Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
Les salles d’expositions permanentes

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UNE VIE

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DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

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UNE OEUVRE

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L’AVENTURE DE BAYREUTH

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ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

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WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER

AU SEUIL DE LA NOUVELLE ANNEE, WWV36

[image_categorie_parente]

par Nicolas CRAPANNE

Musique de scène
pour chœur mixte et orchestre
pour la pièce (ou « Festival allégorique »)
en un acte de Wilhelm Schmale

(Musik zum Allegorischen Festspiel in einem Akt Beim Antritt des Neuen Jahres von Wilhelm Schmale),
für gemischten Chor und Orchester WWV 36)
composée durant l’année 1834 à Würzbourg et créée le 1er janvier 1835 au Théâtre de Magdebourg.

Composition en cinq parties :

  • Ouverture
  • Sostenuto (orchestre seul)
  • Allegretto « Wir nahen mit frohen Gesängen » (chœur)
  • Moderato assai (orchestre seul)
  • Allegro assai « Heil ! Auflasset den lautesten Jubel eschallen » (chœur final)

Parmi le catalogue WWV (pour WAGNER-WERK-VERZEICHNIS) qui rassemble l’intégralité des œuvres musicales composées par Wagner depuis 1826… à 1883, on trouve, outre les célèbres opéras ou drames musicaux tel Tannhäuser, Lohengrin ou Parsifal qu’il est inutile de présenter, et parmi les 113 numéros que compte ce catalogue exhaustif, quantité d’œuvres méconnues – dont la plupart composées durant les années de formation et de jeunesse du compositeur – d’un intérêt musical pour le moins … inégal.

Toutefois, parmi ces premières pièces, il n’est pas inutile, pour le wagnérien passionné en quête de réponses à certaines questions relatives à l’évolution de l’art d’un compositeur qui, pendant bien des années, chercha sa voix, empruntant ça et là, de l’opéra français à l’opera buffa italien, avant d’imposer lui-même son propre style. Un style mûri et tout à fait inédit, un style « à part » qui s’il était au départ façonné de différentes influences où l’on croit entendre des résurgences de Weber ou de Meyerbeer, finit au fil des ans par acquérir sa propre identité.

Et avant de pouvoir se révéler apte lui-même à composer les mélopées extatiques de Parsifal, il fallut bien, pour notre compositeur en herbe, tant … se former… que… se nourrir !

 

6e9eb00a167c9403b6823192ffe54aa4272eee2fDe la difficulté de concilier œuvres de commande
et liberté de composition

Richard Wagner, surtout durant des années de jeunesse, si difficiles et hasardeuses, constamment en quête de reconnaissance d’un public qu’il mettra des années à conquérir, avec autant de succès que de revers de fortune, n’eut aucune honte, comme beaucoup de jeunes musiciens de son époque, à sacrifier à l’obligation de composer des « musiques de circonstances ». Des œuvres de commande, pour la plupart, que Wagner accepta, moins motivé sans doute par le faible espoir de se faire connaître que… de pouvoir vivre décemment !

Des œuvres de commandes plus ou moins glorieuses et honorifiques, Wagner se verra bien malgré lui obligé d’en accepter, notamment durant la débâcle de son premier séjour parisien (les années1840-1842 avec ses fameux « arrangements de salon » sur des opéras de Donizetti, Halévy, Auber ou même Meyerbeer ! ou les « suites pour cornets à pistons » que le wagnérien d’aujourd’hui ne peut écouter sans s’empêcher d’éprouver une certaine forme de tendresse et d’empathie pour notre héros aux abois). Des arrangements dans lesquels Wagner, déçu et désillusionné, n’a d’autre choix que d’effectuer un travail ingrat de transcription, faisant abstraction de sa propre musique.

Faire « rimer » obligation avec … composition : une gageure ? Certains compositeurs, sans doute moins exigeants ou épris d’absolu que Richard Wagner se plièrent aux règles que « la mode » leur imposèrent et surent parfaitement tirer leur épingle du jeu non sans un certain succès : un Halévy, un Meyerbeer, un Rossini… Des artistes qui, loin de se sentir brimés ou même encore enchainés par les lourdeurs dictées par un Second Empire et le carcan – aussi étroit que les corsets de ces dames à crinolines – des règles du « Grand Opéra à la française » surent en tirer profit.

