BAYREUTH :
ENTRE LE FIGARO ET WAGNER,
L’HISTOIRE AVAIT MAL COMMENCÉ !
par Camille LESTIENNE
(in Le Figaro du 22 juillet 2016)
LES ARCHIVES DU FIGARO – Le festival de Bayreuth consacré à l’œuvre de Richard Wagner fête cette année (2016) ses 140 ans d’existence. À la première édition en 1876 le critique du Figaro, grand détracteur du compositeur allemand, n’était pas le bienvenu.
«Cette soi-disant musique de l’avenir est vouée à un oubli certain». Pauvre Albert Wolff, il n’avait pas le nez creux. Le chroniqueur du Figaro qui écrivait ses lignes en 1876 se retournerait dans sa tombe s’il savait que le Festival de Bayreuth créé par Richard Wagner fête cette année ses 140 ans. Du 25 juillet au 28 août, les wagnériens célèbrent une nouvelle fois leur compositeur préféré dans la cité bavaroise.
Wagner est déjà objet de passion en 1876 quand il inaugure son Festspielhaus. Le palais des festivals, construit sur la colline, domine la ville de Bayreuth. De l’empereur Guillaume à Franz Liszt, toute la haute société se presse pour entendre la «musique de l’avenir» dans son nouvel écrin. Un culte que le chroniqueur artistique du Figaro, Albert Wolff, ne partage pas. La tétralogie de l’Anneau de Nibelung qu’il découvre pour la première fois ne va pas le réconcilier avec son vieil ennemi.
La guerre est déclarée
Wollf n’est pas le bienvenu à Bayreuth. «Objet de curiosité», le journaliste se targue d’être connu «comme le loup blanc» par les artistes. Il affronte dans les rues de la ville les grognements et les yeux féroces. «Il y a là surtout un Wagnérien, qui se promène avec un chapeau haut de forme et couvert de plumes d’autruche! Chaque fois qu’il me rencontre il pâlit et par un mécanisme ingénieux les plumes d’autruche se dressent de terreur sur son chapeau.»
L’homme est moqueur. De sa plume brillante, il égratigne, voire assassine volontiers le grand Wagner. Tous les jours que dure le festival du 13 au 17 août 1876, en une du journal et sur trois colonnes au moins, il s’astreint au déboulonnage de l’idole.
Que lui reproche-t-il? Tout. Sa poésie est une «lecture indigeste». Les dispositions scéniques, dignes du grand guignol: «Ce qu’il y a dans ce prologue de flammes de Bengale, de nuages produits par une chaudière, de transformations, de gens qui disparaissent dans une trappe, de nains qui se transforment en monstres à douze pattes est impossible à dire.»
L’innovation introduite par Wagner de placer les spectateurs dans le noir ne trouve pas grâce à ses yeux. Ils sont ainsi «bouclés» avec interdiction de sortir pendant des actes de plus de deux heures. «C’est affreux, se plaint-il. Dès à présent, je vous prie de faire ramener mon corps à Paris au cas où je viendrais à succomber sous le poids de ces opéras énormes.»
Et la musique dans tout ça? Wolff se fait moins péremptoire. Il reconnaît à Wagner des qualités superbes… jointes à des défaillances cruelles: «quand il ne vous empoigne pas, il vous ennuie au-delà de toute expression.»
La première demi-heure de L’Or du Rhin, par exemple, est à sauver: «Le jour où la postérité aura oublié le reste, cette première page suffirait au besoin à placer Wagner parmi les plus grands maîtres.» Ouf!