(Université Paul-Valéry Montpellier 3)
Titre de la publication: « Approches de l’art monumental : Kandinsky et la synthèse des arts »,
in Denis BABLET (dir.), L’Œuvre d’art totale, Paris, CNRS Éditions, 1995 (pp. 111-128).
Une Utopie Assourdie
Des trois principaux fondateurs de l’art abstrait, Kandinsky est celui chez qui la dimension de l’utopie, partout présente et agissante, s’exprime pourtant avec le plus de retenue. Tandis que Mondrian, poussé par une conviction inébranlable, rédige l’austère grammaire de l’avenir, que Malevitch acclame l’écroulement d’un monde et désigne le chemin d’une ère nouvelle, l’auteur de Du spirituel dans l’art cherche, compare, réfléchit, ne publiant que ce dont il est sûr et faisant porter l’essentiel de son travail théorique sur l’analyse des moyens artistiques, certain qu’aucun effort de synthèse ne pourra vraiment être entrepris avant l’achèvement de ces préliminaires. En 1914, alors même que le long processus de naissance de l’abstraction est accompli, il se défend de vouloir « montrer la voie à l’avenir1 ». Quinze ans plus tard, cherchant à définir, devant ses étudiants du Bauhaus, quelle doit être la tâche de l’artiste moderne, il affirme encore que celle-ci se limite à « créer « l’atmosphère » pour l’avènement de l’homme nouveau, supérieur2 ».
La conscience de travailler dans le sens de l’Histoire, à la pointe de ce « triangle spirituel » qui « avance et monte lentement », mais « avec une force irrésistible3 », se double donc d’une extrême prudence dans la définition des formes artistiques à venir : l’enfermement dans le siècle, les liens trop puissants qui retiennent l’esprit à la matière et, surtout, la connaissance insuffisante des moyens d’action propres à chaque expression interdisent de décider de la nature de ce qui est en germe. Aussi Kandinsky ne lui assigne-t-il qu’un nom, « l’art monumental », et une méthode : la synthèse des arts. Encore cette lointaine synthèse revêt-elle des contours différents au fur et à mesure de l’évolution de l’artiste, passant d’un modèle théâtral, d’héritage wagnérien, vers un modèle plus architectural, marqué par la rencontre avec les avant-gardes soviétiques et l’expérience du Bauhaus.
En revanche, si le concept d’art monumental ne reçoit qu’une faible détermination, qui laisse grandes ouvertes les portes du futur, la première étape de sa réalisation, définie comme « composition scénique » à l’époque du Cavalier bleu, puis comme « synthèse scénique » pendant les années vingt, constitue pour Kandinsky un champ d’expérimentations immédiates, où l’élaboration poétique progresse du même pas que l’approfondissement théorique. C’est donc dans la tension entre ces deux termes, entre le projet réalisable ici et maintenant et l’utopie distante, à peine concevable, que s’articule l’idée kandinskienne de la synthèse des arts : non pas programme sûr et arrêté, mise en oeuvre de formes qui contribueraient au modelage d’une nouvelle humanité, mais exploration d’une direction pressentie, départ vers une première destination d’où se dévoilera un horizon plus lointain.
Cette distinction n’explique pas seulement la position en retrait du peintre par rapport aux proclamations bruyantes des avant-gardes, promptes à légiférer en nom et place des générations suivantes ; elle permet aussi de restituer leurs justes dimensions aux compositions scéniques de 1908-1914, à la fois défis pour les metteurs en scène de ce temps et formes transitoires, en mouvement vers un accomplissement supérieur.
LE PRISME DE LA SUBJECTIVITÉ
Cet investissement de la durée, qui renvoie dans un futur indéfini la charge utopique commune à tous les projets d’oeuvre d’art totale, prend sa source dans l’itinéraire même de l’artiste : c’est à trente ans qu’il se décide à étudier la peinture, à quarante-cinq qu’il publie Du spirituel dans l’art et s’engage dans la voie de l’abstraction. Une longue obstination lui permet de devenir peintre, un lent mûrissement de trouver son expression propre. Et ce sera une constante de sa démarche que de privilégier la pénétration patiente dans l’oeuvre, l’expression atténuée, secrète, comme de ne jamais avancer une proposition sans l’avoir longuement vérifiée, confrontée aux opinions des spécialistes les plus divers, sans l’avoir surtout directement et personnellement éprouvée dans le travail avec les matériaux de l’oeuvre.
L’idée même de la synthèse des arts est soumise à ce traitement. Si l’on se tient aux informations données par Kandinsky, c’est-à-dire pour l’essentiel à Regards sur le passé, courte autobiographie publiée en 1913, elle serait née de deux expériences déterminantes dans la formation de sa sensibilité : expérience de la perception synesthésique, en particulier à l’occasion d’un concert donné à Moscou4, où la musique de Lohengrin lui évoque, jusque dans ses moindres détails, la vision du soleil couchant au-dessus de la ville, expérience d’une immersion complète dans l’œuvre d’art lors qu’il découvre l’intérieur d’une maison paysanne traditionnelle dans la région de Vologda, ses meubles « peints d’ornements bariolés étalés à grands traits », son « coin « rouge” […] entièrement recouvert d’icônes gravées et peintes5 ». Ces deux épisodes contiennent en germe tout le développement ultérieur des conceptions de Kandinsky, depuis l’entremêlement des sensations visuelles et acoustiques — déjà, le spectacle du coucher de soleil au-dessus de Moscou était perçu comme un immense concert, et l’audition de Lohengrin ne fait qu’inverser le rapport de l’ouïe et de la vue — jusqu’à la création d’un environnement, d’une totalité plastique englobant le spectateur ; enfin, le décalage de la rêverie synesthésique et de l’univers légendaire de l’opéra wagnérien préfigure la distinction entre signification extérieure et sonorité intérieure de l’œuvre d’art, clé de voûte de la poétique kandinskienne.
Mais cet enracinement dans la mémoire subjective ne doit pas faire illusion : il permet surtout au peintre, en 1913, de justifier l’orientation prise par son travail tout en rejetant l’accusation d’intellectualisme qui lui est faite. De même que l’abandon de la figuration auquel il est d’ailleurs intimement lié, le projet d’une synthèse des arts se déplace ainsi de l’histoire des formes vers la sphère privée, il s’affirme comme l’expression nécessaire d’un vécu, la réalisation d’une tâche inscrite dans le noyau le plus secret de l’individu :
C’est à travers ces impressions vraisemblablement, et non autrement, que prit corps en moi ce que je souhaitais, le but que je fixai plus tard à mon art personnel6.
L’accent mis sur la dénégation (« et non autrement ») révèle l’importance de l’enjeu : il s’agit moins pour le peintre de revendiquer l’originalité de ses choix, en jetant un voile sur ce qu’ils doivent à certaines composantes du Symbolisme et du Jugendstil que de prendre possession de l’axe central de sa recherche. La réorganisation de la mémoire autour de ces événements-clés permet ainsi, au même titre que le travail de la sensibilité aux matériaux artistiques, l’appropriation subjective de problématiques ébauchées, sinon déjà approfondies, par un demi-siècle de pratiques et de débats culturels.
MATÉRIAU ARTISTIQUE ET SONORITÉ INTÉRIEURE
Cette appropriation, toutefois, ne constitue que l’étape préliminaire d’un long effort de théorisation. De l’intuition à la systématisation, du sentiment à la réflexion, l’idée de la synthèse des arts se nourrit, chez Kandinsky, de multiples suggestions, de rencontres et de lectures qui témoignent de sa situation singulière, sur la ligne de fracture entre le Symbolisme — plus particulièrement le Symbolisme russe, dont il partage la conscience aiguë de l’importance du matériau – et les nouveaux langages artistiques. C’est, dans Du spirituel dans l’art, l’œuvre de Maeterlinck qui l’aide à préciser le concept de « sonorité intérieure », sens en deçà du sens, vibration spirituelle ne se manifestant qu’en l’absence du référent, et lorsque l’élaboration du poème a su mettre à nu le matériau linguistique, le dégager de la langue des significations concrètes ou « extérieures ». De façon plus caractéristique encore, ce concept est aussitôt rapproché d’une des sources principales de la poétique symboliste, le leitmotiv wagnérien :
Richard Wagner a réalisé quelque chose de semblable en musique. Son célèbre leitmotiv tend également à caractériser un héros, non pas seulement au moyen d’accessoires de théâtre, de fards ou d’effets de lumière, mais par un certain motif précis, c’est-à-dire par un procédé purement musical. Ce motif est une sorte d’atmosphère spirituelle exprimée par des moyens musicaux qui précède le héros, et qu’il répand donc autour de lui, à distance, spirituellement. 7
Le choix du vocabulaire (ausströmen, répandre autour de soi comme un fluide) et une note en bas de page trahissent l’emprise d’une autre des composantes essentielles de la culture symboliste, la théosophie :
De nombreuses expériences ont montré qu’une telle atmosphère spirituelle n’est pas seulement le propre des héros, mais peut émaner de tout être humain. C’est ainsi que les gens particulièrement sensitifs ne peuvent pas rester dans la pièce où est passée, même s’ils l’ignorent, une personne qui leur est antipathique8.
