Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER

LES PROJETS INABOUTIS D’OPÉRAS HISTORIQUES DE RICHARD WAGNER

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par logo_cercle rw Pascal Bouteldja

 

Les Classiques ne juraient que par trois sources d’inspiration : la Grèce antique et ses dieux, la Rome antique et ses héros et l’Orient et ses sérails. Les Romantiques vont élargir leurs domaines d’investigation à une nouvelle source : l’Histoire et l’Europe médiévale. Les drames historiques connaîtront alors une faveur croissante. Eugène Scribe suivra ces tendances littéraires. Il puisera dans le domaine de l’Histoire pour alimenter le sujet de ses livrets d’opéras, en particulier dans les romans de Walter Scott qui connaîtront en France un succès croissant à partir de 1816. Scribe et ses compositeurs (Meyerbeer, Auber) feront du Grand opéra historique parisien le genre musical nouveau qui prédominera dans les années 1830. Leurs productions voyageront dans l’Europe entière et influenceront plusieurs générations de compositeurs. L’impact sur Richard Wagner est le plus manifeste dans son propre essai dans le genre, Rienzi – le meilleur opéra de Meyerbeer selon la célèbre boutade d’Hans von Bülow. Mais on ne saurait ramener les relations de Wagner à l’opéra historique à ce seul et brillant essai. Les sujets légendaires puis mythiques ne s’imposeront qu’après de nombreuses tentatives – toutes inabouties – dans le genre de l’opéra historique. C’est la découverte de ces esquisses que vous propose cet exposé.

 

1- Le projet de Kosciuszko

Le premier projet d’opéra historique qui aurait pu s’intituler Kosciuszko, du nom du héros national polonais, ne bénéficia pourtant jamais de la moindre esquisse musicale. Le livret avait été proposé à Wagner par Heinrich Laube, chef de file du mouvement littéraire Jeune Allemagne qu’il avait rencontré en 1832 à son retour de Bohème, où il venait de commencer Les Noces, son premier opéra dont on n’a conservé que l’esquisse musicale des deux premières scènes. Laube voulait absolument faire accepter au jeune compositeur le livret d’un opéra intitulé Kosciuszko. Il fut alors plutôt mal reçu. C’était tout simplement une biographie du personnage historique adapté à la scène. Wagner eut bien du mal à faire comprendre à Laube les raisons pour lesquelles il souhaitait être son propre librettiste. Il laissa provisoirement l’auteur du livret dans l’incertitude, attendant le moment propice de lui apprendre son refus de le mettre en musique. En ce début d’année 1833, Wagner était engagé comme chef des chœurs à Würtzbourg. C’est là qu’il composerait son premier opéra achevé : Les Fées.

 

2- Die Hohe Braut (La sublime Fiancée)

