Parmi bien des spécificités qui donnent au Hollandais Volant une place à part dans la suite ininterrompue des dix chefs-d’oeuvre de Richard Wagner, l’une d’elles est en rapport direct avec l’objet de notre étude : un événement extérieur inattendu, survenant dans un lieu précis, à savoir la tempête qui poussa Wagner sur les côtes norvégiennes pendant son voyage en mer de l’été 1839, a exercé un influence déterminante sur le choix du sujet, sur la conception et la réalisation de l’oeuvre. Certes, Wagner, dans ses autres ouvrages, a toujours plus ou moins établi des relations avec sa vie personnelle, l’exemple le plus évident étant bien sûr Tristan et l’amour pour Mathilde Wesendonck ; cependant, dans les deux cas du Hollandais et de Tristan, l’élément de coïncidence n’a pas la même signification. Sans vouloir en rien ternir l’image de Mathilde Wesendonck, on peut estimer que, même s’il ne l’avait pas connue, Wagner aurait quand même écrit un Tristan ou une autre oeuvre de la même essence dans laquelle il aurait déversé le flot d’amour et de passion qui était en lui. Alors que, n’ayant guère l’expérience du monde de la mer, il ne se serait peut-être jamais décidé à donner une forme dramatique au petit récit de Heine s’il n’avait vécu son aventure maritime pendant laquelle la Nature, si importante dans l’ensemble de son oeuvre, lui donna, ainsi qu’il le dit lui-même, une des plus admirables et grandioses impressions de sa vie.
LA GENÈSE DE L’OEUVRE
Une relation sommaire de la biographie de Wagner donne à penser que de toutes ses œuvres, Le Hollandais Volant est celle dont la genèse a été la plus brève puisque six mois seulement séparent la rédaction du poème de l’achèvement de la partition (mai-novembre 1841). Mais un examen plus approfondi montre une période de gestation beaucoup plus longue marquée par des hésitations et des modifications dans la conception, jalonnée par la composition de fragments isolés, toutes choses dont Wagner n’est guère coutumier et qui offrent un contraste frappant avec l’oeuvre définitive d’une fulgurante simplicité, chose qui n’est pas non plus une caractéristique des autres ouvrages wagnériens. Une étude chronologique détaillée se révèle assez délicate car, chose inhabituelle également, les divers récits autobiographiques de Wagner ne sont pas en parfaite concordance. Il est nécessaire d’en faire une interprétation sélective si l’on veut présenter les événements dans une suite logique. C’est en 1838 à Riga où il était chef d’orchestre du théâtre que Richard lut un texte de Heinrich Heine, Les mémoires de M. de Schnabelewopski, faisant partie d’un recueil de nouvelles, de souvenirs de voyage et de poèmes intitulé « Le salon » publié en 1834 (à signaler qu’une partie des textes fut par la suite reprise en français et publiée sous le titre de Reisebilder, images de voyage). Le bon Heinrich raconte sur le mode ironique l’intrigue d’une pièce de théâtre, Le Hollandais Volant, qu’il aurait vue à Amsterdam. Malgré son ton badin, ce récit renferme toute la substance du futur opéra notamment la rédemption du navigateur maudit par une femme fidèle jusqu’à la mort. Wagner relatera plus tard dans Une Communication à mes amis : “Ce sujet m’excita et se grava ineffaçablement en moi ; mais sans avoir encore la force d’y renaître comme il fallait.”
Un an plus tard, Wagner, sa femme et son chien s’embarquaient clandestinement sur un modeste voilier, la Thétis (nom d’une divinité marine, la mère d’Achille qui plongea son fils dans le Styx en le tenant par les talons), à destination de Londres en vue de rejoindre Paris, la capitale mondiale des arts.
Il est préférable pour un auteur de ma catégorie de renoncer à raconter ce voyage car il faudrait reprendre, modifier et nécessairement amoindrir le récit si vivant et si émouvant qui compte parmi les pages les plus réussies de Ma Vie. De la même façon, je m’abstiendrai ultérieurement de détailler les conditions de détresse matérielle et morale qui furent celles de Wagner au moment où il composa la musique de son Hollandais. Il les a relatées lui-même avec tant de poignante sincérité qu’elles doivent être gravées dans la mémoire et dans le cœur de tout wagnérien. Nous reviendrons sur certains épisodes de ce fameux voyage dans l’évocation des décors naturels en nous contentant pour l’instant de ce résumé : “Cette traversée restera pour moi toujours inoubliable ; elle dura trois semaines et demie et fut fertile en accidents. Trois fois nous subîmes la plus furieuse tempête, et le capitaine se vit un jour dans la nécessité de faire relâche dans un port norvégien. La navigation à travers les récifs des côtes norvégiennes fit sur mon imagination une impression merveilleuse ; la légende du Hollandais Volant, telle que j’en reçus la confirmation de la bouche des matelots, prit en moi une couleur précise, originale, que seules pouvaient leur donner les aventures maritimes que j’avais vécues.”