Plus encore que les notes prises par Kandinsky en marge des écrits de Rudolf Steiner, ce glissement conceptuel de la sonorité intérieure au leitmotiv, puis à l’aura corporelle, montre la dette du peintre envers le mouvement théosophique : le procédé artistique est assimilé à une manifestation surnaturelle, mais conçue comme universelle, les « nombreuses expériences » sont convoquées sans la moindre distance critique.
Cette influence, pourtant, doit être rigoureusement circonscrite. Elle se manifeste pour l’essentiel dans la conviction que le XXe siècle marquera le triomphe définitif du règne de l’esprit sur celui de la matière – en ce sens, la synthèse des arts n’est pas autre chose que la voie d’approche de ce grand « tournant spirituel » qui verra la réalisation de l’art monumental —, dans la formulation de la « sonorité intérieure9 » et dans certains dérapages de la réflexion, tels que celui qui vient d’être indiqué. Mais l’intérêt de Kandinsky pour ce courant de pensée se ralentit considérablement à partir de 1908, avec quelques prolongements jusqu’en 1911, ainsi qu’il a pu être montré grâce à l’examen des dates de publication des volumes et des périodiques acquis par lui et Gabriele Münter10. D’autre part, on ne saurait oublier que la théosophie, bien loin de constituer un corps de doctrine homogène, connaît alors tiraillements et polémiques qui aboutissent, en 1913, à la création de l’École d’anthroposophie de Steiner. Et, quoique Kandinsky accorde une plus grande attention à l’enseignement de ce dernier, il se garde bien de le suivre en tous points, particulièrement dans sa réfutation obstinée de la division de l’atome11.
Enfin, la plupart des recherches de Steiner12 dans le domaine de l’expression artistique sont trop tardives pour avoir exercé une réelle influence sur Kandinsky : les premières ébauches de l’eurythmie ne font leur apparition qu’en 1913-1914, et il faut attendre 1919 pour qu’elles donnent lieu à une démonstration publique ; la théorie des couleurs n’est développée qu’après la Première Guerre mondiale et, lorsqu’elle ne paraphrase pas Goethe, repose sur des propositions trop hasardeuses (par exemple, le choix des quatre couleurs fondamentales : noir, blanc, vert et « fleur de pêcher ») ou trop floues pour retenir sérieusement l’attention ; quant aux œuvres théâtrales de Steiner, créées à Munich entre 1910 et 191313, ce sont de longs morceaux ampoulés, extrêmement conventionnels sur le plan dramaturgique, et dont aucun écho me se retrouve dans les compositions de Kandinsky.
Si la première élaboration théorique de la synthèse des arts est encore imprégnée du vocabulaire et des aspirations de la théosophie, il faut donc convenir qu’en définitive l’apport conceptuel de celle-ci est bien mince, et qu’il se confond pour beaucoup avec les spéculations symbolistes sur les « correspondances » ou les recherches scientifiques sur les phénomènes de perception synesthésique. À l’exception de la visée prophétique — qu’il épouse d’ailleurs moins étroitement qu’un Mondrian ou un Scriabine — Kandinsky n’y trouve que la confirmation de sa propre expérience, une parenté d’espoirs et de préoccupations, non les moyens de créer une nouvelle forme — ceux-ci se découvrent par l’expérimentation directe, la confrontation patiente avec le matériau pictural, poétique ou musical.
VERS LA SYNTHÈSE
Tandis que la théosophie ne prête à la synthèse des arts qu’un cadre des plus vagues, enfermant plus de truismes et de contradictions que de propositions réellement fécondes, l’environnement culturel immédiat de Kandinsky, les créateurs qui rencontre, les groupes auxquels il s’associe ou dont il suit de près les activités, lui apportent au contraire un grand nombre d’éléments de réflexion pour la mise en relation de plusieurs moyens d’expression. Tout le mouvement artistique des premières années du siècle tend, parfois confusément, parfois avec rigueur, vers l’union des arts : c’est, dans les cercles de Schwabing comme dans ceux de Moscou et de Saint-Pétersbourg, avec lesquels Kandinsky continue d’entretenir d’étroites relations, le bain spirituel de l’époque, l’horizon de toutes les démarches.
Bien que la pensée de Wagner, trahie et surtout appauvrie par les successeurs du compositeur, paraisse enfermée dans une formule sclérosée, que l’inauguration du Prinzregenten-Theater, en 1901, réduit jusqu’à la caricature14, l’idée du Gesamtkunstwerk, souvent dans la plus complète autonomie vis-à-vis des conceptions wagnériennes, continue de susciter des débats et d’ouvrir des perspectives. Peter Behrens, qui participe avec Kandinsky à la fondation de la Phalange en 1901, la reconduit sous sa forme la plus utopique dans Fêtes de la vie et de l’art, manifeste dédié à la colonie d’artistes de Darmstadt15. Georg Fuchs, fondateur du Künstler Theater de Munich, adopte une position plus ambiguë : il écrit, dans La Révolution du théâtre, que « la scène ne peut pas être l’ « œuvre d’art totale » », et même que le drame est possible sans parole et sans musique, sans scène et sans décor, simplement en tant que mouvement rythmique du corps humain16 » ; mais, dans la pratique il fait appel aux peintres, joue avec une grande attention des éclairages colorés, traite gestes et déplacements comme une chorégraphie. La réflexion de Craig, d’autre part, n’est pas inconnue de Kandinsky, qui conservera dans sa bibliothèque un exemplaire de l’édition allemande de L’Art du théâtre, adressé par le traducteur à Gabriele Münter17 ; et si le metteur en scène anglais fait montre d’une certaine ironie à l’égard des théories de Wagner18, la préface du volume, dans laquelle le comte Kessler affirme que l’œuvre d’art totale est en passe d’être renouvelée, sous l’impulsion de Craig « par la peinture, la danse et le geste19 », n’a sans doute pas échappé à la vigilance du peintre.
Même le Jugendstil, où s’inscrit d’abord l’œuvre de Kandinsky, pousse dans cette direction. Héritier des Arts and Crafts, de Morris et de Ruskin, il abolit les frontières entre l’art, la décoration et l’artisanat ; architecture, peinture, mobilier concourent à transformer l’espace intérieur en une totalité stylistique, saturée de lignes et de formes ; le tableau déborde sur le cadre sculpté et s’inscrit dans une mise en scène les courbes des objets se répandent sur les murs. En Allemagne, mais aussi en Russie, glissements, juxtapositions, déplacements d’un langage artistique à un autre sont expérimentés dans les expositions (celles de la Nouvelle Association des artistes de Munich, comme celles organisées par Diaghilev, mêlent œuvres d’art et objets d’artisanat), dans les revues (Le Monde de l’art du même Diaghilev ; lorsque Kandinsky et Marc composent leur almanach, ils discutent de la « sonorité » prise par une gravure en regard d’un texte) et jusque dans les cabarets artistiques : Ernst Stern, aux Onze Bourreaux, se voit confier fusain et feuille de papier pour exécuter une série de dessins en suivant exactement le rythme de la musique20. Une expérience du même ordre, mais plus complexe, est tentée par Kandinsky, le compositeur Thomas von Hartmann et le danseur Alexandre Sakharoff :
Le musicien chercha dans une série de mes aquarelles celle qui lui semblait la plus claire sur le plan musical. Il joua cette aquarelle en l’absence du danseur. Puis le danseur entra, on lui joua la musique, il la transposa en danse et dut alors identifier l’aquarelle sur laquelle il avait dansé21.
À la différence de la plupart de ses contemporains, toutefois, Kandinsky ne s’arrête ni à l’addition des sensations visuelles et acoustiques, ni à la transposition d’un langage dans un autre ; à travers l’expérience conduite avec Hartmann et Sakharoff, se fait jour la conviction que chaque expression artistique, qu’elle soit plastique, musicale ou chorégraphique, met en jeu un même processus émotionnel, un même mouvement souterrain à l’intérieur du spectateur. L’objectif de la synthèse des arts sera dès lors d’enrichir ce processus, en mettant en lumière les articulations communes à toutes les formes d’expression.
