extrait du texte : « De Siegfried à Luke Skywalker, un réseau d’influences »
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« No! Try not. Do or Do not. There is no try. »
Yoda – « Star Wars – Episode V The Empire Strikes back »
En 1977, le film Star Wars – Episode IV A new hope sort dans les salles de cinéma et rencontre immédiatement le succès. Pour preuve, lors de la 50ème cérémonie des Oscars en 1978, le film sera nommé onze fois et remportera sept trophées dont l’un est gagné par John Williams, compositeur de la musique de la saga.
Précisons d’emblée que l’épisode IV est, par sa date de sortie, le premier opus de la saga Star Wars mais le quatrième suivant l’ordre chronologique de l’intrigue. En effet, ce film est le premier volet de la trilogie qui est également constituée de Star Wars – Episode V The Empire strikes back (1980) et Star Wars – Episode VI The Return of the Jedi (1983).
Selon le philosophe allemand Theodor Adorno, le compositeur Richard Wagner est vraisemblablement le précurseur du cinéma. Ses Musikdrama sont qualifiés par le philosophe de « cinéma de l’avenir ». Pourtant, comparer Star Wars et le Ring des Nibelungen peut paraître surprenant. En effet, tandis que le premier est un produit de l’industrie du divertissement, le second est, quant à lui, davantage apparenté à la musique savante.
D’où la question suivante : Existe-t-il des similitudes perceptibles entre la musique de Star Wars et celle du Ring des Nibelungen wagnérien ? En d’autres termes, comment et jusqu’à quel point John Williams a-t-il été influencé par Richard Wagner ? […]
I – Richard Wagner et son rôle pour la musique de film
Lorsque nous nous penchons sur l’histoire de la musique de film, il est étonnant de constater le nombre de compositeurs qui ont été influencés ou qui se sont explicitement revendiqués héritiers du compositeur Richard Wagner.
Étant donné qu’il est décédé en 1883, soit quelques années avant la naissance du cinéma, la question de son influence sur les créations de compositeurs de musique de film se pose. Dans ce chapitre, nous tenterons de traiter ce sujet, d’envisager les théories wagnériennes et leur importance pour la musique de film.
I – 1.- La théorie du Gesamtkunstwerk en rapport avec le cinéma
Theodor Adorno décrit les Musikdrama de Richard Wagner comme le « cinéma du futur ». Il devient alors un modèle pour la musique de film, bien qu’il n’en ait jamais lui- même composée. Ses Musikdrama jettent les bases pour les compositeurs de film. En effet, il a trouvé des solutions artistiques et pratiques quant au style musical, au support dramatique et à l’unité. Richard Wagner critique les opéras italiens et français. Selon lui, leur structure est trop rigide. De plus, il reproche à ces opéras que la narration dramatique est subordonnée à la mélodie et que la virtuosité vocale fausse le texte. La musique doit avoir un rôle plus efficace et collaborer à la narration. Richard Wagner souhaite donc créer un flux musical et éviter les formes musicales closes qui viennent interrompre la narration. Le drame doit naturellement pouvoir se développer. Dans ses drames, le compositeur crée alors des leitmotivs qui représentent les différents personnages et les aspects du récit. Ces leitmotive apparaissent dans l’orchestre et peuvent faire avancer le récit sans pour autant interrompre l’action. Ce procédé crée ainsi une unité musicale.
Dans ses Musikdrama, Richard Wagner tente d’accéder à un Gesamtkunstwerk, autrement dit à une œuvre d’art totale. Selon lui, il faut que toutes les formes artistiques soient réunies. Dans ses drames musicaux, le compositeur tente de combiner ce qui fait la singularité de toutes les disciplines. Pour ses libretti, il étudie les philosophes et écrivains qu’il affectionne. Dans sa mise en scène, il utilise des éléments visuels novateurs comme un renouveau dans la conception de la salle d’opéra. Richard Wagner apprécie les acteurs qui lui paraissent les meilleurs dans leur métier. Quant à la musique, il se sert d’une orchestration colorée, de mélodies à fortes qualités émotionnelles, d’un langage harmonique varié et d’une structure dominée par la mélodie et les leitmotive. En mettant en musique ses libretti, Richard Wagner parvient non seulement à exprimer musicalement les émotions, les états d’âme et les humeurs des personnages (ex. : le bonheur ou la tristesse) mais aussi à créer des images visuelles spécifiques et une unité musicale laquelle ne doit pas sacrifier le flux dramatique du récit.