ll semble que Wagner ait rédigé assez vite (fin 1839-début 1840) un scénario en trois actes de son Hollandais. Au début de 1840, il fit la connaissance de Heinrich Heine ; il lui parla de son projet d’adaptation et obtint son accord. Bien des années plus tard, le Maître se souvenait d’avoir présenté à Heine un texte en français où pour parler du jeune homme amoureux de l’héroïne, il l’appelait son “amateur” ! Un scénario écrit en un français plutôt abominable a été retrouvé joint à une lettre adressée à Eugène Scribe, en date du 6 mai 1840. Richard avait condensé le sujet en un acte pensant avoir ainsi plus de chances de placer sa pièce comme lever de rideau. C’est sans doute cette esquisse que Wagner, emmené par son protecteur Giacomo Meyerbeer, remit peu après au directeur de l’Opéra de Paris. Il s’était également mis à la composition de plusieurs morceaux : la ballade, le chant des matelots et celui de l’équipage du Hollandais. Cependant, les tractations avec l’Opéra traînèrent près d’un an. Wagner finit par apprendre que le sujet avait plu au directeur mais qu’il n’était absolument pas question que ce soit lui qui le mît en musique. N’y tenant plus, il écrivit le texte de son poème en allemand en l’accompagnant d’annotations musicales, entre le 18 et le 28 mai 1841. Il habitait depuis la fin du mois d’avril à Meudon ayant dû quitter son appartement parisien trop coûteux.
Le 2 juillet, il accepta la transaction qu’on lui proposait : moyennant l’abandon du sujet, Foucher, le librettiste chargé d’écrire Le Vaisseau Fantôme, lui cédait 500 francs payables immédiatement. Ayant loué un piano dont il était privé depuis plusieurs mois, il voulut s’assurer qu’il savait encore composer : ainsi naquirent le chant du pilote et le choeur des fileuses. Et puis tout marcha admirablement : le 1er acte fut écrit entre le 11 et le 23 juillet ; le 2ème entre le 31 juillet et le 13 août et le 3ème fut fini le 22 août. Mais le dernier écu s’étant envolé, Wagner fut empêché de se mettre à la composition de l’ouverture. “Au milieu de privations indicibles”, il entreprit la mise au net et l’orchestration de sa partition, terminée à Meudon le 21 octobre. Une avance de son ami Kietz lui permit de trouver un modeste logis à Paris, au 14 de la rue Jacob, et d’y travailler à son ouverture. L’esquisse en fut terminée le 5 novembre et la partition définitive achevée le 19 novembre avec l’annotation : “Per aspera ad astra”.
Un détail extrêmement curieux est que c’est seulement après avoir terminé la partition que Wagner procéda à diverses corrections du texte de façon à situer l’action non plus en Ecosse ainsi qu’il l’avait fait en suivant l’histoire de Heine, mais en Norvège. Ce déplacement s’explique bien sûr fort logiquement compte tenu de son aventure norvégienne. En revanche, ce qui est difficilement compréhensible, c’est qu’il ait attendu d’avoir terminé la partition pour le faire. Peut-être a-t-il voulu ainsi se démarquer davantage du sujet qu’il avait abandonné à un autre librettiste ; ou bien, tout simplement, ayant reconnu l’influence exercée par les impressions qu’il avait ressenties, a-t-il voulu en quelque sorte rendre hommage aux lieux qui en avaient été le théâtre. Dans la partition originale, Sandwike s’appelait Hollystrand, Daland s’appelait Donald et Erik, Georg.
Cela nous amène à parler des diverses modifications qui ont été ensuite opérées sur la partition. Dès la création, tout d’abord, qui eut lieu à Dresde le 2 janvier 1843, il fallut procéder à la séparation des trois actes par deux entractes de façon à occuper une soirée entière, ce qui fut fait simplement en redoublant une partie des deux interludes pour constituer les introductions des 2ème et 3ème actes. Il fallut aussi transposer un ton plus bas la ballade de Senta vu les possibilités de l’interprète, Wilhelmine Schröder-Devrient.