LA MISE À DISTANCE DU MODÈLE WAGNÉRIEN
Alors que, dans Du spirituel dans l’art, Kandinsky juge encore positivement l’œuvre de Wagner, De la composition scénique, publié quelques mois plus tard dans l’almanach du Cavalier bleu, s’articule autour de sa condamnation explicite : l’œuvre de Wagner n’est pas seulement reléguée au rang d’exemple d’une conception matérialiste de l’opéra, caractéristique des modes de pensée du XIXe siècle, mais encore placée un degré en-dessous du ballet dans l’échelle de complexité des arts de la scène. Le rôle du leitmotiv, déjà faussé par la comparaison avec l’aura, est cette fois présenté de manière ouvertement caricaturale :
L’opiniâtreté avec laquelle une phrase musicale ressurgit lors de l’apparition d’un héros finit par lui faire perdre de sa force et agit sur l’oreille comme agirait sur l’œil une étiquette de bouteille bien connue22.
Il n’importe guère que cette critique soit singulièrement injuste à l’égard de Wagner, qu’elle ignore le divorce entre les conceptions et les réalisations du compositeur, ni qu’elle repose sur une somme considérable de malentendus : elle a d’abord pour fonction de rompre les liens qui pourraient subsister entre les recherches de Kandinsky et un certain fonds d’idées commun à son temps, de marquer le seuil au-delà duquel commence une interrogation plus profonde et plus exigeante. Le leitmotiv, tel que le présente Kandinsky, perd très vite toute valeur informative en s’ajoutant à la présence physique du héros, matérialisée par l’interprète du rôle. Addition des effets et renforcement d’un mode d’expression par un autre conduisent immanquablement à l’appauvrissement de l’œuvre tout entière.
Contre le modèle wagnérien – ou ce qu’il considère comme tel -, le peintre affirme que la synthèse des arts ne peut se réaliser qu’en fonction d’un modèle spirituel, obéissant au principe de la « nécessité intérieure ». Défini dans Du spirituel dans l’art comme le jeu conjoint de trois « nécessités mystiques » (l’artiste doit exprimer son moi profond, la vie spirituelle de son peuple et de son époque, enfin celle de l’art lui même), ce principe, qui réside à la fois dans l’individu, dans la collectivité et dans l’art, suppose une communication immédiate et absolue entre l’artiste et le matériau, l’œuvre et son public, le contenu et la forme. C’est ici, sans doute, que le spiritualisme de Kandinsky s’exprime avec le plus de force : dans cette conviction que l’univers n’est qu’une seule matière vivante et agissante, « un cosmos d’êtres exerçant une action spirituelle23 ».
Régie par le principe de la nécessité intérieure, la synthèse des arts doit donc s’organiser comme le jeu conjoint de multiples « sonorités ». Dans sa première réalisation, la composition scénique, celles-ci sont de trois ordres :
- le son musical et son mouvement,
- la sonorité corporelle-spirituelle et son mouvement, exprimés par des hommes et des objets,
- le son coloré et son mouvement (une possibilité propre à la scène)24.
Son, mouvement et couleur, dépouillés de toute référence concrète, sont utilisés comme de purs matériaux, organisés non pas pour la production d’une fable ou même d’un sens, mais en fonction de leurs mouvements internes, de ces vibrations ou de ces sonorités qui doivent se communiquer directement à l’âme du spectateur. Ce que propose Kandinsky représente donc infiniment plus que la simple adjonction de la dimension plastique au Gesamtkunstwerk wagnérien : c’est, en premier lieu, le passage de l’action scénique à l’abstraction, geste égal en audace à celui qu’il accomplit au même moment sur la toile ; et, en second lieu, la restructuration complète de cette action par la non-hiérarchisation des composantes du spectacle, peinture, danse et musique.
LES COMPOSITIONS SCÉNIQUES
La force et la nouveauté de ces propositions ont moins pour origine le travail de réflexion effectué par Kandinsky qu’une expérience collective d’élaboration d’une nouvelle écriture théâtrale, commencée à l’automne 1908, lorsque Kandinsky et Hartmann décident de travailler ensemble pour la scène. Pour le premier projet, l’adaptation d’un conte d’Andersen, le peintre réalise une esquisse représentant une ville médiévale et rédige un texte, Le Jardin du Paradis, qui semblent aujourd’hui perdus ; puis, désireux d’intégrer la danse à ce spectacle, les deux hommes s’adressent à Sakharoff et conviennent avec lui d’étudier plutôt un nouvel argument, Daphnis et Chloé, pour lequel Kandinsky peint encore une esquisse. Sans doute informés de ce que Ravel et Fokine préparent pour Diaghilev un ballet sur le même sujet, ils l’abandonnent à son tour25. Kandinsky, loin de se décourager, rédige alors cinq ébauches de « compositions scéniques » : Géants (qui deviendra La Sonorité jaune), Voix (qui deviendra La Sonorité verte), Noir et blanc, Rideau violet (futur Violet) et Figure noire26. En 1911, au moment de publier l’almanach du Cavalier bleu, il reprend le premier de ces textes pour accompagner l’article De la composition scénique. Mais ce n’est qu’en 1914 qu’il termine Violet, destiné à un projet de mise en scène aux Kammerspiele de Munich.
Tels qu’ils nous sont parvenus — c’est-à-dire, à l’exception de La Sonorité jaune et d’un fragment de Violet, publié dans la revue du Bauhaus27, exclusivement sous la forme de manuscrits russes et allemands où se reconnaissent plusieurs écritures, de schémas, de fragments de partitions et d’esquisses, dont certaines copiées par Hartmann28 — ces projets apparaissent néanmoins aujourd’hui comme l’un des coups d’essai les plus audacieux du théâtre d’avant-garde et, plus encore, comme l’une des formulations les plus riches et les plus rigoureuses parmi toutes les tenta tives de synthèse des arts. Gestes, personnages, paroles, musique, costumes et décors forment un ensemble mouvant, agissant, sans qu’aucun de ces éléments ne prenne durablement le pas sur un autre, sans qu’il se plie non plus aux apparences du monde réel. Ainsi la figure humaine, dont les proportions dépendent dans une large mesure de celles de l’interprète, se réduit-elle le plus souvent à un pur élément chromatique, une tache gigantesque ou minuscule qui s’enlève ou s’efface sur le fond de l’espace scénique :
Sur la scène, à gauche, au premier plan, trois figures sont assises, ramassées sur elles-mêmes comme de petites boules de couleur vague et terne. 29
Au fond de la scène, à droite, une figure blanche, de proportions énormes, aux formes arrondies et sans rien de saillant, est assise. 30
Et si, dans certains cas, Kandinsky précise le sexe ou l’âge approximatif de ces apparitions, ce sont le plus souvent des « êtres vagues » ou bien « rouges, indistincts », des « géants jaunes » ou de « toutes petites figures, indistinctes et d’un vert gris de teints incertains » qui traversent la scène, créatures sans visage et sans masque, vêtues de robes flottantes ou de maillots qui les enveloppent entièrement. Comme les toiles qu’il peint à cette même époque, les compositions scéniques de Kandinsky jouent de plusieurs niveaux de reconnaissance : personnages aisément identifiables, formes plus ambiguës, hésitant entre l’humain, l’animal et le végétal, présences énigmatiques, à peine perceptibles. Le tableau scénique, qui brasse ces différents degrés d’abstraction ou, si l’on préfère, ces manifestations plus ou moins libres de la « sonorité intérieure », donne l’illusion d’une matière unique, malléable à loisir, et dont certaines parcelles ne prendraient que par accident forme humaine, sans que leurs déplacements ou leurs gestes acquièrent pour cela plus de signification ou d’importance que les mouvements de l’espace environnant.
La scène, en effet, est en perpétuelle métamorphose. Agitée de croissances brusques, d’effondrements inattendus, modelée par les innombrables variations de la lumière et les changements des couleurs, elle devient, à certains moments, seul acteur du drame. Tantôt figures et décor se fondent en une tonalité unique (un jaune citron éclatant, un gris terne, un rouge mat), tantôt les formes se font nettes, tranchées, s’organisant en tableaux violemment contrastés qui rappellent la naïveté et la fraîcheur des peintures sous verre bavaroises31. Dans tous les cas, l’action scénique est conçue comme un seul événement visuel, une combinaison de valeurs chromatiques qui assurent la cohésion du lieu, des objets et des personnages.
UN MODÈLE MUSICAL
Si les compositions scéniques de 1908-1914 s’arrêtaient à cette stricte application du travail du peintre à l’espace théâtral, elles constitueraient déjà, avant la scénographie de Malevitch pour La Victoire sur le Soleil, les tentatives de Sonia Delaunay, de Fernand Léger ou des futuristes italiens, le tout premier exemple de refonte intégrale de la scène en fonction de critères exclusivement plastiques. Mais un examen plus attentif des documents conservés montre que l’élaboration de ces projets est allée au-delà du simple geste de conquête d’un nouveau champ d’expérimentation picturale, et que la collaboration avec Hartmann et Sakharoff a conduit Kandinsky à une vision beaucoup plus complexe de la synthèse des arts.