A l’aube de sa carrière, Wagner, visant naïvement le vrai triomphe, souhaitait conquérir Paris. Mais, pour cette conquête, il fallait passer sous les fourches caudines de l’imitation du style dominant. C’est ainsi qu’à Koenigsberg à l’automne 1836 avait pris naissance l’esquisse en prose d’un grand opéra historique : Die Hohe Braut. Le sujet était inspiré d’un roman d’Heinrich König, publié dans la Gazette du Monde Elégant, dirigée par Laube. Wagner adressa l’esquisse de son livret à Scribe, le priant de le mettre en vers conformes aux usages et au goût parisiens, afin qu’il puisse en composer la musique. Vaine requête. C’est alors qu’il s’attela à la rédaction du livret de L‘Heureuse famille des Ours. Finalement, c’est Rienzi qui verra le jour. Dès juillet 1837, Wagner en rédigea le brouillon en prose et le livret fut achevé pendant l’été 1858. Mais l’histoire de Die Hohe Braut ne s’arrête pas là… Plus tard à Dresde, en août 1842, Wagner reprit le texte de cette Sublime Fiancée à l’attention de son collègue Reissiger, Maître de chapelle de la Cour. Voici ce qu’écrit Wagner dans Ma Vie : « Pour obtenir que le maître de chapelle Reissiger lui-même s’attachât aux répétitions au piano (de Rienzi), j’avais eu recours à quelque diplomatie. Il s’était plaint à moi des difficultés qu’il éprouvait à trouver un bon livret d’opéra ; il pensait que cela seul l’empêchait d’obtenir des succès comme compositeur, puisque la Schröder-Devrient, par exemple, chantait avec indifférence le finale de son Adèle de Foix, alors qu’elle mettait infailliblement le public en transe avec le finale du Roméo et Juliette de Bellini. C’était donc des sujets que cela venait. Aussi m’empressai-je de lui promettre que je lui fournirai le livret d’un opéra où il pourrait introduire sa musique avec le maximum d’effet et ma promesse le mit au comble de la joie. Je décidai de mettre en vers mon vieux plan de la Fiancée Idéale. Je promis à Reissiger de lui apporter une page de vers à chaque répétition au piano et je tins scrupuleusement ma promesse jusqu’à ce que le livret fût entièrement achevé ». Wagner écrivit donc un livret de quatre actes en vers. Reissiger n’y donna finalement aucune suite. L’empressement de l’auteur de Rienzi avait éveillé de graves soupçons dans l’esprit de la méfiante Madame Reissiger. « Il y avait là sans doute un piège perfide auquel la plus élémentaire prudence commandait d’échapper » conclut Wagner dans son autobiographie. Finalement, la partition fut composée par un ami pragois de Wagner, Ian Bedrich Kittl. L’opéra vit le jour sous le titre de Bianca et Giuseppe ou Les Français devant Nice et fut créé avec succès à Prague en 1855. Wagner n’entendit jamais cet ouvrage. Cet opéra fut ensuite donné à de nombreuses reprises, toujours avec succès. Et voici comment Wagner conclut cette histoire : « […J C’est à cette même occasion qu’un certain critique de Prague m’apprit que mon texte témoignait de réels talents de librettiste et que c’était sûrement par erreur que je me consacrais également à la composition. A l’inverse, Laube put affirmer, après Tannhäuser, que mon échec venait de ce que je n’avais pas voulu faire appel à un habile auteur dramatique pour me fournir un livret convenant à ma musique ».

Voici le résumé du livret de La Sublime Fiancée :

L’action se déroule à Nice en 1793, pendant le conflit franco-italien. Bianca, une aristocrate aimée par un simple chasseur, Giuseppe, est promise au comte Rivoli. Giuseppe, qui veut l’arracher au comte, est arrêté, puis délivré par un ancien vassal de Rivoli, Sormano, que le comte avait chassé parce qu’il avait secrètement épousé sa sœur Brigitta. Celle-ci, déshéritée par son frère, est devenue une chanteuse de rue. Pour se venger et la venger, Sormano a pris la tête d’une troupe de bannis, et s’est entendu avec l’armée française pour l’aider à pénétrer dans Nice. Giuseppe refuse d’abord de trahir son pays, puis à la nouvelle du prochain mariage de Bianca et Rivoli, se joint aux conjurés. Ils sont battus. Sormano et Giuseppe, arrêtés et condamnés à mort, réussissent à s’échapper déguisés en ermites. Le jour du mariage, Giuseppe poignarde Rivoli. Bianca, qui avait absorbé du poison meurt dans les bras de son ancien amant en lui demandant de retrouver son honneur. A cet instant, les Français pénètrent dans la ville. Giuseppe prend la tête des soldats italiens et tombe au premier coup de feu.

 

