En allemand littéralement, le terme « Leitmotiv » désigne un “motif conducteur”, un court motif mélodique, harmonique ou rythmique, très caractérisé, servant à illustrer ou à individualiser, au cours d’un drame lyrique, un personnage, une idée ou un sentiment.
Si le terme est essentiellement associé à l’œuvre de Wagner, il n’est pourtant pas de lui.
August Wilhelm Ambros serait le premier à avoir employé ce terme pour caractériser l’écriture de l’œuvre musicale de Wagner. Il semble être apparu pour la première fois en 1860, au sujet des œuvres de Richard Wagner et de Franz Liszt. Toutefois, c’est l’ouvrage de F. W. Jähns sur la vie et l’œuvre de Weber (Berlin, 1871) qui est généralement considéré comme l’acte de naissance du terme, qui deviendra courant avec Hans von Wolzogen et ses analyses de la musique de Wagner.
Le principe de la récurrence de la phrase musicale n’est pourtant pas nouveau ; ainsi depuis le XVIIème siècle, on trouve déjà dans l’œuvre de Grétry, Méhul, Cherubini, Weber ou bien encore Spohr et Mozart des prémices de leitmotive bien qu’ils n’aient pas été identifiés comme tel. Wagner sera le premier à l’avoir autant systématisé et en avoir fait un pilier de son art de la composition, plus spécifiquement dans ses opéras.
Si le principe est initié par le compositeur dès Le Vaisseau Fantôme (1843), il devient systématique et caractéristique à la construction mélodique de l’œuvre de Wagner dans La Tétralogie, dont la musique fut composée entre 1853 et 1869.
Il utilisera des centaines de leitmotive qui désigneront tantôt un personnage, un objet, une émotion, une situation, un lieu, un sentiment ou bien encore un concept et qui réapparaîtront généralement à plusieurs reprises dans la partition. Albert Lavignac en a dénombré 82 dans le Ring (Le Voyage artistique à Bayreuth, 1897), à présent les exégètes en compteraient cent-vingt. Si certains de ces Leitmotive n’apparaissent en effet qu’une seule fois au cours de l’opéra, la plupart reviennent pendant la totalité du cycle.
Dans son essai Opéra et drame, Wagner soulève la question de la manière de créer une unité dans les éléments disparates qui composent l’intrigue d’un drame musical ; le leitmotiv répond à cette épineuse problématique. Un Leitmotiv est en général un motif assez court afin qu’il soit facilement repérable par l’auditeur, et combiné avec d’autres Leitmotive, c’est un « motif conducteur » appelé parfois « réminiscence » ou « pressentiment ». Il écrit dans Opéra et Drame : « Nous avons à définir nettement cette faculté de langage de l’orchestre, en tant que faculté d’affirmation de l’inexprimable ».
Il existe une controverse sur l’usage du mot par Wagner qui lui préférait en revanche les termes de « grundthema », « grundmotiv » ou « hauptmotiv » (thème, motif fondamental, principal) que le compositeur utilisa pour la première fois en 1877. Pour l’anecdote, la seule fois que Wagner utilisa le mot “Leitmotiv” fut pour désigner des… “prétendus Leitmotive” ! Le terme se généralisa par la suite avec l’usage qu’en fit Wolzogen pour simplifier cette détermination.
On peut globalement afin d’en faciliter la définition classer les leitmotive de La Tétralogie en trois catégories:
1- les motifs attachés à des personnages ;
2- les motifs attachés à des sentiments ou des idées ;
3- les motifs attachés à des symboles.
Le leitmotiv permet de souligner telle caractéristique physique momentanée d’un personnage (la fatigue de Siegmund, le sommeil de Brünnhilde), le personnage est décrit par un seul trait particulier (Wotan par la Lance, Siegfried par le Cor), ce procédé musical permet à Wagner de suggérer accidentellement le tout par la partie. Il ne veut pas nommer Wotan (Le Walhalla) ou Siegfried (l’Amour de la vie), c’est l’orchestre qui s’en charge. On peut parler d’un sous-texte. Par exemple, lorsque Wotan dit adieu à sa fille Brünnhilde, on entend le Leitmotiv du « renoncement à l’amour » lié à Alberich. Ce n’est pas que le dieu n’aime plus son enfant, mais qu’il renonce à la complicité qu’il avait avec elle, en la rendant humaine et en ne cherchant plus à la voir.