Par la suite, pour des représentations qu’il dirigea à Zurich en 1852, Wagner révisa l’instrumentation de plusieurs passages. Une autre transformation importante est celle à laquelle il procéda, à l’occasion de concerts à Paris en 1860, sur la conclusion de l’ouverture et qu’il reprit ensuite également pour le final du 3ème acte ; c’est une fin “à la Tristan” sur le motif de la Rédemption.
Ainsi en tenant compte de toutes ces modifications et éventuellement de certaines coupures (notamment des reprises dans le duo entre Daland et le Hollandais au 1er acte et dans le finale du 2ème acte), les représentations du Holländer auxquelles on assiste présentent toujours de petites différences puisqu’il n’y a pas de version définitive. Dans les dernières années de sa vie, le Maître parlait de remanier sa partition en vue de futures représentations bayreuthiennes, mais il ne le fit pas. A Bayreuth, l’ouvrage est la plupart du temps exécuté sans entracte.
SANDWIKE IST’S ! GENAU KENN ICH DIE BUCHT.
Le premier acte du Hollandais Volant se passe sur un rivage rocheux de la côte norvégienne que ce vieux loup de mer de Daland reconnaît comme étant la baie de Sandwike à sept milles du port où se trouve sa maison. Or c’est précisément dans un petit hameau portant ce même nom sur les rives d’un fjord de la côte sud-est de la Norvège, que Wagner et la Thétis échappant à un violent ouragan trouvèrent refuge, le 29 juillet 1839. C’est le seul exemple dans toute son œuvre où Wagner prend un lieu ayant été le décor d’un moment important de sa vie pour y situer l’action d’un drame.
La localisation exacte de ce Sandwike posa bien des problèmes aux biographes. En effet, Richard se souvenait que le hameau était à quelques milles de la ville d’Arendal, mais sur une carte de la région on retrouve ce nom orthographié Sandvika ou Sandviga (qui signifie “baie de sable”) au moins six fois. La question fut résolue après une minutieuse enquête menée par le ténor norvégien Gunnar Graarud (qui fut de 1927 à 1931, l’interprète à Bayreuth de Siegmund, Siegfried, Tristan et Parsifal). Graarud finit par découvrir dans un journal local d’Arendal du 9 août 1839 que plusieurs bateaux, dont la Thétis, avaient trouvé refuge dans les eaux de l’île de Boröya, le 29 juillet. Or, il y a bien au sud de cette île un lieu-dit Sandvika : voilà qui levait tous les doutes d’autant que l’île voisine de Tverrdalsöya qui délimite le fjord présente bien une paroi de granit renvoyant un écho comme l’avait signalé Wagner qui entendant les appels des matelots, y avait trouvé le rythme très marqué de son Matrosenlied. Sur ce dernier point, des commentateurs pensent parfois qu’il s’agit des appels que l’on entend au début du 1er acte et dont justement l’orchestre renvoie l’écho. Martin Gregor-Dellin, dans sa grande biographie, fait référence au chant de travail des marins de Pillau (port d’attache de la Thétis) qui, en bas-allemand, dit : “Schunerseil-riet em daal !” (ce qui signifie : “les voiles de la goélette – larguez-les”). Le rythme est bien celui de “Steuermann, lass die Wacht!” et l’auteur pense que si Wagner n’a pas reproduit les paroles, c’est parce qu’il ne les avaient pas comprises en bas-allemand.
De toute façon, pour mettre tout le monde d’accord, on peut bien penser que Wagner, pendant le temps que dura son odyssée, eut l’occasion d’entendre plusieurs chansons. Il en avait fait d’ailleurs la confidence à son premier biographe, Glasenapp : il se souvenait de s’être rendu avec les matelots dans un moulin où le brave meunier prépara du punch avec une bouteille de rhum que la compagnie but gaiement en chantant des chansons. Graarud a cherché à retrouver ce moulin en se posant cette pertinente question : que peuvent bien aller faire des matelots dans un moulin ? La réponse logique est qu’ils étaient venus chercher de l’eau fraîche, tâche toujours urgente pour un équipage désireux de renouveler une provision croupissante. Le moulin aurait donc été à eau et non à vent comme l’avait cru Glasenapp. Il existait en effet un moulin à eau dans le petit hameau de Nes à trois kilomètres au nord de Sandvika.
