par Suddhaseel SEN
traduction de l’anglais @ Le Musée Virtuel Richard Wagner
“Pourquoi brûle-t-on Brünnhilde à la fin ?”, fut la célèbre question que posa le compositeur Anton Bruckner à l’issue d’une représentation du Crépuscule des Dieux 1. La question de Bruckner est souvent considérée comme étant la plus révélatrice de l’obsession sans borne que voua le musicien à la musique de Wagner, ainsi que de l’appréciation très limitée de l’art de Wagner qui peut résulter d’une telle approche. Toutefois, la question de Bruckner est en définitive beaucoup plus pertinente qu’il n’y paraît. Pourquoi donc Brünnhilde meurt-t-elle par le feu ? Pourquoi Wagner lui fait-elle choisir une mort aussi terrible, en faisant de sa scène d’immolation l’une des plus difficiles à mettre en scène de tout l’opéra ? En outre, quelle est la signification de cette musique glorieuse et jubilatoire qui, en apparence, est en totale contradiction avec la mort et la destruction générale mises en scène 2? Enfin, pourquoi Wagner modifie-t-il les indications scéniques pour suggérer, non pas que les spectateurs sur scène (et, par extension, le public) voient le spectacle du suicide par auto-immolation de Brünnhilde avec « moins de consternation », comme le compositeur l’avait envisagé à l’origine, mais plutôt qu’ils soient « émus jusqu’au plus profond de leur être », une description que le compositeur a donnée dans les indications scéniques de la partition intégrale ?3
Même le trope de la Liebestod, (ou mort d’amour), échoue à expliquer la nécessité de représenter le spectacle de rien de moins qu’une auto-immolation sur scène, ou la musique joyeuse qui l’accompagne. Dans Sigurd (1884) d’Ernest Reyer, opéra ayant pour thème la même légende, Brunehild « vacille et sent une lame » au moment même où Sigurd est tué dans les bois voisins4, la scène étant accompagnée d’une musique sombre et funeste ; des hymnes d’éloge au couple mort seront chantés plus tard, à la toute fin de l’opéra, par un chœur sur scène alors que les corps de Brunehild et Sigurd sont incinérés selon les ordres de Gunther. Brunehild ne choisit pas de mourir, et ne meurt pas par le feu. En revanche, à la fin de Gwendoline (1886) d’Emmanuel Chabrier, l’héroïne éponyme choisit de se poignarder pour rejoindre son amant Harald mourant. Bien que la musique de cette scène soit extatique et que ses détails visuels rappellent quelque peu Le Crépuscule des Dieux, ce sont les navires danois appartenant à Harald qui seront détruits par le feu et non les amants eux-mêmes5. En fait, si les héroïnes d’opéra peuvent se poignarder ou consommer du poison, elles meurent rarement par le feu : grâce à une action ou bien une autre au cours de l’intrigue, celles-ci sont toujours sauvées, en général d’ailleurs par de vaillants Européens. Ce n’est que dans Le Crépuscule des Dieux – et dans Padmâvatî d’Albert Roussel (1923) – que l’on trouve deux figures d’héroïnes qui choisissent de se suicider par le feu. Plus étrangement encore, dans les deux opéras, leur acte d’auto-immolation est censé ne pas être perçu comme un choc et une horreur, manifestation extrême d’une superstition païenne, mais plutôt comme une manifestation suprême de courage personnel.
Les liens avec l’Inde qu’offre l’opéra de Roussel fournissent un indice pour comprendre la fin du Crépuscule des Dieux, car, comme je le soutiens dans cet article, la présence de la musique de » l’amour extatique » dans la scène de l’auto-immolation volontaire de Brünnhilde après la mort de Siegfried peut être expliquée si nous lisons le suicide de Brünnhilde comme un acte de Satī (suttee)6. Bien que le rituel de la Satī soit hindou, l’intérêt des Européens (en particulier des Allemands) pour les origines aryennes du peuple caucasien a conduit à une vision plus positive du rituel au XIXe siècle, lorsque la Satī a été considérée comme l’incarnation de la fidélité d’une femme aryenne à son mari. Parce que le Satī était un rituel aryen, la figure du Satī incarnait également la femme aryenne courageuse et loyale, et le développement au XIXe siècle de la pensée selon laquelle les Aryens se sont déplacés des régions septentrionales du sous-continent indien pour s’installer en Europe a permis à Wagner d’exploiter les associations d’une telle image dans sa représentation de Brünnhilde. Les lectures précédentes se sont concentrées sur quatre idées principales qui ont été considérées comme étant à l’origine de la fin du Crépuscule des Dieux et, en particulier, de la scène d’immolation finale :
– la notion quasi-hégélienne de Wagner selon laquelle un ordre mondial contrôlé par les dieux sera remplacé par un ordre dirigé par des êtres humains moralement sensibles ;
– le concept de Ludwig Feuerbach sur la relation dialectique entre l’amour et le pouvoir ;
– la notion de renoncement à la volonté d’Arthur Schopenhauer ;
– et le concept de rédemption par l’amour, présent dans d’autres opéras de Wagner.
Je n’ai pas l’intention de remplacer ces lectures ; je soutiens plutôt que le rituel de Satī sert de fil conducteur supplémentaire important qui doit être pris en compte, car aucun des autres concepts n’explique l’aspect le plus remarquable de la fin du Crépuscule des Dieux et sa signification dans le contexte plus large du Ring : la mort de Brünnhilde par auto-immolation volontaire.
SATĪ :
PERSPECTIVES INDIENNES ET EUROPÉENNES
Le terme Satī est utilisé différemment dans les langues indiennes et européennes. Dans les langues modernes dérivées du sanskrit, comme l’hindi et le bengali, le mot désigne la femme qui s’immole, et la coutume est appelée Satī-prathā. Il existe deux points de vue concernant l’origine du terme. Dans le premier, le terme est supposé dériver du nom original de la déesse Satī, également connue sous le nom de Dakshayani, qui est morte parce qu’elle n’a pas pu supporter l’humiliation de son père Daksha envers son mari (vivant) Shiva. Cependant, dans aucun récit important de la légende, Dakshayani ne se brûle elle-même ; de plus, son mari est vivant au moment de sa mort7. L’autre théorie affirme que le mot vient de la racine sanskrite Sat (qui signifie « vérité » ; une dérivation moderne bien connue est le concept de Satyāgraha de Gandhi, ou la « quête de la vérité »), et est liée à la croyance selon laquelle une femme qui a fait vœu de devenir sati est comprise par ceux qui l’entourent comme étant remplie de la présence galvanisante de sat, une force palpable de vertu et de vérité. Ils viennent devant elle en s’attendant à ce que, dans les dernières heures de sa vie, ce sat jaillisse de sa bouche dans une série de bénédictions et de malédictions – des bénédictions pour les bons et les fidèles, des malédictions pour ceux qui défient ce qui est juste ou qui s’opposent à son chemin 8.
Les tenants de la Satī ont également fait valoir qu’une femme ne devient pas immédiatement veuve à la mort de son mari ; ce n’est qu’après la crémation de celui-ci que la femme devient veuve, et si elle meurt avec son mari par auto-immolation, elle meurt en tant que « non-veuve »9. En revanche, dans les langues occidentales, la Satī (souvent anglicisée en « suttee« ) fait référence au rituel d’auto-immolation des femmes veuves 10.
