Titre original : « BEETHOVEN INSTRUMENTALIZED: RICHARD
WAGNER’S SELF-MARKETING AND MEDIA IMAGE »
in Music & Letters,Vol. 89 No. 2, The Author (2007) (Oxford University Press).
traduction @ Le Musée Virtuel Richard Wagner et reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur
pour lire le texte dans son intégralité sur le site www.academia.edu, cliquer ici.
INTRODUCTION :
L’INDUSTRIE WAGNER
Le 5 avril 1846, Richard Wagner, âgé alors de 32 ans, dirigea la Neuvième Symphonie de Beethoven lors du concert annuel du dimanche des Rameaux à Dresde, dont l’argent devait bénéficier à la Caisse de pension des veuves et orphelins de l’Orchestre royal 1. Ni le choix de la dernière symphonie de Beethoven ni l’énorme succès de l’événement n’étaient fortuits. Promu avec brio et innovation par Wagner, le concert témoigne de son talent extraordinaire pour les relations publiques. La vie de Wagner est remplie d’exemples similaires démontrant sa capacité à créer des remous et à attirer l’attention. Les critiques ont le plus souvent attribué de tels comportements à un défaut de personnalité : le penchant de Wagner pour l’autosatisfaction, la mégalomanie, mais sans vouloir écarter la vérité psychologique de telles opinions – confirmées par de nombreux récits contemporains du compositeur.
Je propose néanmoins de réexaminer les comportements extravagants de Wagner à partir de la perspective du marketing sous toutes ses formes : création d’image, publicité, relations publiques et image de marque. […]. J’utilise délibérément une terminologie du marketing actuelle, et donc anachronique, pour comprendre la conduite professionnelle de Wagner sur un autre plan et pour souligner la nature innovante des activités de Wagner, qui anticipent les comportements généralement associés à une période ultérieure.
C’est un terrain épineux pour de nombreuses raisons. Avant tout, parce que Wagner (sans parler de ses fidèles) aurait été consterné d’être considéré en termes de « marché ».
Wagner a non seulement condamné « l’industrie » de la musique (il utilise même le terme dès 1841 2), mais aussi l’idéologie d’une modernité qui a rendu une telle industrie possible, voire nécessaire. Il n’est pas exagéré de suggérer que tout le projet esthétique de Wagner était dédié à la résistance face à la commercialisation et à la vulgarisation de la musique, et de l’économie mondiale émergente en général. Le fait que de nombreux critiques de Wagner aient préféré qualifier, ce que j’appellerais, ses activités de marketing d’échec personnel est en soi un détail révélateur.
Parler en général du monde de la musique en termes de marché est également semé d’embûches. Les aspects économiques du « bénéfice net » à l’époque comme aujourd’hui ne sont clairement pas les seuls déterminants du succès dans l’industrie de la musique, bien que ce soit de là qu’émerge la distinction toujours problématique entre la musique soi-disant « populaire » (à but lucratif) et la musique « sérieuse » (l’art pour l’art). La musique « sérieuse » (quelle que soit sa définition) qui s’adresse à une élite intellectuelle et / ou sociale n’a jamais été rentable au sens purement commercial, et s’est appuyée sur un système de mécénat ou de financement complémentaire pour survivre. Les caractéristiques du mécénat ont changé, reflétant les transformations historiques de la culture politique et de l’économie sociale : des mécènes aristocratiques et ecclésiastiques aux riches mécènes industriels, en passant par les subventions de l’État, le parrainage d’entreprises ou un mélange de ces derniers. Ainsi, le marché de la musique sérieuse n’est pas celui d’un produit commercial comme le dentifrice. Néanmoins, le commerce moderne de la musique sérieuse imite de nombreuses caractéristiques du marché habituel : il reconnaît toujours la demande des consommateurs, travaille dans les limites budgétaires, est affecté par les coûts de production, récompense les producteurs en fonction des revenus, limite l’accès, induit la concurrence, détermine le succès et l’échec autant sur les notions de qualité perçue d’après la reconnaissance du nom (de la marque).
En d’autres termes, le marché, son idéologie, ses règles et ses modalités sont les déterminants incontournables de la vie moderne dans les pays où il n’y a pas d’économie planifiée : « dans le tourbillon de la marchandisation, il n’y a jamais eu d’extérieur » 3, écrit Andreas Huyssen, se référant spécifiquement à Wagner. La modernité depuis le XIXème siècle a été le témoin d’un marché (capitaliste) de plus en plus mondialisé. Ceux qui rejettent dans leur propos ses principes totalisateurs doivent néanmoins les reconnaître et travailler avec, sinon ils meurent.
Mais comme ce n’est pas « une simple » marchandise, le marché de la musique sérieuse est en partie aussi un marché métaphorique car il traite du prestige, une catégorie non quantifiable que les théoriciens comme Pierre Bourdieu en sont venus à appeler le « capital culturel », terme qui cherche à fusionner l’inestimable avec le prix. Dans son étude historique, Bourdieu montre comment le marché de l’art est néanmoins un marché, mais avec une logique « inverse » où le succès populaire et donc financier devient le signe de l’infériorité esthétique (superficialité) de l’œuvre d’art et, à l’inverse, où l’échec populaire prouve la sophistication de l’œuvre, donc la valeur de prestige, qui s’attache à la fois au créateur et au consommateur de l’œuvre d’art 4. Martha Woodmansee a retracé les origines de ce discours depuis un groupe d’auteurs allemands de la fin du XVIIIème siècle qui ont tenté de compenser l’échec économique de leurs œuvres ésotériques en argumentant sur leur « valeur » spirituelle (la « valeur » reste une catégorie) 5. Cette idéologie définit la nouvelle « religion de l’art » (en allemand : Kunstreligion) non redevable aux impératifs du marché, un concept d’art autonome pleinement développé au début du XIXème siècle où le romantisme de la musique en est l’expression potentiellement la plus pure 6.
La réticence à étudier la prétendue culture élitiste comme un marché est omniprésente, et reflète une phobie de l’argent que l’art sérieux, en tant que religion de substitution, a adoptée. Cette réticence a probablement été aggravée par le discours qui associe l’argent et la recherche de profit à la judéité. Wagner a certainement joué sur ces préjugés culturellement ancrés. Déjà dix ans avant son tristement célèbre Judaïsme dans la musique (1850), Wagner a parsemé sa critique de l’establishment musical parisien de références ouvertement antisémites à la banque et au « judaïsme international », par exemple en dépouillant Rothschild de son identité allemande et en le qualifiant plutôt de Universaljude 7.
Même si les études pionnières de William Weber et d’autres ont rendu plus acceptable, ces dernières années, de parler du monde de la musique du XIXème siècle en termes de marché et d’industrie au point que de telles références sont maintenant courantes, l’érudit résiste encore. L’essai de Roger Parker intitulé L’industrie de l’opéra consacre les premières pages à problématiser et finalement à rejeter le terme « d’industrie » 8. Dans The Virtuoso Liszt 9, Dana Gooleyc résiste à l’idée que « les voyages virtuoses de Liszt étaient en grande partie un exercice d’autopromotion » (p. 12). Il parle des nombreuses façons dont Liszt a travaillé pour obtenir « l’approbation du public », en utilisant des termes tels que « l’identité », « la signification sociale », « les stratégies de concertation » (p. 3), un « plan directeur prémédité » (p. 22) réalisé avec une « précision étonnante » (p. 23). Il observe à juste titre qu’ « il nous manque encore une interprétation de la stratégie de Liszt qui ne la réduise pas à une simple vanité » (p. 13). Pourtant, à quelques exceptions près, il évite le vocabulaire qui décrirait les activités de Liszt en termes de marketing. Mais c’est un marché. Lorsque les promoteurs de concerts font des choix de programmation, lorsque le public achète des billets pour certains spectacles mais pas pour d’autres, nous voyons le marché en action. Liszt, et surtout Wagner, ont tenté d’influencer ce marché.
Il y a beaucoup d’hypocrisie et de déni dans ce désaveu du marché, car la lutte pour gagner le prestige artistique a de plus en plus reproduit les comportements promotionnels et d’image de marque en usage dans le commerce moderne. C’est là que le cas de Richard Wagner est significatif, d’autant plus que sa combinaison particulière de musique et de drame continue de séduire, d’exciter, d’inspirer et de captiver à elle seule. La vie de Wagner a coïncidé avec la propagation historique en Europe de la révolution industrielle, sa transformation concomitante vers le marché de consommation et sa résonance dans le monde de l’art. Aussi Wagner n’a nullement inventé les concepts de relations publiques, de création d’image, de marque de produit, de publicité ou même son corollaire non commercial : des manifestes politiques et esthétiques qui fonctionnent comme des publicités. Il existe également plusieurs exemples de musiciens contemporains du XIXème siècle qui étaient sans vergogne sur le marché : Niccolo Paganini, Franz Liszt, Giacomo Meyerbeer, pour n’en citer que trois. La différence est que Wagner a commercialisé sa personne et ses œuvres de manière plus cohérente, créative, résolue et avec un plus grand impact à long terme que tout autre artiste de son siècle. En cela, il était sans précédent.