Chacune des « sonorités intérieures » en jeu dans la composition scénique, en effet, est traitée comme un objet musical. Le passage à l’abstraction, en détachant le jeu théâtral de toute fonction mimétique, contribue déjà à le rapprocher d’un système de signes sans référent extérieur, suffisant à lui-même et organisé selon ses seules lois, comparable donc au mode de fonctionnement de l’œuvre musicale selon l’analyse formaliste de Hanslick, qui est aussi celle de Schönberg et du groupe du Cavalier bleu32.
Tous les éléments, d’autre part, tendent vers leur dématérialisation : plutôt que d’entrer et de sortir, les personnages se détachent progressivement de l’obscurité, grandissent puis s’évanouissent ; vapeurs, pénombres et éclairages colorés effacent leurs traits ainsi que les contours des objets, brouillant les rapports chromatiques, noyant la scène dans une atmosphère irréelle, sans pesanteur, où les formes flottent, s’étirent et se contractent au lieu d’imposer leur poids et leurs dimensions ; quant aux paroles échangées, elles sont inaudibles, incompréhensibles (Kalasimunafakola), ou bien se perdent dans un poudroiement de métaphores, de phrases sans suite, dont le sens se dissout par absence de contexte.
Ce jeux sur le distinct et l’indistinct, cette importance extrême accordée aux seuils de perception, qui peut être rapprochée de la proposition, avancée par Koulbine, de recourir en musique à des micro-intervalles d’un huitième de ton puisque « les impressions à moitié reconnues et incompréhensibles agissent fortement sur l’âme humaine33 », fait de la composition scénique un véritable flux d’émissions visuelles et sonores, une pulsation d’images, de bruits, de musiques et de mots, dont les durées, dans le cas de La Sonorité jaune et surtout de Violet, sont très précisément indiquées. Tandis que le déploiement de l’action scénique dans l’espace tend à la réalisation d’une unité plastique, son organisation sur l’axe temporel s’éloigne donc aussi de la reproduction réaliste pour s’articuler musicalement, en séquences et en pauses également mesurées.
Mais surtout, il importe d’observer que le son, la voix, la couleur et jusqu’à la figure humaine sont décrits, soit directement, soit par analogie, suivant un modèle musical, c’est-à-dire selon les trois dimensions de la hauteur, de l’intensité et du timbre. La précision de ces indications témoigne de l’importance du travail de restructuration accompli par Kandinsky, autant sur le plan du fonctionnement interne de chacun de ces éléments (par l’uniformisation de leur traitement) que sur celui de leur fonctionnement externe (par la complexité des rapports instaurés).
Musique : s’il ne compose pas lui-même la musique, confiée en principe à Thomas von Hartmann34, Kandinsky donne des indications très contraignantes, qui se développent dans ces trois directions :
- hauteur : « les basses dominent » ; « des cordes les plus hautes aux cordes les plus basses »; « la et si bémol se répètent fréquemment ».
- intensité : fortissimo, pianissimo ; « tantôt (la musique) se détache nettement, tantôt elle semble s’éloigner et se fondre dans la distance ».
- timbre : les instruments, surtout dans Violet, sont précisés (une cloche en fer-blanc, une corne, des grelots, une trompette, un tambour, un basson).
Voix : elle est aussi caractérisée, pour les parties chantées comme pour les parties parlées, dans ces trois directions :
- hauteur : voix d’alto, de basse, de soprano.
- intensité : voix seule, chœur, voix « presque inaudible ».
- timbre : voix nasale, perçante, profonde, voix de femme, « voix stridente d’un enfant ».
Couleur : (en prenant en considération les « correspondances » proposées par Kandinsky) :
- hauteur : la couleur elle-même (bleu, vert, rouge…).
- intensité : celle-ci est déterminée à la fois par les dimensions de l’objet coloré et par la lumière qu’il reçoit (par exemple : une grande fleur jaune « dont l’éclat grandit » ; la lumière passe d’un « jaune mat » à un « jaune citron éclatant » ; ou bien la couleur est indistincte et se fond dans l’obscurité).
- timbre : un « vert gris de nuances incertaines », un « brun sale » ; dans Sonorité verte, entre un groupe de personnages tout emmitouflés : « le premier dans un vêtement vert clair de nuance chaude ; le second dans un vert clair froid ; le troisième dans un vert clair chaud, et ainsi de suite ».
Personnages : l’analogie, ici, se fait nécessairement plus vague : toutefois, on peut observer l’amorce d’un traitement comparable :
- hauteur : celle-ci est déterminée par la couleur dont le personnage est revêtu, et qui peut s’étendre à son visage ou à sa chevelure (une « figure féminine complètement verte », un « être blanc »); dans certains cas, il y a comme un accord entre deux couleurs (dans Noir et blanc, des hommes vêtus de noir au visage verdâtre ou rosâtre).
- intensité : la taille de ces personnages est extrêmement variable, depuis une femme blanche « qui a cinq fois la taille humaine » jusqu’à de « toutes petites figures indistinctes ». Ils sont, de même, plus ou moins violemment éclairés.
- timbre : la très faible caractérisation individuelle de ces personnages, qui pourrait rappeler celle d’un instrument de musique (vieillard, enfant, « êtres vagues », figure féminine).
Cette analogie entre le traitement des diverses composantes du spectacle et celui du son musical pourrait être poussée plus loin. On remarque aisément, par exemple, que les mouvements des interprètes débordent le cadre d’une chorégraphie traditionnelle pour s’étendre dans les trois dimensions de l’espace, qu’ils s’articulent en croissances, diminutions, fractionnements, exigeant une complète malléabilité — voire une fluidité — des corps, qui tend à rapprocher chaque geste, chaque déplacement, d’une note de musique. Mais il importe davantage d’observer que, dans son effort pour abattre les cloisons entre les différents modes d’expression et construire un nouvel ordre théâtral, basé sur la synthèse de la musique, de la peinture et de la danse, Kandinsky tente d’organiser plus rationnellement ces procédés somme toute empiriques, et dont le texte des compositions scéniques ne conserve que les traces en désordre.
Devant l’impossibilité de décrire, dans chacune de ses dimensions, le jeu combiné de tous les éléments du spectacle, Kandinsky et Hartmann ébauchent en effet un système de notation qui, sur quatre lignes horizontales, leur permet de visualiser l’action simultanée de la couleur, du mouvement, de la musique et de la voix. Pour chacun de ces quatre éléments sont notées l’intensité (ff pour fortissimo), la durée (noire, ronde. blanche ou blanche pointée) et, dans quelques cas, la hauteur (les notes sont alors posées plus ou moins haut sur la ligne ; la superposition de deux notes semble, quant à elle, indiquer la présence d’un « accord » entre deux impressions chromatiques ou deux mouvements) ; d’autres symboles musicaux complètent ce système, tels que point d’orgue, silence ou diminuendo. Requérant une double lecture, à la fois verticale et horizontale, la structure d’ensemble évoque une partition d’orchestre.
On mesure, ici, ce qui sépare les compositions scéniques de tant d’expériences contemporaines : tandis que Scriabine, par exemple, ne réalise avec Prométhée qu’un redoublement du discours musical par le discours chromatique, chaque note de sa partition appelant toujours la même émission colorée, tandis que d’autres encore se contentent de vagues analogies d’atmosphère, Kandinsky est le seul à proposer une orchestration rigoureuse de la totalité de l’événement scénique, à imaginer les dialogues, les tensions, les conflits qui peuvent surgir entre la couleur, le mouvement et le son, et à prendre ceux-ci pour base de l’écriture du spectacle. Comme il s’en explique dans un projet manuscrit de préface pour la publication des textes :
1) Les moyens qui se combinent, agissent dans un même sens — auquel cas la force de l’effet augmente, ou bien
2) la combinaison de moyens agissant en sens opposés entraîne une complication du sentiment.
Si nous prenons des sentiments assez simples et grossiers, par exemple le sentiment de la joie, il peut être exprimé simultanément par la sonorité, la couleur et le mouvement et cet emploi simultané de moyens exerçant une même action entraîne un renforcement de l’effet (en quelque sorte un fortissimo). Ou bien un élément évoque la joie et les deux autres la tristesse. Il en résulte une complication du sentiment : la joie est fortement troublée, étouffée par le sentiment de tristesse35.
Au modèle symboliste ou théosophique de recomposition de l’unité de l’homme et du cosmos à travers parallélismes, échos et fusions d’un domaine sensoriel à un autre, Kandinsky substitue donc une écriture de l’écart et de la dissonance, un contrepoint d’éléments autonomes qui pourrait être rapproché des quatuors à cordes de Schönberg36.