3- La Sarrazine

Pour ce sujet la principale source d’inspiration fut l’histoire des Hohenstaufen. La première ébauche d’un opéra sur cette dynastie date du premier séjour parisien, à l’époque où Wagner se tournait avec nostalgie vers l’histoire allemande. Samuel Lehrs lui avait mis entre les mains le livre de Friedrich von Räumer, Histoire des Hohenstaufen et de leur temps. Richard lut cet ouvrage avec grand intérêt. Ce n’était toutefois pas tant pour se faire une idée précise de ce qu’était cette patrie allemande qu’il aspirait à retrouver après ces années d’exil que pour y chercher un sujet d’opéra. En effet, ce n’était pas en vertu d’une théorie esthétique qu’il avait composé Le Hollandais Volant. Le hasard l’avait mis en présence d’un sujet légendaire qui s’était emparé de son imagination de poète. Il ne voyait donc aucune raison a priori pour supposer que des lectures historiques ne pourraient lui révéler un sujet tout aussi favorable. Le personnage de Frédéric II le fascina. Il y vit tout à la fois un modèle national et un type humain universel. Mais, ne parvenant pas à trouver un épisode qui se prêterait à un plus libre essor de sa création poétique, il décida finalement de traiter le thème de la décadence de la maison gibeline à travers l’histoire du fils de Frédéric II, Manfred et de la conquête du royaume de Sicile. Il écrit dans Ma Vie : « J’établis le plan d’un long poème en cinq actes, qui devait s’adapter parfaitement à une illustration musicale. J’avais paré mon sujet de scènes pittoresques et de situations compliquées ». Aux données historiques, Wagner avait greffé une intrigue passionnelle en inventant le personnage d’une jeune sarrazine, Fatima. Il poursuit dans une Communication à mes amis : « A l’épisode purement historique j’intégrai une figure fictive sous les traits d’une femme : je me rends compte à présent qu’elle était née du souvenir d’un dessin que j’avais eu sous les yeux longtemps auparavant; il représentait Frédéric II entouré de sa Cour presque entièrement arabe, où figuraient en particulier des femmes orientales, chanteuses et danseuses, qui avaient fasciné mon imagination. J’incarnai l’esprit de ce Frédéric II, mon héros favori, dans une jeune Sarrazine, fruit des amours que Frédéric avait eues avec une fille de l’Arabie ». Le livret fut ébauché à la fin de l’année 1841.Il prit pour titre : La Sarrazine. Certes, Wagner reconnaissait que l’argument était « solide et assez intéressant pour faire beaucoup d’effet », cependant le sujet ne tarda pas à perdre son prestige à ses yeux. Il ne l’intéressa ni longtemps ni profondément. « A aucun moment je ne ressentis pour cette œuvre l’enthousiasme qui m’eût permit d’en mettre la musique en chantier » poursuit-il dans Ma Vie. Il se détourna du projet pour s’engager sur les traces d’Hoffmann en ébauchant au printemps 1842 le livret d’un opéra en trois actes intitulé Les Mine de Falun. Cette esquisse présentait des similitudes avec Le Hollandais Volant et aurait pu lui ressembler. Wagner perdit également rapidement tout intérêt pour ce projet. La raison en était la découverte à cette même époque du poème de Tannhäuser.

En fin de compte, la figure historique de Manfred fut éclipsée par celle légendaire du Minnesänger. Dans une Communication à mes amis, Wagner utilise une métaphore, celle du corps et du costume pour confronter ce sujet légendaire à celui de l’Histoire. Son drame historique lui apparut comme « un tissu historien-poétique étincelant, pompeux et chatoyant, qui lui dissimulait comme sous un vêtement d’apparat, la svelte forme humaine qui seule pouvait charmer les regards ». Wagner ne renonça pas pourtant complètement à la dimension historique du sujet: « Ce Tannhäuser était infiniment plus que Manfred ; il était l’esprit de la race des Gibelins à travers les âges, ramassée en une figure unique, précise, infiniment saisissante et émouvante ».

Toutefois, il convient de préciser qu’au-delà du conflit esthétique théorisé a posteriori par Wagner dans ses œuvres en proses, la raison profonde de l’abandon du projet de la Sarrazine tient dans le risque de retour en arrière. Avec un grand opéra historique en cinq actes, Wagner était sur le point de revenir dans la direction de son Rienzi, c’est-à-dire une œuvre taillée au moule des réussites d’Halévy et de Meyerbeer, un mélange entre chevalerie et Orient par où avait triomphé Robert le diable, et où Verdi cherchera la clef de sa Jérusalem. Or, c’est la voie explorée avec le Hollandais Volant qui l’emporta. Pas si facilement toutefois que Wagner veut bien l’écrire. L’abandon de la Sarrazine n’était pas définitif.

A Dresde, Wagner fut tenté de reprendre l’esquisse de ce Manfred. Après le demi- succès du Hollandais et la reprise triomphale de Rienzi, il pensa faire sacrifice de ses idées et revenir au genre historique, à la pièce à grand spectacle. Manfred était le sujet idéal, surtout avec le concours d’une interprète comme Wilhelmine Schröder-Devrient dans le rôle de la jeune sarrazine. Wagner rédigea rapidement le scénario complet de la pièce au cours de l’hiver 1843 et soumit le livret à la chanteuse. Hélas, le rôle qu’il lui destinait ne convint pas à la créatrice du rôle de Senta. Voici ce qu’écrit Wagner: « Ce texte ne lui plut guère, en particulier pour certaines choses avec lesquelles sa situation à l’époque l’empêchait d’être d’accord. Un trait fondamental de mon héroïne était résumé dans cette phrase : la prophétesse ne peut redevenir femme. L’artiste, quant à elle – sans l’exprimer d’une façon précise – ne songeait nullement à prendre congé de la femme ». La Sarrazine était cette fois condamnée sans appel. Richard revint donc à Tannhäuser qui exerçait sur lui depuis longtemps une attraction profonde.

