Wagner, le premier compositeur européen ! Si le nom du compositeur résonne plus allemand que le nom “Allemagne”, l’artiste, lui-même toujours en quête de notoriété et de succès, s’exila dès ses plus jeunes années pour aller trouver une reconnaissance… ailleurs. Une reconnaissance qu’il ne pouvait trouver au sein des frontières de l’Empire germanique.
Cet ailleurs, Wagner ira le chercher de Londres à Saint Pétersbourg, en passant par Paris ou bien Zurich, des lieux qui furent tout autant des lieux de vie que de création musicale et d’inspiration artistique. Autant de lieux émouvants, de périodes de vie incarnés par une simple plaque commémorative au détour d’une rue ou parfois tout un musée : une promenade à laquelle nos recherches convient le lecteur sur les pas de Richard Wagner.
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ANNÉE 1839
6 février 1839 : Richard Wagner achève la composition de la musique du premier acte de Rienzi, et entame la composition du deuxième acte. – Fin mars 1839 : Richard Wagner perd son emploi au poste de Riga. (lire la suite…)
ANNÉE 1855
Janvier 1855 : Richard Wagner se met à l’instrumentation de la musique de La Walkyrie.
Richard Wagner apporte de sensibles modifications à l’Ouverture de Faust, suite à l’exécution de l’œuvre par Franz Liszt à Weimar. C’est dans cette nouvelle version que l’œuvre est connue aujourd’hui (lire la suite…)
ANNEE 1877
1er janvier 1877 : Dans une lettre circulaire aux présidents des Sociétés Wagner, Richard Wagner exprime “le souhait de les voir adresser un appel aux autres amis de [son] art, dans le but de fonder une Association protectrice (Patronatsverein) pour l’entretien et la conservation des festivals scéniques à Bayreuth.” (lire la suite…)
Londres
Moins célèbres et moins désastreux que les épisodes parisiens, mais néanmoins décevants, Richard Wagner effectua quelques voyages à Londres avec le même but qu’à Paris : conquérir le public étranger ! Retour sur les trois voyages londoniens de Richard Wagner et ses tentatives pour faire accepter sa “ Musique de l’Avenir ” en dehors des frontières d’Allemagne.
Premier voyage (1839)
Avant d’essayer d’obtenir du grand Giacomo Meyerbeer une recommandation pour favoriser la création de ses nouvelles œuvres sur l’une des scènes lyriques parisiennes, Wagner fit une première halte à Londres. Totalement inconnu, misérable et fuyant ses créanciers, en compagnie de son épouse Minna et du fidèle (mais un peu encombrant) Robber (un terre-neuve !), notre compositeur mit pour la première fois le pied sur le sol britannique le 12 août 1839. Le couple ainsi que le chien trouva “asile” dans une pension de famille à Soho, sur le Great Compton Street.
Le but du compositeur en se rendant à Londres était avant tout de rencontrer le célèbre écrivain Edward Bulwer-Lytton (1803-1873), auteur de Rienzi ou le Dernier des Tribuns, ouvrage sur lequel Wagner avait travaillé en vue de créer un nouvel opéra. Dès son arrivée, et sachant que le Baron Bulwer-Lytton siégeait à la Chambre des Pairs, Wagner se rendit au Parlement. Malheureusement, l’écrivain n’était pas en ville : le rendez-vous entre l’homme de lettres et l’homme de musique fut donc manqué. Ce fut néanmoins l’occasion pour notre intrépide et curieux compositeur de visiter le Parlement et d’assister à l’une des séances de celui-ci. Ni le Premier ministre du moment, Lord Melbourne, ni le célèbre duc de Wellington ne laissèrent une impression durable ou particulièrement favorable au compositeur.