Le Leitmotiv a permis de créer une profondeur psychologique jamais égalée avant Wagner, car la musique offre une autre interprétation que les paroles chantées par les personnages, il y a donc plusieurs niveaux de compréhension de l’action. Le système « leitmotivique » est un moyen de distanciation : l’orchestre commente l’action mais introduit également un décalage en insérant différents niveaux de signification. L’usage du leitmotiv unifie structurellement toute l’œuvre.
Les thèmes personnels sont accentués par l’attribution d’un instrument pour chaque personnage. Lorsque Siegmund raconte son histoire (La Walkyrie, acte I), les cors et les bassons commentent son épopée héroïque ; les cordes, instruments des sentiments, révèlent quant à elles l’histoire personnelle du héros. Lorsque Sieglinde tend de l’eau à Siegmund et que l’amour naît du regard échangé, le violoncelle joue en solo ; le tuba annonce le dragon Fafner, comme le cor annoncera Siegfried.
Le Leitmotiv possède deux rôles : un rôle dramatique et un rôle musical, les deux étant intimement liés l’un à l’autre.
La plupart des leitmotive wagnériens ne sont pas “fermés”, ils sont plutôt “ouverts” et évoluent au fur et à mesure de l’œuvre et appellent à un prolongement de la phrase qui en changera la signification ou bien la complétera. Ainsi le thème du Rhin en mode majeur dans L’Or du Rhin va être repris en mode mineur et à l’envers pour évoquer le Crépuscule des dieux. Pour être clairement identifiables, Wagner les présente généralement de manière isolée lors de leur première présentation. Ils seront ainsi développés et modifiés par la suite dans les opéras.
Les Leitmotive ? Oui, il existe même une application pour cela… accessible directement depuis votre téléphone portable !
Aux outils traditionnels déjà disponibles pour identifier les Leitmotive du “Ring” (on ne saurait se dispenser de l’indispensable ouvrage d’Albert Lavignac, Le Voyage Artistique à Bayreuth, 1897) s’ajoute aujourd’hui un outil particulièrement utile, une toute simple application pour votre IPhone (ou tout autre OS pour appareil Androïd) qui recense cent cinquante leitmotive joués au piano… De quoi faire pâlir notre cher Lavignac avec les quatre-vingt deux motifs qu’il avait lui même inventoriés ! Répertoriés par opéra, ils sont aussi très faciles à trouver grâce à un moteur de recherche. La première application créée par Richard Fackenthal (ci-contre notre illustration) a donné lieu à des émules. Plus de trois applications sont déjà en effet actuellement disponibles pour un prix variant de 4,99 euros à 7,99 euros.
Il vous suffit d’appuyer sur le nom du motif recherché et répertorié par les spécialistes créateurs de ces applications… et la magie opère ! “La Tétralogie”n’aura alors plus aucun secret pour vous ! Il ne vous reste alors plus qu’à les compter pour mettre au tapis tout le travail de ce décidément bien malheureux Lavignac !
Ceci dit…
Dans le cas où un besoin irrépressible d’identifier un Leitmotiv wagnérien vous prendrait dans une contrée hostile non couverte par internet et l’une des applications pour votre téléphone serait inaccessible, rien ne vaut le bon vieux Lavignac version papier, et son Chapitre consacré à l’analyse des Leitmotiv dans l’oeuvre de Richard Wagner !
– LES LEIT-MOTIFS (Chapitre V : analyse musicale ), texte intégral extrait du Voyage artistique à Bayreuth (1897) par Albert Lavignac, cliquez ici.
NC/CPL