Il a également masqué efficacement son marketing derrière le voile de la rhétorique anti-marché : idéalement, l’art de Wagner n’était pas à vendre parce qu’il n’avait pas de prix, et il préférait que sa personne soit financée plutôt que de recevoir un salaire ou les bénéfices des représentations et des ventes. Pétri de paradoxe et de contradiction, il a travaillé sans relâche pendant plus de quarante ans à ce mélange bizarre de modalités médiévales et modernes. Il a rempli les journaux, les revues et finalement plusieurs volumes de ses œuvres complètes par des explications, des justifications et des commentaires. La manière dont nous parlons de Wagner et de ses œuvres aujourd’hui reflète encore la manière dont il parlait. En fin de compte, il a construit un réseau institutionnel complexe 10 avec un siège social (Wahnfried) et une usine de production (Festspielhaus) à Bayreuth, et un système mondial de sociétés Wagner qui continuent de croître : on pourrait même qualifier ce résultat aujourd’hui d’industrie.
« L’autosatisfaction » ne décrit pas ou n’explique pas suffisamment ces activités ou leur accomplissement, car le terme se réfère uniquement à la motivation de Wagner, sans aborder à la fois le contenu et la mécanique du processus et du résultat. Tracer son développement dans toute son étonnante complexité discursive, iconographique, idéologique, stratégique et manipulatrice, dépasse le cadre de cet essai.
Dans ce qui suit, je me limite à un examen de deux moments historiquement isolés mais liés entre eux sur le plan thématique et tactique pour offrir un avant-goût de ce que je propose. Le premier est une lecture attentive du texte de 1840 de Wagner Un pèlerinage chez Beethoven 1 et, deuxièmement, une analyse de la manière dont il a organisé le concert du dimanche des Rameaux de 1846 à Dresde. Le lien thématique est bien sûr Beethoven et, plus précisément, la neuvième symphonie. Le lien tactique est l’utilisation par Wagner de la presse écrite pour construire une personnalité publique et pour définir sa relation avec Beethoven comme une source de légitimation et d’approbation.
La diffusion de la neuvième symphonie de Beethoven par Wagner a commencé très tôt avec sa tentative précoce d’élaborer une réduction pour piano de la partition orchestrale. Cette partition fait l’objet de la première lettre publiée de Wagner, datée du 6 octobre [1830], écrite à Schott’s Söhne à Mayence. La lettre commence par la description par Wagner, qui a 17 ans, de son étude intensive de l’œuvre et son regret que le grand public ne la connaisse pas, une méconnaissance qu’il entend rectifier en produisant une partition pour rendre la pièce plus « accessible » (eingängiger) 11. Déjà adolescent, Wagner s’était engagé à élargir et ainsi augmenter le marché de la Neuvième de Beethoven et, ce faisant, à se faire un nom. Cette constellation remarquable culmine toute sa vie jusqu’à l’exécution par Wagner de la symphonie en 1872 pour consacrer la pose de la première pierre du Théâtre du festival à Bayreuth, symbolisant la Neuvième comme fondement esthétique du drame musical de Wagner, argument que Wagner avait inlassablement répété. Le choix de la Neuvième pour cette représentation déborde de significations, qui a nécessité des décennies pour être érigé à ce niveau.
I. LES MOTS AVANT LA MUSIQUE
La nouvelle de Wagner Un pèlerinage chez Beethoven, publiée tout d’abord en français, est parue dans la Revue et gazette musicale entre novembre et décembre 1840, puis dans sa version originale allemande en juillet et août 1841 dans l’Abend-Zeitung (Dresde) 13. Plus tard encore, il a été réimprimé dans la Gesammelte Schriften und Dichtungen de Wagner. C’est grâce à son éditeur, Maurice Schlesinger, un Juif allemand vilipendé par Wagner et d’autres, comme Chopin, sur ses pratiques commerciales, que Wagner eut l’opportunité de publier dans la plus prestigieuse revue musicale. En raison des difficultés financières de Wagner pendant le séjour à Paris (1839-1842), il avait été contraint de faire des travaux mal payés en copiant des parties instrumentales et en faisant des arrangements musicaux pour Schlesinger.
Caractérisé par Wagner et ses biographes comme de l’exploitation (Glasenapp utilise à plusieurs reprises le terme « Frondienst » qui se traduit mieux par « corvée ») 14, cela ne fait qu’ajouter à la liste de Wagner des blessures et des insultes subies à Paris, un épisode que, sans exception depuis lors, les biographes décrivent comme un échec. Mais c’est un paradoxe 15. Paris a été le début du succès pour Wagner, parce que Paris lui a offert la possibilité d’écrire sur le monde de la musique pour un public international. Avec le recul, nous savons que les écrits de Wagner avaient beaucoup plus à voir avec la diffusion de sa réputation qu’avec sa musique 16, un fait que Wagner concède même dans un de ses moments de franchise 17.
Néanmoins ses aveux sont exceptionnels parce que Wagner présente généralement l’acte d’écrire en prose comme un sacrifice, le distrayant d’un travail créatif plus important. Pourtant, il n’a jamais cessé d’écrire sur ses œuvres et sur sa personne, même lorsque la raison pour laquelle il écrivait – pour que ses œuvres soient exécutées – n’était plus un problème pour lui. En fait, il se vante que son écriture « a attiré beaucoup d’attention » et que la nouvelle du Pèlerinage, par exemple, a été reproduite dans de nombreux « périodiques à la lecture éclairante » (Unterhaltungsblättern) à l’époque 18. Même si ce n’est que de façon intuitive, Wagner a agi comme s’il savait que dans une société moderne dominée par les médias, « parler d’art équivaut à le faire » 19, que « la valeur de l’œuvre se définit avant tout par son pouvoir de générer un discours à son sujet… La vraie valeur est la circulation elle-même » 20. Ces principes du marché capitaliste ont également été adoptés par l’avant-garde anti-marché, comme le soutiennent des études récentes. Et expliquer l’œuvre d’art, souvent avant sa création, peut aussi fonctionner comme un « Werbemedium » idéal (support publicitaire) 21.
Bien qu’il s’agisse d’une œuvre de fiction, la nouvelle du Pèlerinage n’en est pas moins un support publicitaire dans lequel Wagner répond à un certain nombre de besoins du marketing : il crée un protagoniste directement identifiable à l’auteur, un clone de Wagner qui entretient une relation unique avec Beethoven ; la dernière symphonie de Beethoven est présentée comme le fondement d’une esthétique, celle de l’œuvre d’art de l’avenir dans l’opéra, que ne revendiquera nul autre que le vrai Wagner.22
Le narrateur et protagoniste de la nouvelle (nommé R…) est un « artiste affamé ». Pas n’importe quel « artiste affamé », mais un artiste spécifiquement allemand. L’ « artiste affamé » est un topos littéraire rendu populaire par le mouvement romantique dans toute l’Europe et, dans la littérature de langue allemande, par des auteurs comme E. T. A. Hoffmann et Franz Grillparzer. L’artiste affamé était un artiste « authentique », appauvri précisément parce qu’il n’était pas un « commercial », ce qui parait idiot dans l’esprit de certains, tout en étant un héros pour d’autres. Wagner fusionne cette image avec un discours encore plus ancien sur les caractéristiques allemandes qui ramène à Luther. Récemment ravivé en 1840 lors de la soi-disant « crise du Rhin », qui a amené la Fédération allemande au bord de la guerre avec la France, les Allemands se sont associés historiquement et culturellement à la sincérité, à l’honnêteté et, inévitablement, à la pauvreté. Être un artiste allemand signifiait donc deux fois plus d’authenticité et de pauvreté. La nouveauté de Wagner n’est ni dans l’invention des discours ni dans la création d’un personnage fictif qui les incarne, mais en fusionnant ce personnage fictif avec sa propre personnalité.
La spéculation sur le modèle de Wagner pour R… a fait penser notamment à Johann Friedrich Reichardt et Ludwig Rellstab. 23 Mais je préfère une lecture autobiographique ou, plus précisément, autoréférentielle de R… comme Richard Wagner, notamment parce que R… est né dans une « ville de taille moyenne au cœur de l’Allemagne » dont la première lettre est un « L ». 24 Bien sûr, R… n’est pas réellement Wagner, mais une version retouchée, conçue pour la consommation publique. Ce personnage contient des traits attrayants pour différents publics. L’accent mis sur l’artiste « affamé » avait un attrait universel, tandis que le fait de souligner son côté germanique et son aspect de victime auraient une résonance nationale. Beethoven avait aussi un attrait universel et un attrait spécifiquement allemand 25.
II. LE BAISER DE BEETHOVEN
Pourquoi Beethoven ? Plusieurs compositeurs du XIXème siècle se sont proclamés ou ont été considérés comme les successeurs de Beethoven, une épithète que leur propre histoire avait pu inspirer. Au début de la carrière de Beethoven, le comte Waldstein avait écrit au jeune compositeur qu’il « recevrait l’esprit de Mozart des mains de Haydn », une déclaration de canonisation par anticipation, ou ce que Tia De Nora appelle « la création d’un phénomène » 26. Le livre de De Nora néglige dangereusement les mérites esthétiques des créations originales de Beethoven – retraçant l’ingénierie du phénomène Beethoven (elle utilise le terme de « construction du génie ») par un consortium de riches aristocrates viennois vers 1800. Cette opération de prestige n’était pas du marketing en soi, mais la création d’un capital culturel exclusif qui a néanmoins transformé Beethoven en une marchandise avec une personnalité et une iconographie distinctes. Beethoven (la personne historique) a été remplacé par « Beethoven » (le mythe) – un récit très sélectif de sa vie, accompagné d’une poignée d’œuvres représentant ce récit. Des hommages comme l’oraison funèbre de Grillparzer ont fusionné ce mythe avec la « tradition inventée » 27 d’une succession divine de compositeurs allemands. Avec l’épuisement apparent des formes musicales héritées par Beethoven, tout cela a exercé une pression énorme sur les compositeurs ultérieurs. Revendiquer avec succès la dépouille de Beethoven signifiait hériter de ce capital culturel, un transfert de richesse littéralement inestimable. Même si la luminosité de l’étoile de Beethoven avait diminué avec la publication de ses derniers travaux ésotériques, le soi-disant « culte de Beethoven » a pris un nouvel élan après 1840 avec l’initiative d’ériger un monument de Beethoven à Bonn, dont le dévoilement a été célébré avec le fameux festival de 1845 28. La nouvelle de Wagner et le concert de Dresde de 1846 ont participé à ce renouveau de Beethoven dans le but d’accroître le prestige de Beethoven et donc du sien.