Autre préoccupation de Wagner : savoir ce qu’était devenu le manuscrit de son Ouverture Rule Britannia, oeuvre de jeunesse composée à Dresde sur le thème de l’Hymne National anglais et envoyée à Sir John Smart, président de la Société Philharmonique de Londres. Sans avoir reçu le moindre retour ! Et si, profitant de son séjour sur place, il pouvait au moins remettre la main sur son manuscrit ? Nouvelle déception, Sir John Smart n’habitait pas dans la capitale.
Ces promenades londoniennes laissèrent au couple “ une impression inoubliable de désert ” (Mein Leben/Ma Vie) en embarquant pour Paris. Le premier voyage de Wagner à Londres s’acheva donc en cette journée du 20 août 1839 sur une impression amère. Mais, peu importait, c’était le succès espéré à Paris qui guidait alors le couple.
Deuxième voyage (1855)
Il fallut attendre un peu plus d’une quinzaine d’années pour que Wagner tentât un nouvel assaut de la mégalopole victorienne. Sur invitation de la Philharmonic Society, le compositeur – alors en exil à Zurich – partit pour Londres le 26 février 1855 pour y diriger une série de concerts londoniens. Arrivé le 2 mars, Wagner s’installa dans un logis à Portland Terrace, sur Regent’s Park, beaucoup plus décent et confortable que la “ boarding house ”, refuge de son premier séjour en 1839. Le cachet proposé au compositeur pour l’occasion par la vénérable institution était considérable : 200 livres pour la direction de huit concerts. Agacé par le climat, (mais qu’espérer à Londres en plein hiver ?! “ Il me sembla que ce printemps n’arriverait jamais, tant le climat brumeux pesait sur moi ” écrivit le compositeur plus tard dans Mein Leben/Ma Vie), il espéra beaucoup de l’orchestre. Au répertoire de l’Old Philharmonic Society, l’un des orchestres les plus prestigieux d’Europe en ce milieu du XIXème siècle, on ne trouvait presque que des œuvres de Haendel ou de Mendelssohn, compositeurs révérés alors comme des maîtres absolus. En quête de notoriété, avide de “se faire un nom”, et déçu de la formation zurichoise qu’il dirigeait, c’est la réputation des musiciens de l’Orchestre qui l’attira, plus que le répertoire de la formation : point de musiciens amateurs, que de talentueux quasi-solistes à chaque pupitre. “ You are the famous Philharmonic Orchestra ”, leur cria-t-il dès la première répétition. “ Raise yourselves, gentlemen, be artists ! ”.
Dans cet environnement propice à l’excellence, le compositeur attendait sans aucun doute beaucoup plus que l’unique répétition par concert : il n’en fut rien, et c’est bien du “minimum syndical” imposé par la direction de l’institution que Wagner dut se contenter !
Pour ne rien arranger, notre intrépide aventurier musical marqua une nouvelle fois son mépris des usages et négligea les entrevues qui lui avaient été arrangées avec les principales figures de la critique locale du moment. James Davison, critique alors en vogue au Times et rédacteur en chef du très influent Musical World fit partie de ce lot mal considéré par Wagner. Il fallut longtemps à Wagner pour comprendre que s’arroger la cause des médias était une tâche indispensable et nécessaire à toute entreprise visant la popularité.
Du 12 mars au 25 juin, Wagner dirigea donc une série de huit concerts comprenant naturellement des œuvres de Haendel et de Mendelssohn mais également de Mozart, Beethoven, Weber, Spohr, Cherubini ainsi que quelques-unes de ses propres compositions (des extraits de Lohengrin ainsi que l’Ouverture de Tannhäuser, seules concessions faites au compositeur de “se représenter”).
