Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
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 WAGNER APRÈS WAGNER

LE VAISSEAU FANTOME (Der Fliegende Holländer) WWV63 : PREMIÈRE ESQUISSE EN PROSE POUR « LE HOLLANDAIS VOLANT » (PARIS, 1840).

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par logo_cercle rw Pascal BOUTELDJA

 

A Paris, en mai 1840, Richard Wagner rédige une esquisse en prose en français d’un opéra en un acte imaginé comme « lever de rideau », intitulé « Le Hollandais volant ». Il fait parvenir ce scénario au librettiste Eugène Scribe afin d’obtenir son soutien, en vain… Ce texte est ensuite transmis au directeur de l’Opéra de Paris, Léon Pillet, mais celui-ci ne souhaite pas lui passer commande de la partition.

Aussi, le 2 juillet 1841, Wagner, désargenté se décide à céder à la direction de l’Opéra, pour cinq cents francs, ce synopsis, qui sera dans un second temps adapté et versifié par Paul Foucher et Benedict-Henri Revoil, puis mis en musique par le compositeur Pierre-Louis Dietsch. Cet opéra fantastique en deux actes intitulé « Le Vaisseau fantôme, ou le Maudit des mers » connaîtra à partir du 19 novembre 1842 onze représentations avant de disparaître définitivement de l’affiche en janvier 1843 (il faudra attendre 2013 pour redécouvrir grâce à l’initiative de Marc Minkowski cette œuvre oubliée).

Richard Wagner écrira sa propre version du sujet sous le titre « Der Fliegende Holländer ». Cet opéra, achevé le 19 novembre 1841, sera représentée à Dresde le 2 janvier 1843. Voici reproduit ce premier projet en prose écrit dans un français approximatif (et pour lequel nous avons respecté l’orthographe originelle) résumant le futur livret de l’œuvre de Wagner, « Le Hollandais volant ». Ce texte avait été reproduit par Julien Tiersot dans son ouvrage Lettres françaises de Richard Wagner (Grasset, 1935). Mais, entachée d’erreurs et d’omissions, cette esquisse a été de nouveau publiée en 1993 par Bernd LAROCHE, d’après le manuscrit original (Der Fliegende Holländer. Wirkung und Wandlung eines Motivs Heinrich Heine – Richard Wagner – Edward Fitzball – Paul Foucher und Henry Revoil / Pierre-Louis Dietsch. (Frankfurt am Main, Peter Lang, 1993, pages 71 à 74).
Elle a ensuite été reproduite par Peter Anthony Bloom dans son article intitulé « Le sort du Fliegende Holländer en France : Le Hollandais Volant de Wagner et le Vaisseau fantôme de Dietsch ». (In : Musique et Médiation. Le métier, l’instrument, l’oreille, sous la direction d’Hugues Dufourt et Joël-Marie Fauquet. Paris, Klincksieck, 1994, pp. 107-109)

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Le Hollandais volant (nom d’un fantôme de mer)
Première esquisse en prose en langue française pour l’opéra « Le Hollandais
volant » (Paris, 1840)

De nouveau sept ans sont passés, pendant les quels le Hollandais – c’est d’après la tradition des marins le « Hollandais volant » – a erré sur les mers sans repos et sans pouvoir atteindre son dernier jour. De son sombre vaisseau, dont les voiles d’un rouge sanguin et l’équipage de spectres sont l’effroi des marins dans les eaux étrangères, il descend aujourd’hui sur une des côtes de l’Ecosse. – Jadis, il y a plusieurs siècles, l’audacieux affirma par des sermens qu’il voulait faire le tour d’un cap quel conque malgré les vents contraires, quand même il faudrait y mettre une éternité. Satan accepta les sermens et le condamna d’être poussé par les flots des mers éternellement et sans pouvoir trouver la mort, – mort enfin ardemment désiré. Il n’y avait qu’une seule condition, par l’accomplissement de laquelle le condamné devait espérer sa rédemption ; c’était, qu’il devait être délivré par une femme qui lui était fidèle jusqu’ à la mort. Mais cette condition n’était qu’un moyen de Satan pour gagner de nouvelles victimes, car, puis que les femmes qui ne pourraient pas conserver leur fidélité jusqu’à la mort, devaient appartenir au diable, celui-ci ne pouvait manquer d’acquérir de nouvelles victimes par les vains essais du Hollandais de se délivrer par ce moyen.