Franz Liszt est un exemple marquant d’un musicien de la génération de Wagner qui revendique l’héritage de Beethoven, qui aurait reçu une « étreinte publique », le soi-disant « Weihekuß » (baiser de la consécration) de Beethoven après l’un de ses concerts. Même le terme exprime en soi la dimension sacrée que la musique avait acquise. La vérité de ce qui s’est passé est de nos jours mise en doute. Beethoven n’a apparemment jamais assisté au concert. Au lieu de cela, Liszt, âgé de 11 ans, a rendu visite à Beethoven chez lui, où il a reçu la bénédiction en question 29. Alan Walker donne du crédit à cette version, tandis qu’Allan Keiler a soutenu que le Weihekuß n’a jamais eu lieu. Néanmoins, Liszt n’a rien fait pour nier l’histoire, dont les fondements étaient déjà posés dans la biographie de Liszt par Joseph d’Ortigue en 1835 et amplifiés dans la version de Ludwig Rellstab de 1842 30. Et c’est le point important : qu’elle soit vraie ou non, la légende circulait et, dans l’esprit de Liszt, « cela a scellé sa carrière » 31. Keiler explique l’intérêt de Liszt pour la légende du point de vue personnel et psychologique, le type d’approbation paternelle qui lui avait été refusé en réalité 32. Il pourrait bien avoir raison, mais d’un point de vue marketing et promotionnel, la bénédiction de Beethoven avait été une approbation que, comme on dit, l’argent ne peut pas acheter.
Il n’y eut pas de Weihekuß dans la vie de Wagner – même avec Carl Maria von Weber, qui au moins était un proche de la famille Wagner – et certainement pas avec Beethoven, qui mourut lorsque Wagner avait 13 ans. Aussi Wagner s’en fabriqua-t-il un. Dans la nouvelle Un pèlerinage chez Beethoven, le personnage fictif de Wagner rencontre un Beethoven imaginé. Bien mieux que la « véritable » rencontre de Liszt avec Beethoven, Wagner écrit le scénario de sa version comme une opportunité qu’il n’allait pas gaspiller. 33 Klaus Kropfinger suggère qu’ « avec sa nouvelle sur Beethoven, Wagner a fait le premier pas pour façonner consciemment son propre mythe, sa propre image. » 34 C’est vrai, mais c’est plus que cela : la rencontre fictionnelle de Wagner avec Beethoven présente un Weihekuß à plusieurs niveaux définissant l’agenda discursif pour le reste de sa carrière.
Comme Beethoven, le narrateur du Pèlerinage, R… est « aussi un pauvre musicien allemand » (auch ein armer, deutscher Musiker) 35. Chacun de ces mots nécessite un examen minutieux : « Auch » (aussi) signale l’identification du protagoniste avec Beethoven, contradictoire en apparence avec l’admiration religieuse qu’il lui réserve, suggéré par le titre de « Pilgerfahrt » (pèlerinage) et de façon rhétorique, il le confirme à de nombreuses occasions au fil de la nouvelle. En se définissant à égalité avec Beethoven, le protagoniste jouit de la possibilité de rejoindre les sanctifiés. Comme déjà évoqué, « arm » (pauvre) est la clé de l’image et coïncide avec « deutsch » (allemand). Dans un autre essai, Wagner écrit : « Über deutsches Musikwesen », c’est-à-dire « les Italiens sont des chanteurs, les Français des virtuoses, les Allemands des musiciens » 36. Des précisions suivent :
« L’Allemand a le droit d’être appelé exclusivement musicien parce qu’on peut dire de lui : il aime la musique pour la musique, non pas comme moyen d’impressionner, ni pour gagner de l’argent, ni pour la réputation, mais plutôt parce que c’est un art divin et magnifique qu’il adore et qui, quand il s’y livre, devient son tout » 37.
Pour les Italiens et les Français, en revanche, la musique est une marchandise. Wagner a adopté ces typologies nationales généralisées à partir d’un discours développé déjà depuis les années 1760 par des critiques musicaux allemands qui associaient principalement les Allemands à la musique instrumentale, caractérisée comme virile, harmoniquement complexe, substantielle et exigeante. En revanche, les musiques française et italienne étaient vocales, donc mélodiques, superficielles et efféminées. À cela, Wagner ajoute sa propre définition parallèle de l’Allemagne : « faire quelque chose pour son bien ». 39 Les Allemands et les vrais musiciens sont tous deux pauvres parce qu’aucun d’eux ne s’intéresse à l’argent. La moralité de s’engager dans quelque chose pour son propre bien est quelque chose d’inné pour un esprit germanique, condamnant les Allemands « honnêtes » à la misère économique dans la modernité dominée par la consommation et l’argent (lire : juive) 40.
La nouvelle incorpore et synthétise d’autres idées qui sont entrées en circulation vers 1800, à l’apogée du romantisme allemand. Celles-ci incluent le concept d’œuvre musicale 41, ainsi que l’élévation du compositeur au-dessus de l’interprète 42, le discours genré de la supériorité musicale allemande, l’aspiration de la culture allemande à une culture universelle 43, la musique (allemande et instrumentale) comme un langage « universel » 44 et une vision rédemptrice et moraliste de l’esthétique (rappelons-nous Les Lettres esthétiques de Schiller). R… et « Beethoven » unissent leurs forces pour présenter et incarner ces idées.
Tout d’abord, pour réunir les fonds nécessaires au pèlerinage, R… se rend compte qu’il doit se « prostituer » lui-même en composant des tubes pour la nouvelle industrie de la musique : « J’ai frissonné, mais mon désir de voir Beethoven l’a emporté ; j’ai composé des galops et des pots-pourris, mais pendant cette période, honteusement, je n’ai jamais pu me résoudre à regarder Beethoven [son buste], car j’avais peur de le profaner » 46. Une fois en route, R… rencontre un groupe de musiciens itinérants réunis sous un arbre et jouant le septuor de Beethoven. Un Anglais de passage leur jette une pièce d’or, qu’aucun d’eux ne prend. Le choix de la nationalité anglaise n’est pas fortuit. Les Anglais sont à la fois les personnes les moins enclines à la musique et les plus riches : les deux sont liés pour Wagner 47. Antithèse de l’Allemand, l’Anglais est un musicien amateur de la « nation des commerçants » qui essaie de se frayer un chemin dans les arts. Il est la figure démoniaque qui hante l’intrigue de la nouvelle et de son protagoniste. Le même soir, il se présente à l’auberge où R… loge et, lui jetant à nouveau de l’argent, lui demande de jouer un peu plus. « Cela m’énervait », rapporte R… « J’ai expliqué que je ne jouais pas pour de l’argent » 48.
La rencontre de R… avec Beethoven n’a lieu qu’après avoir surmonté d’énormes obstacles, notamment celui de se débarrasser de l’Anglais qui, en utilisant ses ressources financières illimitées, parvient à s’insinuer dans la réunion. L’Anglais ne part pas tant qu’il n’a pas déposé la partition d’une de ses compositions chez Beethoven pour un examen critique.
Enfin seul, la conversation entre R… et Beethoven se tourne vers Fidelio, que R… a vu jouer la veille. Beethoven concède rapidement : « Je ne suis pas un compositeur d’opéra » (Ich bin kein Opernkomponist) mais ajoute cette explication significative :
« Du moins, je ne connais aucun théâtre au monde pour lequel j’écrirais volontiers un autre opéra ! Si je devais composer un opéra selon mes souhaits, tout le monde fuirait, car il n’y aurait pas d’airs, de duos, de trios et tout ce qu’ils utilisent aujourd’hui pour assembler des opéras. Ce que je ferais à la place, aucun chanteur ne voudrait le chanter et aucun public ne voudrait l’entendre. 49 »
Beethoven se désespère de l’impossibilité de composer un véritable « drame musical » (musikalisches Drama) mais R… souhaite en savoir plus sur ce nouveau terme. Pour Beethoven, l’idéal est un « compositeur dramatique » (dramatischer Komponist) dont le travail réaliserait « l’union de tous les éléments » (Vereinigung aller Elemente) 50.