HUGO BALL ET LE THÉÂTRE EXPRESSIONNISTE
La complexité de cette écriture et les difficultés qu’elle pose à la réalisation semblent propres à décourager les meilleures volontés ; pourtant, l’intérêt provoqué par La Sonorité jaune est assez fort pour susciter, dès avant la Première Guerre mondiale, plusieurs projets de mise en scène37. Si la plupart d’entre eux n’ont qu’une valeur anecdotique, celui de Hugo Ball mérite d’être brièvement examiné, car il s’inscrit dans le cadre d’une collaboration plus étroite et pousse Kandinsky à reprendre son travail en termes plus pratiques.
Ball propose d’abord au peintre, en mars 1914, de réaliser les décors du Trésor des vassaux fidèles de Takeda Isumo, pièce pour marionnettes jôruri du XVIIIe siècle, qui devrait être montée au Künstler-Theater. Kandinsky refuse, affirmant qu’« il est tout aussi impossible de ne donner que des « indications de couleurs » que, pour une symphonie étrangère, de ne choisir que les instruments38 ». Franz Marc, sollicité à son tour, répond dans le même esprit :
Nous n’avons aucune envie de faire pour le Künstler-Theater de nouvelles décorations, de beaux « tableaux scéniques », mais nous voulons organiser sur de nouvelles bases la scène elle-même, c’est-à-dire le spectacle, et lui donner une forme qui corresponde à nos conceptions artistiques39.
II recommande donc à Ball de rassembler quelques peintres (Kokoschka, Klee, Kandinsky, Macke) et des musiciens (Schönberg, Webern, Berg) — dont, dit-il, la participation au théâtre est devenue « indispensable » –, pour reprendre en main le Künstler-Theater, abandonné depuis plusieurs années par Georg Fuchs. Lui-même réalise alors deux esquisses pour La Tempête de Shakespeare, qu’il espère mettre en scène avec la collaboration d’un de ces musiciens. Seuls quelques articles, en fait, sont publiés dans la presse, mais Ball, Marc et Kandinsky s’écrivent, se rencontrent et échafaudent de nouveaux projets, auxquels ils gagnent Schönberg. Il s’agit tout d’abord de publier un livre-manifeste, Le Théâtre nouveau ou Le Théâtre expressionniste, rassemblant des textes théoriques, des pièces, des esquisses de décors et de costumes. Marc écrit le brouillon d’un article sur Le Théâtre abstrait, Kandinsky songe à un article sur L’Œuvre d’art totale et prépare deux esquisses pour accompagner Violet, dont il vient d’achever la rédaction ; les participations de Fokine, Evreïnov, Mendelsohn, Hartmann, Kokoschka et Klee sont elles aussi envisagées.
Le deuxième volet de ce projet concerne une série de six matinées aux Kammerspiele de Munich, où Ball est employé comme dramaturge. Ces manifestations proposeraient à la fois représentations théâtrales, concerts et expositions, démontrant par cette triple action la cohésion du jeune mouvement artistique que Ball voudrait étendre aux dimensions d’une « Société internationale pour l’art nouveau ». Au programme de ces matinées, qui devraient commencer à l’automne 1914, sont prévus en particulier Claudel, Kokoschka, le groupe de L’Action, les futuristes italiens40. Pour la séance consacrée à Kandinsky, fixée au mois de décembre 1914, celui-ci suggère à Ball de monter un tableau de Violet plutôt que La Sonorité jaune, pour laquel le l’éditeur refuse de céder les droits. Sans doute faut-il attribuer à ce projet de réalisation, autant qu’au mûrissement de l’auteur, le fait que, de toutes les compositions scéniques de Kandinsky, Violet soit celle dont la mise en scène pose le moins de difficultés : personnages et décors mieux caractérisés, dotés d’une plus grande matérialité et disposés plus précisément dans l’espace, action et dialogues recentrés autour d’un thème principal (l’effondrement du rempart), partage plus net entre, d’une part, les éléments « solides » de la représentation (scénographie et interprètes) et, d’autre part, les éléments plus « fluides » que sont les éclairages et les projections.
Fort de toutes ces promesses, rêvant de faire venir Fokine, Andreïev et Stanislavski grâce à l’appui de Kandinsky41, de renouveler l’idée du Gesamtkunstwerk et, pourquoi pas, de construire un nouveau Festspielhaus42, Hugo Ball écrit à sa sœur, le 29 juillet 1914 : « Notre théâtre sera peut-être, en 1914-1915, le plus intéressant d’Allemagne43 ».
UNE PROPÉDEUTIQUE DE LA SENSIBILITÉ
Deux jours plus tard, la déclaration de guerre coupe court à toutes ces espérances. Kandinsky regagne la Russie, se remarie, voyage. Au lendemain de la Révolution, il entre dans le comité de direction de la section théâtrale et cinématographique du Narkompros, le Commissariat à l’éducation du peuple. Partage-t-il un temps les espoirs surgis du bouleversement des structures politiques jusqu’à croire à la prochaine réalisation de l’art monumental, ou veut-il simplement prendre date en ce moment de brusque accélération de l’Histoire, de fermentation de toutes les utopies ? Beaucoup des textes qu’il publie, des conférences qu’il donne, des activités qu’il s’efforce de promouvoir ont pour horizon la synthèse des arts, et constituent une étape décisive dans l’élaboration de sa théorie.
Le modèle qui s’impose, dans le projet de programme d’activité qu’il rédige en 1920 pour l’INHUK, l’Institut de la culture artistique44, ou dans sa conférence « De la méthode de travail sur l’art synthétique »45, prononcée en 1921, est celui de la méthode expérimentale. Kandinsky espère, par une accumulation de documents, d’études, d’enquêtes et d’expériences en laboratoire, par la confrontation aussi de tous les spécialistes des questions envisagées, depuis les artistes eux-mêmes jusqu’aux représentants des sciences exactes, parvenir à la mise en évidence la plus précise et la plus objective du fonctionnement de chaque expression artistique. Seule cette systématisation de l’effort qu’il a commencé d’entreprendre, pour la peinture, avec Du spirituel dans l’art, et qu’il prolongera dans Point ligne plan et ses cours au Bauhaus, devrait permettre de poser les fondations de l’art monumental, conçu comme synthèse de la peinture, de la sculpture et de l’architecture ; puis, plus tard encore, de réaliser l’unité de l’art sous la forme définitive d’une « totalité synthétique ». Mais la voie qu’il indique est longue et fastidieuse ; ainsi, pour l’étude du mouvement :
[…] les gestes utilisés dans les temps révolus, […] les mouvements inhérents aux cultures anciennes et primitives, ou bien utilisés dans des célébrations de rites ou de cérémonies antiques, sont du plus grand intérêt. Il faudrait les recenser avec assiduité dans les documents et monuments anciens, puis les adapter, les reproduire et les soumettre à une étude et à des recherches psychologiques. […]
Les divers mouvements du corps entier, ou bien ceux des mains, des pieds, de la tête, ou simplement d’un doigt, seraient reproduits à la fois par graphique et par photographie, et on prendrait un grand nombre de notes sur leur effet46.
La prudence excessive de cette démarche, en contradiction avec les audaces d’une époque révolutionnaire, l’accent mis sur l’action psychologique des formes artistiques et une allusion malencontreuse aux sciences occultes font repousser ce projet : ce sont, on le sait, les constructivistes qui prennent alors la tête du mouvement culturel, et imposent leurs vues à l’INHUK.
Toutefois, il n’y a pas rupture complète entre les positions de l’avant-garde et celles de Kandinsky, du moins de la part de ce dernier : déjà, le programme destiné à I’INHUK, en condamnant l’ensemble du théâtre contemporain comme en faisant appel aux clowns et aux excentriques pour le régénérer, indique un curieux infléchissement vers le futurisme ; mais l’influence du constructivisme, que l’on retrouve dans l’évolution de sa peinture, marque aussi la réflexion de Kandinsky. Si on la compare au texte précédent, la conférence « De la méthode de travail sur l’art synthétique » ne montre pas seulement l’abandon des dernières traces de fascination pour l’occultisme, l’accroissement significatif de la place accordée aux sciences (par exemple la linguistique dans l’étude de la poésie) et l’ouverture de la recherche au domaine de la technique, représenté par les ingénieurs ; elle témoigne surtout d’un approfondissement substantiel de la démarche proposée, qui repose désormais bien moins sur l’accumulation des informations que sur leur sélection et leur organisation en fonction d’un but clairement défini : l’établissement des principes d’une « science de l’art ». Sans abandonner pour autant l’idée d’un art synthétique, pensée cette fois en termes de construction, Kandinsky cherche à poser les fondations d’une analyse scientifique du phénomène artistique, capable de rendre compte du processus de création d’une œuvre d’art aussi bien que de celui de sa perception ; aussi est-il amené à distinguer vigoureusement, par exemple, l’étude de la couleur pure de celle de la couleur appliquée, le son pur de celui produit par un instrument, les effets physiologiques des représentations imaginaires qui leur sont associées. L’utopie de l’union des arts cède la place à une tentative de réconciliation de la démarche créatrice et de la démarche analytique, de l’art et de la science, dans la recherche d’un langage commun qui permette à l’artiste de devenir lui-même son propre théoricien.