La pratique du Satī, qui semble avoir débuté vers 400 de notre ère, n’a jamais été que sporadique ; elle a été observée dans certaines parties du sous-continent indien à certaines époques, et la présence de seulement quelques documents historiques épars de l’Antiquité – essentiellement des pierres et des sanctuaires – ne permet pas de comprendre pourquoi il en était ainsi11. Il est cependant bien documenté que vers 1800, la Satī était pratiquée plus largement au Bengale que dans toute autre partie du sous-continent indien, l’une des raisons possibles étant que des parents avides du mari décédé voulaient priver la veuve de sa part de la richesse de son mari dont, selon la tradition bengalie, elle était supposée à hériter12 (les coutumes bengalies en matière d’héritage étaient différentes de celles des autres régions de l’Inde). L’acte ostensiblement volontaire d’auto-immolation implique désormais, le plus souvent, divers degrés d’intimidation et de contrainte. Le rôle coercitif de prêtres peu scrupuleux fut de plus en plus mis en évidence, ce qui conduisit les récits européens à tenir les prêtres brahmanes pour responsables alors qu’en réalité, la Satī était également pratiquée par des membres de castes non brahmaniques.
Cependant, le XIXe siècle fut également une époque où des réformes religieuses, sociales et intellectuelles à grande échelle commencèrent au Bengale (et, progressivement, s’étendirent au reste de l’Inde), et le plus influent des premiers réformateurs bengalis, Raja Rammohan Roy, persuada effectivement les autorités britanniques d’abolir le Satī en faisant valoir que cette pratique était, en fait, incompatible avec les véritables croyances hindoues13. En 1829, l’administration britannique a jugé le Satī illégal ; en 1856, les efforts du successeur de Rammohan Roy, Ishwarchandra Sharma (Vidyasagar), ont rendu le remariage des veuves possible au Bengale14. Les efforts pour rendre l’enseignement supérieur accessible aux femmes ont suivi. À la fin du 19e siècle, la situation des femmes en Inde, bien que loin d’être parfaite, était néanmoins très différente de celle du début du siècle : une proportion non négligeable de femmes bengalies des classes moyennes et supérieures, par exemple, occupaient des postes d’enseignantes, et en 1886, Kadambini Ganguly, formée à Calcutta et en Angleterre, est devenue la première femme d’Asie du Sud à obtenir le titre de praticienne de la médecine européenne.
Alors que les premiers récits européens sur le Satī, datant du début du XVIe siècle, se concentraient sur l’horreur et le spectacle du rituel, et (parfois) sur l’héroïsme individuel de la personne qui le commettait, les récits ultérieurs, en particulier ceux des XVIIIe et XIXe siècles, faisaient du rituel soit un élément d’un discours européen plus large sur l’altérité religieuse et culturelle, soit un exemple des notions aryennes d’héroïsme. Les développements contemporains en Inde ne figuraient pas dans ces récits. Comme l’indique Dorothy Figueira dans son chapitre « Die flambierte Frau », les récits de voyageurs italiens tels que Lodovico di Varthema et Pietro della Valle, entre autres, décrivent le Satī soit comme un acte d’honneur volontaire de la part de la veuve, soit comme une pratique barbare à laquelle les veuves étaient contraintes par les prêtres brahmanes, soit comme une combinaison des deux15. Les récits portugais de Tomé Pires et Duarte Barbosa mettent l’accent sur l’honneur – soit que seules les veuves capables d’honneur commettaient le Satī, soit que le fait de commettre le Satī permettait à la veuve d’élever son statut social ainsi que celui de sa famille. Les interprétations européennes ultérieures de la Satī soulignent soit l’aspect de l’honneur, soit l’irrationalité de la croyance. Les philosophes des Lumières, dans l’ensemble, se sont concentrés sur ce dernier aspect et ont adopté une position négative sur la pratique, même s’ils étaient par ailleurs profondément intéressés par la religion et la philosophie hindoues anciennes. Voltaire, par exemple, soutenait que le Satī était une manifestation extrême des conséquences de la superstition religieuse et du pouvoir excessif entre les mains du clergé. Le poète et philosophe Johann Gottfried Herder a soutenu dans ses Ideen (1784) que le Satī était une conséquence maléfique de la croyance hindoue en la métempsycose16.
On trouve également une première adaptation fictive dans le Voyage aux Indes orientales (1782) de Pierre Sonnerat, qui contient l’histoire d’une prostituée qui élève son statut social en tentant de commettre le Satī. L’histoire de Sonnerat fut complètement remaniée par Goethe dans son poème Der Gott und die Bajadere (1797), où la prostituée fait preuve d’un amour absolu et désintéressé, proche de la dévotion religieuse, qui représente un idéal à suivre pour toutes les femmes. La représentation par Goethe de la figure de la Satī comme une femme qui donne sa vie par amour prend de plus en plus d’importance dans les œuvres littéraires européennes, notamment celles de l’Allemagne du XIXe siècle. Après Goethe, le concept de rédemption par un tel amour sacrifié devient étroitement associé aux récits de la Satī, comme dans Les bayadères de Charles-Simon Catel (1801, sur un livret d’Étienne de Jouy) et, surtout, dans l’opéra de Daniel-François Esprit Auber, Le dieu et la bayadère (1833, sur un livret d’Eugène Scribe)17. Comme il a été évoqué précédemment, aucune de ces figures Satī ne meurt finalement par le feu : elles sont sauvées dans les deux cas, l’héroïne montant au ciel dans les bras de Brahma dans l’opéra d’Auber. En outre, dans toutes ces œuvres, la figure Satī est représentée comme une femme sexuellement active qui se rebelle contre l’autorité patriarcale. Une telle représentation était, bien entendu, en totale discordance avec la réalité de la vie en Inde. Cela n’a rien d’étonnant puisque, comme le souligne John Hawley, « les représentations européennes de la sati avaient tendance à avoir beaucoup plus à voir avec l’Europe qu’avec l’Asie »18. Mais les représentations européennes de la Satī sont importantes pour comprendre le Ring de Wagner. C’est la rébellion de Brünnhilde contre l’autorité de Wotan qui rend possible la naissance de Siegfried, le héros avec lequel elle ira jusqu’à avoir une relation sexuelle19. Une femme loyale, dévouée, héroïque, indépendante d’esprit, combinant les caractéristiques des deux castes supérieures aryennes, le brahmane spirituel et le kshatriya guerrier, entre dans la composition de la femme aryenne idéale tant dans les récits des écrivains indiens du XIXe siècle que par les orientalistes européens désireux de créer un passé mythique et glorieux pour l’Inde ancienne20.
Au moment où Wagner commence ses premières esquisses pour le Ring, l’indologie est déjà une discipline plus que centenaire en Europe. Les liens entre le sanskrit, le grec, le latin et d’autres langues européennes modernes ont conduit les savants occidentaux à spéculer largement sur les origines communes des Européens et des Indiens sur la base de facteurs philologiques21.