Voici le résumé du livret de cette Sarrazine :

Le premier acte se déroule dans le château de Manfred à Capoue. Le fils illégitime de Frédéric Il vit dans l’oisiveté de sa cour orientale, nostalgique de la gloire passée de son père et de ses grandes actions héroïques, laissant le royaume livré à lui-même. Seul l’Orient a conservé l’héritage du grand empereur. C’est ce que lui dit Fatima, une jeune sarrazine d’une étrange beauté. Au son d’un luth, elle lui révèle que l’Orient sanctifie la mémoire de son père. Elle chante alors le récit des amours que Frédéric avait eues avec une fille de l’Arabie, Zélima, pendant les jours paisibles passés en Palestine lors des croisades. Fatima ayant appris dans son pays la décadence où sombrait la maison gibeline s’est rendue en Apulie. A cette cour, en proie au découragement, elle apparaît comme une prophétesse qui éveille les âmes. Elle réveille le souvenir d’un temps lointain, plein de gloire. Elle exhorte Manfred à l’action et lui demande de rendre au royaume un chef et un roi. Elle le décide à fuir face aux intrigues des Guelfes, partisan du Pape. L’enchantement du récit de Fatima est rapidement brisé par l’intrusion de Burello, vassal et ennemi de Manfred, à qui il cherche querelle, le traitant de compagnon efféminé et de bâtard. Il l’informe qu’une plainte a été déposée devant le légat du pape. Manfred risque l’excommunication. La querelle gronde entre les partisans de Burello et le clan gibelin de Manfred. Ce dernier n’a pas d’autre choix: il doit fuir. Tous se séparent exaltés aux cris d’Empereur Frédéric.

Le second acte se déroule la nuit dans une contrée montagneuse. Les compagnons de Manfred en fuite font une halte. Cherchant le sommeil, Manfred s’interroge sur les sortilèges qu’a accomplis Fatima auprès de son âme. Pendant son sommeil apparaît par-dessus la crête des montagnes une troupe fantomatique d’hommes armés, à la tête desquels marche l’empereur Frédéric II entouré de ses héros. Le spectre de l’empereur s’immobilise un instant et adresse un signe à son fils. Lorsque l’apparition s’est dissipée, la sarrazine apparaît dans une saillie rocheuse et éveille Manfred. Ce dernier la presse de lui révéler son identité. Fatima le repousse et lui conseille de ne pas rompre l’enchantement. Elle le convainc de se rendre à Lucera, résidence assignée des sarrasins par Frédéric après leur expulsion de Sicile. Manfred tente vainement de retenir la prophétesse ; celle-ci disparaît alors que le jour se lève. Les chevaliers s’éveillent. Manfred sortant de son hébétude, en proie à la plus grande exaltation, enjoint ses camarades de se rendre à Lucera pour soumettre le royaume d’Apulie. Tous se mettent en route alors que le rideau tombe.

Le troisième acte s’ouvre sur une rue de la ville de Lucera. La population arabe célèbre l’approche du ramadan. Fatima enflamme son courage et défend la cause de Manfred. Le gouverneur de la ville, Burello, craignant la révolte, ordonne de fermer les portes de la ville. La nuit tombe. Nurredin, le fiancé de Fatima, lui reproche sa conduite. Celle-ci le rassure ; sa jalousie est vaine. “ Manfred doit devenir empereur, Nurredin mon époux ” lui répond-elle. Au cœur de la nuit, Manfred franchit les portes de la ville. On amène le gouverneur qui est contraint de se prosterner devant le futur souverain. Dans l’ensemble final, Nurredin s’éveille à la jalousie alors que Burello réprime sa rage et évoque sa future vengeance. Manfred s’engage à conquérir l’Apulie. Le jour se lève. Le muezzin appelle à la prière. Les sarrasins s’agenouillent pour prier.