Lorsque Kandinsky arrive au Bauhaus, en 1922, il a donc accompli, grâce au travail sur les compositions scéniques puis à la confrontation avec les jeunes avant-gardes soviétiques, un dépassement considérable des problématiques évoquées dans Du spirituel dans l’art et dans l’almanach du Cavalier bleu. Mais De la synthèse scénique abstraite, texte qu’il publie, l’année suivante, dans un ouvrage collectif de présentation du Bauhaus, marque les limites de cette avancée. Si, d’une part, il introduit pour la première fois l’espace scénique en tant que tel dans l’analyse des composantes du spectacle, s’il dissocie fermement la couleur de l’objet de celle de la lumière qui se projette sur lui, le mouvement effectué par l’homme de celui de l’espace environnant, cette conscience plus profonde et plus détaillée du matériau théâtral se referme, d’autre part, sur une double reprise : celle de la définition du théâtre de l’avenir comme « somme des sonorités abstraites » de la peinture, de la musique et de la danse, et celle d’un long détour expérimental par l’étude du fonctionnement spécifique de chacun de ces éléments :
Il faut organiser des laboratoires de théâtre où les éléments, pris séparément, doivent être expérimentés dans l’esprit et selon l’objectif du théâtre. La mise en forme schématique des parties séparées doit découvrir et évaluer les forces et les moyens de la construction – pour laquelle il faut utiliser avant tout la loi du contraste, en tant que jonction et séparation –, la couleur, le son, le mouvement, dans les liens mutuels et les effets conjoints qui en résultent47.
Ce piétinement apparent, toutefois, ne doit pas cacher plusieurs points essentiels. En premier lieu, il faut observer que la « sonorité intérieure » est devenue « sonorité abstraite et intérieure », voire « sonorité abstraite » tout court ; le modèle unificateur de la vibration, de l’atmosphère spirituelle gouvernée par les lois incertaines de la nécessité intérieure, cède la place à un schéma plus pragmatique et mieux articulé, qui tient compte des différences ou des distances entre l’artiste, l’œuvre et le public. Enfin, œuvre et matériau sont clairement posés au centre de ce schéma, exerçant une double fascination sur le créateur et sur le spectateur : et l’espace de la scène, vierge encore de toute représentation, devient comme celui de la toile le foyer où convergent les regards, le pôle magnétique chargé d’attentes et de promesses.
Il n’en demeure pas moins que ce texte, qui se présente comme le point de départ d’une recherche systématique, reste en définitive sans échos immédiats. Le travail de Kandinsky au Bauhaus, en effet, s’oriente de plus en plus vers l’analyse des moyens picturaux. Procédant par dissociations successives, il s’attache à décrire avec la plus grande précision le mode d’action spécifique du point, de la ligne, de la surface et de la couleur, examinant pour chacun de ces éléments les modifications qui résultent des plus infimes variations. Si l’espoir d’une synthèse reste sensible, il ne se manifeste plus qu’au travers des passerelles que l’auteur de Point ligne plan jette à plusieurs reprises en direction d’autres expressions artistiques, principalement la danse : hypothèses juste ébauchées, jalons disposés à l’intention des futurs spécialistes de la science de l’art.
D’autre part, la préférence, exprimée dès l’époque des compositions scéniques, pour le jeu des contrastes et des dissonances, des tensions souterraines et des expressions assourdies, conduit Kandinsky à refuser d’associer dimension utopique et clôture de l’Histoire, recherche de synthèse et construction d’un ordre contraignant. Etablir, comme il s’y emploie avec passion dans ses cours, l’analogie la plus étroite des formes et des couleurs (le cercle et le bleu, le triangle et le jaune, le carré et le rouge), n’a qu’un objectif, celui de pouvoir jouer du respect ou du non-respect de ces attractions : si le triangle appelle le jaune, peindre un triangle rouge (comme dans Jaune – Rouge – Bleu, huile sur toile de 1925) introduit une violence à l’encontre de l’ordre attendu et prend l’aspect d’un geste à haute valeur informative. Pour les règles de composition à l’intérieur d’un art comme dans la perspective d’une synthèse des
arts, la grammaire que cherche à constituer Kandinsky n’est jamais un recueil de prescriptions et d’interdictions, mais une tentative d’élucidation de la sensibilité esthétique, destinée à l’approfondissement de la connaissance et de la maîtrise du langage artistique, tout en laissant celui-ci ouvert à l’évolution.
LES « TABLEAUX D’UNE EXPOSITION »
C’est, paradoxalement, au terme de ce long processus de réflexion, alors même qu’il semble avoir abandonné toute spéculation sur la synthèse des arts et ne plus se consacrer, avec une patience infinie, qu’à l’examen préliminaire d’une seule de ses composantes, que Kandinsky obtient les moyens d’expérimenter ses conceptions sur une scène et devant un public : les Tableaux d’une exposition de Moussorgski sont présentés le 4 avril 1928 au Friedrich-Theater de Dessau, dans un dispositif entièrement conçu par lui. Revenant deux ans plus tard sur cette expérience, il énumère ainsi les principaux matériaux employés en accompagnement de la musique :
- les formes elles-mêmes
- les couleurs sur ces formes, auxquelles
- s’ajoutait la couleur de l’éclairage en tant que peinture approfondie [vertiefte Malerei],
- le jeu autonome de la lumière colorée et
- la construction, en liaison avec la musique, de chaque tableau et, si nécessaire, sa déconstruction48.
Malgré l’emploi presque exclusif d’éléments géométriques et d’effets lumineux (seuls deux des seize tableaux voient apparaître des interprètes humains), la mise en scène, telle qu’on peut la reconstituer grâce aux documents conservés49, joue d’incessants va-et-vient entre abstraction et figuration, sans hésiter même à souligner avec humour l’aspect illustratif du morceau musical. Certes, Kandinsky repousse avec vigueur l’idée, pourtant communément répandue, que le compositeur russe ait cédé aux séductions de la musique à programme ; et l’exemple du deuxième tableau, intitulé Gnomus, suffit à montrer l’étendue des libertés prises en regard de l’argument originel : bien loin de montrer « un petit gnome aux frêles jambes tordues » comme le suggère le commentaire joint à la partition50, la scène, entièrement tapissée d’une peluche noire qui absorbe toute lumière et la transforme en « profondeur immatérielle51 », est d’abord plongée dans l’obscurité pendant les dix premières mesures ; puis une série de bandes horizontales parallèles, de couleur blanche, s’allume pendant quinze secondes sur le côté droit : après un retour à l’obscurité, apparaît une nouvelle série de bandes, cette fois verticales, sur le côté gauche ; enfin le fond blanc s’illumine, traversé par un grand cercle rouge, des lignes entrecroisées et plusieurs figures géométriques qui montent et descendent tels des ludions.
Pour d’autres séquences en revanche, le choix des éléments scénographiques transpose en termes immédiatement interprétables l’idée évoquée par le titre du morceau musical : la Promenade, qui sert d’introduction à l’œuvre et assure la liaison entre les différents tableaux, est visualisée par le faisceau de lumière bleue d’une lampe de poche, dessinant un mouvement ondoyant dans l’obscurité ; la même solution est adoptée pour le Ballet des poussins dans leur coquille, où trois lampes jaunes reprennent ce même mouvement. Les figures géométriques elles-mêmes peuvent se faire l’effigie des personnages : ainsi, dans La Grande Porte de Kiev, une succession de panneaux peints, composés d’un assemblage de formes triangulaires, circulaires et linéaires, représente-t-elle la foule massée devant la ville. Enfin, les deux Juifs du tableau Samuel Goldenberg et Schmuyle sont évoqués par deux panneaux rectangulaires, dressés verticalement : éclairés par l’arrière, ils laissent voir par transparence la silhouette des acteurs qui les manipulent, sauf à la hauteur de la tête, matérialisée par un disque recevant un éclairage de face. L’un des disques, coloré en rouge, est animé d’un mouvement de rotation lente dans le sens des aiguilles d’une montre, l’autre, coloré en jaune, est animé d’un mouvement de rotation rapide en sens inverse. La recontextualisation du vocabulaire de l’abstraction géométrique conduit donc à la mise en place d’un anthropomorphisme mesuré, ludique, où de simples différences de couleur ou de vitesse constituent l’amorce d’une caractérisation psychologique.