La religion, la culture, la langue et la littérature indiennes ont fait l’objet de nombreuses spéculations, et le mot « aryen » est devenu un lieu commun où se croisent diverses notions concernant l’histoire de l’Inde ancienne et sa relation avec l’Europe moderne, reflétant toute une série de positions politiques et idéologiques européennes. Au début du 19e siècle, on pouvait observer une divergence de modèles entre les indologues anglais et allemands. Comme le note Dorothy Figueira :
Alors que les évangéliques, les utilitaristes et les administrateurs coloniaux ne pouvaient envisager le salut de l’Inde que par le rejet de sa culture irrationnelle, la conversion au christianisme et l’adhésion à la domination britannique, les érudits favorables à la culture indienne, incarnés par la figure de F. Max Müller, ont effectivement promulgué un portrait idéalisé de l’Aryen afin de contrer ceux qui défendaient cette vision rétrograde du passé indien22.
À cet égard, il est important de noter que le degré d’identification avec la culture de l’Inde ancienne pouvait varier d’un chercheur à un autre. Müller, par exemple, a commencé par assimiler le terme aryen à une langue et à une race ur-indo-européenne, pour ensuite insister sur le fait que le terme « aryen » ne faisait référence qu’à une catégorie linguistique. D’après lui, des pratiques telles que le Satī sont des ajouts ultérieurs et ne font pas partie de celles de l’aryanisme védique. L’aryanisme de Karl Ritter (1779-1859), géographe devenu professeur d’histoire à l’université de Berlin, était d’un autre type. Faisant la distinction entre les Indiens anciens et les Indiens modernes qu’il considérait comme une race à part entière, Ritter affirmait que les Aryens étaient plus proches des Européens actuels que des Indiens actuels, et que les Allemands avaient beaucoup plus en commun avec ces Aryens qu’avec les Grecs. De plus, Ritter identifiait la religion védique pratiquée par les Aryens avec les cultes d’Odin et d’autres dieux païens, soutenant effectivement, comme le dit Figueira, que » le judéo-christianisme était étranger au schéma du mythographe romantique « 23. Le lien établi par Ritter entre les dieux païens européens et les croyances religieuses aryennes nous permet de comprendre pourquoi la légende du Nibelung et la saga du Volsung ont progressivement été étroitement identifiées à l’identité culturelle allemande, alors que les différentes versions narratives de ces mythes n’étaient pas confinées à la seule Allemagne. Il n’est pas surprenant que les idées de Ritter aient connu un nouvel essor après la découverte et la traduction des Vedas en allemand dans les années 184024.
WAGNER ET L’ORIENTALISME ALLEMAND
Si la question de l’antisémitisme de Wagner a déjà fait l’objet de nombreuses études, celle de la nature et l’étendue de l’implication du compositeur dans le courant de l’orientalisme allemand a reçu beaucoup moins d’attention. L’élévation du Nibelungenlied au rang d’épopée nationale dans l’Allemagne du XIXe siècle a coïncidé avec la défense, par des érudits et philologues allemands, des textes religieux et de la littérature sanskrite comme constituant un élément important d’une supposée ascendance aryenne commune aux Allemands et aux peuples du sous-continent indien. Des savants tels que Friedrich Schlegel, Ritter et, surtout, Müller ont souligné la nécessité de connaître et d’apprécier ce corpus de littérature sanskrite afin de comprendre le passé culturel de l’Allemagne. Dans leur auto-identification croissante avec les mœurs et les pratiques « aryennes », certains de ces chercheurs érudits ont adopté une vision positive de certaines croyances religieuses hindoues telles que la métempsycose (la transmigration de l’âme) ; bien que la coutume de la Satī n‘ait jamais été valorisée par aucune grande école de pensée anglaise ou européenne, certains en sont venus à apprécier la pratique, soit en trouvant un parallèle dans le martyre chrétien, soit en considérant le rituel comme incarnant la capacité de la femme aryenne à la loyauté totale et au sacrifice de soi25 La scène d’immolation de Brünnhilde dans le matériau source scandinave évoque, comme je le démontrerai ultérieurement, l’intertexte de Satī par lequel sa mort devient un hymne à la construction et à la représentation d’une féminité aryenne idéale.
Les critiques ont exploré comment « les concepts de pureté et de régénération raciales formulés par Wagner au cours de ses dernières années ont été tissés dans le tissu idéologique de ses œuvres », et ont analysé leur présence dans des œuvres telles que Parsifal, Die Meistersinger von Nürnberg et le Ring26 De même que Wagner parvient à introduire des connotations antisémites dans ses opéras sans pour autant identifier explicitement aucun de ses personnages comme étant juif, de même il suggère des notations aryennes dans la scène d’immolation de Brünnhilde sans être explicite ; en effet, même dans ses écrits en prose, son point de vue sur les origines aryennes des Allemands figure moins en évidence que les influences prétendument néfastes du judaïsme sur la culture et la politique allemandes à l’époque de Wagner. Après tout, les origines et les modes de migration des Aryens étaient, au mieux, spéculatifs, et les connotations du mot « Aryen » ont considérablement changé au cours du XIXe siècle, tant en Europe que dans le sous-continent indien. La conception qu’a Wagner des origines aryennes de l’Allemagne, bien qu’elle soit tout à fait dans l’air du temps, est assez différente de celle d’Hitler, par exemple27. De plus, les références intertextuelles de Wagner dans le cycle du Ring sont si complexes et étendues que se concentrer uniquement sur la politique raciale revient à passer à côté des nombreuses interprétations possibles. Les tendances antisémites notoires de Wagner ont influencé ses opéras, et sa politique raciale est, en effet, extrêmement importante pour une meilleure compréhension de ses œuvres. Mais sa vision était plus complexe et multidimensionnelle que celle de sa femme Cosima ou de sa belle-fille Winifred Wagner, dont les affiliations au nazisme, associées à l’appropriation de la musique de Wagner par Hitler, ont jeté une ombre permanente sur ses opéras.
Au moment où Wagner décide d’entreprendre le projet du Ring, le Nibelungenlied est déjà considéré par beaucoup comme l’épopée nationale de l’Allemagne28, et le choix de Wagner est intimement lié au rôle qu’il espère jouer dans la culture allemande.
Qu’entendait donc Wagner par » art allemand » ?
Le compositeur lui-même s’est penché sur cette question, notamment dans deux essais : Qu’est-ce qui est allemand ? (Was ist deutsch ?, 1865-78) et Art allemand et politique allemande (Deutsche Kunst und deutsche Politik, 1867)29.
Bien que ces essais aient été écrits longtemps après qu’il ait commencé à travailler sur la tétralogie du Ring, ils sont néanmoins révélateurs des opinions de Wagner sur le sujet.
Dans Art allemand et politique allemande, Wagner définit la culture allemande comme étant issue du Volk allemand ordinaire, par opposition à la culture française de l’élite qui prospérait dans les cours et n’atteignait pas le peuple. Wagner affirme également que les princes et les rois allemands ont traditionnellement soutenu la culture française et ont systématiquement ignoré la culture de leurs propres sujets allemands. Par conséquent, dans l’Allemagne de Wagner, il n’y avait rien de comparable au drame grec, qui, selon Wagner, incarnait l’expression naturelle de la culture collective du peuple grec ordinaire. Le drame attique était le grand Gesamtkunstwerk de l’antiquité classique30 et l’Allemagne, croyait fermement Wagner, avait besoin d’un équivalent moderne. L’implication était, bien sûr, que Bayreuth était la réponse : le patronage du roi Louis de Bavière et le génie du Gesamtkünstler Wagner allaient, dans une telle conception, répondre à un besoin culturel, politique et spirituel bien nécessaire.