Selon Richard Wagner, la seule manière de créer un Gesamtkunstwerk est de maîtriser tous les domaines qui constituent un opéra : la musique, le livret et la dramaturgie. Ce désir de maîtrise l’amène à faire construire son propre théâtre, le Festspielhaus à Bayreuth financé par Louis II de Bavière. Quant aux innovations qu’il a réalisées avec le Festspielhaus, plusieurs d’entre elles se retrouvent actuellement dans les salles de cinéma. D’une part, le compositeur souhaite que l’auditoire soit plongé dans l’obscurité pendant le spectacle. D’autre part, il distancie le public de la scène. En effet, Richard Wagner demande aux spectateurs de ne pas applaudir durant le spectacle. Il crée une scène et des effets spéciaux particuliers à chaque acte. Il invente in fine un auditoire sans classe où chaque personne est installée de façon à avoir une vision optimale de la scène et que tous entendent bien. Le compositeur entend définir la place respective du son, de l’image et du poème en immergeant le spectateur dans le drame. L’intention de Richard Wagner est de faire fi du son et de la musique afin de mieux pénétrer dans le drame. Sur scène, les chanteurs doivent pouvoir se mouvoir naturellement et s’exprimer de leur voix normale. Le spectateur doit être hypnotisé par la scène et rien ne doit le distraire. Cette sensation est encore actuellement prégnante dans les salles de cinéma. Les gros plans du film sont indispensables pour pouvoir pénétrer dans la psychologie des personnages et du récit.
Avec son Gesamtkunstwerk et son Festspielhaus, Richard Wagner veut atteindre une illusion parfaite : faire croire aux spectateurs qu’ils ne sont pas installés dans un théâtre. Cela se retrouve dans les salles de cinéma. Les spectateurs y sont aussi tous sur un même pied d’égalité et plongés dans le noir. Il n’y a ni loge, ni balcon et on n’applaudit pas durant le film. L’audience s’immerge intégralement dans l’intrigue du film à l’instar des spectateurs des opéras wagnériens. De nombreux compositeurs et réalisateurs adoptent ces procédés, principalement ceux qui font des films « classiques ». Le Gesamtkunstwerk de Richard Wagner est l’utilisation de l’orchestre symphonique, du style postromantique de la musique, du support musical du récit, de l’unité narrative et musicale et de l’immersion des spectateurs dans l’histoire. Sans la Tétralogie et la théorie du Gesamtkunstwerk, Bruno Lussato prétend que des films comme ceux de George Lucas n’auraient jamais vu le jour.
I – 2. La théorie des Leitmotive dans le Ring des Nibelungen
Le leitmotiv se définit théoriquement comme :
« Un thème ou une idée musicale, clairement défini de façon à être reconnu en cas de modification ou de transformation, dont le but est de représenter ou symboliser une personne, un objet, un espace, une idée, un sentiment ou une force surnaturelle dans une œuvre dramatique. Un leitmotiv peut être musicalement inchangé à son retour ou modifié dans le rythme, la structure d’intervalle, l’harmonie, l’orchestration ou l’accompagnement. Il peut aussi être combiné avec d’autres Leitmotivs afin de suggérer une nouvelle situation dramatique.
Le leitmotiv est un motif musical conducteur, un thème-clé répété, modifié ou transformé au fil d’une œuvre pour imposer une idée, un personnage, un sentiment, un objet ou un lieu. Un leitmotiv est propice à l’utilisation de la technique des réminiscences musicales ou des associations significatives d’un motif avec un personnage, un sentiment ou une situation.
