de sa pénitence ; c’est ainsi que Sigune dans sa vie de recluse qu’elle a choisie elle-même se donne toute entière à Dieu sans jamais entendre la messe ; c’est ainsi que pour finir le Graal assure sans l’intermédiaire de l’Eglise la communication immédiate entre Dieu et la communauté chevaleresque du Graal. Le Graal – mot qui désigne une pièce de vaisselle un peu creuse -, centre de la communauté du Graal, n’est pas plus précisément décrit par Wolfram, à la différence d’autres récits légendaires – ainsi par exemple dans le Joseph d’Arimathie de Robert de Boron, écrit vers 1180, dans lesquels il est conçu comme étant le vaisseau du Saint-Sang ou le vaisseau de la Cène. Wolfram le nomme d’abord ein dinc (“une chose”), puis c’est pour lui une “pierre”, dont la forme n’est jamais précisée, et les variantes des manuscrits ne nous permettent pas de reconstituer le nom qu’il lui donne. La variante la plus fréquente est lapsit exillis. Cette pierre possède la force merveilleuse de dispenser nourriture et boissons à volonté et de maintenir en vie quiconque la voit constamment : le Graal est donc source de santé, de jeunesse et de vie éternelle et cadeau de la grâce de Dieu qui donne la vie et maintient en vie. C’est une colombe blanche qui, descendant du ciel tous les Vendredis Saints et posant une hostie sur la pierre, lui confère ces vertus merveilleuses. Il y a donc une différence considérable par rapport aux théories litturgiques de l’Eglise et de la théologie officielle. Pourtant Wolfram va encore plus loin : même un païen peut être appelé à la communauté du Graal, et les chevaliers païens sont els égaux en dignité des chevaliers chrétiens, capables d’une générosité que nous appellerons chevaleresque, également braves, capables d’amour (fine amor) (Feirefiz et Secundille) – et également riches, sinon plus (voir l’armure de Feirefiz), à ceci près qu’il leur manque le baptême, encore peuvent-ils toujours le recevoir. Cette égalité de droits et cette communauté se traduisent avant tout dans cette solidarité fraternelle entre Parzival et Feirefiz ; Feirefiz même se révèle, dans le combat qui l’oppose à son demi-frère chrétien. Comme celui qui a le plus de maturité humaine, le plus de qualités morales. L’idée de tolérance défendue par Wolfram atteint un point  culminant et une audace inouïe dans sa synthèse visionnaire entre l’Occident et l’Orient sur la base d’un même mode de vie féodal. D’une même culture et  d`une même idéologie. Que cette synthèse cependant  n`ait pu être possible que sous les auspices du christianisme – Feirefiz, qui non baptise ne peut voir le Graal, se fait baptiser et répand avec Repanse de Schoye le christianisme en Orient – apparaît purement et simplement comme l’idée souvent exprimée qu`il manque le  baptême aux chevaliers orientaux pour être les égaux  de leurs adversaires. On pourrait même y voir une  concession à un public chrétien, car la doctrine de  l’Eglise, pour ce qui est de son contenu, apparaît largement remise en question ou même neutralisée.

Une caractéristique essentielle du monde du Graal réside pour finir dans le fait qu’il donne une réponse  claire à la question des devoirs de la noblesse dans la  société. Même s’il est relativement fermé sur l’extérieur, l’ordre du Graal a non seulement la responsabilité des secrets du Graal, mais aussi celle de toute la société humaine. Si dans un pays l’extinction d’une  dynastie entraîne la menace et les dangers d’un désordre anarchique, de différends belliqueux, d’une situation sans loi ni droit. Un chevalier du Graal – désigné et légitime par Dieu – assume la fonction de souverain afin d’assurer la paix et de faire régner l’équité et  la justice. Très certainement cette idée d’agir pour le  bien de la communauté humaine porte tous les traits d’une utopie, cependant c`est le mérite incontestable  de Wolfram d’avoir montré à la classe aristocratique  de son époque, avec cette utopie humaniste de société comme avec cette synthèse utopique de l’Orient et de l’Occident, une issue à la crise politique et religieuse.

Le personnage de Parzival qui unit en tant que roi du  Graal la relation avec Dieu et l’activité dans le monde, qui incarne dans cette activité l’idéal du rex justuset pacificus, du roi qui fait régner la justice et assure la paix, traduit la prise de conscience du poète qu’atteindre la perfection personnelle ne peut être une réponse satisfaisante aux questions angoissées de  l`époque, que la noblesse a des devoirs et des tâches  dans la société qu’elle ne peut surmonter qu’en agissant ensemble sous la direction d’un pouvoir central fort. Dans la solidarité fraternelle de Parzival et de Feirefiz, qui, grâce à leur autorité souveraine, déterminent les événements en Orient et en Occident, le  poète ébauche dans une vision utopique l’idéal d’une  société aristocratique et chevaleresque universelle, qui s’est libérée des dogmes étroits de l’Eglise et représente une communauté harmonieuse, caractérisée par  la tolérance et le respect mutuel de ses membres et qui  est responsable du bonheur de tous les hommes. Par là est repoussée en même temps la revendication de  l’Eglise d’être le seul médiateur entre l’humanité et la divinité ; en effet la communauté humaine idéale présentée dans le peuple du Graal se distingue par une  nouvelle relation entre Dieu et les hommes indépendante de l’Eglise, dans laquelle la relation avec Dieu ne se réalise pas du tout – comme le soulignaient toujours à nouveau les clercs jusque-là – dans l’ascèse et  la négation du monde, mais pour le bien de l’ensemble  de l’humanité au service et sur l’ordre de Dieu.