Dès le premier concert, la presse fit bloc derrière Davison et opposa au compositeur une réaction et des critiques des plus négatives. Wagner en fut profondément déçu et affecté. Lassé des coutumes vénérables mais ancestrales de l’orchestre (il exécrait par exemple l’inconfort de devoir diriger celui-ci avec des gants blancs), déçu des demandes restées sans suite pour obtenir le droit de bénéficier de plus de répétitions, Wagner se replia sur lui-même (avec le mépris et le – mauvais – caractère, mais entier, qu’on lui connaît) et continua chaque soir (sans doute avec d’autant plus de rage et de détermination) la composition de ses propres œuvres. C’est ainsi que le 3 avril 1855, le compositeur acheva le manuscrit original de la partition de l’Acte I de La Walkyrie. Néanmoins et malgré l’opposition féroce d’une presse unanime pour faire barrage au succès du compositeur, Wagner réussit peu à peu à remporter l’adhésion de son public. Le cinquième concert remporta même un franc succès : le public fit une ovation au chef et, selon la coutume, les spectateurs se levèrent en agitant leurs mouchoirs en signe de sympathie.
Le septième concert (11 juin 1855), auquel assista la Reine Victoria en personne, fit figure d’événement : la souveraine ayant entendu le succès de l’ouverture de Tannhäuser donnée au cours d’un précédent concert, demanda à ce que l’oeuvre (qui n’était initialement pas prévue au programme de cette soirée) y figura. A l’issue du concert, la Reine demanda à rencontrer le compositeur et le félicita pour cette composition “qui l’avait captivée”. Finalement, et malgré les tentatives acharnées d’une presse prête à tout pour taire le succès du chef d’orchestre-compositeur, le dernier concert (en date du 25 juin) se termina par une interminable ovation du public et un banquet d’adieu fut organisé.
Bien que globalement déçu par l’accueil qui lui avait été réservé au cours de ce séjour, Wagner rentra en Suisse avec la satisfaction d’avoir pu gagner une bataille : celle du cœur de la Reine Victoria !
Avec sa tendance aux raccourcis, le compositeur fut rapidement convaincu que les Français et les Anglais étaient désespérément étrangers à tout concept de “ la Musique de l’Avenir ” : trop pétris de leurs habitudes, et étrangers à toute forme de modernité, cela aurait une perte de temps que de tenter de rallier à sa cause un peuple dont l’opinion était tenu par l’avis de la presse.
Troisième et dernier voyage (1877)
Il fallut attendre 1877 pour que, dans sa tentative de renflouer les caisses de la première édition du Festival de Bayreuth (véritable gouffre financier), Wagner ne se décidât une troisième fois à partir à l’assaut de l’Angleterre. Entre le 7 et le 29 mai 1877, Wagner dirigea, conjointement avec le chef d’orchestre Hans Richter, une série de huit concerts à l’Albert Hall de Londres ; aux programmes de ceux-ci figuraient, entre autres, des extraits du Vaisseau Fantôme et de La Walkyrie.
C’est au cours de ce séjour que le compositeur et sa nouvelle épouse, Cosima, furent reçus par la Reine Victoria au château de Windsor. En soirée, et devant un cercle restreint d’amis, Wagner fit la lecture du poème de Parsifal.
A l’issue de ce troisième et dernier séjour dans la capitale britannique, le compositeur repartit avec une recette nette de 700 livres sterling, soit un dixième du déficit bayreuthien.
La relation qu’entretint Richard Wagner avec l’Angleterre pourrait se résumer, plus encore que l’admiration que la toute-puissante souveraine Victoria éprouvait pour l’oeuvre du compositeur, en la personnalité et la destiné de celle-ci : une personnalité sensible, éprise et ouverte à toute forme de modernité, mais qui dut, par son rang et face à une société codifiée à l’extrême, régner avec une main de fer et s’accommoder tant bien que mal du cérémonial, des a priori et de la force des traditions. Hors leur contexte respectif, la Reine et le compositeur auraient sans doute pu vivre l’épanouissement d’une relation intellectuelle forte et la souveraine aurait sans doute pu favoriser encore mieux le succès de l’un de ses compositeurs préférés. Mais pour cela, il aurait fallu que ce dernier fasse un peu plus cas de l’étiquette et du respect des traditions. Et l’on sait que notre cher Richard Wagner était bien loin de se prêter à ce type de concession !
NC
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