Quatrième acte : Un palais à Capoue, comme au premier acte. Burello médite de sombres projets pour entraîner la chute de Manfred et rétablir l’héritier légitime de Frédéric II, son petit-fils unique, l’enfant Konradin. Fatima tente toujours de convaincre Manfred de ne pas repousser le destin qui s’offre à lui et d’accepter la couronne d’Apulie. Mais Manfred est passionnément amoureux de la jeune femme. La gloire n’a plus d’attrait. Fatima lui révèle alors qu’elle est déjà promise à Nurredin, son ami d’enfance. Après le couronnement, fidèle à son vœu, elle retournera en compagnie de son époux dans sa lointaine patrie. Le mariage doit être célébré aujourd’hui. Elle quitte Manfred : « Je te verrai une dernière fois pour te saluer comme Roi. » Manfred se détourne, étourdi. Mais Burello, resté caché avec Nurredin pendant leur dialogue, continue à instiller le venin de la jalousie dans l’esprit du fiancé de la sarrazine. Coup de théâtre ! Les partisans de Manfred annoncent la nouvelle de la mort du jeune Konradin. Rien ne s’oppose au couronnement de Manfred. Mais ce dernier persiste dans son refus de restaurer la dynastie des Staufen. On entend une musique de noce arabe. Du jardin, débouche le cortège nuptial de Fatima et Nurredin. Elle s’incline devant le prétendant au trône. « J’avais promis au plus fidèle des amoureux de lui donner ma main le jour où je pourrais te saluer comme Roi. Vois, je suis mariée et Toi, te voici Roi ! » Manfred cède finalement. Le rideau tombe au son des cris d’allégresse avec en contrepoint la musique nuptiale des sarrasins.

Le décor du cinquième acte représente le port et la baie de Naples. Dissimulé sous un manteau, Burello, appuyé au coin d’une rue, observe Nurredin préparant le navire qui doit les ramener en Arabie. Il vient à lui. Fatima n’aurait-elle pas sacrifié sa nuit de noces à Manfred ? Elle était en effet présente auprès de lui ; de nombreux témoins l’ont vue… Et Nurredin se souvient : « Elle a versé une boisson et je suis tombé ivre sans conscience. Alors, j’ai eu des rêves. Quand ce matin, je me suis réveillé, elle était devant moi, parée de beaux atours. » “Alors venge-toi ” lui crie Burello. Le cortège du sacre débouche sur scène. Nurredin saisit sa dague et se précipite sur Manfred. Fatima pare le coup mortel en se jetant devant lui. Elle révèle à Manfred qu’elle est sa sœur, la fille de Zélima et qu’elle l’aime, avant de s’effondrer sur le cadavre de Nurredin, tué par les gardes. Burello s’avance. L’héritier légitime n’est pas mort. Konradin vit. Les luttes vont reprendre. Manfred couronné dit adieu pour toujours au bonheur. Trompettes. Rideau.

L’œuvre ne fut jamais mise en musique. Aucune esquisse ne nous est parvenue. Il n’y a probablement pas lieu de le regretter. L’enthousiasme eût fait défaut à Wagner pour cette œuvre d’un genre qui ne répondait plus que très imparfaitement à ses tendances nouvelles. Il n’aurait pu se défendre, en y travaillant, du sentiment déprimant qu’il achetait un succès immédiat à peu près certain en sacrifiant au goût du public pour l’opéra historique. Manfred aurait trop ressemblé à Rienzi. La liberté formelle dont il avait joui dans le Hollandais semblait effectivement infiniment préférable, compte tenu du langage musical dont il disposait à présent. Et puis Tannhäuser lui parut probablement plus à même tout à la fois d’accueillir les thèmes qui l’intéressaient et de poursuivre dans la nouvelle voie esthétique ébauchée.

