Le journaliste et critique d’art Jules François Félix Husson (1821-1889), mieux connu sous le pseudonyme de Fleury ou celui de Champfleury, fut aux côtés de Charles Baudelaire l’un des premiers défenseurs français de la musique de Richard Wagner dans le Paris des années 1860. Grand défenseur du réalisme, il fut aussi dramaturge, nouvelliste et romancier, amateur de faiences et de chats. Dans ses Grandes figures d’hier et d’aujourd’hui, il réunit une série d’articles composés indépendamment les uns des autres et consacrés à quatre grandes figures de l’art du 19e siècle que le critique admirait: Bazac, Nerval, Courbet et… Richard Wagner.
Mais sa rencontre avec le compositeur qu’il admire tant – purement fictive et esthétique dans un premier temps – a « lieu » lors d’un concert du Maître à Paris, au début de l’année 1860). Celle-ci donnera lieu à un essai, Richard Wagner, dans lequel il dépeint l’homme autant que le génie musical. Vibrant hommage d’un esthète au génial compositeur, il n’en demeure pas moins un véritable trésor éclatant de réalisme et de sincérité.
Ce texte est reproduit ci-après.
NB : après le récit de cette rencontre, Champfleury consacrera un opus plus large au compositeur avec Richard Wagner, compositeur d’hier et d’aujourd’hui. Edité en 1861, après les représentations de Tannhäuser à l’Opéra de Paris, ce dernier se décline en plusieurs parties distinctes : Arrivée de Richard Wagner en France. — Wagner essentiellement lyrique. — Ceux pour Wagner et ceux contre. Portrait de Wagner. La mélodie dans les œuvres de Wagner.— Destinée de Richard Wagner.— Le martyre de Wagner. – Réponse de Wagner. — Poétique de Wagner. — Wagner écrivain. – Question wagnérienne. Un autre texte qui ne manque ni de profondeur, … encore moins d’actualité !
Eléments biographiques
Fils de Pierre-Antoine Husson-Fleury, un secrétaire de mairie et d’une épicière, Mélanie-Joséphine Duflot, Jules François Félix Husson naît le 10 septembre 1821 à Laon (Aisne). Il est le dernier de trois enfants et appartient à cette petite bourgeoisie d’employés et de commerçants qui s’était développée sous la Restauration, à Paris comme en province. Élève peu brillant, le jeune homme fréquente le collège de Laon de 1830 à 1834.
Jules Husson jugeait les matières scolaire comme inefficace, c’est pourquoi il s’est forgé sa propre culture grâce notamment à l’essor de l’illustration, des journaux et de la littérature. Cela lui auraient permis de nourrir son esprit et ses ambitions culturelles mieux que ne l’aurait fait l’école. D’ailleurs, ne possédant pas assez de ressources pour achever ses études, Jules Husson, comme de nombreux jeunes gens ambitieux de son époque se rend à Paris à l’âge de 17 ans et, dès son arrivée, doit travailler comme commis livreur auprès de la librairie Legrand, quai des Grands-Augustins. C’est par cet intermédiaire que le jeune homme se met à fréquenter très jeune les milieux artistiques parisiens.
En 1840, il rejoint son père qui rachete une imprimerie et publie Le Journal de l’Aisne. Jules Husson-Fleury contribue alors, en qualité de commis, à la gestion familiale de cette publication dont son frère est le propriétaire, et son père le rédacteur.
Le jeune homme ne pourra « remonter » à Paris qu’en mars 1843. Le jeune homme s’établit alors définitivement dans la capitale. Il travaille avec acharnement pour y occuper une place dans le champ littéraire. Seul, il cherche un réseau lui permettant d’obtenir des collaborations éditoriales fructueuses. L’enjeu est pour lui à la fois économique et culturel, car ses articles de presse lui procurent un certain revenu et suscitent en lui l’espoir d’une reconnaissance artistique.
Il donne des articles à L’Artiste – c’est son directeur, Arsène Houssaye, qui lui conseille en 1844 d’adopter le pseudonyme de Chamfleury – à La Revue de Paris, au Messager de l’Assemblée. Champfleury commence son ascension littéraire en développant un certain intérêt pour la littérature, la chanson et l’imagerie populaires. C’est ainsi qu’il effectue ses véritables débuts dans les lettres avec Chien-Caillou, fantaisie d’hiver (1847), qui lui vaut des éloges de Victor Hugo. La même année, suivent Pauvre Trompette et Feu miette. Il se lie d’amitié avec Baudelaire, Corot, Nadar.
Tout en donnant des pantomimes au Théâtre des Funambules (Pierrot valet de la mort, 1846; Pierrot pendu, 1847, etc.), et des critiques d’art à différentes revues (Le Salut Public, L’Évènement) où il attaque la postérité d’Ingres, les beaux-arts officiels, et défend Gustave Courbet, Champfleury continue de publier des romans qui, au lendemain du coup d’état du 2 décembre 1851, bénéficient du regain d’intérêt pour les lettres, contrepartie de l’étouffement de la vie politique.
Champfleury écrit alors ses meilleures oeuvres: Les Aventures de mademoiselle Mariette (1853), où il se révèle un peintre de la bohème supérieur à Henry Murger, Les Bourgeois de Molinchart (1854), L’Usurier Blaizot(1853), M. de Bois-dhyver (1856) — roman de moeurs cléricales –, La Succession Le Camus (1858), histoire d’un héritage, le plus construit peut-être de ses livres. Plusieurs textes, dont Le Chien des musiciens, sont réunis en 1854 dans le recueil des Contes d’Automne.
Après avoir fondé en 1856 une éphémère Gazette de Champfleury, il encourage Louis Edmond Duranty et ses jeunes amis à lancer la revue Le Réalisme, et publie lui-même sous ce titre un recueil-manifeste. En 1860, il fait paraître Les Chansons populaires des provinces de France et un Richard Wagner dont il défend avec fougue la musique en compagnie de Baudelaire.
Les années suivantes sont principalement consacrées à des critiques d’art (Les Frères Le Nain, 1862, Histoire de faïences patriotiques sous la Révolution, 1866, etc.), et à une monumentale Histoire de la caricature en plusieurs volumes publiés à partir de 1865.
Paralèlement à la littérature et à la critique d’art, Champfleury se spécialise dans l’art de la faïence. Collectionneur maladif, il évoque cette passion dans son roman autobiographique Le Violon de faïence (1862), l’un des meilleurs livres de sa deuxième période. En 1867, il épouse Marie Elisabeth Pierret, nièce de Delacroix.
En 1869, il connaît un certain succès avec Les Chats: histoire, moeurs, observations, anecdotes, illustré de cinquante-deux dessins par Delacroix, Viollet-le-Duc, Mérimée, Prisse d’Avenne, Ribot, Kreutberger, Mind, Manet et Hokusaï.
Au cours de ses dernières années, Champfleury fait encore paraître de nombreuses études sur La Tour, Courbet, Balzac, Nerval, Henry Monnier, et des Souvenirs et portraits de jeunesse (1872). En 1872, sa nomination comme conservateur du musée de la Manufacture nationale de Sèvres (Seine) lui fournit l’occasion de poursuivre ses travaux sur la céramique. Sa petite fille âgée de quatre ans décède en 1874, et sa femme deux ans plus tard. Le Secret de Monsieur Landureau est publié en 1875, suivi de Surtout n’oublie pas ton parapluie en 1879.
Champfleury meurt à Sèvres le 6 décembre 1889, à l’âge de soixante-huit ans.