Toutefois, le recours aux leitmotive dans le Ring der Nibelungen (1876) est différent de tout ce qui précède. Dans Lohengrin (1847) par exemple – l’œuvre qui précède l’écriture du Ring – les réflexions de Richard Wagner quant au sujet à aborder dans le drame ne sont pas abouties. Il se sert des Erinnerungsmotive, autrement dit d’idées musicales répétées au moment où des personnages déjà connus du public reviennent sur scène ou dans des situations qui se sont déjà déroulées. Les Erinnerungsmotive diffèrent des leitmotivs parce qu’ils ne peuvent être développés ou modifiés mais réapparaissent toujours dans leur même forme originale. Le compositeur expérimente cette technique musicale quand il dirige notamment Schweizerfamilie (1809) de Joseph Weigl (1766-1846). Les leitmotive ne sont donc pas une idée révolutionnaire de Richard Wagner mais plutôt l’aboutissement d’une technique utilisée déjà par Verdi dans Oberto. En effet, ce compositeur italien se sert d’une cavatine comme Erinnerungsmotiv pour Leonora et un autre motif pour rappeler Cunizia. Quant à Richard Wagner, il entend précisément conjoindre la musique et l’action scénique. Selon lui, les motifs musicaux sont un moyen d’exprimer des non-dits, de mettre par exemple une scène en lien avec Siegfried sans que ce personnage n’apparaisse sur scène. Ainsi la musique donne une force expressive aux scènes dépourvues de texte. L’orchestre prend alors le rôle d’un narrateur guidant l’auditeur dans l’intrigue. Richard Wagner définit ce procédé d’Orchestermelodie (mélodie d’orchestre) lequel sert à rendre musicalement par des intervalles, des nuances, des accords et des rythmes ce qui n’est pas explicitement dit sur scène.
Cependant, le compositeur désire un rapport intense entre la musique et l’action scénique. Pour ce faire, il conjoint les deux procédés d’Erinnerungsmotiv et de l’Orchestermelodie. Les leitmotivs wagnériens peuvent dès lors unifier l’action scénique et la musique. C’est la technique wagnérienne de la dialogisierte Melodie. Le compositeur russe Modest Mussorgsky (1839-1881), contemporain du compositeur allemand, définit cette utilisation de leitmotivs de « conversation musicale sur scène ». Selon Richard Wagner, la musique doit rendre les pensées visibles. L’attention est alors dirigée davantage vers l’orchestre lequel exprime les répétitions, les transformations et les combinaisons des motifs. Les leitmotivs peuvent non seulement présenter le contenu dramatique mais aussi indiquer des pressentiments, faire entendre au public « un sens qui ne lui est pas encore compréhensible ».
Les innovations et théories wagnériennes jettent les bases de compositions des musiques de film. La musique wagnérienne a pour caractéristique de raconter une histoire par elle-même. L’instrumentation, les mélodies, les différentes émotions que le compositeur parvient à créer et sa technique d’harmonisation permettent à l’auditeur de pouvoir s’imaginer une histoire. Richard Wagner excelle dans cette technique de créer une unité musicale sans que la narration ne soit interrompue. En outre, ses leitmotive qui s’étirent sur tout l’opéra et qui sont employés dans l’orchestre font avancer le récit sans que la narration ne soit entravée. Par exemple, après avoir entendu le motif de Siegfried, le spectateur comprendra au retour de ce motif que la séquence concerne Siegfried, sans que ce personnage ne soit présent sur scène. Les leitmotive wagnériens ont la force de raconter une histoire et de former simultanément une unité musicale.
I – 3. Les leitmotive de Wagner comme source d’inspiration pour les compositeurs de musique de film
Les leitmotivs constituent la solution pour la musique du cinéma. Les premiers compositeurs de musique de film, tels que Max Steiner, Erich Wolfgang Korngold ou Franz Waxman intègrent le leitmotiv pour notamment décrire les personnages de l’intrigue, leurs idées, les lieux et les objets. Reprenons les propos tenus par Max Steiner dans l’interview précédemment explicitée :
« Gone with the Wind, like all my scores, is written like an opera. If you listen to Wagner’s Ring you will find the same theme throughout. It goes from one end to the other, except Meistersinger doesn’t have it. But it is in the others— Gotterdammerung (sic) and Das Rheingold. Any opera is like a symphony. A theme reoccurs in different ways. I did it with every one of my scores. If you listen to them carefully you will find they are all written the same way. I start out with a basic theme and then I keep going »
« Gone with the Wind, comme toutes mes œuvres, est écrit comme un opéra. Si vous écoutez le Ring de Wagner, vous trouvez le même thème tout au long. Il va d’un bout à l’autre, sauf dans Die Meistersinger, il ne le fait pas. Mais cette technique se retrouve dans Die Götterdämmerung ou Das Rheingold. Tout son opéra est écrit comme une symphonie. Un thème est transformé selon différentes manières. Je l’ai fait avec chacune de mes œuvres. Si vous écoutez attentivement, vous trouverez qu’elles sont tous écrites de la même façon. Je commence avec un thème de base et puis je continue» (Trad. par l’auteure).