C’est ainsi que la question angoissée posée par Walther von der Vogelweide de savoir si l’honneur dans le monde, les biens matériels étaient compatibles avec la grâce de Dieu reçoit une réponse positive et que par là la question du dualisme qui agitait tout le Moyen Age est résolue au niveau de la royauté du Graal. Devant l’arrière-plan de ces conceptions absolument inédites, on comprend pourquoi l’œuvre de Wolfram a connu à son époque un si large écho et a eu un si grand retentissement.

 

  1. L’influence du Parzival de Wolfram

Cette influence ne se traduit pas seulement par le  nombre de manuscrits (86 manuscrits complets ou  fragmentaires) ou par les déclarations de poètes  contemporains, tel Wirnt von Gravenberg, auteur du Wigalois (1204-1209), qui affirme que nul écrivain laïc n’a accompli œuvre plus remarquable. On la reconnaît aussi au fort retentissement de l’œuvre de Wolfram, aux essais d’imiter son style, de compléter  ou d’achever ses œuvres inachevées, et à l’emprunt des  motifs essentiels de ses romans. C’est ainsi qu’Ulrich von dem Türlin raconte dans son Willehalm (1261- l269) la préhistoire de l’œuvre inachevée de Wolfram  portant le même nom, alors que Ulrich von Türheim  cherche à achever l’œuvre avec son Rennewart (1250).  Le roman anonyme de Lohengrin (1283-1290) exploite le récit laconique de la fin du Parzival. Les poètes de la fin du Moyen Age voient en Wolfram von Eschenbach – à côté de Hartmann von Aue et Gottfried von  Strassburg – l’un des trois grands maîtres de l’art narratif. Dans le poème écrit par les auteurs inconnus de la Guerre de la Wartburg (XIIIème siècle), Wolfram, devenu déjà personnage légendaire, entre en scène avec Klingsor – le Clinschor du Parzival – dans un  concours d’énigmes où il y va de questions mystico-religieuses, et il peut chasser le diable quand celui-ci veut vérifier ses connaissances. Les maîtres chanteurs honorent en Wolfram l’un des douze vieux grands maîtres et donnent son nom à différentes compositions. C’est ainsi que Wolfram von Eschenbach et son œuvre demeurent vivants jusqu’aux XIVème-XVème siècles, on les cite souvent et on imite fréquemment le contenu et le  style de ses œuvres.

Dès 1477 son Parzival est l’une  des premières œuvres du classicisme courtois à être  imprimées. Au XIXème siècle on essayait encore à  résoudre artistiquement l’énigme du Graal. Le résultat le plus important est le drame musical de Richard  Wagner, Parsifal (première mondiale 1882).

 

  1. Bibliographie
  1. Aperçus bibliographiques

– Joachim Bumke, Die Wolfram von Eschenbach  Forschung seit 1945. Bericht und Bibliographie (1970).
– Wolfram von Eschenbach. 51981 ; Sammlung Metzler 36.
– Ulrich Pretzel/Wolfgang Bachofer, Bibliographie zu Wolfram von Eschenbach (1968) ; Bibliographien zur deutschen Literatur des Míttelalters.

  1. Traductions

– Ernest Tonnelat : Wolfram von Eschenbach. Parzival (Perceval le Gallois). Traduction, Introduction et Notes de Ernest Tonnelat. 2 vol. Paris (1934-1977).
– A.T. Hatto : Parzival. Wolfram von Eschenbach. Translated by A.T. Hatto. Harmondsworth (1980).
– Wolfgang Spiewok : Wolfram von Eschenbach. Parzival. Aus dem Míltelhochdeutschen übertragen und herausgegeben von Wolfgang Spíewok. Leipzig (1977-1986).
– Wolfgang Spiewok : Wolfram van Eschenbach. Parzival. Mittelhochdeutscher Text nach der Ausgabe von Karl Lachmann. Übersetzung und Nachwort von Wolfgang Spiewok. Stuttgart (l98l).

 

INTRODUCTION par Danielle BUSCHINGER, Jean-Marc PASTRÉ et Wolfgang SPIEWOK in Parzival de Wolfram von Eschenbach, éditions 10/18, La Bibliothèque médiévale (1993).

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