Si Wagner défraya la chronique culturelle et musicale de son temps, s’il fut même un activiste révolutionnaire frappé d’exil et poursuivi par les forces de police même en dehors de son pays, et s’il fut enfin le Maître de Bayreuth célébré comme l’un des artistes majeurs de son époque, l’illustre compositeur n’en demeurait pas moins avant tout un homme fait de chair et de sang, animé de passions, avec un caractère parfois violent, parfois facétieux, et même parfois tendre…
RICHARD WAGNER, COMPOSITEUR (analyse du processus de composition chez Richard Wagner)
RICHARD WAGNER, UN MUSICIEN, UN COMPOSITEUR, UN ARTISTE
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par Cyril PLANTE
Nous avons la chance d’avoir conservé les partitions autographes, les esquisses et les ébauches qui nous permettent de détailler le processus de composition de Richard Wagner, qui a évolué tout au long de sa vie.
Richard Wagner utilise différentes méthodes compositionnelles pour chaque œuvre et il est difficile de définir une terminologie unique ; aussi il faut définir dès le début la diversité des pièces qui formèrent les premiers…
L’esquisse (Skizze) correspond à un fragment isolé ; l’ébauche (Entwurf) définit un manuscrit plus ou moins développé. Les esquisses individuelles (Einzelskizzen) proposent des lignes vocales, des lignes instrumentales, des ébauches contrapuntiques. Enfin l’ébauche complète (Gesamtenwurf) est une réalisation musicale continue d’un acte entier et dans le cas de L’Or du Rhin, de l’opéra entier.
Richard Wagner travaillait sur des esquisses individuelles avant de se lancer dans une ébauche complète. On découvre des esquisses à la marge du poème, sur des carnets, ou sur du papier réglé, tracés au crayon ou à l’encre. Contrairement à ce que l’on dit, Wagner n’hésitait pas à donner des titres à ses leitmotive (« Fafner » et « Waldvogel » par exemple). En règle générale, Wagner écrit le texte en premier, note quelques éléments musicaux en marge mais ne se lance dans le processus de composition qu’une fois le poème totalement rédigé. Parfois, comme dans le cas du texte de Siegfrieds Tod, Wagner compose en marge une longue esquisse pour, semble-t-il, un quatuor de trombones, mais cette musique n’apparait dans aucune œuvre connue. Nous ignorons s’il s’agit d’une musique prévue pour la mort de Siegfried ou bien pour une autre œuvre en projet.
Parfois Richard Wagner utilise des esquisses musicales prévues pour un opéra sur un autre texte. Ainsi des esquisses de Tristan et Isolde vont être utilisées ensuite pour Siegfried. Le mai 1857, il écrit à Mathilde Wesendonck : « J’ai trouvé une mélodie dont je ne savais pas du tout quoi faire, jusqu’à ce que soudain les paroles de la dernière scène de Siegfried me viennent à l’esprit. »
Pour les ébauches complètes, il faut citer deux exemples. Tout d’abord, l’ébauche de L’Or du Rhin a été totalement composée au crayon sur des demi-pages de papier réglé. L’écriture au crayon a été repassée à l’encre par Mathilde Wesendonck. Elle fit de même pour Tristan mais malheureusement Wagner biffait ou écrivait par-dessus et Mathilde Wesendonck a tout repassé à l’encre, rendant la partition illisible. En réalité, Wagner esquissait l’ébauche d’orchestration à partir de son ébauche au crayon, puis Mathilde Wesendonck repassait l’ébauche complète pour la postérité.
Du Vaisseau fantôme à Lohengrin
Pour ses premiers opéras, Richard Wagner compose des esquisses de numéros isolés (dans Le Vaisseau fantôme) ou de scènes entières (Tannhäuser). Il rassemblait ensuite ces éléments disparates pour obtenir un manuscrit presque continu, d’où encore cette sensation d’airs et de scènes de l’opéra traditionnel. Pour Le Vaisseau fantôme, il utilisa cette ébauche au crayon sur deux portées pour élaborer la partition orchestrale. Pour Tannhäuser, il copie au propre et à l’encre l’ébauche ; il l’écrit dans l’ordre chronologique acte par acte.