Max Steiner affirme qu’il est clairement influencé par l’usage des leitmotivs wagnériens. Néanmoins, certains musicologues tels que Stephen Meyer, Scott Paulin ou Claudia Grobman, critiquent le fait que dans les films, les compositeurs n’utilisent pas des leitmotivs mais plutôt des Erinnerungsmotivs. Comme le prétend Stephen Meyer, Max Steiner n’a pas créé un tissu complexe dans lequel chaque leitmotiv répond à un autre. Le compositeur se sert plutôt de « simples » motifs liés à un personnage ou à une idée lesquels reviennent parfois. En 1927 déjà, le musicologue Hans Erdmann se rendait compte de l’utilisation erronée de ce terme dans la musique de film. Dans Allgemeines Handbuch der Film-Musik il prétend que :
« L’efficacité profonde de la technique de leitmotiv ne se trouve pas à la surface, mais appartient plutôt à une connaissance profonde de cette technique spécifique, qui ne peut être inculquée par l’écoute répétitive. Dans cette perspective, le caractère temporaire et éphémère du film fait la différence ; on pourrait même dire qu’il n’est pas exactement Leitmotiv-accueillant. »
Étant donné que les compositeurs ne créent pas dans les films un système de leitmotivs, il faut dès lors différencier ces musiques de film des leitmotivs wagnériens. Les compositeurs s’inspirent et se basent sur la technique wagnérienne mais ne la poussent pas à l’extrême comme a pu le faire le compositeur romantique. Même si par exemple dans Gone with the Wind de Max Steiner, le motif de Tara, la ville où se déroule le film, revient à plusieurs reprises et est même parfois développé, Richard Wagner crée son Ring à partir d’un motif qu’il exploite, développe et transforme afin d’avoir tout un tissu musical qui sous-tend la narration.
John Williams est le premier compositeur à reprendre les leitmotivs tels que Richard Wagner les considère et les compose. Au début de sa carrière, John Williams surcharge les films de musique de façon à ce que ses films en soient presque étouffés. Néanmoins, son langage musical et son utilisation des leitmotivs évoluent. La musique de l’Episode IV – A New Hope paraît encore actuellement moderne. Les thèmes musicaux ne sont pas banals et n’adviennent pas dès que les compositeurs sont dépourvus d’inspiration. Ce sont de véritables motifs filmiques à rôles multiples. Les transformations et leur parenté mutuelle créent un tissu de motifs comparable à celui de Richard Wagner. Les leitmotivs sont interconnectés et créent la base musicale du Ring et de Star Wars. Dans ses opéras, le compositeur allemand crée un tissu de leitmotivs accompagné par un grand nombre de thèmes. Par exemple, dans le Ring der Nibelungen, il en existe plus de cent différents. Les compositeurs de musique de film, quant à eux, écrivent fréquemment seulement quelques thèmes. John Williams est le premier à rompre avec cette tradition. Dans les trois premiers épisodes de Star Wars, les leitmotivs forment un tissu complexe, à l’instar de la pratique wagnérienne. Nous y reviendrons ultérieurement quand nous passerons à l’analyse musicale. […]
II. Du Ring des Nibelungen à Star Wars : une galaxie de parallèles
II.1. Parallèles structurels
II.1.1. Créer un univers
Les opéras et les films créent leur propre univers lequel est fréquemment situé dans le passé. Les personnages, décrits minutieusement quant à leur apparence et à leur comportement, sont contraints de se livrer à des conflits plus ou moins connus lesquels doivent être synonymes d’espoir. Le spectateur doit accepter d’entrer dans cet univers fictionnel afin de participer au voyage du héros.
Dans Star Wars, il y a de nombreuses créatures et beaucoup de personnages dissemblables par leur apparence et par leur comportement et venant de planètes différentes. En effet, il y a des robots parlants dont C-3PO, une créature féline parlante, le Wookie Chewbacca, les Jawas, les petits peuples du désert, les méchants Hutt, un petit Jedi vivant isolé dans la forêt Yoda et les humains Luke, Leia et Han. En outre, par le clip d’ouverture, le cycle est directement situé dans le passé : « Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine… ». Le cycle de Star Wars crée un univers différent des autres films science-fictionnels.