Dans le second essai (Qu’est-ce que l’allemand ?), Wagner commence par affirmer que la caractéristique linguistique déterminante des Allemands est qu’ils ont continué à parler leur ur-langue longtemps après que les pays romains ont cessé de parler la leur31. Wagner poursuit en affirmant que le véritable développement de la culture allemande a eu lieu lorsqu’elle s’est tournée vers l’intérieur et s’est tournée vers ses racines, au lieu de se préoccuper de la domination politique sur d’autres nations32. La vision de Wagner de l’artiste allemand vaut la peine d’être citée – elle combine des éléments de l’homme naturel rousseauiste que l’on retrouve dans Siegfried avec la célébration, à travers l’art, des mythes et sagas autochtones qui définissent le travail de Wagner lui-même sur le Nibelungenlied :
Dans les bois accidentés, tout au long de l’hiver […] pendant des générations, il [l’Allemand] garde en mémoire les exploits de ses ancêtres ; les mythes des dieux indigènes, il les tisse en une toile sans fin de sagas. Il n’écarte pas les influences venues de l’étranger ; […] il aspire à les reproduire ; il tourne donc ses pas vers la maison, car il sait que c’est là seulement qu’il sera compris 33.
Wagner ajoute à une insularité d’esprit prétendument naturelle et positive un idéalisme de tempérament et une nature méditative ; cette dernière qualité rapproche spirituellement l’Allemand des anciens peuples de l’Indus, bien que, ironiquement, cette même qualité, lorsqu’elle est observée chez les « Orientaux » modernes, soit mieux comprise comme de la paresse.34
L’idéalisme et l’intériorité des anciens Aryens, développés dans toute la mesure du possible par les Allemands d’aujourd’hui, rendaient la culture allemande, pour Wagner, radicalement différente de celle du Juif cosmopolite et matérialiste35.
Nous voyons donc que, selon l’ordre du jour, la définition de la culture allemande par Wagner suivait deux lignes différentes. Lorsqu’il avait à l’esprit ses projets de régénération culturelle de l’Allemagne par le biais du théâtre de Bayreuth, il alignait l’art allemand sur celui des Grecs anciens et l’opposait à l’art français. Lorsqu’il pensait aux origines et aux caractéristiques de la culture allemande, il adoptait ce qu’Ashton Ellis appelle une position « idéaliste-conservatrice »36, qui rapprochait l’art allemand de son ancêtre spirituel présumé, celui des anciens Aryens de la vallée de l’Indus ; dans ce dernier cas, la culture juive serait posée comme l’Autre. La tendance de Wagner à faire remonter l’essence méditative et conservatrice de la culture et de la langue allemandes à ses racines indo-aryennes idéalisées, et la tendance concomitante à déloger l’hébreu de sa position centrale, étaient partagées par la majorité des indologues allemands du XIXe siècle, tels que Friedrich Creuzer, Joseph Görres, Karl Ritter et Max Müller37.
Étant donné les interprétations changeantes du terme « aryen » parmi les indologues allemands, il n’est pas surprenant que Wagner évite complètement le mot dans ses livrets et ne l’utilise que de façon sporadique dans ses écrits en prose. Cependant, les premières lignes de son essai Les Wibelungen (Die Wibelungen, 1848) montrent que Wagner adhère à l’hypothèse selon laquelle les peuples du « Caucase indien » ont voyagé vers l’ouest, atteignant finalement l’Europe, où ils « ont commencé une évolution plus vivante et plus libre »38. « Les Wibelungs » est la première tentative de Wagner d’adapter l’histoire du Nibelungenlied. Les Wibelungs sont la première tentative de Wagner d’adapter l’histoire du Nibelungenlied. On peut donc en déduire qu’il a été influencé par les travaux des indologues allemands, mentionnés plus haut, concernant les origines des peuples germaniques, lorsqu’il a commencé à travailler sur le cycle du Ring. Cependant, l’intérêt de Wagner pour l’Inde a évolué au fil du temps39. Dans son article de 1880 intitulé Religion et art, Wagner aborde explicitement l’aryanisme : reconnaissant que la notion d’origine aryenne n’était qu’une hypothèse, il décrit les Aryens, conformément à l’érudition orientaliste allemande, comme un peuple pacifique, spirituel et agraire40.
Wagner était attiré par l’aryanisme parce que cette érudition, dans sa quête de l’originalité, avait utilisé la notion d’origines raciales, culturelles et même religieuses aryennes afin d’écarter le judaïsme de sa position centrale. Néanmoins, certains aspects de la pensée hindoue et bouddhiste actuelle étaient incompatibles avec certaines des convictions tout aussi fortes de Wagner sur les origines et les cultures du peuple allemand. Toute tentative, par conséquent, de trouver une vision cohérente et unifiée de l’Inde de la part de Wagner serait futile. De plus, dans le contexte du développement compositionnel du Ring, les glissements progressifs de l’esquisse des Wibelungen montrent que la question de l’origine raciale est progressivement devenue moins importante pour Wagner que la question de la pureté raciale. Comme Stefani Engelstein l’a montré, l’accent mis par Wagner sur la pureté raciale, et la peur associée de la Blutschande, la disgrâce de la lignée par une exogamie honteuse, l’a conduit à valoriser, pour la première fois dans la littérature allemande, l’inceste conscient entre les frères et sœurs Siegmund et Sieglinde, dans La Walkyrie. La seule autre relation amoureuse présentée sous un jour positif dans le cycle est également incestueuse – celle entre Brünnhilde et son neveu Siegfried.
Si la célébration par Wagner des relations incestueuses dans le Ring peut être liée aux préoccupations du compositeur concernant la pureté raciale, un discours qui était au cœur de l’antisémitisme allemand du XIXe siècle41, il est également possible de lire ces unions comme étant au cœur de la critique de Wagner de ce qu’il considérait comme des mariages légitimes mais sans amour, souvent fondés sur la commodité et les intérêts matériels. Si le binaire amour-pouvoir trouve son origine dans la lecture par Wagner de L’essence du christianisme de Ludwig Feuerbach, dans le cas de la relation Brünnhilde–Siegfried, cette critique est liée à « une nostalgie européenne de l’innocence perdue“42 qui traverse également les récits européens de la Satī. La représentation complexe des relations incestueuses dans le Ring montre que les aspects les plus radicaux de la pensée de Wagner pouvaient coexister avec les plus réactionnaires. C’est ce qui rend l’analyse du Ring si difficile : son énorme complexité thématique et musicale, ses allusions intertextuelles denses et son pouvoir affectif irrésistible rendent extrêmement réductrice toute analyse fondée exclusivement sur les paradigmes théoriques de classe, de race, de genre, etc. ou sur la seule musique. Une focalisation sur un aspect particulier de L’Anneau doit être complétée par une prise de conscience des multiples références intertextuelles qui imprègnent l’œuvre.
Lorsque l’on analyse le Ring sous cet angle, il apparaît clairement que parmi les nombreux textes intermédiaires qui peuvent être mis en relation avec la scène d’immolation de Brünnhilde, on trouve les sources épiques allemandes et scandinaves de Wagner43, ses lectures de la philosophie européenne (en particulier Hegel, Feuerbach et Schopenhauer)44, ainsi que les représentations de la figure de Satī au XIXe siècle, qui étaient déjà devenues courantes dans les récits de voyage, la littérature, le théâtre et l’opéra européens.