Concernant Wagner pour qui la création musicale est avant tout la démonstration de la liberté la plus absolue dans la vie d’un artiste, le cas pourrait a priori sembler plus compliquer. Or, dans la vie de notre compositeur héroïque, on distingue deux périodes durant lesquelles ce dernier sut tirer profit des « commandes » qu’on lui imposait alors et su en tirer un certain bénéfice.

La première période – celle que concerne notre sujet présent – s’étend grosso modo de 1831 à 1837, et couvre les années passées que Wagner passa à Würzbourg, Magdebourg et enfin Königberg (et par extension, sans doute, jusqu’au séjour de Riga, dernier répit avant le catastrophique premier voyage à Paris – cf supra).

MVRW-Rienzi-creationLa deuxième période étant celle des années de Dresde qui commence avec le triomphe de la création de Rienzi, créé le 20 octobre 1842 au Théâtre de la Cour royale de Saxe, et où en marge de la composition et de la création de son Vaisseau fantôme (1843) où de son Tannhäuser (1845), Wagner répond aimablement aux « commandes » qui lui sont faites et composera – en toute liberté artistique et donnant libre cours à l’expression de son propre style – à certaines pièces qui, si elles nous apparaissent mineures aujourd’hui ne manquent pas d’un certain intérêt : La Cène des Apôtres ou La Pentecôte (Das Liebesmahl der Apostel), scène biblique pour chœur d’hommes et orchestre (composée en 1843), le chœur Sur la tombe de Weber ou Entonnez ce Chant (Am Webers Grabe, Hebt an den Sang), chant pour chœur d’hommes en ré bémol majeur (composé en 1844) ou bien encore la Symphonie funèbre pour instruments à vents et tambours d’après des motifs d’Euryanthe de Carl Maria von Weber (composée en 1844).

 

Richard Wagner,
chef des chœurs au Théâtre de Wurtzbourg (1832)

Revenons aux circonstances qui entourent cette curieuse – et assez déconcertante – musique de scène Au seuil de la nouvelle année.

Richard Wagner, qui jusque là a essuyé maints refus et échecs avec ses « Ouvertures de Concert », a enfin pu voir son nom en haut de l’affiche… sans que celui-ci ne soit raillé ni tourné en dérision. C’est le 6 mars 1832, au Théâtre de la Cour de Leipzig : le jeune compositeur apparaît comme l’auteur de la musique pour Le Roi Enzio, drame d’Ernst Raupach, et pour lequel Richard Wagner compose une Ouverture ainsi qu’une Musique de scène (WWV24).

Et remporte un certain succès… qui ne manque pas d’enivrer notre fougueux jeune compositeur (Richard n’a pas même 19 ans).

Encouragé et porté par ce tout premier succès public, Wagner cède à un bouillonnement créatif « de la première heure » sans précédent et on le voit partager son temps et son travail en noircissant d’encre les pages à portées musicales et en multipliant les compositions d’œuvres diverses, symphonies, opéras, ouvertures ou musiques de scène, œuvres à travers lesquelles l’artiste emporté par une verve sans précédent commence par ailleurs à affirmer les ébauches d’un style qui lui est propre. C’est la période où il compose la Symphonie en Ut Majeur, WWV29 (composée en 1832), son premier opéra Les Fées (composé en 1833) ou bien encore La Défense d’aimer (composée en 1834 et vraisemblablement inspirée par la rencontre de l’artiste avec la jeune actrice Minna Planer qui deviendra peu après son épouse.

Mais en attendant que le succès ne nourrisse notre compositeur – qui, après la création de sa Symphonie en Ut Majeur sur la scène du Gewandhaus de Leipzig, le 10 janvier 1833 –, il faut bien vivre : Richard loge ainsi un temps chez son frère Albert à Wurtzbourg. Et accepte le poste (mal rémunéré) de chef des chœurs au Théâtre de la Ville sur la scène duquel son frère, lui-même chanteur, se produit régulièrement.