À l’instar de Star Wars, le Ring wagnérien met en scène les mythes Chants de l’Edda et Nibelungenlied. Il y a également de nombreuses créatures et beaucoup de personnages dissemblables par leur apparence et par leur comportement. Le Ring débute par les sirènes (die Rheintöchter) avant que les nains Alberich et Mime n’apparaissent, suivis par les géants Fasolt et Fafner, les dieux Wotan, Freia et Brünnhilde, les semi-dieux et semi-éléments Loge, les semi-divin et semi-humain Siegmund, Sieglinde et Siegfried, les humains Günter, Gutrune et Brünnhilde, le semi-nain Hagen et le dragon Fafner.
II.1.2. Nécessité d’exercer un contrôle total sur leurs œuvres
Selon le musicologue Kristian Evensen, les films et les opéras nécessitent un contrôle total sur le produit final. Rien ne doit être laissé au hasard. Richard Wagner a par exemple même fait construire son propre théâtre le Festspielhaus à Bayreuth dont les innovations ont été explicitées plus haut. Pour être à la hauteur de ses ambitions, Georges Lucas crée son propre studio cinématographique et sa propre compagnie pour créer des effets visuels spéciaux. Industrial Light & Magic est créé en 1975 et le studio pour le son et l’image THX Ltd est, quant à lui, fondé quelques années après le premier épisode, soit en 1983. Le studio THX Ltd travaille uniquement sur la deuxième trilogie. De ce fait, Georges Lucas utilise des techniques informatiques et des effets spéciaux récemment mis au point et spécialement créés pour Star Wars. La scène de la bataille spatiale autour de la Death Star a d’ailleurs marqué toute une génération. Star Wars est le premier film à distribution mondiale qui se sert du nouveau système sonore Dolby-Stereo.
II.2. Parallèles thématiques
II.2.1 Le péché originel
Le péché originel est, pour ce qui concerne les mythes ou les philosophies élaborées, basé sur le mal lequel est antérieur aux hommes. Pour le Ring et Star Wars, le péché originel vient d’une faute commise par un dieu.
Dans le Ring der Nibelungen, Wotan a commis une erreur fatale qui a eu des conséquences destructives sur l’ensemble de l’univers. Il a coupé une branche du Frêne pour se faire une lance. Cet acte inaugure les runes et les écritures. Toutefois, le Frêne, symbole de la nature, meurt lentement avec toute la forêt. La transition de la nature vers la culture, fondée sur les écritures, se déroule dans la violence et aura des conséquences catastrophiques. En outre, Wotan passe un accord avec les géants qu’il ne saura pas honorer . Il promet la déesse Freia aux deux géants, Fafner et Fasolt, comme gage pour la construction d’une forteresse divine. Les petits-enfants de Wotan, Brünnhilde et Siegfried doivent compenser les défauts de Wotan. En se révoltant contre la puissance de Wotan et par leur amour mutuel, Brünnhilde et Siegfried réussissent à renverser le pouvoir de Wotan et des dieux.
Dans Star Wars, le péché originel est commis par Anakin Skywalker. C’est aussi une erreur fatale qui a eu des conséquences destructives sur l’ensemble de l’univers. Il s’est joint au Côté Obscur de la Force et est devenu Darth Vader, bras armé de l’Empereur galactique Palpatine lequel veut détruire la République et l’Ordre Jedi. Les enfants d’Anakin, Leia et Luke doivent compenser ses erreurs. Ils se révoltent contre lui et par leur amour mutuel, ils réussissent à mettre fin au régime du Côté Obscur, de Darth Vader et de Palpatine.
II.2.2. Le conflit entre le Pouvoir et l’Amour
Le conflit entre le Pouvoir et l’Amour est un conflit fondamental inhérent à l’être humain. Au cours de l’Histoire, l’homme est amené à privilégier l’un ou l’autre. C’est une lutte qui résulte fréquemment de mauvais choix. Des légendes et des récits moraux s’intéressent à ce conflit. Dans le cadre de nos deux cycles, il s’agit du conflit archétypal de l’intrigue. Dans le Ring, le pouvoir, symbolisé par l’anneau et la forteresse divine, s’oppose à l’amour, symbolisé par la déesse Freia et par les actes de Siegfried, Siegmund, Sieglinde et Brünnhilde. Tous les personnages du Ring sont complexes, possèdent des qualités et des défauts. Hagen est l’exception qui confirme la règle car c’est le seul personnage qui ait un seul trait caractéristique. En effet, il incarne le mal pur.