Cette illustration de la musique par la scène s’arrête, toutefois, là où le compositeur s’est lui-même arrêté dans l’évocation des tableaux de Victor Hartmann52. De même que la partition ne s’attache pas à reproduire, ni dans son déroulement ni dans son détail, l’anecdote suggérée par le titre, mais se divertit plutôt à refléter par endroits une atmosphère, un mouvement, un contraste, la scénographie s’organise en une suite d’événements plastiques qui ne se chargent que momentanément d’un sens : encore celui-ci se réduit-il toujours à de brefs clins d’œil, où personnages et ambiances sont cités plutôt que réellement montrés. Si le plan de la ville sert de toile de fond au tableau La Place du marché à Limoges, aucun élément, dans le costume des danseuses, ne cherche à donner l’illusion d’une couleur locale ; les deux Juifs, non plus, ne sont pas désignés comme tels par leur costume, et seules les silhouettes de trois clochers peuvent faire songer à Kiev dans le seizième tableau. Surtout, le tableau n’est jamais donné, d’emblée, dans sa totalité, mais se développe au contraire dans le temps, se construit et se déconstruit, par l’illumination successive de ses différentes parties ainsi que par leur animation. C’est donc le mouvement de la scène, en accord avec celui de la musique, qui donne par instants naissance à une brève allusion, un geste en direction du titre, pour aussitôt l’effacer dans l’éclatement de l’image à peine constituée. Pour Catacombes, par exemple, des éléments de construction glissent de droite et de gauche et de haut en bas pour former l’arc d’une voûte, puis la démontent tout aussi rapidement, tandis que l’accélération des effets lumineux (jusqu’à quinze sur deux lignes de portée : un changement de lumière tous les deux accords à certains endroits) produit un contraste saisissant avec le largo et l’andante non troppo de la musique.
L’extraordinaire diversité du spectacle, allant du plus petit point lumineux jusqu’au tableau scénique complet, usant de transparences, de projections (celle d’un kaléidoscope pour Tuileries) et même de pénombres (pour un effet d’éclairage, il précise : « Cela doit paraître crépusculaire, comme rêvé53 »), s’articulant avec la plus grande précision au mouvement musical (le plus souvent, c’est le tempo qui commande les changements d’éclairage et le déplacement des éléments scénographiques), témoigne de la richesse de la synthèse scénique et, dans cette mesure, constitue bien l’aboutissement des recherches et des réflexions menées par Kandinsky depuis près de vingt ans. Mais, d’un autre point de vue, cette réalisation tardive montre aussi à quel point l’infléchissement de la démarche de Kandinsky en direction de ce qu’on pourrait appeler un constructivisme du sensible, structuré par des oppositions fortement marquées entre les couleurs et les formes, a contribué à dépouiller sa recherche de ses aspects les plus originaux : la transformation des deux danseuses en poupées, dans le tableau La Place du marché à Limoges, et la projection des silhouettes des acteurs sur les écrans translucides de Samuel Goldenberg et Schmuyle sont reprises à Schlemmer ; l’animation de l’espace scénique grâce au déplacement d’éléments géométriques rappelle la Revue abstraite de Weininger, les projets de Schawinsky et de Heinz Loew ; même l’apparition de formes colorées sur un fond noir, en liaison etroite avec le mouvement musical, ne fait que développer en trois dimensions les Jeux de lumière colorée de Ludwig Hirschfeld-Mack et Kurt Schwerdtfeger.
En ce sens, Tableaux d’une exposition représente moins la concrétisation de la synthèse des arts souhaitée par Kandinsky qu’une façon de condensé des utopies théâtrales du Bauhaus. Conçu non comme le dialogue complexe d’éléments originaux, sur le modèle des compositions scéniques, mais comme la transposition dans l’espace d’une musique déjà écrite, le spectacle évite soigneusement les pièges du renforcement d’une expression par une autre, en introduisant décalages, distorsions et contrastes ; et, par là, il témoigne de la constance de Kandinsky dans l’orientation générale de son travail, autant que de l’approfondissement de son analyse des matériaux scéniques. Mais l’effort de synthèse, que le peintre, à l’époque du Cavalier bleu, plaçait à l’horizon de son travail, n’est pas poussé plus avant. Ni l’utopie de l’art monumental, ni la tentative d’orchestration des voix multiples de la peinture, de la musique et de la danse, ne réapparaîtront désormais dans son œuvre ; faute d’avoir trouvé sa forme matérielle sur la scène, la composition scénique restera pour lui paradoxalement suspendue entre un avenir trop lointain et des projets trop anciens, tout à la fois un rêve prématuré et une ébauche périmée54.
Notes :
- Vassily KANDINSKY, « Conférence de Cologne », traduction de C. Heim Regards sur le passé et Autres textes 1912-1922, Paris, Hermamm 1974, p. 209.
- V. KANDINSKY, Cours du Bauhaus, traduction de S. et J. Leppien. Para Denoël Gonthier, 1975, p. 204
- V. KANDINSKY, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, traduction de P. Volboudt, Paris. Denoël Gonthier, 1969, pp. 48 et 53.
- Voir V. KANDINSKY, Regards sur le passé, traduction de Jean-Paul et E. Bouillon, loc. cit. (note 1), p. 98. Aucune trace de la mise en scène de Lohengrin qu’aurait pu voir Kandinsky n’ayant été retrouvée à ce jour, je suggère de comprendre Aufführung non comme « représentation », mais comme « exécution » d’un extrait de l’œuvre à l’occasion d’un concert, ce qui rendrait aussi plus plausible la rêverie synesthésique.
- Ibidem, p. 108.
- Ibid., p. 109.
- Voir V. KANDINSKY, Du spirituel dans l’art…, op. cit., p. 65 (j’ai été amené à rapprocher légèrement la traduction de P. Volboudt du mouvement du texte original).
- Ibidem, p. 65 (n.).
- Klingen (résonner) et Klang (sonorité) sont employés dans les écrits théosophiques, en particulier chez Steiner.
- Voir Sixten RINGBOM, « Kandinsky und das Okkulte », in Armin ZWEITE (Ed.), Kandinsky und München, Begegnungen und Wandlungen 1896-1914, Munich, Prestel, 1982, pp. 86-87 ; cf., du même auteur, « Transcending the Visible : the Generation of the Abstract Pioneers », in The Spiritual in Art : Abstract Painting 1890-1985, Los Angeles County Museum of Art, New York, Abbeville Press, 1986, pp. 130-153, ainsi que, dans le même volume, les études de Rose-Carol WASHTON-LONG et Harriett WATTS.
- Cf. Rudolf STEINER, « Goethe contre l’atomisme », traduction de H. Bideau, in Johann Wolfgang von GOETHE, Traité des couleurs, Paris, Triades, 1986, pp. 51-67. On sait combien, au contraire, cette découverte est fondamentale pour Kandinsky : voir Regards sur le passé, op. cit., p. 99, ainsi que J. P. BOUILLON, « La matière disparaît : notes sur l’idéalisme de Kandinsky », in Documents III, Université de Saint-Étienne, 1974, pp. 12-16.
- Voir R. STEINER, Nature des couleurs, traduction de H. Bideau, Genève, Éd. Anthroposophiques romandes, 1984, pp. 11-27 (conférence prononcée à Dornach, le 6 mai 1921).
- Die Pforte der Einweihung (La Porte de l’initiation), création le 15 août 1910 à Munich ; Die Prüfung der Seele (L’Epreuve de l’âme), création le 17 août 1911 à Munich ; Der Hüter der Schwelle (Le Gardien du seuil), création le 24 août 1912 à Munich ; Der Seelen Erwachen (L’Éveil des âmes), création le 22 août 1913 à Munich ; sur l’eurythmie, voir Eva FROBÖSE (Ed.), Rudolf Steiner über Eurythmische Kunst, Cologne, Du Mont, 1983.
- Voir Adolphe APPIA, « La salle du Prinzregenten-Theater », traduction de Marie-Louise Bablet-Hahn, in Oeuvres complètes, Lausanne, L’Age d’Homme, 1986, t. II, pp. 316-321.
- Peter BEHRENS, Feste des Lebens und der Kunst, Leipzig, Eugen Diederichs, 1900.
- Georg FUCHS, Die Revolution des Theaters, Georg Müller, Munich et Leipzig, 1909, p. 65 (traduction de D. P.).
- Voir Jessica BOISSEL, « « Solche Dinge haben eigene Geschicke » – Kandinsky und das Experiment « Theater » », in Der Blaue Reiter, Berne, Kunstmuseum, 1986, p. 244. L’auteur relève aussi, dans la bibliothèque de Kandinsky, la présence d’un exemplaire du Théâtre comme tel de Nicolas Evreïnov (Saint Pétersbourg, 1913).
- Voir Edward Gordon CRAIG, De l’art du théâtre, Paris, Lieutier/ Librairie Théâtrale, s.d., pp. 66-67.
- Harry Graf KESSLER, « Vorwort », in E. G. CRAIG, Die Kunst des Theaters, traduction de M. Magnus, Berlin et Leipzig, H. Seemann Nachf., 1905, p. 6; voir Denis BABLET, Edward Gordon Craig, Paris, L’Arche, p. 96, qui cite ce même texte d’après sa prépublication sous forme de présentation d’une exposition d’esquisses de Craig à la Galerie Friedmann et Weber (Berlin, décembre 1904).