A Sandvika, Richard et Minna logèrent pendant deux jours dans la maison d’un capitaine parti en voyage. Il est tout à fait exagéré de prétendre que Wagner ait pu trouver dans cette demeure une représentation du décor du 2ème acte. Dans ce minuscule hameau isolé, il n’est guère vraisemblable de trouver une maison de vastes proportions comme doit l’être celle du riche Daland.
Mais à propos, où cette maison peut-elle bien se situer ? D’après les indications que donne le père de Senta, c’est à sept milles de Sandwike directement sur la mer et non au fond d’un fjord. Comme d’autre part à la fin du 1er acte, il se met à souffler un vent favorable venant du sud, on en déduit que Daland habite plus au nord. Si l’on veut à tout prix fixer un endroit sur la cartes le port de Risör à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Sandvika, semble tout designé.
Sandwike est situé au sud de l’île Boröya. On y parvient facilement par la route secondaire qui part de la route 411 à environ 3 kilomètres à l’est de Tvedestrand. C’est un hameau fait de maisonnettes dispersées, certainement beaucoup plus nombreuses qu’en 1839, et qui sont autant de résidences secondaires ; il n’y a aucun commerce et encore moins de magasin de souvenirs wagnériens ou non. Le port minuscule n’est pas à même de recevoir un bateau tel que la Thétis qui devait mesurer dans les 25 mètres. La Thétis avail dû faire relâche à une certaine distance de la rive ou près de la paroi de granit de l’île d’en face, et Wagner avait donc dû gagner le rivage en barque. Dans les indications scéniques du 1er acte, l’espace est considérablement élargi : le rivage de Sandwike n’est pas dans un fjord ; c’est une baie qui donne directement sur le large. Les deux bateaux qui y accostent sont certainement d’un tonnage beaucoup plus important que celui de la Thétis. On peut l’affirmer en dénombrant les choristes qui forment les équipages, alors que l’on sait que la Thétis comptait seulement sept matelots. On peut même ajouter que, ces sept matelots n’étant probablement pas des choristes, il a fallu une bonne dose d’imagination au compositeur pour s’inspirer de leurs chants !
Donnant directement sur le port de Sandvika, il n’y a que deux maisons dont l’une est présentée dans certaines biographies illustrées du Maître comme étant celle où il séjourna. Cependant la propriétaire, tout en confirmant que sa maison était très ancienne, m’a affirmé sans paraître le regretter le moins du monde, que ce n’était pas celle où habita Wagner. Celle-ci se trouvait juste à côté, mais elle n’existe plus aujourd’hui. Plus que sur le hameau de Sandvika en lui-même, c’est surtout sur l’environnement que le pèlerin jette ses regards émus : la paroi de granit surmontée d’une forêt et tombant à pic dans les eaux tranquilles du fjord, la perspective vers la mer dans laquelle les récifs rapprochés forment comme une barrière : ce paysage est resté immuable tel que Wagner le contempla. J’ai aussi pu retrouver, dans le hameau de Nes, sur une presqu’île au nord-ouest de Sandvika, le moulin signalé par Graarud, malheureusement complètement en ruine ; il ne chante plus, mais le frais ruisseau qui coule en cascade, lui, chante toujours.
PER ASPERA AD ASTRA
En jouant au petit jeu qui consiste à caractériser par nos cinq sens l’impression que produit sur nous Le Vaisseau Fantôme, il n’est pas difficile d’y retrouver à chaque fois l’évocation de la mer. Le génie juvénile du Maître fait déferler sur nos tympans des flots tumultueux de musique et de poésie. On y voit s’agiter les vagues de l’espace infini ; on y respire le parfum pur et vivifiant des embruns ; notre bouche est imprégnée de l’âpreté de l’eau salée. Enfin, on touche aux profondeurs d’un océan de détresse.
Cette détresse immense qu’exprime le personnage principal a été aussi celle de l’artiste qui composa cette œuvre. J’ai déjà dit qu’il n’était guère décent de résumer en quelques phrases plus ou moins anecdotiques les vicissitudes misérables du séjour de Wagner à Paris et de s’émerveiller béatement qu’une évolution aussi extraordinaire de son génie ait pu s’accomplir dans des conditions aussi pénibles ou, pour reprendre notre évocation aquatique, dans des eaux aussi bourbeuses. Seule une lecture détaillée des divers récits autobiographiques est à même d’en permettre une compréhension convenable. Et la visite des lieux où se produisit cette transformation en est un complément nullement superflu.