Contrairement aux personnages du Ring, les personnages de Star Wars sont des personnages manichéens. Ils incarnent soit le Bien soit le Mal. Tandis que le pouvoir est symbolisé par le Death Star, les actes de Darth Vader, de l’empereur galactique Palpatine ou de Jabba the Hutt, l’amour est, quant à lui, symbolisé par les actes de Obi Wan Kenobi, Leia, Luke, Han, R2D2 et C-3PO562. À l’instar d’Hagen dans le Ring, Lando Calrissian fait également exception à la règle. En effet, selon son intérêt, il passe du Bien au Mal et vice versa.
À l’instar de la parénèse du Ring, le cycle de Star Wars s’axe sur le conflit entre le Bien et le Mal et entre l’amour et le pouvoir. La morale est de toujours être soi-même et de donner le meilleur de soi-même.
II.2.3. Père et fils, conflit entre la vie et la mort
Le conflit entre le père et le fils est non seulement le moteur de l’intrigue de moult narrations mais aussi un mythème récurrent (ex. le mythe d’Œdipe). Dans les deux cycles qui nous intéressent, cet affrontement est primordial. C’est un conflit entre la vie et la mort où le fils ignore la plupart du temps qu’il se trouve face à son père. Dans Star Wars, le père et le fils s’affrontent à deux reprises. Dans le Ring, ce conflit n’a lieu qu’une fois. Pourtant, la relation conflictuelle entre Wotan et Siegfried, respectivement grand-père et petit-fils, peut être mise en parallèle avec celle de Siegmund et de Wotan.
Dans les deux œuvres, le premier affrontement a lieu dans la deuxième partie. Luke et Darth Vader s’affrontent dans l’Episode V – The Empire strikes back. Vader mutile Luke, détruit son sabre laser et tente de le tuer. Tandis que Luke ignore qu’il se trouve face à son père – cette révélation a seulement lieu dans l’épisode V – Vader reconnaît son fils. Dans le Ring, le premier conflit entre le père et le fils se situe à un autre niveau. Le dieu Wotan entend reconquérir l’anneau magique lequel lui conférerait tous les pouvoirs. Étant né d’une union d’un immortel avec une mortelle, Siegmund constitue son seul moyen de le récupérer. La déesse Fricka, gardienne des mœurs du mariage, a pris note de la relation entre Siegmund et sa jumelle Sieglinde et ordonne à Wotan de tuer son fils. Wotan est incapable de tuer son gendre et ordonne à la Walkyrie Brünnhilde – laquelle est aussi une sœur de Siegmund, née de l’union de Wotan avec la déesse Erda – d’aller lui annoncer sa mort. Simultanément à ce combat entre Siegmund et Hunding, Brünnhilde est censée tuer Siegmund mais désobéit à Wotan et protège Siegmund. Le père intervient, brise l’épée Notung de Siegmund et abat les deux combattants. Contrairement au premier affrontement dans Star Wars, par l’intermédiaire de ces deux personnages, l’affrontement entre le père et le fils dans le Ring est fatal.
Un deuxième affrontement a lieu durant la troisième partie de chaque cycle. Dans Star Wars, Luke et Vader s’affrontent une deuxième fois. Luke tranche la main de Vader mais quand ce dernier rend le sabre laser qu’il avait brisé, Vader avoue à Luke qu’il est son fils. Luke peut désormais tuer son père mais l’épargne avant de s’en aller. Dans l’acte III de Siegfried, Siegfried venge son père avec l’épée Notung qu’il a renouvelée et brise la lance de Wotan qui alors s’efface.
III.1.2.4 Père et fille, un acte de manipulation
Dans les deux cycles, la manipulation est un thème important. Dans le climax du Ring, le père manipule sa fille par intérêt. L’idée commune dans les deux œuvres est celle d’un conflit de volontés lequel résulte d’une manipulation de la part d’un père troublé. Dans le Ring, Wotan manipule sa fille Brünnhilde pour qu’elle tue son frère Siegmund. Or, Brünnhilde claire-voyante, protège Siegmund et ne se laisse pas influencer par son père. Wotan punit Brünnhilde, la transforme en humaine endormie sur un rocher lequel est entouré de feu. Il lui prédit qu’un héros devra passer à travers les flammes pour la réveiller, la sauver et l’épouser. C’est Siegfried qui la secourra et l’épousera.