Il est facile de repérer dans ce livret plusieurs grands thèmes wagnériens, et d’abord celui de l’amour incestueux. Manfred et Fatima annoncent les Wälsungen. Mais Fatima préfigure aussi certains aspects de Brünnhilde. Elle incarne la volonté d’un Frédéric II divinisé, comme la Walkyrie représente le désir intime de Wotan. De même que Brünnhilde ne peut concilier son double destin de déesse et de femme, Fatima remplit sa mission de prophétesse, mais échoue dans son amour pour Nurredin. Devenue femme, elle tombe sous les coups de la jalousie et de l’intrigue. Rappelons-nous la phrase de Wagner pour expliquer le refus de la Schröder-Devient, au nom de sa féminité, d’incarner ce rôle : « La prophétesse ne peut redevenir femme ». Enfin, dans la Sarrazine, la rédemption n’aurait jamais pu être possible. Quelle personne aurait bien pu sauver Manfred ? Le fils de Frédéric II était-il d’ailleurs le meilleur héros possible ? On peut en douter tant on le voit pusillanime et faible, prêt à renoncer à sa mission pour un simple moment entre les bras de Fatima (on est loin de Parsifal), écrasé par la personnalité de son père, dont seule la Sarrazine parait avoir hérité. Mais le véritable héros de l’œuvre est, après Fatima bien sûr, son père Frédéric II. Comme celle de Charles Quint sur le Don Carlos de Verdi, l’ombre de l’empereur plane sur cette Sarrazine. Les deux empereurs n’entrent en scène que sous l’apparence de spectre (images compréhensibles chez d’aussi vifs admirateurs de Shakespeare et bien dans l’air romantique). Toute l’action procède et retourne vers eux. Un autre thème annonce Lohengrin, celui de la mystérieuse identité de Fatima, qui ne sera connue qu’à la fin de l’œuvre et que presse Manfred de lui révéler. Toujours est-il que Manfred aurait fait un superbe opéra à la façon de Scribe et relève d’un autre sens de l’épique que Rienzi. L’épopée chevaleresque n’aurait vraisemblablement manqué ni d’éclat ni de brio.

 

4- Frédéric Barberousse

Quatre ans plus tard, Wagner n’avait pas abandonné le rêve d’une synthèse de l’histoire et du mythe. En 1846, comme en 1842, il hésitait entre deux héros : Frédéric Barberousse, grand-père de Frédéric II, et Siegfried qu’il découvrit à travers le Nibelungenlied. Mais le conflit esthétique était cette fois beaucoup plus radical, puisque Wagner ne croyait plus que l’Histoire puisse être la source d’un drame musical. Il ne s’agissait donc pas moins que de choisir entre deux formes d’expression, l’opéra ou le théâtre. « Encore une fois et pour la dernière fois se juxtaposait sous mes yeux le mythe et l’Histoire qui me forcèrent à décider si j’avais à écrire un drame musical ou une pièce parlée » conclut-il dans Une Communication à ses amis.

La courte ébauche dramatique consacrée à Barberousse est datée du 31 octobre 1846. Cinq mois auparavant, Wagner avait déjà esquissé la musique des trois actes de Lohengrin. Le bref canevas présente en cinq actes la vie de l’empereur, de la Diète de Roncale au départ pour la croisade. Ce texte fut repris à la fin de l’année 1848. Wagner ajouta le développement d’une scène sous la forme d’un dialogue entre Frédéric et le légat du pape, une discussion axée sur le conflit des pouvoirs temporel et spirituel entre l’empereur, un Gibelin, et le Pape, qui rassemble autour de lui le parti des Guelfes.

Voici le texte intégral de L’esquisse de ce Frédéric I :

PREMIER ACTE

La plaine de Roncalie. Revue de l’armée des vassaux. Condamnation de ceux qui ne sont pas venus. Les Lombards. L’Empereur et la liberté des villes lombardes. L’Empereur et le Légat. L’Église et l’État. Point de vue de l’Église toutes les constructions humaines sont infirmes et périssables – selon Innocent III – et doivent être abandonnées à elles-mêmes. Tout au contraire, l’Église catholique manifeste son sens de la conciliation et de la paix ; elle peut servir de médiateur.

L’EMPEREUR La loi de la Nature. Tout ce qui vit et agit est soumis à la loi de la Force. Elle fait ce qui est grand et unit ce qui est plus faible. Le monde gréco-romain.

L’EGLISE La toute-puissance romaine a passé, parce qu’elle s’était développée en dehors de l’union sacrée autour de l’Église. Que vaut, dès lors, toute royauté qui se fonderait uniquement sur le droit issu d’une brutale supériorité? Cette sorte de puissance ne procède d’aucun droit : elle est donc insoutenable, promise à déchéance et mauvaise. L’Eglise en revanche tient sa légitimité de Dieu et se situe au-dessus de tout ce qui est changeant.