C’est vers les contextes opératiques que je me tourne maintenant.
LA GLORIFICATION DE SATĪ PAR WAGNER
DANS LE CRÉPUSCULE DES DIEUX
La représentation du rituel de la Satī dans les opéras reflète les attitudes littéraires et critiques européennes à l’égard de cette pratique. L’Angleterre et la France, les deux principales puissances coloniales, ont intégré le Satī d’une manière qui reflétait leurs propres relations coloniales avec l’Inde. Les récits britanniques reflétaient souvent la répulsion ressentie au niveau personnel par les administrateurs témoins directs de la pratique, tandis que les récits français allaient du scepticisme des Lumières à la satire (comme dans Sonnerat) en passant par l’association du Satī au concept de rédemption par l’amour (comme on peut le voir dans l’opéra d’Auber, mentionné plus haut). Les histoires de Satī alimentaient également le trope des » hommes blancs sauvant les femmes brunes des hommes bruns « 45,et renforçaient à la fois la mission civilisatrice britannique et les attitudes des Lumières envers l’hindouisme. Le théâtre et l’opéra allemands du début du XIXe siècle étaient souvent basés sur des récits britanniques et français informés par les attitudes des Lumières à l’égard de la Satī. Le drame Dirna (1809) de Julius von Soden, pour lequel E. T. A. Hoffmann a composé la musique de scène, était basé sur A Voyage to the East Indies (1757) de John Henry Grose, tandis que Jessonda (1823) de Louis Spohr, un opéra qui a conservé sa popularité jusqu’au début du XXe siècle, était basé sur la pièce La veuve du Malabar (1770) d’Antoine-Marin Lemièrre.
La Brünnhilde de Wagner, qui personnifie les caractéristiques de la femme aryenne spirituelle et héroïque, appartient à une période plus tardive et présente un contraste frappant avec ces premières représentations de Satī. Tout d’abord, contrairement aux héroïnes des autres récits de Satī, Brünnhilde s’immole, et elle le fait de son propre chef :
Starke Scheite
schichtet mir dort
am Rande des Rhein’s zu
Hauf’: hoch und hell
lod’re die Gluth,
die den edlen Leib
des hehrsten Helden verzehrt!
– Sein Roß führet daher,
daß mit mir dem Recken es folge:
denn des Helden heiligste
Ehre zu theilen
verlangt mein eigener Leib.
– Vollbringt Brünnhilde’s Wort!46
La mention des flammes amène Wagner à faire allusion à la musique du Feu Magique47, dont la présence ici fait partie d’une conception plus large. Il a été démontré que l’instruction donnée par Wotan à Loge d’entourer Brünnhilde endormie d’un feu magique (dans La Walkyrie) était une pensée après coup48.En faisant allusion à la musique du feu magique à ce moment du Crépuscule des Dieux, Wagner établit des parallèles entre les fins des trois derniers opéras du cycle du Ring. Le cercle de feu qui entoure Brünnhilde endormie dans La Walkyrie est le même que celui que traverse Siegfried pour s’unir à Brünnhilde à la fin de Siegfried. De même, à la fin du Crépuscule, Brünnhilde traverse le feu pour s’unir à Siegfried dans l’au-delà. C’est l’amour, et non le désir d’oubli de soi, qui motive cette action et c’est la raison pour laquelle Wagner a décidé de ne pas mettre en place la fin influencée par Schopenhauer. Ensuite, Wagner fait en sorte que Brünnhilde, plutôt que Siegfried, incarne l’esprit d’un héroïsme visionnaire. Il y a une déclaration rapide du motif de la Walkyrie lorsque Brünnhilde exprime son désir de rejoindre Siegfried dans la mort49.Wagner initie verbalement ce changement d’accent héroïque en faisant exprimer à Brünnhilde sa profonde ambivalence à propos de l’héroïsme de Siegfried :
Ächter als er
schwur keiner Eide; treuer als er
hielt keiner Verträge; laut’rer als er
liebte kein and’rer:
und doch alle Eide,
alle Verträge,
die treueste Liebe –
trog keiner wie er! –50
En outre, la décision de Brünnhilde de s’immoler coïncide avec une meilleure compréhension de l’ordre cosmique qu’elle acquiert désormais : elle sait que le bûcher dans lequel elle se consumera détruira également le Walhalla et entraînera le renversement quasi hégélien de l’ordre des dieux :
Alles! Alles!
Alles weiß ich:
Alles ward mir nun frei! …
Ruhe! Ruhe, du Gott! – 51
On peut rappeler que les femmes qui commettaient le Satī étaient considérées comme héroïques ; de plus, ces femmes étaient en présence de la vertu et de la vérité (Sat), ce qui les faisait accéder au rang d’êtres prophétiques. Tant par son élévation au statut héroïque que par sa perspicacité à l’égard des vérités supérieures, Brünnhilde s’aligne étroitement sur la figure de Satī.
Dans les mots qu’elle prononce ensuite, elle demande aux corbeaux de Wotan d’informer les dieux que la torche qui l’immolera purifiera l’anneau de la malédiction d’Alberich (puisque, en choisissant de mourir et de rejoindre Siegfried, elle choisit l’amour plutôt que le pouvoir), et que le feu détruira également le Walhalla. Ainsi, le rituel de Satī aboutira à une rédemption feuerbachienne de l’amour (Liebeserlösung) et, en même temps, mettra fin à l’ordre cosmique contrôlé par les dieux. Même les productions qui ignorent complètement les indications scéniques de Wagner ne peuvent ignorer l’intertexte de Satī, puisque la musique magique du feu revient dans l’orchestre à ce moment-là52.
De plus, peu après, lorsque Brünnhilde demande son cheval, Grane, le motif de la Walkyrie réapparaît, et on l’entend de façon plus importante cette fois-ci53.
La succession rapide de la musique magique du feu et du motif de la Walkyrie nous rappelle Die Walküre, l’opéra dans lequel, après avoir désobéi à son père, Brünnhilde perd son statut divin de fille de Wotan et devient mortelle.
Dans cette optique, il est tentant de lire la scène de l’Immolation comme une scène dans laquelle Brünnhilde retrouve musicalement son statut divin (tout comme les femmes qui commettent la Satī étaient élevées au statut divin dans la perception populaire, et étaient commémorées par des sanctuaires et des temples). Il pourrait cependant être exagéré de le faire, puisque Wagner n’incorpore pas dans Götterdämmerung les croyances religieuses hindoues (qu’elles soient authentiquement védiques ou non) qui étaient censées informer le rituel. Brünnhilde utilise son héroïsme non pas pour rejoindre l’ordre des dieux dirigé par son père Wotan, mais pour le renverser. Il est donc préférable de voir sa révolte comme un renversement réussi de l’ordre patriarcal de Wotan, tout comme les personnages de Satī dans les récits européens ont presque toujours défié l’ordre des prêtres brahmanes. En fait, on pourrait établir un parallèle entre l’utilisation du Satī par les philosophes des Lumières pour critiquer l’orthodoxie religieuse et la représentation de Brünnhilde par Wagner.
Wagner représente l’auto-immolation de Brünnhilde comme un acte qui défie avec succès un ordre mondial contrôlé par les dieux.
