Sans faux artifice, la soprano suédoise Irène Theorin sait –sur scène comme à la ville – affirmer sa présence avec une jovialité naturelle qui nous rend cette artiste sympathique dès la première rencontre.
Elle est en cela la digne héritière de ces légendaires sopranos mythiques venues des pays froids qui savaient faire démonstration d’une leçon de bonheur de vivre sur de longs périples qui les menaient du Met de New-York à la Scala de Milan en passant par le Colon de Buenos Aires ou bien encore le Festival de de Bayreuth.
Et car ces dames sont avant tout de talentueuses musiciennes à la technique imparable, notre suédoise nous frappe à travers son art avec une émission des plus naturelles, la valeur musicale de son chant étant l’aboutissement d’une analyse scrupuleuse de sa technique vocale. Le chant semble être, avec elle, le résultat d’une énergie corporelle, l’expression d’une force vitale.
Des prédispositions naturelles, savamment contrôlées par une technique à la Varnay ou à la Nilsson, qui rendent ce chant aux accents d’airain d’un naturel déconcertant. Mais tellement séducteur.
Irène Theorin est née en Suède à Gislaved. Bien qu’ayant toujours aimé la musique, elle a commencé tard sa carrière, après son troisième enfant.
Elle a exercé bien d’autres activités avant de se consacrer au chant. Ce n’est qu’à la chorale de l’université qu’elle a pris conscience de ses possibilités vocales. Elle étudie le chant à l’Académie de musique et à l’Ecole royale d’Opéra de Copenhague, ainsi qu’à l’école d’opéra de Göteborg. Elle rejoignit alors l’Opéra Studio de Copenhague. Elle ne le quittera qu’en 2014, y ayant acquis une solide formation vocale. Ses premiers rôles au sein de cette compagnie furent Freia, Donna Anna, Pamina, une des dames de La flûte enchantée. En parallèle elle fut l’élève de Geoffrey Parsons, avec lequel elle travailla longtemps le Lied.
Elle ne fut pas vraiment l’élève de Birgit Nilsson, elle suivit seulement une master class en Angleterre avec elle. De cette expérience, elle acquiert une constante vigilance concernant la technique vocale. C’est une perpétuelle remise en question lui enseigna-t-elle, puisque le chant est vécu comme un mouvement de bascule, quelque chose de difficile paraît subitement facile et vice versa. Birgit Nilsson est un point de repère pour elle. Elle a beaucoup écouté ses enregistrements. Son admiration se traduit par ce que personne, depuis Nilsson, n’a pu chanter comme elle chantait, et de lui être comparée est un grand honneur.
Le 6 août 2008 la voilà en Isolde à Bayreuth. C’est le point de départ d’une immense carrière internationale. Très vite, les rôles s’enchaînent : elle est en Brünnhilde au Met en 2009, puis en 2012-2013 pour un Ring à la Staatsoper de Berlin, à la Scala de Milan, à Bayreuth, à Budapest, à Barcelone, en 2014. Tout comme sa marraine et bonne fée “Birgit”, elle excelle dans les rôles d’Isolde et de Brünnhilde, deux rôles qu’elle alterne sans répit, partout où on la demande. Cultivant toujours cette proximité et cette sympathie naturelle avec le public qui font qu’elle est justement réclamée sur toutes les scènes lyriques du monde. Et, généreuse, l’artiste ne refuse aucun engagement. Tout comme elle ne fait la fine bouche devant aucun metteur en scène. On comprend ainsi qu’elle soit foncièrement en faveur du regietheatre, elle dit avoir beaucoup ri à la mise en scène des Meistersinger de Katharina Wagner, elle l’a trouvée divertissante ; elle défend la représentation d’Isolde que Marthalers lui fit jouer, ainsi que la Brünnhilde de Cassiers. Ce qui la séduit c’est le caractère explosif de ces tentatives.
Ces toutes dernières années elle s’est illustrée dans les rôles de Turandot et d’Elektra. Elle vient de chanter La femme sans ombre à Berlin et est annoncée au Liceu de Barcelone. Elle est devenue essentielle dans les rôles d’Isolde et de Brünnhilde à Bayreuth ces dernières années.
Dans les nombreuses interviews qu’elle donne, elle évoque beaucoup l’acoustique, la technique vocale, propres à Bayreuth. Une des qualités remarquable de la scène bayreuthienne, dit-elle, est que le chanteur s’entend chanter où qu’il soit sur la scène, en dépit de la puissance de l’orchestre. Car l’orchestre peut parfois jouer incroyablement fort, et il faut alors faire attention, dit-elle, et ne pas trop se dépenser soi-même. Car chanter trop fort est la pire des choses qui puisse arriver à un chanteur. Il appartient alors au chef d’apaiser l’orchestre quand cela arrive.
Consciente des spécificités propres à de tels rôles aussi lourds que Brünnhilde ou bien Isolde, l’artiste sait par expérience « gérer » les difficultés intrinsèques de chaque personnage qu’elle doit interpréter. Brünnhilde laisse plus de temps pour développer les émotions. Il y a chez elle (dans La Walkyrie) une grande flambée dès les premières minutes, et puis cela retombe et laisse le temps d’extérioriser tout le registre avec ironie, chaleur, amour et tristesse. Isolde contient plus de bel canto que Brünnhilde, plus de longues lignes vocales. Tout le Liebestod est une longue expression d’amour, ‘’Mild und Leise’’ est très introspectif et rempli d’émotion. Des fortissimos apparaissent aussi à certains endroits. La force de la voix est autre chose que la puissance, chanter trop fort aboutit à quelque chose de froid.
La scène finale de Brünnhilde demande plus d’expression physique. D’ailleurs, dit-elle, Brünnhilde est un rôle différent à chaque opéra. Dans La Walkyrie après le premier ‘’Hojotoho’’ Brünnhilde est plutôt dans le registre d’une mezzo, alors que Brünnhilde dans Siegfried s’élève très haut, dans Le Crépuscule nous avons une combinaison des deux. Avec Brünnhilde on sort de scène plus souvent. Alors qu’Isolde est en scène pour la plus grande partie des deux premiers actes. Vous n’avez pas le temps de vous retourner et de sucer une pastille.
A la question : « Qu’est-ce qui fait que le Liebestod soit quelque chose d’aussi grand ? » Irène Theorin semble un peu déconcertée. C’est une question difficile, dit-elle, et elle ne sait si elle peut y répondre. Ce qui en fait la grandeur, peut-être, c’est que vous ne pouvez qu’aller de l’avant et ce n’est pas une seule phrase, bien que toutes les parties sont profondément liées entre elles … Une des raisons possible pour laquelle le Liebestod a un si grand impact est que cette musique a déjà été présente dans tout l’opéra et c’est une sorte de reprise finale magnifique.
Il est indéniable qu’Irène Theorin est du côté de ‘’la grande santé’’ nietzschéenne, de la volonté de puissance. A Bayreuth, en 2000, elle obtient un premier contrat pour chanter Ortlinde, elle chantera le rôle jusqu’en 2005 puis ce sera Helmwige, à la suite d’une défection, elle dut apprendre le rôle en une nuit, puis se furent Sieglinde, Isolde, Brünnhilde, et maintenant Elektra et Turandot, comme si une grande énergie féminine ne cessait de croître.