Avec Lohengrin, à partir d’esquisses préliminaires, il compose les ébauches chronologiquement, offrant dès le début une ébauche complète. Néanmoins, il ne fait apparaître qu’une ligne pour les voix et une ligne d’accompagnement, souvent esquissée, avec une ligne de basse suggérant l’harmonie. Ensuite, il prépara une seconde ébauche complète plus détaillée, qu’il débuta par l’acte III car il fit des modifications importantes du texte. C’est à partir de cette ébauche qu’il rédigea la partition orchestrale complète.
A l’instar de Lohengrin, L’Or du Rhin fut une ébauche complète avec une ligne de voix et une ligne d’accompagnement. Contrairement aux idées reçues, la mise en musique du texte est plus importante pour Wagner que l’accompagnement et l’usage des leitmotive. Les interludes musicaux sont composés sur deux portées mais ils restent malgré tout très sommaires, supposant qu’il prévoyait une seconde ébauche plus aboutie. Le prélude de L’Or du Rhin avec son accord parfait de mi bémol mineur fut cependant composé dès le début dans sa version orchestrale, par son caractère symphonique indéniable. Il réalisa des esquisses préparatoires pour l’instrumentation de certains passage et une fois l’ébauche complète terminée, il éprouva le besoin de recopier au net l’ébauche instrumentale avant de passer à la composition de La Walkyrie.
Il commença par une ébauche au crayon mais développa l’accompagnement instrumental avec plus de détails que pour L’Or du Rhin, grâce à qui il s’était familiarisé avec sa nouvelle instrumentation. Il ne fit donc pas d’ébauche instrumentale pour La Walkyrie et il orchestra directement au crayon sa partition. Mais la composition prit plus de temps que pour le Prologue du Ring, s’échelonnant entre 1854 et 1856, aussi Richard Wagner vit évoluer sa pensée de l’œuvre ou bien ne réussit pas à déchiffrer son ébauche, aussi dut-il composer à nouveau certains passages.
Richard Wagner comprit qu’il ne fallait pas laisser passer trop de temps entre l’ébauche et l’orchestration. Il décida donc pour Siegfried de procéder plus rapidement. Il voulut composer l’ébauche de chaque acte et de l’orchestrer immédiatement avant de passer à l’acte suivant. Puis il revint à son habitude habituelle, en créant deux ébauches (l’une simplifiée et l’autre orchestrale) et en travaillant de front sur les deux. Il détailla encore plus sa seconde ébauche, allant très loin dans l’élaboration des précisions orchestrales. Richard Wagner avait enfin trouvé sa méthode compositionnelle qu’il poursuivit pour les autres opéras : deux ébauches complètes (la première au crayon, l’autre à l’encre) puis la partition complète. Il interrompit la composition de Siegfried avec la seconde ébauche complète de l’Acte II et la copie au net de la scène 1 de l’Acte I.
Il se lança à corps perdu dans la composition de Tristan et Isolde, finalisant chaque acte avant de passer au suivant.
Pour Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, il débuta par l’Acte II et revint à l’ancienne méthode, c’est-à-dire qu’il finalisa l’ébauche complète de l’opéra avant de composer la partition. La seconde ébauche orchestrale était extrêmement détaillée.
Puis en septembre 1864, Wagner revint à son Siegfried en terminant la scène 2 de l’Acte I. Pour Parsifal, il utilisa sa méthode favorite : deux ébauches complètes rédigées en même temps et suivies d’une partition à l’encre.
Les manuscrits des ébauches et des partitions de Wagner nous permettent de mieux appréhender son art, sa pensée créatrice et son processus compositionnel, diligent, précis et évoluant avec l’homme et sa volonté de réformer la structure de l’opéra. La méthode de composition ne peut plus se suffire de la simple création d’airs et de récitatif, plus ou moins intégrés les uns aux autres. Wagner entreprend la composition du drame musical moderne comme un tout, avec son unité leitmotivique et orchestrale.
CPL
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