Bien sûr, au moment où il écrivit la nouvelle Pèlerinage, Wagner n’avait pas encore conçu le « drame musical » ou le projet du Ring tel qu’il s’est développé plus tard. Néanmoins, et même s’il essayait toujours de faire jouer son grand opéra français « conventionnel » Rienzi, la transformation de Wagner avait commencé. À la suite de son échec à Paris, Wagner s’est séparé du courant dominant. S’imaginant et se présentant comme le « pauvre musicien allemand », il a rejeté l’opéra conventionnel au profit d’une entreprise qu’il prétendrait plus tard être « toute nouvelle ». Bien que la théorie ne soit pas encore élaborée dans le détail, la longueur du livre de Wagner, Oper und Drama, caractérise cet essai révolutionnaire écrit une décennie plus tard, l’essentiel de sa nouvelle direction est présenté ici dans une poignée de phrases : l’obsolescence de l’opéra avec ses décors, la nécessité de reconceptualiser le genre et, avec lui, de concevoir un nouveau type de théâtre et de public. Attirer et éduquer ce public est devenu un élément central du projet de Wagner. Tout cela constitue le « Gesamtkunstwerk », un mot que Wagner utilise à quelques occasions seulement, et jamais en référence à ses propres œuvres. Malgré cela, le terme est devenu une marque de fabrique wagnérienne, utilisé principalement pour décrire son esthétique, et parfois aussi son impact sociologique. Mais le « Gesamtkunstwerk »de Wagner comprend également l’emballage, l’infrastructure et le marketing : il est livré « avec les piles » 51.
Dans Un pèlerinage chez Beethoven, Wagner crée habilement l’espace de stockage et la demande potentielle pour un nouveau produit (finalement son nouveau produit), et nul autre que « Beethoven » – créé par Wagner – l’approuve. C’est le moment où le capital culturel (Beethoven) et la culture capitaliste (placement de produit) fusionnent.
La rencontre de R… avec Beethoven donne également un aperçu de la neuvième symphonie. Dans le laps de temps de la nouvelle, la neuvième symphonie a été composée mais n’a pas encore été publiée ou interprétée, de sorte que le protagoniste est au courant des informations disponibles uniquement pour les élus et les initiés (l’allemand pour « initié » – eingeweiht– contient les mêmes racines que Weihekuß). Les écrits théoriques ultérieurs de Wagner sont fondés sur des idées déjà présentées dans la nouvelle par « Beethoven » lui-même, comme une révélation d’importance biblique. Beethoven, le maître éminent de la musique instrumentale, en est venu à se rendre compte de l’insuffisance de la « musique absolue » (terme postérieur de Wagner utilisé pour la première fois en 1846) 52. Avec l’introduction des voix, le dernier mouvement de sa dernière symphonie parvient à la transcendance. L’œuvre d’art du futur de Wagner est la seule direction qui reste 53.
L’autorité avec laquelle Wagner parle de la neuvième symphonie rejette l’idée qu’il s’agisse d’une interprétation parmi tant d’autres. Au lieu de cela, il revendique indirectement le privilège de connaître les intentions de Beethoven en construisant une scène fictive dans laquelle le « compositeur » lègue en cadeau les informations nécessaires à l’alter ego de Wagner.
Ces deux éléments de Weihekuß – la discussion de « Beethoven » sur l’opéra et sa révélation de la neuvième symphonie – offrent chacun la « preuve » que le projet esthétique de Wagner poursuit une trajectoire inhérente au développement de Beethoven, tel que « Beethoven » l’a lui-même compris. La troisième partie du Weihekuß constitue en la nomination de Wagner comme apôtre de Beethoven. Prenant la partition de l’Anglais, Beethoven note : « Voyons cet Anglais musical ! » 54. Il examine ensuite la composition avec un dédain évident et, au lieu de marquer chaque partie problématique par une croix comme l’avait demandé l’Anglais, il met toute l’œuvre sans correction dans une enveloppe qu’il recouvre d’un « X » géant. Remettant l’enveloppe à R…, il dit : « Rendez ce chef-d’œuvre à cet homme chanceux ! C’est un âne, mais je l’envie pour ses longues oreilles ! » 55. Considéré comme intermédiaire de Beethoven, le « pauvre musicien allemand » reçoit à nouveau la reconnaissance inestimable de l’intention de Beethoven, que l’argent de l’Anglais ne pouvait pas acheter. Le monde imaginaire de Wagner est l’inverse de la réalité monétaire de l’establishment musical parisien : « il est plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’un homme riche d’entrer dans le royaume de Dieu » 56.
La séquence suivante est étonnante. Sans le vouloir, j’en suis certain, R… se révèle être un apôtre manipulateur et trompeur, soulevant la question de savoir dans quelle mesure Wagner croyait à la véracité de sa propre exégèse sur Beethoven.
Je cite en entier :
« J’ai dû rire aux éclats en regardant la croix sur l’enveloppe contenant la composition de l’Anglais. Néanmoins, cette croix était un souvenir de Beethoven et je regrettais de l’envoyer au mauvais esprit de mon pèlerinage. En un instant, ma décision fut prise. J’ai mis mes propres galops dans l’enveloppe accablante. La composition de l’Anglais fut renvoyée sans enveloppe, accompagnée d’une petite note dans laquelle j’écrivais que Beethoven l’enviait et avait déclaré ne pas savoir où placer une croix » 57.
R…, bien que dévoué à préserver la mémoire de son maître, la falsifie délibérément. Wagner s’est-il rendu compte qu’il faisait de même dans une tentative intéressée de promouvoir son propre projet ?
Il faut noter les multiples sens du mot allemand « Kreuz » (croix). La « croix » devient un souvenir de la rencontre de R… avec Beethoven, donc devient un symbole de Beethoven, le compositeur qui a souffert pour sa musique. Peut-être en plaçant ses propres œuvres dans l’enveloppe marquée, R… se crucifie pour avoir composé des œuvres utilitaires. Dans le processus, il revêt le symbole sacré à la fois comme pénitent et comme prêtre nouvellement ordonné.
III. WAGNER VERSUS « WAGNER »
Cette lecture autoréférentielle de R… comme « Wagner » est soutenue par un autre roman, Ein Ende in Paris (Une fin à Paris).58 Écrit juste après le Pèlerinage chez Beethoven, le texte présente le dernier chapitre de l’histoire de R… Vivant maintenant à Paris, un R… sans le sou tombe malade et, sentant que la fin est proche, délivre un credo : « Je crois en Dieu, Mozart et Beethoven, ainsi qu’en leurs disciples et apôtres. Je crois au Saint-Esprit et à la vérité de l’art unique indivisible. » 59 Au-delà de la sanctification de la musique, Wagner instrumentalise la succession divine des compositeurs allemands où un « esprit saint » de la musique passe d’un compositeur choisi à l’autre. Beethoven fait partie d’une tradition (allemande) qui illustre le progrès de la musique. Cependant, là où Grillparzer avait déclaré que Beethoven était la fin de la lignée remontant à Bach, Wagner la rouvre avec les « disciples et apôtres », une étiquette qu’il attache à R… et, par extension, à lui-même.
Dans son Esquisse autobiographique (1842, publiée en 1843), Wagner confirme que nous devons lire R… sous cet angle. Wagner a écrit l’Esquisse à la demande de Heinrich Laube, rédacteur en chef du Zeitung für die elegante Welt, une revue basée à Leipzig avec une large diffusion consacrée à des questions d’ordre général et d’intérêt culturel. Laube voulait développer l’énorme succès de la première de Rienzi à Dresde en faisant « mieux connaître » Wagner dans toute l’Allemagne 60. Devenant clairement un véhicule de relations publiques, l’Esquisse contient le détail suivant sur l’expérience parisienne de Wagner : « C’était le point culminant de mon état extrêmement pitoyable : je rédigeai une courte nouvelle pour la Gazette musicale : La fin d’un musicien allemand à Paris dans laquelle je faisais mourir le héros malchanceux en prononçant la profession de foi suivante : Je crois en Dieu, Mozart et Beethoven » 61. La triple utilisation par Wagner du « : » en une phrase, après « pitoyable », après « musicale » et après « foi », crée un lien entre Richard Wagner le compositeur, Richard Wagner l’auteur et le personnage fictif R… : entre la vie et l’œuvre d’art.
Le vrai Wagner n’est pas mort à Paris, bien sûr. Mais il renaît sous le nom de « Wagner », l’idéaliste fictif qui est censé y être mort 62. Cet idéaliste croit que l’expérience musicale est religieuse dans son intensité, que les plus grands compositeurs – les Allemands bien sûr – sont à égalité avec Dieu. Mozart et Beethoven sont les pères fondateurs d’une nouvelle église, engendrant des disciples et des apôtres, les élus, chargés de recevoir et de répandre le nouvel Esprit Saint. Mozart et Beethoven inaugurent une succession divine à laquelle Wagner revendiquera de plus en plus l’appartenance.
Les leitmotive de la nouvelle du Pèlerinage – l’identité allemande, la véritable musicalité, la représentation de Beethoven, la superficialité de l’opéra – sont évidents dans la plupart des œuvres en prose, des essais et des critiques que Wagner a écrit pendant son séjour à Paris. Ces derniers avaient également été publiés en Allemagne, dans la Neue Zeitschrift für Musik de Schumann et surtout dans l’Abend-Zeitung (Dresde).