Les derniers moments de la scène de l’immolation sont imprégnés d’un motif musical. Entendu pour la première fois dans cette scène sur les mots de Brünnhilde, ‘Im Feuer leuchtend / liegt dort dein Herr, / Siegfried‘ (‘Eclairé par le feu, / ton seigneur gît là, / Siegfried’), ce motif est répété un certain nombre de fois vers la fin du monologue de Brünnhilde, dans lequel elle voit le feu comme lui permettant finalement de s’unir à Siegfried dans ‘mächtigster Minne‘ (‘l’amour le plus puissant’)54.
Après un rapide rappel de quelques-uns des autres motifs principaux, Götterdämmerung se termine par une ultime reformulation de ce thème. Hans von Wolzogen a appelé ce motif Liebeserlösungsmotiv, ou (rédemption par l’amour), sur la base d’une lecture feuerbachienne de la fin. Cependant, il faut se rappeler que Wagner a écarté une fin qui aurait été influencée par Feuerbach. Pourtant, la signification de ce motif n’est pas trop difficile à discerner. On entend ce motif à l’acte III, scène 1 de La Walkyrie, lorsque Sieglinde, dans un élan de gratitude envers Brünnhilde pour avoir désobéi aux ordres de Wotan et l’avoir sauvée, l’appelle « O hehrstes Wunder ! / Herrliche Maid!”55 De plus, ce thème est très proche du thème de Brünnhilde, entendu dans le prologue de Götterdämmerung56. Selon Warren Darcy, Wagner a décrit lui-même le motif de la Liebeserlösung comme étant » la glorification de Brünnhilde » et un « hymne à l’héroïne » ; de plus, il a consciemment associé le thème de la » glorification de Brünnhilde » à l’hymne de louange de Sieglinde à Brünnhilde. Si l’on garde à l’esprit que le désir de la Satī de s’unir à son mari dans la mort par un acte d’abnégation glorieux constitue un intertexte important dans la scène d’Immolation, on comprend pourquoi Wagner a décrit en ces termes le motif qui clôt Götterdämmerung57.
L’intertexte de la Satī explique également pourquoi l’argument de Darcy selon lequel Wagner emploie « ce thème pour représenter la transcendance de Brünnhilde » au sens schopenhauerien reste sujet à caution puisque, comme on le sait, Wagner a écrit une fin « schopenhauerienne » en prose en 1856, l’a versifiée vers 1871/72, puis ne l’a pas mise en musique, reléguant cette version, comme la fin feuerbachienne de 1852, dans des notes de bas de page lors de la publication du livret du Ring en 1872. Plaider en faveur d’une lecture exclusivement feuerbachienne ou schopenhauerienne de la fin, c’est ignorer le fait crucial que Wagner a écarté ces fins pour en choisir une qui célèbre l’héroïsme de Brünnhilde et sa dévotion à Siegfried. De plus, Darcy écrit que Wagner n’a pas suivi Schopenhauer dans son « injonction contre le suicide, que le compositeur considérait comme un moyen légitime pour les amoureux d’atteindre l’union éternelle l’un avec l’autre »58. L’éloignement de Wagner par rapport à Schopenhauer est compréhensible, puisque l’union éternelle des amoureux l’un avec l’autre après la mort ne figure ni dans Schopenhauer ni dans le concept bouddhiste du nirvana dont la pensée de Schopenhauer est dérivée. Comme Darcy lui-même le résume succinctement, selon Schopenhauer, « se libérer, c’est nier la volonté, principalement par l’ascèse et l’abnégation de soi »59. Les différents contextes dramatiques dans lesquels apparaît le motif de la « glorification de Brünnhilde » et la charge affective qu’il véhicule ne font guère penser à l’ascèse ou à l’abnégation de soi ; dans cette scène, Brünnhilde sait que son auto-immolation détruira les dieux, rien de moins. Son désir de transcendance par le suicide, comme celui d’Isolde à la fin de Tristan und Isolde, n’est pas déclenché par une lassitude du monde à la Wotan, comme Darcy semble le suggérer60, mais est chargé d’un désir érotique. La lassitude du monde qui mène au but de l’auto-anéantissement au sens de Schopenhauer n’est pas la même chose que la Liebestod, à savoir le désir de l’amant de s’unir à son bien-aimé dans la mort ; c’est pourquoi Tristan et Götterdämmerung se terminent tous deux sur une note d’exaltation puissante plutôt que sur une résignation lasse. Comme je l’ai dit, dans Götterdämmerung, la notion de Liebestod est également associée explicitement à une éthique héroïque que Wagner identifie à Brünnhilde. Ce rapprochement entre l’éthique héroïque et la Liebestod était caractéristique des lectures des apologistes de la Satī, tant européens qu’indiens, qui tentaient de voir au moins l’impulsion derrière la Satī sous un jour positif. Il est peut-être impossible de déterminer ce que Wagner pensait de cette pratique, mais sa Scène d’Immolation fait écho à la logique des apologistes de la Satī et, comme je l’ai montré, de nombreuses caractéristiques du rituel de la Satī, et des récits européens à son sujet, sont présentes dans cette scène. À son tour, la Brünnhilde de Wagner renforce la notion de la femme aryenne idéale, à la fois spirituelle, fidèle, sacrificielle et guerrière, une notion qui avait gagné du terrain dans certaines écoles de pensée européennes du XIXe siècle.
Lorsque nous considérons l’aryanisme de Wagner à la lumière des travaux des orientalistes allemands, nous constatons que ses opinions, aussi profondément antisémites puissent-elles être, appartiennent à un univers discursif où les imbrications de l’antisémitisme avec les études orientales, en particulier celles sur l’Inde, étaient dominantes pendant près de cent ans avant que Wagner n’entre en lice. De plus, si les références antisémites occupent une place importante dans ses écrits journalistiques et paratextuels, ces éléments sont suggérés, plutôt qu’explicités, dans ses opéras, comme le reconnaissent la plupart des spécialistes. Ce type d’association implicite est également vrai de son approbation de l’hypothèse aryenne de l’origine du peuple allemand. C’est grâce à ce pouvoir de suggestion que Wagner est capable de relier l’imaginaire racial du mythe source scandinave aux études orientalistes allemandes sur l’Inde à son époque, et de rendre possible l’association de la mort spectaculaire de Brünnhilde par le feu avec l’archétype de la Satī aryenne et ses représentations européennes. La valorisation par Wagner de l’auto-immolation de Brünnhilde – l’idéal de la femme héroïque qui se sacrifie – est troublante, mais la puissance affective de sa musique laisse également les spectateurs « émus jusqu’au plus profond de leur être », comme le souhaitait le compositeur.
S.S.
1 Carolyn Abbate, Wagner, On Modulation, and Tristan, (Cambridge Opera Journal,p. 1989), pp. 33–58 (et plus spécialement p. 34).
2 Carl Dahlhaus, par exemple, soutient que » le thème de l’orchestre avec lequel Götterdämmerung se termine n’est pas une métaphore musicale du renoncement et de la » négation de la volonté « , mais une expression de » l’amour extatique » célébré dans la fin de 1852 « . Voir Dahlhaus, Richard Wagner’s Music Dramas, tr. Mary Whittall (Cambridge, 1979), p.140.
3 Voir Stewart Spencer et Barry Millington, Wagner’s ‘Ring of the Nibelung : a companion (Londres, 1993) [WRC], p. 372 (note 180).