L’ordre chronologique nous conduit en premier lieu au 31 rue du Pont Neuf, devant la présumée maison natale de Molière où Jean-Baptiste Poquelin en buste jette un regard distrait sur le Forum des Halles, gigantesque monument que notre monde a construit à la célébration de sa vanité. Wagner a vécu ici, dominant le grouillement du commerce des victuailles, au 4ème étage de ce qui était alors un modeste hôtel, de septembre 1839 à avril 1840. C’est là qu’il écrivit les premiers plans de scénario de son Vaisseau Fantôme.
Nous brûlons la station suivante, 25 rue du Helder, près du Boulevard des Italiens, où Wagner séjouma pendant un an ; l’immeuble a été rasé quand Haussmann restructura le paysage urbain de notre capitale.
Et nous entreprenons une excursion jusqu’à Meudon en nous souvenant que Richard, complètement désargenté, fit souvent à pied ce long parcours. Sur une bien discrète maisonnette au 27 avenue du Château, une plaque signale que “Richard Wagner a habité en 1841 cette maison où il a composé le Vaisseau Fantôme”. Cette plaque a été posée en 1936 après des recherches sur le cadastre pour localiser la propriété de Monsieur Jadin qui en avait loué le premier étage au gentil ménage d’un musicien allemand dont la gloire était encore à venir. Wagner a vécu ici de la fin avril à la fin octobre. Le texte du poème, la musique des trois actes et leur instrumentation sont nés dans cette minuscule retraite ; si exiguë d’ailleurs que le problème reste posé de savoir comment Richard parvint à y faire rentrer le piano qu’il avait loué.
On peut regretter que cette maison n’ait pas été aménagée en lieu de souvenir ouvert au public tant l’événement qui s’y passa est riche de signification. Récemment, un nouveau propriétaire l’a entièrement transformée pour s’en faire un logement très confortable dont la décoration moderne s’inspire largement de l’opéra de Wagner ; mais c’est une demeure privée qui naturellement ne se visite pas. Signalons qu’on peut voir quelques souvenirs wagnériens dans le musée municipal de Meudon.
La dernière étape nous conduit dans le Quartier Latin, au 14 de la rue Jacob. Une petite plaque au-dessus de la porte d’entrée rappelle que “Richard Wagner 1813-1883 a vécu ici du 30 octobre 1841 au 7 avril 1842”. À présent, il est assez délicat d’accéder à la seconde cour où donne l’appartement occupé par Wagner au 2ème étage, car la porte de l’immeuble est équipée d’un dispositif d’ouverture avec code et interphone. C’est dans cette maison qu’il composa l’Ouverture du Hollandais Volant avec une telle assiduité à sa table de travail qu’il y contracta l’affection hémorroïdaire qui le gêna toute sa vie et qui a certainement contribué au mauvais souvenir qu’il garda de son séjour parisien.
Pour ne pas terminer sur ces basses considérations, je vous invite à rejoindre les hautes sphères par cette prière qui pastiche les productions littéraires de Wagner datant de cette époque et que je vous propose en conclusion :
“Détresse aux multiples visages, compagne fidèle de l’artiste, c’est toi que je veux célébrer en terminant cette pieuse évocation. Toi qui suivis inlassablement le jeune Maître encore inconscient de sa maîtrise, le préservant de la fortune décevante d’une gloire prématurée. Toi, austère déesse, qui en l’enveloppant dans le nuage épais et sombre des soucis, de la pauvreté et de l’humiliation, a abrité ses regards des rayons enivrants de la folle vanité du monde. Dans ta maternelle sollicitude, tu protégeas le germe fragile de son génie en lui laissant pour seul refuge le précieux berceau tressé des fibres de la poésie et de la musique, en même temps que dans une farouche étreinte, tu pressais voluptueusement son âme nue sur ton sein brûlant. Ainsi put naître et s’épanouir une oeuvre comme jamais il n’en avait été conçue, car tu avais donné au génie le sens de son devoir : faire profiter les mortels qui avancent à tâtons dans les ténèbres de la vie, de la lumière bienfaisante de l’amour, de la grandeur et de la beauté. Daigne aussi, mère éternelle, accorder une parcelle de ta grâce à ceux qui se disent les fidèles du Maître, mais qui se repaissent parfois un peu frivolement du trésor qu’il nous a légué. Amen !”
P.S. : après une représentation à Bayreuth, allez vous restaurer au Holländer Stuben, près du Festspielhaus, Nibelungenstrasse. Le décor est très évocateur. La cuisine n’est ni hollandaise ni norvégienne, mais elle n’en est pas moins excellente !
H.P. @ CRW Lyon