IV. LE CONCERT DE DRESDE
Lorsque Wagner quitta finalement Paris, il se rendit à Dresde (le 12 avril 1842), où il était connu. Carl Gottlieb Reissiger, clairement irrité, qui dirigea la première mondiale de Rienzi à Dresde en octobre de la même année, écrivit à un collègue en novembre 1843 :
« Il y a une adulation constante pour Wagner, ici dans les journaux… Aussi peu que je me soucie de telles choses, il m’est néanmoins difficile de réprimer ma rage face à l’arrogance wagnérienne et à son perpétuel gribouillage dans tous les journaux. Comme vous le savez, Wagner a vécu un bon moment à Paris avant de venir à Dresde et il s’y est occupé uniquement de critiques musicales… Il est même soupçonné d’écrire contre lui-même et contre ses bizarreries, uniquement pour le plaisir d’y répondre et ainsi donner l’occasion de susciter encore plus d’adulation 63 ».
Même à cette époque, les tactiques autodidactiques de Wagner n’étaient manifestement pas un secret. Sa nomination en tant que porte-parole de Beethoven, déjà bien préparé sur le plan journalistique, était un aspect crucial de la représentation de la neuvième symphonie de 1846 à Dresde. Ce concert n’était rien de moins qu’un événement médiatique soigneusement orchestré, sinon un coup de pub pur et simple du début jusqu’à la fin. Le choix de programmation de Wagner avait déjà provoqué un tollé et une « résistance de tous côtés », comme le rapportait Julius Schladebach dans son article du 26 février 1846 écrit en prévision du concert, mais le scandale est bien sûr un moyen d’attirer l’attention 64. Même les membres de l’orchestre furent consternés par le choix des œuvres, sans parler des directeurs de la caisse de retraite qui craignaient que le concert ne rapporte pas les revenus nécessaires. Schladebach, le critique le plus franc avec Wagner de la période de Dresde (et dont les attitudes et les remarques publiques rappellent Beckmesser), reflète et alimente le scandale public sur le « choix hasardeux de Wagner, étant donné l’objectif financier qui doit être pris en compte dans cette affaire » 65. La ville entière se souvenait de la représentation désastreuse de 1838 de la neuvième symphonie (sous la direction de Reissiger), qui avait confirmé l’opinion largement répandue à l’époque que les dernières œuvres de Beethoven étaient étranges et injouables, reflétant la folie du compositeur causée par sa surdité irréversible 66.
L’argument préliminaire de Schladebach sur la difficulté et le « manque de popularité » de l’œuvre, bien que vraisemblablement conçue pour assurer l’échec de Wagner, a peut-être inspiré la campagne de relations publiques sans précédent qui a suivi 67. Schladebach avait prédit que le manque de popularité de l’œuvre « diminuerait sans aucun doute la fréquentation lors du concert, même si on essayait de tout faire à l’avance pour éveiller l’intérêt du public par des articles de journaux tendancieux et des manœuvres similaires » 68.
Wagner a relevé le défi. Dans ce qu’Andreas Eichhorn appelle à juste titre la « campagne de vulgarisation psychologiquement et soigneusement dirigée » de Wagner 69 et que le biographe de Wagner, Martin Gregor-Dellin, décrit comme « une campagne unique pour son époque » 70, Wagner a conçu et géré à lui seul un blitzmarketing qui, au moins, dépassait par son audace le plan que Schladebach avait proposé sarcastiquement.
Au lieu des « articles tendancieux » suggérés, Wagner pensait déjà à sortir « des sentiers battus », pour reprendre le langage courant. Il a publié une série de quatre avis anonymes annonçant le concert dans l’équivalent de la section « personnelle » d’aujourd’hui du journal local, le Dresdener Anzeiger 71. Le journal grand public Anzeiger avait un lectorat différent de celui du Zeitung für die elegante Welt (où l’Esquisse autobiographique avait paru) et différent encore de l’Abend-Zeitung (où les essais parisiens de Wagner, y compris la nouvelle du Pèlerinage, avaient été publiés). Bien qu’il y ait probablement eu un certain croisement entre les trois lectorats, Wagner faisait clairement appel à différents niveaux et à différentes parties de son public cible. Le but est de faire circuler l’annonce et d’augmenter le nombre de personnes qui puissent être touchées d’une manière ou d’une autre par le message wagnérien. Le lectorat musical de l’Abend-Zeitung a déjà lu la nouvelle ainsi que ses quelques essais. Connaissant Wagner et le concert à venir, ils n’avaient besoin que de peu d’encouragements supplémentaires. Au lieu de cela, les annonces anonymes de Wagner visaient le succès populaire qui ne peut être atteint qu’avec le lectorat de l’Anzeiger.
Prenant un soin extraordinaire à la fois aux dates de publication et à la formulation de ses encarts, Wagner a écrit les quatre annonces sous des angles différents, comme rédigés par des personnes différentes, leur publication augmentant en fréquence à mesure que la date de la représentation approchait 72. La première annonce, publiée le 24 mars (environ un mois après l’article de Schladebach), a été écrite comme s’il s’agissait d’un membre du grand public qui loue l’orchestre pour son choix de programmation. L’auteur admet que la dernière symphonie de Beethoven a jusqu’ici échappé à la popularité accordée à ses symphonies antérieures, mais il certifie qu’elle a besoin d’une grande représentation et d’un public assez courageux pour aborder l’œuvre avec un esprit ouvert. L’annonce numéro 2, paraissant le 31 mars, semble provenir de quelqu’un d’autre, qui fait un plaidoyer : « Ne serait-ce pas formidable si quelque chose était fait – ou du moins essayé – pour améliorer la compréhension du grand public pour la dernière symphonie de Beethoven, dont nous attendons l’interprétation dans les prochains jours ? » 73
Comme en réponse à cette seconde annonce, une troisième parut deux jours plus tard, le 2 avril. Quelqu’un qui connaît clairement Beethoven offre des aperçus « personnels » de l’esprit et de l’âme du compositeur prétendument fou et financièrement « pauvre ». Mélangeant les styles émotionnels et pathétiques du propre Testament de Heiligenstadt de Beethoven et l’oraison funèbre de Grillparzer, l’annonce s’attarde sur ces motifs choisis – sa surdité, son isolement, sa vie tragique, sa musique comme un pont vers le monde – intégrés au mythe de Beethoven.
En termes de stratégie marketing, l’annonce numéro 2 crée une demande que l’annonce numéro 3 satisfait : Wagner utilisera plus tard cette tactique lors du lancement de son propre projet 74. La dernière annonce, signée « Un ami de la musique, qui parle d’expérience », est apparue au matin du 4 avril, informant tous les habitants de Dresde de la dernière répétition générale plus tard dans la soirée et les encourageant à y assister 75. Les habitants de la ville répondirent en se réunissant autour de la salle de spectacle la veille du concert du 5 avril. Cette seule indication suggère que le lectorat des annonces anonymes de Wagner était très nombreux.
Lors du concert, Wagner a couronné sa campagne de vulgarisation en fournissant des programmes explicatifs, conçus spécifiquement pour les non-initiés. Ces notes exaspérèrent certains parce qu’elles suggéraient une structure narrative pour la symphonie en reliant chaque mouvement à des citations spécifiques du Faust de Goethe 76. Wagner a été accusé de ne pas tenir compte du caractère indéterminé et donc indescriptible de la musique instrumentale. Mais Wagner avait anticipé de telles critiques, expliquant que « l’essence supérieure de la musique instrumentale consiste en la capacité d’exprimer par des notes ce qui est inexprimable par les mots » 77, ajoutant l’avertissement suivant : les mots de Goethe « n’ont aucun lien immédiat avec l’œuvre de Beethoven, et n’indiquent en aucun cas le sens de sa création purement musicale, mais expriment néanmoins sublimement la spiritualité humaine supérieure qui se trouve en son cœur » 78. Wagner n’aurait pas pu être plus clair. Il répondait une fois de plus à la demande (la sienne) formulée dans l’annonce numéro 2 : « Ne serait-ce pas formidable si quelque chose était fait – ou du moins essayé – pour améliorer la compréhension du grand public pour la dernière symphonie de Beethoven ? » Wagner a utilisé un classique de la littérature allemande afin d’augmenter le capital culturel de Beethoven et donc le sien.
Wagner était également attentif à la préparation musicale et à l’exécution. Il y aurait eu plus de deux cents répétitions, dont douze réservées uniquement au récitatif des contrebasses et violoncelles au début du dernier mouvement 79. Des critiques publiées et des expressions spontanées d’enthousiasme, publiques et privées, révèlent l’extraordinaire impact musical que la représentation eut sur les auditeurs profanes et professionnels. La neuvième symphonie est devenue un incontournable des concerts ultérieurs le dimanche des Rameaux.
CONCLUSION
Le concert de Dresde constitue un moment capital pour le monde wagnérien, une sorte de Gesamtkunstwerk, où Wagner a assumé la responsabilité et a imaginé chaque détail : une disposition innovante des sièges pour l’orchestre, une scène spécialement construite, un chœur massivement agrandi, une attention méticuleuse aux détails musicaux, le tout combiné avec un talent instinctif pour la publicité et la vulgarisation, y compris la production et la diffusion d’énormes quantités […] d’explications textuelles conçues pour créer un public (un marché) là où il n’y en avait pas auparavant. Wagner a combiné la recherche de contenu ésotérique avec une sensibilité au marché contrôlé par les nouveaux médias. Le concert fut littéralement un « évènement » médiatique, un « immense succès » public, et c’est Wagner qui l’avait conçu. En miniature, cela définit la carrière de Wagner et jette les bases de ce que j’appelle l’industrie de Wagner. Cela ne s’est pas non plus arrêté là. Après le concert, qui a permis de collecter plus d’argent que n’importe quelle représentation précédente lors du dimanche des Rameaux, Wagner a veillé à ce que l’événement se poursuive, en le commémorant dans son autobiographie, où il concède l’aspect « public relation » de l’entreprise : « J’ai utilisé le Dresdener Anzeiger de façon anonyme afin de motiver le public à venir écouter l’œuvre à travers une variété d’annonces succinctes et enthousiastes » 80. Il a également compris sa signification, ajoutant : « Cette expérience [de Dresde] m’a réconforté en ce sens que j’avais la capacité et la force de faire avancer tout ce que je désirais avec un succès irrésistible » 81. Le but encore à atteindre, se rendit-il compte, était de transformer ses propres œuvres en un succès similaire : « C’était et restait la question secrète sur laquelle ma vie s’est développée à plus long terme » 82.
