par Yaël HÊCHE
Pensée comme ne devant pas remplir une soirée à elle seule, Wagner composa une partition prévue pour être jouée sans aucune interruption, les trois actes se voyant reliés les uns aux autres par des interludes. En mars 1842, le Hofoper de Berlin accepta l’ouvrage sur la recommandation de Meyerbeer. On fit alors remarquer à Wagner que non seulement son œuvre remplissait parfaitement une soirée et que de toute façon il était impossible de ne pas prévoir d’entractes, ceci pour des raisons techniques liées aux changements de décor ainsi que par égard à la détente nécessaire du public. Plusieurs mois passant sans qu’aucune date d’exécution ne soit fixée, Wagner retira sa partition pour la faire finalement jouer au Hoftheater de Dresde, là où était déjà prévue la création de Rienzi. C’est ainsi que le public de la ville put découvrir les deux œuvres à intervalle rapproché : Rienzi le 20 octobre 1842 et Der fliegende Holländer le 2 janvier 1843. C’est sans doute suite aux remarques berlinoises que le compositeur décida de segmenter sa partition en trois actes séparés, un travail réalisé à la hâte et visiblement à contrecœur, puisque celui-ci se limita à une véritable découpe des interludes, une partie de la musique servant à conclure l’acte et l’autre à introduire le suivant, avec le simple rajout de quelques mesures. Du vivant de Wagner, la partition fut systématiquement exécutée dans cette version en trois actes séparés. Au soir de la création, d’autres modifications étaient également intervenues : la ballade de Senta, initialement en la mineur, avait été transposée en sol mineur pour répondre aux capacités vocales de son interprète, Wilhelmine Schröder-Devrient. A l’automne 1842, Wagner avait aussi déplacé le lieu de l’intrigue : initialement située sur les côtes écossaises, l’action se passait maintenant en Norvège.
Cela permettait au compositeur de prendre ses distances avec sa source principale, soit le texte de Heine, mais aussi de créer un lien autobiographique entre la conception de l’opéra et son aventureuse traversée en mer de 1839. En conséquence de ce changement, Donald devint Daland, tandis que Georg prit le nom d’Erik ; et le bateau norvégien vint accoster à Sandwike au lieu de Holystrand à l’acte I. Ces modifications en précédèrent beaucoup d’autres, toutes ne pouvant pas être datées avec précision. On sait que Wagner effectua des révisions en 1846, en prévision d’une exécution à Leipzig, et d’autres en 1852 quand l’ouvrage fut donné à Zurich. A chaque fois, l’instrumentation connut des retouches, quelques mesures furent de même rajoutées par-ci ou supprimées par-là. C’est ensuite pour les trois concerts qu’il donna à Paris au début de l’année 1860 que le compositeur effectua la révision la plus immédiatement audible : il ajouta le thème dit de la délivrance et une harpe dans l’orchestre à la fin de l’ouverture, changement qui fut ensuite logiquement reporté en conclusion de l’opéra. Enfin, en 1864, il esquissa une nouvelle introduction pour la ballade de Senta, sans toutefois l’intégrer dans la partition. Ce fut là la dernière modification, quand bien même Wagner évoqua à plusieurs reprises la volonté d’en effectuer d’autres.
De nos jours, Der fliegende Holländer se voit le plus souvent joué dans une version hybride : la fin de l’ouverture et de l’opéra sont choisies selon la conception dramaturgique du metteur en scène, tandis que le reste de la partition intègre un nombre variable des multiples autres modifications apportées au fil du temps par son auteur. Il est donc rare de pouvoir profiter de la version originale de l’œuvre: celle antérieure à tous changements, celle pensée et couchée sur le papier par le compositeur en 1841 à Paris, celle que Richard Wagner rêva, composa – mais qu’il n’entendit jamais1.
YH
1- Il faut ici mentionner l’enregistrement de la version originale par Marc Minkowski, publié chez le label Naïve en 2013 et accompagné de l’opéra de Pierre-Louis Dietsch Le vaisseau fantôme ou Le maudit des mers composé d’après le scénario de Wagner.