Dans la première trilogie de Star Wars, Darth Vader manipule sa fille Leia, qui ne connaît pas encore la vraie identité de son manipulateur. Vader tente de lui faire avouer le nom du refuge des rebelles pour qu’il puisse les tuer mais Leia résiste. Luke viendra la secourir.
II.2.5 L’épée magique
L’idée d’une épée magique est la pierre angulaire issue de nombreuses légendes. Nous pouvons par exemple citer Al-Battar, l’épée de Goliath dans la légende de David contre Goliath ; Durandal, l’épée de Roland ou encore Excalibur, l’épée du roi Arthur dans la légende arthurienne. Pour les deux cycles, les sabres lasers fondamentaux dans Star Wars reflètent l’épée Notung. Leur symbolique est aussi ressemblante. Lors du duel avec Hunding, l’épée de Siegmund est détruite par son père Wotan. Lors de leur affrontement, le sabre laser de Luke est détruit par son père Darth Vader. Siegfried forge un nouveau Notung amélioré pour tuer Wotan. Luke construit aussi son propre sabre laser mais épargne son père.
II-2.6. Les ressemblances et les dissemblances entre Luke et Siegfried
À première vue, Luke Skywalker et Siegfried paraissent des personnages dissemblables. La première ressemblance est leur origine mythologique ; Luke est un héros de fantasy d’un space opera, et Siegfried un personnage mythologique. Pourtant, le schéma narratif mythique met en parallèle les deux récits. Il s’agit par conséquent de comparer ces deux protagonistes pour tenter de déceler des ressemblances tant narratives que musicales.
Siegfried et Luke Skywalker sont tous deux des orphelins adoptés. Siegfried a été adopté par le nain Mime et Luke par son oncle Owen Lars. De plus, ils sont tous les deux instruits par des nains isolés dans les bois. Toutefois, le savoir des deux personnages est différent.
Yoda, le grand maître des Jedi incarne le Bien. Les Jedi ont uniquement recours à la Force pour servir le Bien. Yoda aide Luke à ressentir la Force et à l’utiliser. Leur rencontre a été planifiée par Obi Wan Kenobi. En ce qui concerne Siegfried, le nain Mime l’élève afin qu’il tue le géant Fafner et qu’il possède l’anneau magique et le trésor. Siegfried se rebelle contre son père adoptif et concocte alors une potion magique en vue de l’empoisonner. Tandis qu’ils vivent une enfance semblable, leur éducation diverge. Tandis que Luke fait le Bien car il a été élevé par l’incarnation du Bien, Siegfried, quant à lui, est considéré comme un être de Bien par un personnage qui incarne le Mal.
Ils sont tous les deux en conflit avec leur père, comme explicité plus haut, cette lutte prend place dans le second acte de Siegfried et dans l’épisode V de Star Wars, la deuxième dans l’ordre chronologique. À l’aide de leur épée magique, les deux personnages parviennent à vaincre leur père. Le Bien règne ainsi à nouveau sur le Mal.
Il nous reste à évoquer l’histoire des jumeaux dans les deux cycles. Cette histoire éloigne Luke de Siegfried. En effet, c’est notamment Siegmund qui a une sœur jumelle. Dans les deux récits, les jumeaux sont séparés à la naissance et ont une liaison amoureuse à l’âge adulte. Luke et Leia grandissent dans des familles très différentes. Leia est adoptée par le sénateur Organa tandis que Luke grandit chez son oncle pauvre, sur la planète Tatooine. Leur relation amoureuse se traduit par une coquetterie de la part de Luke envers Leia et par un baiser. Ce n’est qu’ensuite qu’ils apprennent qu’ils sont jumeaux. Dans le Ring, Siegmund et sa sœur Sieglinde ont été séparés par leur père Wotan lequel donne l’enfant Sieglinde comme épouse à Hunding. Les deux ne se reconnaissent pas à leurs retrouvailles, et suite à cette rencontre Sieglinde donne naissance à Siegfried.
Dans Star Wars, l’histoire de Luke est parallèle à celle de Siegmund qu’à celle de Siegfried. En effet, Siegmund affronte également son père mais sera vaincu et mourra. Par conséquent, Luke ressemble non seulement à Siegfried mais aussi à Siegmund et rassemble ainsi quelques traits du couple père/fils du Ring wagnérien.
SB
extrait de l’article « De Siegfried à Luke Skywalker: un réseau d’influences dans la musique de Star Wars. »
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