4 Voir Steven Huebner, French Opera and the Fin-de-Siècle : Wagnerism, Nationalism, and Style (Oxford, 1999), p. 500.
5 Ibid., p. 486.
6 Il convient de noter que, bien que la Padmâvatî de Roussel ait été lue comme une figure Satī, il ne s’agit pas là d’une lecture exacte, dont les raisons apparaîtront clairement en temps voulu. Padmini (également connue sous le nom de Padmâvatî), la reine rajput de Chitor, commit le Jauhar, la pratique du suicide volontaire par le feu, avec toutes les autres femmes du fort, en 1303, afin d’éviter d’être capturée par l’ennemi (les troupes du sultan Alauddin Khilji), tandis que les hommes mouraient au combat. Contrairement au Satī, dont la pratique était fondée sur une croyance religieuse, le Jauhar était un acte de défi politique, et était commis lorsque la défaite aux mains de l’ennemi était imminente. Deux autres incidents de Jauhar eurent lieu en 1535 et 1568.
7 John Stratton Hawley, ed., Sati, the Blessing and the Curse: The Burning of Wives in India (Oxford, 1994), 14.
8 Ibid., p. 6.
9 Ibid., p. 13.
10 Ibid., p. 12.
11 Pour une description et une analyse de certaines de ces pierres et sanctuaires, voir Paul B. Courtright, The Iconographies of Sati, in Hawley, Sati (note 7), pp. 27-53.
12 Ibid., p. 42.
13 Sur la campagne réussie de Roy pour abolir le Satī, voir Dorothy M. Figueira, Aryans, Jews, Brahmins : Theorizing Authority through Myths of Identity (Albany, NY, 2002), pp. 94-6 ; Lata Mani, Contentious Traditions : The Debate on Sati in Colonial India, Recasting Women : Essays in Indian Colonial History, ed. Kumkum Sangari et Suresh Vaid (New Brunswick, NJ, 1999), pp. 88-126.
14 En 1987, une jeune fille du Rajasthan, Roop Kanwar, choqua la nation en commettant le Satī ; le débat médiatique qui s’ensuivit aboutit à ce que le gouvernement indien, alors dirigé par Rajiv Gandhi, réaffirme l’interdiction, cette fois non seulement de la pratique, mais aussi de la valorisation, au niveau discursif, de cette pratique.
15 Dorothy M. Figueira, Die flambierte Frau, in Hawley, Sati (note 7), pp. 55–71.
16 Ibid., pp. 57–9.
17 Ibid. p. 60. Dans d’autres œuvres antérieures de Wagner aussi, de telles figures rédemptrices apparaissent (Senta, Elisabeth et Isolde, par exemple), mais dans le contexte de ses œuvres, leur lien avec les représentations européennes de la figure de la Satī ne devient évident qu’avec Brünnhilde dans Götterdämmerung.
18 Hawley, Sati (note 7), p. 18.
19 On peut soutenir que sa rébellion révèle le désir le plus profond de Wotan de s’anéantir. Il est néanmoins important de reconnaître que c’est une femme, Brünnhilde, qui ira jusqu’à s’immoler et qui est la figure rebelle – et non Siegfried, qui est le véritable héros du cycle du Ring.
20 Uma Chakravarti, Whatever Happened to the Vedic Dasi ?, Recasting Women (note 13), p. 29.
21 Figueira, Aryans (note 13), pp. 27–31; Chakravarti, Whatever Happened, p.40.
22 Figueira, Aryans (note 13), p. 47.
23 Ibid., p. 33.
24 Ibid., p. 34.
25 Voir Andrea Major, ‘“Pious Flames”: European Encounters with Sati before 1805, Journal of South Asian Studies, XXVII (2004), 153–81 (pp. 176–7); Chakravarti, Whatever Happened (note 20), 42–7.
26 Voir Barry Millington, Nuremberg Trial: Is there Anti-Semitism in “Die Meistersinger”?, Cambridge Opera Journal, iii (1991), pp. 247–60; The Wagner Compendium, ed. Barry Millington (London and New York, 1993), p. 164.
27 En effet, à l’époque d’Hitler, l’aryanisme avait complètement perdu ses liens avec l’Inde. Bien que les Sintis et les Roms soient d’origine indienne et parlent des langues indo-européennes, ils s’inscrivent, tout comme les Juifs et les Noirs, dans une tradition d’altération raciale qui remonte en fait au 19e siècle ; ils ont tous été classés par les nazis dans la catégorie des minorités raciales au sang étranger, et entre 220 000 et 1 500 000 Roms ont été tués par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour un examen des parallèles frappants entre le traitement infligé aux Juifs et aux « Tsiganes » – Roms et Sintis – voir Sybil Milton, Sintis and Roma in Twentieth-Century Austria and Germany, German Studies Review, xxiii (2000), pp. 317-31. Milan Hauner fait remarquer, ce qui est tout aussi important, que « la solidarité nordique […] liait Hitler en esprit avec les Anglais » et que Hitler faisait fréquemment « des commentaires élogieux sur le rôle que les dirigeants britanniques jouaient en Inde », malgré le fait que l’Allemagne et l’Angleterre étaient en guerre l’une contre l’autre pendant la Seconde Guerre mondiale ; voir Hauner, Did Hitler Want a World Dominion ?, Journal of Contemporary History, XIII (1978), pp. 15-32.
28 Elizabeth Magee, Richard Wagner and the Nibelungs (Oxford, 1990), p. 3.
29 Voir Richard Wagner’s Prose Works, tr. and ed. William Ashton Ellis, 8 vols. (London, 1892–9); repr. 1966 (New York, 1966) [PW], iv.149–69, iv.35–135. Lesoriginaux allemands peuvent être trouvés dans Richard Wagner, Sämtliche Schriften und Dichtungen, 5th edn, 11 vols. (Leipzig, 1911) [SS], X pp. 36–53 (‘Was ist deutsch?’) and VIII pp.30–124 (‘Deutsche Kunst und deutsche Politik’).
30 Wagner développe ce point dans son essai de 1849, L’Art et la révolution (Die Kunst und die Revolution), PW I.30-65, SS III.8-41.