C’était pour ce but, qui’il était permis au Hollandais de mettre pied à la terre toutes les sept années. – Combien de fois n’a-t-il pas déjà se servi de ce moyen pour avoir sa rédemption ! Mais combien de fois n’était-il pas déjà par l’infidélité des femmes rejetées sur les flots de l’Océan ! – Il est aujourd’hui plus las de sa condamnation que jamais: – Ah, qu’il puisse trouver sa fin, fut-il au prix de tomber dans le néant! Sur la côte il trouve un marchand écossais bien riche, qui de même vient de débarquer. Il lui vend quelques diamants et perles précieux ; l’Ecossais trouve son profit dans son achat ; interrogé, s’il a une fille, il l’affirme, et s’entend en peu de temps avec le Hollandais sur le mariage à conclure avec sa fille, pour confirmer parce moyen leurs relations commerciales. Cette fille ayant été élevée depuis son enfance ensemble avec un jeune homme, bon mais pauvre, est passionnément aimée par lui. Mais celui-ci a peur, qu’il ne puisse pas obtenir le consentement du riche père de son aimée ; outre cela il était souvent irrité et fâché par un penchant étrange et rêveur de son amie ; jamais il
ne voyait tout clair, s’il fût aimé en vérité. Souvent la jeune fille était assise durant plusieurs heures devant un portrait étrange, qui se trouvait dans le salon, et qu’elle regardait avec un enthousiasme rêveur. Ce portrait représentait un homme beau et pâle, vêtu d’un habit noir à l’Espagnole. Ses traits qui exprimaient une souffrance profonde et sans repos, la touchaient jusqu’au fond de son cœur. Mais surtout elle était émue par l’audition d’une ballade ancienne, qu’elle avait souvent entendu chanter par sa nourrice, et qu’elle même répétait tous les jours. Cette ballade racontait le sort terrible, au-quel était soumis l’homme beau et pâle représenté par le portrait. Mais rien ne la touchait plus véhément que la fin de la ballade, renfermant la condition de la rédemption du Hollandais, mais qui indiquait en même temps que jusqu’à présent il n’avait pas encore trouvé une femme qui lui avait été fidèle jusqu’à la mort ; – alors elle fut inspirée par une exaltation extrême, où elle s’écria : « Moi, ô moi, je serais bien capable à délivrer le condamné malheureux ! » De telles exclamations furent entendues au plus grand mécontentement de tout le monde; mais personne en fut plus affligé que le pauvre jeune homme, qui l’aimait tant, et qui s’enfuit se précipitant à travers les forets et les montagnes voisins pour étourdir ses craintes et ses doutes. Ce fut après une telle scène que le père arriva accompagné par le Hollandais. A l’instant il instruit sa fille, qu’elle épouserait l’étranger; il possédait des richesses énormes ; cela et puis son air honnête et sa naissance très ancienne la décideraient sans doute de ne pas repousser un tel mariage. Mais la fille n’entend rien de ces éloges; l’aspect de l’étranger la tient comme dans un état
d’enchantement ; – elle ne peut plus se détourner de son regard. On laisse les deux seuls. L’étranger recherche son amour. Il se sent profondément ému de son aspect – l’apparition de cette jeune fille lui rappelle les époques de sa vie les plus reculées.
Oui – lui aussi il sentait jadis des amours ardents ; – et, hélas! La moquerie cruelle du diable lui laissa bien un cœur battant, pour lui bien faire même sentir la souffrance éternelle, à la-quelle il l’avait condamné. – Serait-ce elle qui lui pourrait être fidèle jusqu’à la mort ? – Elle déclare qu’elle ne connaisse qu’une seule fidélité, c’était celle à mort ! – Il tâche à l’examiner, en lui faisant entrevoir de loin son sort affreux; ce qui l’enchaîne encore plus. Entraînée par un sentiment incertain dont elle ne sait se rendre compte à elle-même, elle se montre résolue à remplir la promesse de son père donnée à l’étranger. Il a commencé à faire nuit. Le père a fait des arrangements d’une fête ; sa maison est située