Wagner ne fut pas le seul à perpétuer le tapage médiatique. Julius Schladebach était clairement furieux du succès qu’il n’avait pas réussi à prédire ou à empêcher. Sa critique de cinq pages du concert reproche à Wagner la « bouffée » de ses « recommandations et encouragements anonymes » (évidemment « l’anonymat » de Wagner a été de courte durée) publiés dans des parties « largement calculées » et « douteuses » du Dresdener Anzeiger. Wagner est considéré comme un « charlatan » pour avoir fait appel aux masses, et devient l’émule de « l’infaillibilité papale » en conduisant l’orchestre de mémoire 83. Cette revue a contribué à mettre fin à la collaboration de Schladebach avec l’Abend-Zeitung, mais il est fascinant de voir comment les éléments essentiels de sa plainte – la démagogie, le calcul et l’autosatisfaction de Wagner – continuent d’être des arguments de ceux qui rejettent Wagner pour des raisons musicales et non musicales.
Le succès, la reconnaissance et la visibilité ont toujours été les objectifs de Wagner, et son rôle en tant que figure polarisante de la culture allemande et européenne a favorisé ces objectifs au lieu de les entraver. Prouver un lien avec Beethoven était véritablement crucial pour Wagner, et donc son soutien apparemment altruiste à la cause de Beethoven masque le fait que « le succès de Beethoven était vraiment le succès de Wagner » 84. Wagner « a transformé le problème du concert en question sur sa personnalité, qui avait presque plus à voir avec Wagner qu’avec Beethoven » 85.
Le concert de Dresde ne fut pas un événement isolé, mais une partie d’une entreprise beaucoup plus vaste de la part de Wagner : la création d’une image médiatique reliant « Beethoven » à « Wagner », où la neuvième symphonie fonctionnait comme le lien spirituel-esthétique-idéologique entre les deux. Cette image médiatique trouve sa première articulation cohérente dans la nouvelle de 1840. À intervalles réguliers dans sa carrière, Wagner a instrumentalisé « Beethoven » pour promouvoir « Wagner ».
Il n’est pas nouveau de dire que Wagner a cherché à voler la vedette. Mais cet aspect de sa carrière est généralement passé sous silence, avec un sourire narquois, ou, imitant Schladebach, avec désapprobation : comme la conduite indigne de l’artiste sérieux. Néanmoins, la recherche doit être plus attentive à retracer les subtilités de la construction de « Wagner » par Wagner, la « question secrète » avouée derrière son succès, pour laquelle la nouvelle du Pèlerinage et les circonstances qui accompagnent le concert de Dresde ne sont que deux exemples. De plus, nous devrions cesser de considérer de façon négative son comportement, mais plutôt, comme la plupart des artistes modernes engagés dans l’auto-marketing d’une sorte ou d’une autre, admirer Wagner pour l’avoir fait peut-être mieux que quiconque.
par Nicholas VAZSONYI
Titre original : « BEETHOVEN INSTRUMENTALIZED: RICHARD
WAGNER’S SELF-MARKETING AND MEDIA IMAGE »
in Music & Letters,Vol. 89 No. 2, The Author (2007) (Oxford University Press).
traduction @ Le Musée Virtuel Richard Wagner et reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur
pour lire le texte dans son intégralité sur le site www.academia.edu, cliquer ici.
Notes :
- 1. Unterstützungs-Fonds für die Wittwen und Waisen der königlichen Kapelle.
- 2.« Pariser Berichte für die Dresdener Abendzeitung », 23 Feb. 1841, in Richard Wagner, Sämtliche Schriften und Dichtungen, 16 vols. (Leipzig, [1911]), xii. 67 (ci-après SSD). Dans « Halévy und die Französische Oper » (1842), il écrit Kunstindustrie et kunstindustriellen Anstalten (SSDxii. 130).
- 3. Andreas Huyssen, After the Great Divide: Modernism, Mass Culture, Postmodernism (Bloomington, Ind., 1986), 42.
- 4. Pierre Bourdieu, The Rules of Art: Genesis and Structure of the Literary Field, trans. Susan Emanuel (Stanford, 1995).
- 5. Martha Woodmansee, The Author, Art, and the Market: Rereading the History of Aesthetics (New York, 1994).
- 6. Pour un essai fascinant sur la relation entre Mozart, l’argent et la musique absolue, voir Daniel K. L. Chua, « Myth: Mozart, Music, Money », in Simon P. Keefe (ed.), Mozart Studies (Cambridge, 2006), 193-213.
- 7. Universal-Jude, in « Pariser Fatalitäten für Deutsche » (1841) (SSDxii. 59).
- 8. Roger Parker, « The Opera Industry », in Jim Samson (ed.), The Cambridge History of Nineteenth-Century Music (Cambridge, 2001), 87-117.
- 9. Dana Gooley, The Virtuoso Liszt (Cambridge, 2004).
- 10. J’emprunte le terme à Boris Voigt, Richard Wagners Autoritäre Inszenierungen: Versuch über die Ästhetik charismatischer Herrschaft (Hamburg, 2003), 208.
- 11. Richard Wagner, Sämtliche Briefe, ed. Gertrud Strobel and Werner Wolf, 3rd edn. (Leipzig, 2000), i. 117.
- 12. Voir Jürgen Habermas, The Structural Transformation of the Public Sphere: An Inquiry into a Category of Bourgeois Society, trans T. Burger (Cambridge, Mass., 1989), et Benedict Anderson, Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism (London, 1991).
- 13. Le roman a été évoqué par Alexandra Comini, William Meredith, Klaus Kropfinger, Marc Weiner et Matthias Brzoska, et est mentionné dans d’autres études sur Wagner et ses œuvres. Mais à ma connaissance, personne n’a encore proposé une lecture détaillée où la nouvelle fonctionne comme un véhicule pour commercialiser le personnage de Wagner et ses œuvres à venir. La lecture attentive de la nouvelle par Marc Weiner se concentre sur son contenu présumé antisémite. Voir aussi K. M. Knittel, « Pilgrimages to Beethoven: Reminiscences by his Contemporaries », Music & Letters, 84 (2003), 19 – 54, dont je parlerai plus tard.
- 14. Friedrich Glasenapp, Das Leben Richard Wagners, 6 vols. (4th edn., Leipzig, 1905), i. 388.
- 15. Ulrich Drüner a remis en question à juste titre « ob sie [die Armut] so dramatisch war, wie das Ehepaar Wagner sie darstellte » in Schöpfer und Zerstörer: Richard Wagner als Künstler (Cologne and Weimar, 2003), 43.
- 16. William Weber, « Wagner, Wagnerism, and Musical Idealism », in David C. Large and William Weber (eds.), Wagnerism In European Culture and Politics (Ithaca, NY, 1984), 28-71 at 40.
- 17. « Diese Arbeiten haben mir nicht wenig geholfen, in Paris bekannt und beachtet zu werden » (SSDi. 17).
- 18. Richard Wagner, Mein Leben, ed. M. Gregor-Dellin (Munich, 1963), 201 (ci-après ML).
- 19. Marjorie Perloff, The Futurist Moment: Avant-Garde, Avant Guerre, and the Language of Rupture (Chicago, 1986), 90.
- 20. Paul Mann, Theory-Death of the Avant-Garde (Bloomington, Ind., 1991), 23.
- 21. Anke Finger, Das Gesamtkunstwerk der Moderne (Göttingen, 2006), 51.
- 22. Comme le montre K. M. Knittel (dans ses « Pèlerinages à Beethoven »), la nouvelle de Wagner utilise une série de tropes communs aux récits autobiographiques et fictifs de rencontres avec Beethoven, dont il y eut une véritable inondation à cette même période. Bien que de nombreux comptes rendus de ce type aient servi à amplifier le statut de la personne rencontrant Beethoven (par exemple Franz Liszt), je soutiens que Wagner élève le niveau d’auto-marketing à son compte à un nouveau niveau.
- 23. Sur la thèse de Reichardt, voir Martin Gregor-Dellin, Richard Wagner: Sein Leben – Sein Werk – Sein Jahrhundert (Munich,1980), 153. Pour la thèse Rellstab, voir Matthias Brzoska, Die Idee des Gesamtkunstwerks in der Musiknovellistik der Julimonarchie (Laaber, 1995), 174-6.
- 24. « Eine mittelmäßige Stadt des mittleren Deutschlands » (SSDi. 91 and 107). Wagner était né à Leipzig.
- 25. Voir aussi Nicholas Vazsonyi, « Hegemony though Harmony: German Identity, Music, and Enlightenment around 1800 », in Lutz Koepnick and Nora Alter (eds.), Sound Matters: Essays on the Acoustics of German Culture (New York, 2004), 33-48, esp. 35-6.