31 PW iv.152; SS x.38.
32 PW iv.153–4; SS x.38–9.
33 PW iv.159 ; SS x.44 ; souligné dans l’original.
34 PW iv.164; SS x.49.
35 PW iv.158; SS x.42–3.
36 PW iv.158.
37 Figueira, Aryans (note 13), pp. 21–34.
38 PW VII.260–61; SS II.117.
39 Il y a des références éparses à l’Inde dans un article de 1850, Art and Climat, où Wagner soutient que le véritable art est né en Grèce et non en Inde ; voir PW I.253 ; SS III. 207-21 (p. 209). La rencontre de Wagner avec la philosophie de Schopenhauer en 1854 est, bien sûr, de la plus haute importance, et la lecture que Schopenhauer fait de la philosophie hindoue et bouddhiste va profondément affecter Wagner. Sa lecture de Schopenhauer l’a incité à planifier un opéra, Die Sieger (1856), basé sur des thèmes bouddhistes. Comme l’ont montré Bryan Magee, Raymond Schwab et Dorothy Figueira, il est impossible d’analyser Parsifal sans tenir compte de la reprise par Wagner dans cet opéra de thèmes du Ramayana, ou de la figure de Kundry dans le même opéra sans tenir compte de la vision positive de Schopenhauer, rare chez les philosophes européens, de la notion hindoue de métempsycose ; voir Schwab, The Oriental Renaissance : Europe’s Rediscovery of India and the East 1680-1880, tr. Gene Patterson-Black and Victor Reinking (New York, 1984), 442 ; Figueira, Die flambierte Frau (note 15), 64 ; Magee, The Tristan Chord : Wagner and Philosophy (New York, 2000), 278-83. Après Schopenhauer, les références à l’Inde sont plus fréquentes dans les écrits de Wagner. Il y a, bien sûr, l’article de 1865, Qu’est-ce que l’allemand ?, dont nous avons parlé plus haut ; d’autres articles incluent Sur le poème d’opéra et la composition en particulier (1879), où Wagner utilise les relations inégales entre castes comme une métaphore des relations entre mots et musique ; voir PW VI.165 ; SS X.152-75 (pp. 167-8). Certaines des références les plus élaborées de Wagner à l’hindouisme et au bouddhisme se trouvent dans l’essai de 1880 Religion et Art, dans lequel il affirme que, contrairement au christianisme, les mythes de l’hindouisme et du bouddhisme, bien que d’une profonde perspicacité, ne peuvent être expliqués que par une exégèse philosophique, plutôt qu’artistique ; voir PW VI.214, SS X.211-85 (pp. 212-13). Il n’est donc pas surprenant que Wagner ait choisi de retravailler des thèmes initialement prévus pour Die Sieger dans Parsifal, dont il avait décidé qu’il serait sa dernière œuvre scénique.
40 PW vi.225-7 ; SS x.223-6. Dans son article de 1881 Connais-toi toi-même (Erkenne dich Selbst, in PW vi.264-74 ; SS x.263-74), Wagner reconnaît le rôle central de Schopenhauer dans la redécouverte de la pensée philosophique indienne ancienne, et dans un autre article, Hérode et chrétienté (Heldenthum und Christenthum, in PW VI.275-84 ; SS X.275-85), Wagner associe l’aryanisme au brahmanisme. C’est ici que les idées de Wagner sont les plus confuses. Il commence par faire l’éloge de la profondeur des pensées philosophiques de l’hindouisme. Il le qualifie ensuite de religion de la race et présente le christianisme, la plus égalitaire de toutes les religions, comme l’antidote nécessaire. Dans le paragraphe suivant, cependant, l’égalitarisme est relégué au second plan car Wagner, citant le comte de Gobineau, affirme que la véritable égalité entre les races est une pensée horrifiante, tout comme le métissage. Bien que Wagner ait ressenti le besoin de valoriser le christianisme par rapport à l’hindouisme ou au bouddhisme, il n’a pas pu accepter les tendances égalitaires du christianisme. En 1864, il prépara des esquisses pour un projet dramatique sans nom dans lequel Luther montrerait l’inadaptation de la doctrine bouddhiste du renoncement aux climats européens plus rudes. Voir PW VIII.386.
41 Voir Stefani Engelstein, Sibling Incest and Cultural Voyeurism in Gunderode’s Udohla and Thomas Mann’s Wälsungenblut, German Quarterly, LXXVII (2004), pp. 278-99.
42 Figueira, Die flambierte Frau (note 15), p. 57.
43 Les principales sources sont les Eddas en vieux norrois, la Volsunga Saga et la Thidreks Saga.
44 En raison de l’influence de Schopenhauer, Wagner a d’abord modifié les paroles de la scène d’immolation de Brünnhilde, alignant sa mort sur le concept de nirvana tel que Wagner l’a compris par l’intermédiaire de Schopenhauer, mais a ensuite abandonné ce changement. Sur ce sujet, voir Carl Suneson, Richard Wagner und die indischen Geisteswelt (Leiden, 1989), 65-9 ; Figueira, Die flambierte Frau (note 15), 64-6 ; et Figueira, The Exotic : A Decadent Quest (Albany, NY, 1994), 100-04. Sur l’influence de Schopenhauer sur la philosophie de Wagner, voir Magee, The Tristan Chord (note 39), pp. 133-44 ; sur la connaissance de Wagner de la littérature hindoue et bouddhiste, voir Schwab, The Oriental Renaissance, pp. 438-48.
45 Gayatri Chakravorty Spivak, Can the Subaltern Speak ?, Marxism and the Interpretation of Culture, ed. Cary Nelson et Lawrence Grossberg (Urbana, IL, 1988), pp. 296-7. Voir également Robin Jared Lewis, Sati and the Nineteenth-Century British Self, in Hawley, Sati (note 7), pp. 72-7.
46 WRC (note 3), 348. Toutes les autres traductions du livret de L’Anneau sont tirées de cette source.
47 Voir la partition vocale Schirmer du Götterdämmerung de Wagner, arr. Karl Klindworth (New York, n.d.), 318/5/2 – 319/1/2. J’utilise la convention suivante : numéro de page/système/barre, et désigne dorénavant cette édition par VS.
48 Warren J. Darcy, The Metaphysics of Annihilation : Wagner, Schopenhauer, and the Ending of the Ring, Music Theory Spectrum, XVI (1994), pp. 1-40 (p. 4, note 10).
49 VS 320/1/1.
50 WRC (note 3), 348–9.
51 WRC (note 3), 349. Bien que Wagner n’ait pas été féministe, ces mots peuvent être utilisés – tant que la découverte de l’intention de l’auteur n’est pas le but principal de l’analyse – comme point de départ d’une relecture féministe du cycle du Ring. Comme les opinions de Wagner ont radicalement changé au cours de la longue période de composition du livret du Ring, il n’est peut-être même pas souhaitable de rechercher ses intentions interprétatives. Comme je le soutiens ici, la Scène d’Immolation porte les traces de plusieurs cadres interprétatifs que Wagner a développés au fil des ans, qui ne sont pas tous, loin s’en faut, conciliables entre eux.
52 VS 329/4/2 – 330/4/1.
53 Voir VS 331/5/2 et suivants.
54 WRC 350. Les numéros de mesures correspondants sont VS 333/1/2 – 333/3/1 ; 334/3/2 – 336/1/1 ; 339/2/3 – 339/3/2 ; et 340/4/1 – 340/5/1.
55 WRC 178. Les numéros de mesure correspondants, tirés de la partition vocale Schirmer de Die Walküre (New York, rééd. 1980), sont 228/1/4 – 228/3/1.
56 Voir le Götterdämmerung VS 20/1/2 – 20/5/5 pour la première affirmation importante de ce thème dans cet opéra.
57 Wagner a fait cette remarque dans son journal du 23 juillet 1872. Voir Darcy, The Metaphysics of Annihilation (note 48), 8.
58 Ibid., 2–8.
59 Ibid., 6.
60 Ibid. 18 (note 32) : Wagner rend explicite le lien entre le désir d’auto-annihilation de Brünnhilde et celui de Wotan ; non seulement l’auto-immolation de Brünnhilde sera reflétée par celle de Wotan, mais les deux actes sont fondamentalement une seule et même chose » (souligné dans l’original). Le désir d’auto-anéantissement de Wotan peut être mieux interprété en termes schopenhaueriens, mais ce sujet sort du cadre de cette discussion.