sur le bord de la mer. Le vaisseau de l’Ecossais et celui du Hollandais sont au port l’un près de l’autre. La joie règne sur le vaisseau écossais ; on y chante et boit à la santé des fiancés. La conduite de l’équipage du vaisseau Hollandais offre un contraste étrange ; il y règne le silence des morts. Les gais Écossais s’en moquent ; ils demandent : – s’ils ne savent pas la manière des marins ? s’ils n’ont pas appris à chanter et à boire ? qu’ils appartiennent par hasard au « Hollandais volant » ? que leur vaisseau en a bien l’air ! peut-être ont-ils des lettres pour les faire parvenir à leurs aïeux ? etc. – Ces propos irritent les matelots du Hollandais ; ils répondent : qu’ils veulent bien chanter une chanson comme on en apprend ayant parcouru la mer pendant des siècles entiers. Ils chantent une chanson terrible, étrange et effrayante. Un frissonnement s’empare des Écossais ; après avoir en vain essayé de couvrir par leur chant gai la chanson affreuse des Hollandais, ils se taisent et quittent le pont en faisant le signe de la croix ; ce qui excite un ris moqueur diabolique des Hollandais. La jeune fille sort de la maison; son jeune amoureux la poursuit. Il est désespéré : « Qu’ai-je entendu, qu’ai-je vu ! Est-ce là la récompense de tant d’amour fidèle et longtemps prouvé ? Est-il bien vrai que tu t’abandonnes à cet étranger qui à peine a franchi le seuil ? » – La jeune fille lutte avec ses sentiments ; les plaintes de son ami remplissent son cœur de douleur et de compassion ; – mais elle dit, qu’il lui était impossible de lui appartenir, que c’était ainsi la volonté de son père. Le jeune homme ne veut pas l’écouter ; il lui rappelle le temps de leur enfance, les beaux moments de leur vie qui lui avaient prouvé, qu’il était aimé d’elle. – Tout ce dispute est entendu par le Hollandais. Après avoir appris, que sa fiancé est déjà liée par les liens d’un autre amour, il se précipite vers elle. Ému à l’extrémité il s’écrie: « Ah, tu ne me peux pas être fidèle ; – à présent il n’est pas encore trop tard, – je t’aime trop pour t’entraîner dans ta perte ! Adieu ! » – La jeune fille tâche de le retenir, l’assure, qu’il ne devait pas douter de sa fidélité, qu’elle n’appartenait qu’à lui. L’inconnu ne veut pas l’écouter, il donne l’ordre à l’équipage de son vaisseau de lever l’ancre et d’appareiller, parce qu’il fallait aller en mer pour l’éternité « Oui, – dit-il, – c’est ton doux aspect, qui remplit mon cœur avec trop de pitié, pour ne pas devoir t’épargner. Tu aimes un autre et tu ne me pourras pas être fidèle ; – sois heureuse, je ne te veux pas perdre. Car, que tu le saches, la femme qui ne m’est pas à fidèle à mort, est damnée à l’éternité. Le nombre des femmes auxquelles j’ai préparé ce Destin terrible est déjà assez grand. Mais tu es sauvée ! Adieu! » – Il veut fuir, mais elle le retient à genoux : « Je connais bien ton sort; mais moi je serai celle qui te délivrai! » – Il s’arrache de ses mains : « – Non, – tu ne me connais pas! » Il montre son vaisseau, dont l’équipage prépare le départ avec une activité effrayante, et dont les voiles rouges sont haussées. « Voilà, – s’écrie-t-il, – ce vaisseau avec ses voiles d’un rouge sanguin est l’effroi du marin, et c’est moi, que l’on appelle le Hollandais volant » – A ce mot il se précipite d’un saut sur son vaisseau qui à l’instant quitte le rivage. Les autres ayant en vain tâché de la retenir, la jeune fille s’élance rapidement sur la pente d’un rocher, et s’écrie de toute sa force après le Hollandais qui part : « Bien, que je sache, que tu ne pourras pas être sauvé que par une femme fidèle à mort ! Vois donc, je t’aime, je te suis fidèle jusqu’ à ma mort ». – En prononçant le dernier mot elle se précipite du rocher dans la mer ; au même instant le vaisseau du Hollandais coule à fond et disparaît.

Richard Wagner

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