- 26. Tia De Nora, Beethoven and the Construction of Genius: Musical Politics in Vienna, 1792-1803 (Berkeley, 1995), 83-4.
- 27. Eric Hobsbawm and Terence Ranger (eds.), The Invention of Tradition (Cambridge, 1983).
- 28. Voir par exemple Esteban Buch, Beethoven’s Ninth: A Political History, trans. R. Miller (Chicago, 2004).
- 29. Pour un compte rendu complet du fait et de la fiction entourant le Weihekuß, voir Alan Walker, Franz Liszt, in The Virtuoso Years 1811-1847 (New York, 1983), 80-5. Plus récemment, Alan Walker dédia le premier chapitre de ses Reflections on Liszt (Ithaca, NY, 2005) au « Beethoven’s Weihekuß Revisited » (pp. 1-10). Pour une réfutation, voir Allan Keiler, « Liszt Research and Walker’s Liszt », Musical Quarterly, 70 (1984), 374-404, esp. 380-96, et « Liszt and Beethoven: The Creation of a Personal Myth », 19th-Century Music, 12 (1988-9), 116-31.
- 30. Joseph d’Ortigue, « Franz Liszt : Étude biographique », Revue et gazette musicale, 14 June 1835. Voir « The First Biography: Joseph d’Ortigue on Franz Liszt at Age Twenty-Three », intro. et ed. BenjaminWalton, trans. Vincent Giroud, and « Ludwig Rellstab’s Biographical Sketch of Liszt », intro. et trans. Allan Keiler, les deux in Christopher Gibbs and Dana Gooley (eds.), Franz Liszt and his World (Princeton, 2006), 303-34 et 335-60.
- 31. Walker, Franz Liszt, i. 85.
- 32. Keiler, « Liszt and Beethoven », 130-1.
- 33. K. M. Knittel suggère que la nouvelle de Wagner présente « une sorte de Weihekuß », mais elle s’intéresse à ce que la nouvelle, comme une « preuve historique »…nous parle du statut posthume de Beethoven en tant qu’ icône au lieu de sa valeur pour Wagner comme moyen d’auto-promotion ; voir ses « Pèlerinages à Beethoven », 21 ans, et aussi 35-8.
- 34. Klaus Kropfinger, Wagner and Beethoven: Richard Wagner’s Reception of Beethoven, trans. P. Palmer (Cambridge,1991), 15. Voir aussi William Meredith, « Wagner’s Beethoven: A Posthumous Pilgrimage to Beethoven in 1840 », Beethoven Newsletter, 8/2 (1993), 46-53. Meredith suggère que l’écriture de l’essai a donné à Wagner l’occasion de réaliser, au moins dans son imagination, un rêve de longue date de rencontrer Beethoven. Ceci est basé sur une remarque qu’il a faite à Cosima ; voir aussi l’entrée du journal de Cosima du 26 mai 1871 (et non du 27 août 1872, selon le n. 24 de Meredith) (Meredith, 48). Meredith mentionne que la nouvelle préfigure le drame musical et que Wagner se nomme lui-même le successeur de Beethoven, mais n’explore pas la dimension marketing de ses observations.
- 35. SSDi. 92.
- 36. « der Italiener ist Sänger, der Franzose Virtuos, der Deutsche- Musiker » (SSDi. 151).
- 37. « Der Deutsche hat ein Recht, ausschließlich mit ‘Musiker’ bezeichnet zu werden, – denn von ihm kann man sagen, er liebt die Musik ihrer selbst willen, – nicht als Mittel zu entzücken, Geld und Ansehen zu erlangen, sondern, weil sie eine göttliche, schöne Kunst ist, die er anbetet, und die, wenn er sich ihr ergiebt, sein Ein und Alles wird » (SSDi. 151). Dix ans plus tard, dans Une communication avec mes amis, Wagner utilise une formulation similaire pour décrire sa propre relation à la musique : « Eines hielt mich aufrecht: meine Kunst, die für mich eben nicht ein Mittel zum Ruhm- und Gelderwerb, sondern zur Kundgebung meiner Anschauungen an fühlende Herzen war » (SSDiv. 304).
- 38. Mary Sue Morrow, German Music Criticism in the Late Eighteenth Century: Aesthetic Issues in Instrumental Music (Cambridge, 1997). Voir aussi son essai, « Building a German Identity through Music », in Nicholas Vazsonyi (ed.), Searching for Common Ground: Diskurse zur deutschen Identität 1750-1871 (Cologne and Weimar, 2000), 255-68.
- 39. Richard Wagner, Deutsche Kunst und deutsche Politik, (SSDviii. 96-7). Weber avait déjà évoqué la même chose : « dem deutschen Künstler sei vorzugsweise der wahre Eifer eigen, im stillen die Sache, eben um der Sache willen, zu tun » ; voir Carl Maria von Weber, « Die Bergknappen, Oper von Ludwig Hellwig (1820) », in Kunstansichten: Ausgewählte Schriften, ed. Karl Laux (Leipzig, 1969), 215-18 et 216.
- 40. Pour plus de détails sur l’origine historique du discours nationaliste allemand adopté par Wagner, voir Nicholas Vazsonyi, « Marketing German Identity: Richard Wagner’s Enterprise », German Studies Review, 28 (2005), 327-46.
- 41. Lydia Goehr, The Imaginary Museum of Musical Works: An Essay in the Philosophy of Music (Oxford, 1992).
- 42. Michael Talbot, « The Work Concept and Composer-Centredness », in id. (ed.), The Musical Work: Reality or Invention? (Liverpool, 2000), 168-86.
- 43. « Unsre Sprache wird die Welt beherrschen », écrit Friedrich Schiller dans le fragment non publié intitulé « Deutsche Größe », Nationalausgabe, ii/1 (Weimar, 1983), 431-6 et 432.
- 44. E. T. A. Hoffmann écrit que la musique « ist die romantischste aller Künste », in « Beethovens Instrumental-Musik », de son Kreisleriana: Phantasiestücke in Callots Manier (1. Teil), in Sämtliche Werkein 6 Bänden, ed. H. Steinecke et W. Segebrecht (Frankfurt am Main, 1993), ii/1. 52 ; et Friedrich Schlegel : « Die romantische Poesie ist eine progressive Universalpoesie », la première phrase de son « Athenäums-Fragment Nr. 116 », in Kritische-Friedrich-Schlegel-Ausgabe, ii/1, ed. Ernst Behler (Munich, 1967), 182.
- 45. « Ich schauderte; aber meine Sehnsucht, Beethoven zu sehen, siegte; ich komponirte Galopps und Potpourris, konnte aber in dieser Zeit aus Scham mich nie überwinden, einen Blick auf Beethoven zu werfen, denn ich fürchtete ihn zu entweihen » (SSDi. 92).
- 46. SSDi. 112.
- 47. Marc Weiner soutient que Wagner a fait de la figure de l’ennemi un Anglais parce que la nouvelle a été initialement publiée pour un lectorat français. Pour Wagner, le français, l’anglais et le juif étaient tous les mêmes (c’est-à-dire pas allemand), mais ses lecteurs français ne le savaient pas. Voir Marc Weiner, Richard Wagner and the Anti-Semitic Imagination (Lincoln, Nebr., 1995), 156-7.
- 48. « Das verdroß mich; ich erklärte, daß ich nicht für Geld spielte » (SSDi. 95).
- 49. « wenigstens kenne ich kein Theater in der Welt, für das ich gern wieder eine Oper schreiben möchte! Wenn ich eine Oper machen wollte, die nach meinem Sinne wäre, würden die Leute davon laufen; denn da würde nichts von Arien, Duetten, Terzetten und all dem Zeuge zu finden sein, womit sie heut’ zuTage die Opern zusammenflicken, und was ich dafür machte, würde kein Sänger singen und kein Publikum hören wollen » (SSDi. 109).
- 50. SSDi. 109 et 111.
- 51. Thomas S. Grey, Wagner’s Musical Prose: Texts and Contexts (Cambridge, 1995), 318. Gray fait référence à l’ensemble esthétique, mais je développe sa métaphore fortuite, car je considère le «Gesamtkunstwerk» de Wagner comme une entreprise encore plus «totale» qu’il ne l’avait imaginée.
- 52. Voir l’entrée pour « Absolute Musik » par Albrecht von Massow dans le Handwörterbuch der musikalischen Terminologie, ed. H. H. Eggebrecht (Wiesbaden,1973-2007). Massow retrace les étapes antérieures de la combinaison des termes « absolu » et « musique » en tant que « Zuspitzung bereits vorhandener Wendungen » (p. 3). Wagner utilise le terme « als ob es sich um einen bereits gebraüchlichen Begriff handelte » (p.3).
- 53. Pour un compte rendu plus détaillé de l’importance de la neuvième symphonie pour Wagner pour son projet esthétique, consultez Grey, Wagner’s Musical Prose. Grey suggère que « pour beaucoup, l’idée de la musique absolue devenait obsolète » (p. 46).
- 54. « Fertigen wir den musikalischen Engländer ab! » (SSDi. 113).
- 55. « Stellen Sie dem Glücklichen gefälligst sein Meisterwerk zu! Er ist ein Esel, und doch beneide ich ihn um seine langen Ohren! » (ibid.).