L’EMPEREUR Nous avons fait la grandeur de l’Eglise, que serait-elle sans nous ?

L’ÉGLISE Et que serait, sans l’Eglise, la puissance temporelle ? Dans le meilleur des cas, hautement improbable d’ailleurs, une répétition de la royauté romaine, qui, privée de l’appui de l’Eglise, courut à sa perte.

L’EMPEREUR Qu’adviendrait-il de l’humanité sans Empereur ? Elle sécherait sur pied et, privée de toute impulsion, irait au néant comme maintenant l’empire grec. L’Empereur l’en protège de par sa force temporelle. La puissance spirituelle ne peut-elle être vaincue que par une résistance d’ordre spirituel ? Nous ouvrirons la voie à cette dernière. Si l’Empereur se soumettait maintenant, nulle opposition de cette sorte ne serait possible plus tard. La lutte contre Milan est décidée.

ACTE II

Siège et prise de Milan. Un héros libre milanais reçoit de l’Empereur, en récompense de son courage, un magnifique destrier. Un moine mendiant s’entretient avec l’Empereur. Leur dialogue rappelle celui des Nomades avec Alexandre le Grand. Il n’admet aucun des arguments du Kaiser.

ACTE III

Union des Lombards. Chute d’Henri le Lion.

ACTE IV

Frédéric le Grand dans le malheur. Son estime pour Henri. Le bannissement de celui-ci.

ACTE V

Fête à Mainz. Paix avec les Lombards et le pape. Nouvelle de la chute de Jérusalem. Décision d’une croisade.

Ce projet va assez longtemps concurrencer celui des Nibelungen, contrairement à ce qu’affirme Wagner dans ses écrits autobiographiques. L’esquisse du deuxième acte, rédigée en écriture romaine, est postérieure à la mi-décembre 1848, et donc de l’esquisse en prose de La Mort de Siegfried (datée du 20 novembre 1848). Pour quelles raisons ce bref essai continuait-il à l’intéresser? Essentiellement pour des raisons politiques. Il écrit dans une Communication, relativement à la révolution de 1848 : « Lorsque les mouvements politiques récents se déclarèrent, prenant en Allemagne dans les premiers temps le sens d’une aspiration à l’unité politique, je dus me demander si la figure de Frédéric I n’était pas plus près du peuple et plus compréhensible pour lui que l’aspect purement humain de Siegfried ». Il dit ensuite qu’il renonça à ce projet lorsqu’il prit conscience de l’impossibilité d’embrasser la totalité des circonstances historiques nécessaires à l’intelligence de ce sujet sans transformer son drame en « un inextricable conglomérat d’événements représentés« . « Ce n’était pas simplement pour représenter quelques moments historiques que j’avais conçu ce projet; je voulais faire en sorte qu’un vaste ensemble de conjonctures apparût dans son unité et que celle-ci fût aperçue et comprise sans difficultés. Pour bien faire voir mon héros aux prises avec ces conjonctures qu’il s’efforce avec une énergie extraordinaire de maîtriser avant d’être lui-même vaincu par elles j’étais amené à recourir au procédé du mythe et cela d’autant plus que le sujet était plus historique. La masse énorme des événements et des rapports qu’ils avaient entre eux, dont on ne pouvait rien retrancher si l’on voulait que l’ensemble fût intelligible, ne convenait ni à la forme ni à l’essence du drame ».

C’est ainsi qu’il saisit le parallèle entre ce Barberousse et le mythe des Nibelungen. Ce Frédéric I ne serait-il pas une réincarnation historique du Siegfried païen ? Ne conservant des faits que ce qu’ils avaient d’universellement humain, il traça une courbe ou plutôt une ellipse reliant le drame historique à celui du mythe dans un essai fantaisiste, intitulé : Les Wibelungen, Histoire universelle tirée de la légende. Dans ce travail, Wagner faisait descendre les Hohenstaufen des Nibelungen par un tour de passe-passe étymologique des plus singuliers. Cet essai s’achève dans l’édition originale de 1850 parue chez Wigand (texte qui n’est pas repris dans l’édition des œuvres complètes de 1868) par cette citation : « Quand reviendras-tu, Frédéric, toi, merveilleux Siegfried : pour abattre l’infâme serpent qui ronge l’Humanité ? – Deux corbeaux volent autour de ma Montagne – ils se sont engraissés en pillant le royaume! L’un d’eux becquette au nord-est: – chassez les corbeaux et le trésor est à vous! – Mais, laissez-moi en paix sur ma montagne divine ! ». L’analogie Barberousse – Siegfried était encore plus évidente, et c’est probablement pour cette raison qu’il la supprima a posteriori. Un mois avoir après terminé la première version de ses Wibelungen, le 4 octobre 1848, Wagner acheva un second essai, beaucoup plus court mais décisif: Le mythe des Nibelungen considéré comme esquisse d’un drame. Quinze jours plus tard est achevée l’esquisse en prose de la Mort de Siegfried dont il rédige le poème en deux semaines, entre le 12 et 28 novembre 1848.