Pour Richard Wagner, le nom de la petite ville de Wurtzbourg sera à jamais lié aux efforts, aux heures innombrables de travail, à l’énergie consacrées à la composition du livret et de la musique des Fées… autant que d’heures passés – et de premières désillusions – à faire accepter son opéra à Leipzig… Sans aucun succès. (NDA : Wagner ne verra d’ailleurs jamais son opéra Les Fées représentées de son vivant, la création de celui-ci aura lieu à titre posthume le 29 juin 1888 (à titre posthume) sous la direction d’Hermann Levi à Munich ; bien que l’ouverture – seule l’ouverture – avait été créée le 10 janvier 1835 au Théâtre de Magdebourg)

Plus résigné qu’abattu, notre compositeur répond par ailleurs avec amabilité aux exigences de son poste et accepte quelques « commandes » telles que l’Air d’Aubry (n°15) « Wie ein schöner Frühlingsmorgen » pour l’opéra Le Vampire (Der Vampyr) d’Heinrich Marschner – dont il dirige les chœurs en vue des représentations à Würtzbourg – et pour lequel il compose un nouvel allegro finale (1833) ou bien encore la réinstrumentation d’une cavatine du Pirate (Il Pirata) de Vincenzo Bellini.

 

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Au seuil de la nouvelle année, WWV36
une œuvre aussi hybride que curieuse dans la production de Richard Wagner

Wagner ne restera qu’une seule saison au Théâtre de Wurtzbourg ; car il croit au destin de son opéra Les Fées et ne cesse d’assaillir la direction de l’Opéra de Leipzig qui lui oppose refus sur refus. Et de quitter donc la ville lorsqu’il se rend compte que décidément il n’obtiendra pas raison. Sans aucune rancœur ni animosité, toutefois. D’ailleurs, notre jeune compositeur vient de rencontrer la pétillante actrice Minna Planer envers qui il à entreprend une cour effrénée. Ainsi qu’il abandonne le projet des Fées pour celui, plus frivole, d’un nouveau projet d’opéra, La Défense d’aimer.

Entre temps, le jeune Wagner qui aura résolument effectué « un bon et honorable service » à Wurtzbourg se sera lié d’amitié avec le régisseur en chef du Théâtre, un certain Wilhelm Schmale, qui – comme il était coutume dans ces petits théâtres de province à l’époque – se piquait tout aussi bien de régir la scène que de se mêler de la direction artistique quand on ne le voyait pas lui-même se produire en tant que chanteur ou acteur sur la scène de son théâtre. Et parfois même par goût ou nécessité, Schmale … de devoir écrire de sa propre plume pour la scène de son théâtre.

A la fin de l’année 1834 – Wagner occupe alors le poste de directeur musical au Théâtre de Magdebourg – Schmale se voit confier la responsabilité de composer un texte pour un « Festival allégorique » qui serait donné le Jour de l’an 1835.
(NDA : initialement apparemment, et selon Carl Friedrich Glasenapp, seul biographe à détailler l’épisode, la genèse et la création de cette œuvre de circonstance, le texte de Schmale était destiné à servir de base à la composition d’une cantate/d’un oratorio, avant que la direction du Théâtre ne décide de mettre texte et musique dans une modeste mise en scène)

Et, pour la composition de la musique, Schmale de faire appel à son ami Wagner, pour apporter les notes à son texte. Ce à quoi s’exécute Wagner, sans doute plus par amitié pour son ancien collaborateur que, mu par un irrépressible enthousiasme pour cette obligation (d’ailleurs Wagner ne fait même pas allusion à cet épisode dans son autobiographie, Ma Vie). Et de livrer, quelques semaines plus tard, la partition d’une musique de scène composée d’une Ouverture, de deux passages orchestraux ainsi que de deux chœurs mixtes.