- 56. Matthew 19 : 24.
- 57. « Laut mute ich auf lachen, als ich das Kreuz auf dem Umschlage der Komposition des Engländers betrachtete. Dennoch war dieses Kreuz ein Andenken Beethoven’s, und ich gönnte es dem bösen Dämon meiner Pilgerfahrt nicht. Schnell war mein Entschluß gefasst. Ich nahm den Umschlag ab, suchte meine Galopps hervor, und schlug sie in diese verdammende Hülle ein. Dem Engländer ließ ich seine Komposition ohne Umschlag zustellen, und begleitete sie mit einem Briefchen, in welchem ich ihm meldete, daß Beethoven ihn beneide und erklärt habe, nicht zu wissen, wo er da ein Kreuz anbringen solle » (SSDi. 113).
- 58. Wagner écrit à propos de cette nouvelle : « J’ai présenté mon propre destin de façon fictive et avec humour » (« stellte ich, in erdichteten Zügen und mit ziemlichem Humor, meine eigenen Schicksale ») (SSDiv. 262). Pour le titre de cette section cf. K. M. Knittel, « The Construction of Beethoven », in Cambridge History of Nineteenth-Century Music, 118-56, qui intitule un de ses sous-titres « Beethoven vs. ’Beethoven’ » (p. 118).
- 59. « Ich glaube an Gott, Mozart und Beethoven, in Gleichem an ihre Jünger und Apostel; – ich glaube an den heiligen Geist und an die Wahrheit der einen, untheilbaren Kunst » (SSDi. 135).
- 60. Pour obtenir des sources supplémentaires, y compris les remarques d’introduction de Laube, voir Joseph Kürschner, « Varianten und Ergänzungen zu Richard Wagners ‘Autobiographischer Skizze’ », in Richard-Wagner-Jahrbuch, ed. Joseph Kürschner (Stuttgart, 1886), 286-92.
- 61. « Diese Zeit war der Kulminationspunkt meiner äußerst traurigen Lage: ich schrieb für die Gazette musicale eine kleine Novelle: ‘Das Ende eines deutschen Musikers in Paris’, worin ich den unglücklichen Helden derselben mit folgendem Glaubensbekenntniß sterben ließ: ‘Ich glaube an Gott, Mozart und Beethoven’ » (SSDi. 18).
- 62. Wagner y fait allusion plus tard dans sa Communication à mes amis, « der junge Mann, der mit jenem Wunsche und jener Aussicht nach Paris kam, wirklich desTodes gestorben sei » (SSDiv. 456).
- 63. 11 Nov. 1843 Lettre de Carl Gottlieb Reissiger à Joseph Fischhoff, in Ernst Rychnowski, « Reissiger über Wagner », Der Merker, 1/9 « Wagner Heft » (Feb. 1910), 379^81 [Wagner Archiv A 3016 I-3]. « Hier liest man immerwährend in den Journalen Lobhudelein über Wagner…So wenig ich mich um dergleichen kümmere, so unterdrücke ich doch manchmal meinen Ingrimm über die Wagnerischen Arroganzen und seine beständigen Schreibereien in alle Blätter mit Mühe. Du weißt, dass W. vor seiner Ankunft in Dresden lange Zeit in Paris lebte und sich dort lediglich mit musikal. Berichten beschäftigte…Man vermutet sogar, daß er oft gegen sich und seine Kuriositäten schreibt, um nur wieder zu antworten und Stoff zu weiteren Lobhudeleien über sich zu haben » (p. 380).
- 64. « mehrseitigeWiderstreben », Wiener allgemeine Musik-Zeitung, 26 Feb. 1846; repr. in Helmut Kirchmeyer, Situationsgeschichte der Musikkritik und muskalischen Pressewesens in Deutschland, Teil 4: Das zeitgenössische Wagner-Bild, i: Wagner in Dresden; ii: Dokumente 1842-45, et iii: Dokumente 1846-1850 (Regensburg, 1967-72), iii. 32.
- 65. « prekäre Wahl in Rücksicht auf das bei dieser Gelegenheit doch auch zu berücksichtigende pecuniäre Resultat » (ibid.).
- 66. Pour un compte rendu général de la reprise par Wagner de la neuvième symphonie de Beethoven, voir Andreas Eichhorn, Beethovens Neunte Symphonie: Die Geschichte ihrer Aufführung und Rezeption (Kassel, 1993), esp. 72-81, ainsi que le propre compte-rendu de Wagner dans son autobiographie, Mein Leben, 341-6.
- 67. « Mangel an Popularität » (Kirchmeyer, Situationsgeschichte, iii. 32).
- 68. « ohne Zweifel dem Besuch des Konzertes Abbruch thun, wenn auch Jemand alles Mögliche thun möchte, durch leitende Journal-artikel und dergleichen Manöver das Interesse des Publikums vorher zu erregen » (ibid.).
- 69. « psychologisch sorgfältig gesteuerten Popularisierungskampagne » (Eichhorn, Beethovens Neunte Symphonie, 76).
- 70. « eine für seine Zeit einzigartige Kampagne » (Gregor-Dellin, Richard Wagner, 220).
- 71. Le paragraphe du document s’appelait « Besprechungen, Privatsachen » (Discussions, Private Matters).
- 72. Voir Kirchmeyer, Situationsgeschichte, i. 678.
- 73. « Würde es nicht gut sein, wenn – wenigstens versuchsweise – irgend etwas geschähe, um auch dem größeren Publikum das Verständniß der letzten Symphonie Beethoven’s, deren Aufführung wir in diesen Tagen entgegensehen, näher zu rücken? » (SSDxii. 204).
- 74. En premier lieu, je me réfère aux essais de 1849- 51, qui théorisent ses œuvres d’art encore à venir ou même écrites, et fonctionnent comme une forme d’ « aperçu des attractions à venir ».
- 75. « Ein Musikfreund, der aus Erfahrung spricht ». Contrairement aux trois premières notes, celle-ci n’a pas été republiée dans l’édition en 16 volumes des œuvres complètes de Wagner. Au lieu de cela, elle a été découverte dans les années 1960 par Helmut Kirchmeyer. Bien que maintenant facilement disponible (voir par exemple Kirchmeyer, Situationsgeschichte, iii. 46- 7), elle est encore ignorée de la plupart des descriptions du concert de Dresde.
- 76. Chrétien Urhan, violoniste et altiste de l’orchestre du Conservatoire sous Habeneck, a publié des notes explicatives sur la neuvième symphonie de Beethoven dans Le Temps, 25 janvier 1838 et, à titre d’illustration, cité la Divine Comédie de Dante. Eichhorn soutient que Wagner a peut-être vu cette publication : voir Beethovens Neunte Symphonie, 48, 61 et 75.
- 77. « das Wesen der höheren Instrumentalmusik namentlich darin besteht, in Tönen das auszusprechen, was in Worten unaussprechbar ist » (SSDii. 56).
- 78. « Keineswegs mit Beethoven’s Werke in einem unmittelbaren Zusammenhange stehen, und auf keine Weise die Bedeutung seiner rein musikalischen Schöpfung irgendwie durchdringend zu bezeichnen vermögen, dennoch die ihr zu Grunde liegenden höheren menschlichen Seelenstimmungen…erhaben ausdrücken » (SSDii. 57).
- 79. Voici un récit des répétitions : « Wie oft hörte ich die Herren während der ersten Probe nach dem Abklopfen entrüstet antworten : ‘Bei uns steht aber nicht des, sondern d’. Wagner sagte dann bestimmt: ‘So korrigieren Sie’s, es ist falsch; es muß des heissen’, und murrend folgte man seiner Anweisung » (Glasenapp, Das Leben Richard Wagners, ii. 158 « Combien de fois ai-je entendu les musiciens lors des répétitions initiales répondre consternés : ‘Nos partitions n’ont pas de ré bémol mais un ré’. Mais Wagner répondait avec confiance : ‘Alors corrigez-le : c’est faux. On doit lire ré bémol’. Et, marmonnant, ils obéirent à sa directive. »
- 80. « Außerdem benutzte ich in anonymer Weise den Dresdener Anzeiger, um durch allerhand kurzbündige und enthusiastische Ergüsse das Publikum auf das…Werk anregend hinzuweisen » (SSDii. 52). Voir « Bericht über die Aufführung der neunten Symphonie von Beethoven im Jahre 1846 in Dresden (aus meinen Lebenserinnerungen ausgezogen) nebst Programm dazu ». Wagner relate cette description narrative dans Mein Leben, 341-6 à 343. Wagner duplique souvent des informations sur sa vie, la répétition efficace étant la pierre angulaire d’un bon marketing.
- 81. « In mir bestärkte sich bei dieser Gelegenheit das wohltuende Gefühl der Fähigkeit und Kraft, das, was ich ernstlich wollte, mit unwiderleglich glücklichem Gelingen durchzuführen » (ML346).
- 82. « Das war und blieb die geheime Frage, an welcher sich mein ferneres Leben entwickelte » (ibid.).
- 83. « Das Palmsonntagsconcert », Abend-Zeitung (Dresden), 16 Apr.1846, repr. in Kirchmeyer, Situationsgeschichte, iii.57^8.
- 84. Kirchmeyer, ibid. i. 632.
- 85. « die Verwandlung einer Konzertfrage in eine Persönlichkeitsfrage, bei der es fast mehr um Wagner als um Beethoven ging » (ibid. 633).