L’image du IIIème Reich est, au sortir de la guerre, fortement associée à Bayreuth, voire à l’œuvre de Wagner même dont le nazisme a dévoyé la portée initiale.
Et la direction du Festival en la personne de Winifred a trop montré ses sympathies personnelles pour que, sous l’occupation des forces alliées à partir de 1945, le culte de Wagner et de ses œuvres puissent garder droit de cité au Festspielhaus. Richard Wagner, Winifred, Bayreuth et son Festival, Hitler, le IIIème Reich : tout cela a comme une odeur de souffre dans la petite province de Franconie qui ne soupçonnait pas quelques décennies auparavant qu’elle deviendrait tant un lieu pour l’art qu’un lieu où la politique la plus subversive de l’Histoire ait siégé.
Durant les années d’occupation américaine, on tente donc de bannir le dieu Wagner de son temple et les ouvrages du compositeur sont tacitement interdits. Une direction artistique provisoire sous l’égide de la “nouvelle occupation”, en l’occurrence américaine, transforme alors le temple dédié au culte wagnérien en une scène de revues de music-hall, où les comédies musicales américaines se succèdent aux œuvres d’opéra italien ou français. Il faudra attendre 1951 pour que Winifred, destituée de ses droits par un tribunal militaire en 1949, confie la direction du festival à ses deux fils, Wolfgang et Wieland, le metteur en scène novateur et visionnaire.
I- Le « Nouveau Bayreuth »
Il fallut attendre l’année 1951 pour que s’ouvre ce que l’on a appelé le « nouveau Bayreuth » (ou « renouveau du Festival de Bayreuth »). Par cette expression il faut comprendre que c’est un Bayreuth ouvertement « dénazifié » qui d’une part a un nouveau droit de cité sans aucune honte ni justification et d’autre part un festival ouvertement novateur et révolutionnaire en matière de représentations d’opéra.
Finis les casques ailés, les armures et les heaumes que Cosima maintenait par tradition aveugle à son époux défunt, l’heure est désormais aux mises en scène épurées et minimalistes de Wieland Wagner. Dès la première édition de ce renouveau, le génie du directeur artistique s’exprime via des mises en scène inspirées des préceptes d’Adolphe Appia tout en misant (la tradition sur ce point se maintient) sur les meilleurs chanteurs ainsi que les chefs d’orchestre les plus talentueux.
Et, en signe d’avertissement, aux abords directs du Festspielhaus, une affiche annonçait clairement « la couleur » : « Hier gilt’s der Kunst ! » (C’est l’Art qui règne ici). Aucune équivoque n’était donc permise quant aux intentions de la nouvelle équipe menée par les deux petits-fils du compositeur, Wieland en tête. Désormais, à Bayreuth, on ne parlait plus de politique ni d’idéologie : seul l’Art régnait en maître mot.
Pour l’ouverture officielle du Festival qui a lieu le 29 juillet 1951, Wilhelm Furtwängler (qui a déjà eu l’occasion de s’expliquer publiquement sur son opposition au régime nazi – argument supplémentaire de Wieland pour convaincre le public et la presse) dirige la Neuvième Symphonie de Ludwig van Beethoven, œuvre chère à Richard Wagner et la seule non wagnérienne à être donnée dans la tradition de l’histoire du Festival de Bayreuth (elle est d’ailleurs reprise par la suite à quelques occasions, notamment en 1953 et 1963).
Ce choix de Wieland est en effet en soi un véritable hommage à la tradition wagnérienne la plus pure et la plus fidèle, cet ouvrage ayant été donné au Théâtre des Margraves le 22 mai 1872 alors que le compositeur, grand-père de Wieland, célébrait également avec faste la pose de la première pierre du chantier du Palais des Festivals.
Les distributions rassemblant les meilleurs chanteurs du moment (Hans Hotter, Ludwig Weber, Wolfgang Windgassen, George London, Ramon Vinay, Gustav Neidlinger, Martha Mödl, Regina Resnik, Astrid Varnay, Birgit Nilsson) font en sorte d’attirer le public qui se déplace malgré les audaces des mises en scène du petit-fils du compositeur.
En ce nouvel âge d’or du chant wagnérien, Bayreuth se refait rapidement une réputation d’excellence et redevient un lieu prisé par toute la critique et le Gotha international, et synonyme de renouveau dans l’art lyrique du XXème siècle. Les places pour le festival commencent à s’échanger à prix d’or.