Louise Charlotte Ernestine Gautier, dite Judith Gautier, fille du célèbre romancier Théophile Gautier et de Ernesta Grisi (soeur de la danseuse Carlotta Grisi), fut l’une des wagnériennes les plus engagées et fidèles du grand Maître.
Jeune femme belle, spirituelle et cultivée, Judith Gautier fut aussi poète, écrivain, auteur dramatique et sinologue. Elle se forma au contact de Banville, Flaubert, des Goncourt, de Baudelaire, Champfleury, Arsène Houssaye, Gustave Doré, qui fréquentaient le salon de son père. Elle apprit dès son plus jeune âge le chinois grâce aux leçons données par Tin-Tun-Ling (ou Ding Dunling), réfugié politique chinois recueilli par son père.
Son premier article, une critique de la traduction d’Eureka d’Edgar Poe par Charles Baudelaire, est publié dans Le Moniteur et lui vaut les félicitations du poète. Avec tendresse, Baudelaire lui prédit qu’elle causera «des naufrages», son surnom en famille étant Ouragan! Elle a par la suite publié des recueils de poésies chinoises, dont Le Livre de Jade, qui connut un grand succès.
Courtisée pour sa beauté et son intelligence, notamment par Gustave Flaubert, Gustave Doré, Edmond de Goncourt et même un prince Persan qui la poursuivit longtemps de ses assiduités, Judith tomba amoureuse du jeune écrivain Catulle Mendès, mais Théophile Gautier s’opposa à leur mariage ; ce refus entraîna d’ailleurs la séparation des parents de Judith, car Ernesta Grisi soutint sa fille. Le mariage eut finalement lieu le 17 avril 1866, en l’absence de Théophile Gautier ; Judith eut pour témoins Flaubert et Turgan, Catulle Mendès eut de son côté Leconte de Lisle et Villiers de l’Isle-Adam. Mais Catulle Mendès s’avéra effectivement le mauvais mari que Théophile Gautier redoutait, et le couple se sépara en 1874, puis finit par divorcer en décembre 1896.
Dans sa très riche bibliographie, Judith Gautier consacra de nombreux ouvrages à son idole. Dans l’un d’eux, L’œuvre poétique de Richard Wagner depuis Rienzi jusqu’à Parsifal, elle raconta elle-même la première fois où elle entendit prononcer le nom de Richard Wagner ; avec un curieux clin d’œil du destin, alors qu’elle était encore en pension, elle traversait par hasard le passage de l’opéra en compagnie de son père le soir même de la première de Tannhäuser,dont elle ignorait les combats.
Nous citons :
« Un monsieur qui vint saluer mon père nous arrêta. C’était un personnage assez petit, maigre, avec des joues creuses, un nez d’aigle, un grand front et des yeux très vifs. Il se mit à parler de la représentation à laquelle il assistait avec une violence haineuse, une joie si féroce de voir l’insuccès s’affirmer, que, poussée par un sentiment involontaire, je sortis tout à coup du mutisme et de la réserve que mon âge m’imposait, pour m’écrier avec une impertinence incroyable :
« A vous entendre, monsieur, on devine tout de suite qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre et que vous parlez d’un confrère!
– Eh bien, qu’est-ce qui te prend, méchante gamine? dit mon père, qui voulait gronder, mais qui, en dessous, riait.
– Qui-est-ce? demandai-je quand le monsieur fut parti.
– Hector Berlioz! »
Mais le véritable choc musical eut lieu quand elle déchiffra quelques temps plus tard la partition du Vaisseau Fantôme. Dès ce moment, Wagner devint pour elle une idole, et quoique ne connaissant qu’imparfaitement encore l’œuvre du maître, elle commença à publier des articles sur Wagner, et ne put résister à la tentation de les lui envoyer en osant lui demander des conseils pour les corriger.
Son adoration était telle qu’elle prétexta un voyage en Bavière pour solliciter une rencontre avec le Maître. Richard Wagner accepta la visite et la pria même de prolonger son séjour parmi eux (Il avait pris à cette date ses quartiers à Tribschen avec Cosima von Bülow et ses enfants). Elle fit ainsi la rencontre de Richard Wagner en été 1869 à Tribschen, où elle se rendit avec son mari Catulle Mendès et l’écrivain Villiers de l’Isle-Adam.
Elle fit de ce voyage un récit détaillé, quoique très romancé. Mais cet ouvrage (Visites à Richard Wagner) est une source d’informations fabuleuses, d’abord sur le caractère du Maître, sur les rapports compliqués à cette époque entre Cosima et son père, le grand compositeur Liszt, et surtout sur la cabale anti-wagnérienne qui sourdait en permanence à Munich et qui se manifesta avec force lors la création de L’Or du Rhin à Munich. Judith Gautier rapporte en effet dans son récit l’atmosphère magique de la répétition du Prologue de L’Anneau du Nibelung à laquelle elle est admise par faveur, la magie qui naît sous la baguette du fidèle Richter et l’horreur de la répétition générale du 27 août, due au travail de sape de l’intendant Perfall, en présence du souverain Louis II de Bavière.
De ce séjour naquit une relation durable entre les Wagner et Judith. Elle fut même la marraine du petit Siegfried Wagner (surnommé Fidi), le premier fils de Richard Wagner et de Cosima.
Comment Wagner aurait-il pu rester indifférent à une disciple aussi brillante ? On suppose même que cette femme d’exception devint la muse de sa dernière œuvre: Parsifal. Elle serait un peu dans chaque personnage de l’œuvre ultime, essentiellement dans les filles-fleurs. Voire dans l’essence même du personnage de Kundry !
Lorsqu’elle se rendit au premier festival de Bayreuth en 1876 avec Franz Servais, ce fut en tant que représentante du Journal Officiel. C’est d’ailleurs durant ce festival que l’on lui suppose une liaison avec Wagner. Toutefois, l’essentiel de la correspondance du Maître et de son émule fut brûlé lorsque Cosima découvrit l’intérêt tout particulier que Wagner portait à la jeune femme. Leur relation exacte ainsi que la place réelle de Judith dans la création Parsifal en tant que muse conserve donc l’aura du doute.
Il nous reste les écrits publics de chacun des protagonistes et de leurs contemporains…
Jusqu’à la fin de sa vie, Judith Gautier resta une fidèle wagnérienne, se rendant au festival de Bayreuth de 1882 et publiant encore des œuvres sur le grand maître, même après sa mort.
Elle fut aussi la traductrice de Parsifal pour la création de l’oeuvre en français à Bruxelles (Théâtre Royal de La Monnaie) le 2 janvier 1914.
Première femme à être reçue à l’Académie Goncourt, en octobre 1910, elle prit alors le siège de Jules Renard, décédé peu de temps auparavant – et que Judith n’appréciait guère. Et réciproquement!