Nous avons constaté au début de l’exposé que Wagner affirmait dans sa Communication à ses amis qu’un drame ayant pour thème Frédéric Barberousse ne pouvait être qu’une pièce parlée. Il ajoute « Lorsque j’abandonnai le projet, ce ne fut pas du tout par un scrupule interdisant au poète d’opéra et au compositeur que j’étais de sortir de sa spécialité ; la seule raison, je l’ai dit, c’est que j’avais dû voir que le sujet ne se prêtait pas à un drame musical ». Pourtant le sujet de l’ouvrage – plein de scènes de batailles, de défilés et d’intrigues politiques – de même que sa structure en cinq actes ne permettent aucun doute, malgré le caractère très fragmentaire du texte. Il s’agit bien là d’un projet de grand opéra. On peut d’ailleurs penser que tout comme Jésus de Nazareth, conçu comme une pièce parlée, Wagner persista longtemps dans son intention de la mettre en musique. Et imagine-t-on Wagner concevoir un drame non musical ? Cela aurait été bien surprenant chez un artiste qui se revendiquait compositeur dès son adolescence et qui venait d’achever son Lohengrin….

5- Le bref projet d’Alexandre

Pendant cette même période de transition, Wagner songea à un Jésus de Nazareth (janvier 1849), un Achille (mai 1849), un Wieland le Forgeron (mars 1850). Cosima indique dans son Journal que Wagner avait également ébauché une tragédie intitulée Alexandre. En voici la brève esquisse que nous possédons : « Premier acte, l’assassinat de Clitos – Deuxième acte, décision d’Alexandre de quitter l’Asie – Troisième acte, sa mort ». Il est frappant de voir qu’il concevait le personnage et son histoire à partir de la fin, comme une analogie avec la Tétralogie. Nous n’en avons rien conservé. Plus tard, selon Gregor-Dellin, Wagner songera encore à un Roland…

En conclusion…

On le sait donc, malgré le triomphe de Rienzi, grand opéra historique, c’est la voie esthétique explorée avec le Hollandais qui l’emporta. Pas aussi facilement que Wagner voulût bien l’écrire dans ses écrits autobiographiques. Car d’autres projets virent le jour qui se rattachaient toujours à la formule de l’opéra historique. C’est que Wagner au fond ne sut jamais très bien comment aborder l’Histoire. Comment la réécrire sans trop tenir compte de la vérité événementielle. C’est effectivement ceci qui constitue la faiblesse du livret de Rienzi (nous pensons au quatrième acte, dont l’intrigue reste en partie inintelligible au spectateur, auquel échappe les raisons de la chute du tribun. Wagner n’a pu embrasser la totalité des circonstances politiques nécessaires à la compréhension parfaite du sujet). Comment dégager la leçon éternelle, universelle, mythique d’un sujet historique? Wagner y est parvenu dans le cas particulier des Maîtres Chanteurs, que l’on pourrait qualifier de comédie « historique« . Mais tout un apprentissage et un long mûrissement séparent les premières esquisses des Maîtres Chanteurs de 1845 de leur composition définitive terminée en 1867.

Les textes originaux que nous avons résumés et analysés ont été traduits en français par Philippe Godefroid et publiés dans l’ouvrage: « Les opéras imaginaires de Richard Wagner ».

 

logo_cercle rw  PB in WAGNERIANA ACTA  2001 @ CRW Lyon

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Sommaire
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Réponse : Judith Gautier (1845-1917). L'écrivaine était la fille du poète Théophile Gautier. En raison de son tempérament impétueux, elle était surnommée « l'ouragan ». Elle servit de modèle à Wagner pour le personnage de Kundry (Parsifal).

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