Une partition qui, à y regarder de plus près, ne manquera pas, au wagnérien (spécialiste) de remarquer quelques étrangetés tout comme de se poser certaines questions. Car si anodine qu’elle peut paraître, la partition comporte certaines singularités.
Wagner, on le sait, détestait, en ce qui concerne le genre de l’ouverture, le style « pot-pourri » si fréquemment utilisé à l’époque ; et si dans le composition de ses opéras ultérieurs, il introduira quelques uns des thèmes majeurs de ses ouvrages, ce ne sera que pour exposer ceux-ci, l’opéra (ou plutôt le drame musical) servant justement lui-même de canevas pour les développer (les Préludes de Lohengrin ou de Tristan en étant les plus parfaits exemples).

Ni dans l’Ouverture des Fées, ni dans celle de La Défense d’aimer, Wagner ne présente une juxtaposition des thème musicaux (airs ou ensembles) qui seraient repris dans l’opéra. En cela, l’Ouverture (successivement Andante sostenuto – Allegro – Presto) de cette pièce « atypique » qu’est le Seuil de la nouvelle année serait une dérogation aux principes de composition de l’artiste. Car quasiment tous les thèmes qu’elle présente seront repris dans les quatre morceaux suivants.

Et parmi ceux-ci, il en est un, obsédant, qui revient quasiment de manière obsédante, cette succession d’accords graves qui instaurent d’emblée un climat quasi-tragique, contrastant de manière assez frappante avec le reste de l’œuvre, au ton plutôt léger.

Que voulait bien signifier Wagner par là ? D’aucun y ont vu une manière de vouloir clore une année morose et d’enchaîner ensuite sur des thèmes plus gais, annonciateurs d’espoirs et de réjouissances à attendre pour la nouvelle année. Pourquoi pas ? Une exégèse comme d’autres…

Et si l’Ouverture, à la manière de celle de La Défense d’aimer entraîne l’orchestre dans une succession de mélodies toutes plus enjouées les une que les autres, jusqu’à nous étourdir dans un Presto des plus virtuoses, le mouvement qui suit immédiatement (Sostenuto) en est l’exact reflet miroir (même succession d’accords graves, développés dans le plus parfait pessimisme).

Plus frappant encore est le cas de l’Allegretto avec chœur dans lequel … Wagner… se cite lui-même. Plus précisément, le compositeur de reprendre le thème de l’Andante de sa propre Symphonie en Ut Majeur – une œuvre dont on sait qu’elle était chère au compositeur et écrite quelques deux ans auparavant.

Mais, toujours comme si Wagner voulait encore brouiller les pistes – ou faire passer un message … tellement codé qu’il fut sans doute le seul … à le comprendre ! – il confère à cette auto-citation un ton tellement grandiloquent et mélodramatique que l’on aurait presque du mal à reconnaître le thème initial.

Là encore, autant de questions auxquelles seules des réponses pour le moins hasardeuses si ce n’est spéculatives peuvent être émises.

Une chose est certaine : le chœur final (n°5), fortement inspiré du IVème mouvement de la Neuvième Symphonie de Beethoven, vient clore cette partition pour le moins étrange, … de manière assurément positive, enthousiaste et enjouée.

 

En guise de conclusion…

Le passage, pour Richard Wagner, de l’année 1834 à 1835, fut-il donc une épreuve si marquante pour le compositeur qu’il se servit se de sa musique pour témoigner de ses états d’âme ? Rien par ailleurs dans ses écrits autobiographiques ne laisse le supposer. Alors… qu’en penser ?

Si ce n’est que l’on peut – sans prendre aucun risque – avancer qu’avec cette Ouverture et Musique de scène Au seuil de la nouvelle année, Richard Wagner signe là l’une de ses œuvres les plus atypiques…voire déconcertantes.

Bien entendu toutes ces questions, suppositions et exégèses ne s’adressent qu’au mélomane spécialiste. L’amateur néophyte se contentera d’apprécier ces pages méconnues de Richard Wagner, porté par le même enthousiasme qu’il éprouve à l’écoute de la verve virtuose de… La Défense d’aimer.

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