- Voir Peg WEISS, « Kandinsky und München : Begegnungen und Wand lungen », in A. ZWEITE (Ed.), op. cit. (note 10), p. 41. Les Onze Bourreaux sont bien connus de Kandinsky, comme en témoigne une lettre qu’il adresse à Marc le 2 février 1912, huit ans après la fermeture du local : voir Vassily KANDINSKY, Franz MARC, Briefwechsel, Munich, Piper, 1983, p. 129.
- « Conférence du peintre Kandinsky », in Vestnik rabotnikov iskusstv, n° 4-5, Moscou, 1921 ; cité d’après Jelena HAHL-KOCH, « Kandinsky und der Blaue Reiter », in Karin von MAUR (Ed.), Vom Klang der Bilder, Die Musik in der Kunst des 20. Jahrhunderts, Munich, Prestel, 1985, p. 355 (traduction de D. P.).
- V. KANDINSKY, « De la composition scénique », traduction de J.-P. et E. Bouillon, loc. cit. (note 1), p. 172.
- V. KANDINSKY, « Sur la question de la forme », traduction de C. Heim, ibidem, p. 160.
- V. KANDINSKY, « De la composition scénique », p. 12 (même remarque qu’à la note 7).
- Pour l’histoire de ces projets, voir J. HAHL-KOCH, « Kandinsky und Schönberg – Zu den Dokumenten einer Freundschaft »; in Arnold SCHÖNBERG, Vassily KANDINSKY, Briefe, Bilder und Dokumente einer aussergewöhnlichen Begegnung, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1983, pp. 198-199, et J. BOISSEL, art. cit. (note 17), pp. 244 247.
- Voir Christian DEROUET et Jessica BOISSEL, Kandinsky, Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne, 1984, pp. 68-69. Ces textes, à l’exception de Figure noire, entièrement inédit, ont été traduits et publiés in V. KANDINSKY, Écrits complets, vol. 3, Paris, Denoël Gonthier, 1975. La traduction de La Sonorité jaune par J.-P. et E. Bouillon, loc. cit. (note 1), pp. 177-186, est toutefois plus précise.
- « Aus violett, romantisches bühnenstück von Kandinsky », in Bauhaus, n° 3, Dessau, 10 juillet 1927, p. 6.
- Voir Ch. DEROUET et J. BOISSEL, op. cit. (note 26), pp. 91 et 140-143, et J. BOISSEL, art. cit. (note 17), pp. 244-248.
- V. KANDINSKY, « Sonorité verte » (sans indication de source ni de traducteur), loc. cit. (note 26), p. 73.
- V. KANDINSKY, « Noir et blanc» (même remarque que précédemment) in Ecrits complets, vol. 3, op. cit. p.77.
- Voir en particulier l’esquisse pour Violet reproduite in Ch. DEROUET et J. Boissel, op.cit., p.143.
- Cf A. SCHONBERG, in V. KANDINSKY et F. MARC (Ed.) L’Almanach du Blaue Reiter (Le Cavalier bleu), Paris Klincksieck, 1981, pp. 119/135.
- Nikolaï KOULBIN, « La musique libre », traduction de E. Dieckenheer, in L’Almanach du Blaue Reiter (Le Cavalier bleu), op. cit., p. 190.
- « La musique, qui ne peut être ici publiée, est conçue pour l’orchestre et fut écrite par le compositeur Th. v. H. Les 3 parties ont cependant été retravaillées en commun/gemeinsam durchgearbeitet/par les deux auteurs pour unifier l’atmosphère », peut-on lire dans un projet manuscrit de préface pour les compositions scéniques (Musée national d’art moderne, Fonds Nina Kandinsky, Ms. Bühnenkompositionen, « Vorwort », fo. 8 (traduction de D. P.) ; je tiens à remercier le Musée national d’art moderne de m’avoir permis de consulter ces documents inédits, et de m’autoriser à les citer ici. La Music Library de l’Université de Yale conserve les seuls fragments connus à ce jour de la partition de La Sonorité jaune.
- V. KANDINSKY, « Vorwort », loc. cit. (voir la note précédente), ff° 2-3 (traduction de D. P.).
- Une tentative de comparaison entre la peinture de Kandinsky et la musique de Schönberg a été proposée in Dora VALLIER, La Rencontre Kandinsky-Schönberg, Caen, L’Echoppe, 1987, pp. 27-30.
- Au Kreis für Kunst de Cologne en janvier 1914, puis par Hugo Ball aux Kammerspiele de Munich ; Thomas von Hartmann proposa aussi la pièce à Stanislavski, qui la refusa. La Volksbühne de Berlin évoqua ce projet en 1922, et Oskar Schlemmer en fit aussi la proposition à Kandinsky ; la création mondiale eut finalement lieu en 1972 au Guggenheim Museum de New York. Voir J. BOISSEL, loc. cit. (note 17), pp. 249-250.
- V. KANDINSKY, lettre à H. Ball du 27 mars 1914, reproduite in Ernst TEUBNER (Ed.), Hugo Ball 1886-1986, Berlin, Publica, 1986, p. 83 (traduction de D. P.) ; je tiens à remercier M. Teubner de m’avoir aimablement communiqué le texte des lettres et des documents inédits de Kandinsky, Marc et Ball rassemblés par la Hugo Ball Sammlung de Pirmasens, et de m’autoriser à les citer ici.
- F. MARC, lettre à H. Ball du 18 avril 1914, partiellement reproduite, ibidem, p. 80 (traduction de D. P.) ; voir la note précédente.
- H. BALL,/Notizblatt zu den geplan ten Matineen mit dem « Neuen Verein », manuscrit partiellement reproduit, ibid., p. 94 ; voir la note 38. Dans une nouvelle élaboration de ce projet, sur la même feuille manuscrite, H. Ball abandonne l’idée d’une participation des futuristes.
- Voir H. BALL, lettre à Maria Hildebrand-Ball du 29 juillet 1914, Briefe 1911-1927, Einsiedeln, Benziger, 1957, p. 34.
- Voir H. BALL, lettre à M. Hildebrand Ball du 27 mai 1914, ibidem, p. 29.
- H. BALL, lettre citée (note 41), ibid., p. 34.
- V. KANDINSKY, « Programme schématique d’études et de travail pour l’Institut de culture artistique », traduction de A. Sers, in Ecrits complets, op. cit., vol. 3, pp. 123-142.
- V. KANDINSKY, « De la méthode de travail sur l’art synthétique », traduction de O. Makhroff, in Ch. DEROUET et J. BOISSEL (Ed.), Kandinsky, op. cit. (note 26), pp. 158-159.
- V. KANDINSKY, op. cit. (note 44), pp. 136-137.
- V. KANDINSKY, « De la synthèse scénique abstraite », traduction de O. Mannoni, in Théâtre en Europe, n° 11, Paris, Beba, juillet 1986, p. 66 (même remarque qu’à la note 7).
- V. KANDINSKY, « Modeste Moussorgsky : Tableaux d’une exposition », traduction de O. Mannoni, in Théâtre en Europe, op. cit., p. 69 (même remarque qu’à la note 7).
- Le Fonds Nina Kandinsky conserve, outre un nombre important d’esquisses, trois textes dactylographiés décrivant l’action scénique ainsi qu’une partition annotée de la main de Felix Klee, et reprenant la description de chaque tableau en regard des partitions musicales. Un autre ensemble d’esquisses est conservé au Theatermuseum de l’Institut für Theaterwissenschaft de l’Université de Cologne. On relève certaines différences entre ces documents (par exemple, le grand cercle du tableau Gnomus est rouge selon les indications scéniques, vert selon l’esquisse conservée au Fonds Nina Kandinsky). Voir note 34.
- Modest MOUSSORGSKY, Bilder einer Ausstellung, Mayence, Schott, 1982, p. 3.
- V. KANDINSKY, op. cit. (note 48), p. 121 (traduction de D. P.).
- Le rapport de la composition de Moussorgsky et des œuvres originales de Hartmann a été analysé par Bernd Vogelsang, in Raumkonzepte, Konstruktivistische Tendenzen in Bühnen-und Bildkunst 1910-1930, Francfort-sur-le-Main, Städtische Galerie im Städelschen Kunstinstitut, 1986, pp. 172-173.
- V. KANDINSKY, Mussorgsky-Bilder einer Ausstellung, dactylographie conservée au Fonds Nina Kandinsky (voir note 50), f° 3, verso (traduction de D. P.).
- Dans une lettre du 27 octobre 1910 à Gabriele Münter, Kandinsky considère déjà que, par certains aspects, ses compositions scéniques ont « beaucoup vieilli » ; voir J. Bois SEL, loc. cit. (note 17), p. 240.