Augusta Mary Anne Holmès, née Holmes le 16 décembre 1847 à Paris et morte le 28 janvier 1903 dans la même ville, fut une compositrice française d’origine britannique et irlandaise. En 1873, elle prit la nationalité française et ajouta un accent à son nom de famille. Demeurée célibataire, Augusta Holmès entretint une liaison, peut-être dès 1866, sûrement vers 1869, avec le poète Catulle Mendès, qui s’installa chez elle en 1878, avant de la quitter, ruinée, en 1886. Ils eurent ensemble eurent cinq enfants. Fervente wagnérienne, elle assista à la générale du premier Or du Rhin, assise aux côtés de Franz Liszt.
TRIBSCHEN ET MUNICH 1869
Villiers de l’Isle-Adam consacra à la compositrice un des récits de son recueil posthume de fantaisies, pamphlets et souvenirs Chez les passants (1). Simplement intitulé Augusta Holmès, il relate la passion de la jeune femme pour l’oeuvre de Wagner. A l’été 1869, Augusta Holmès, alors âgée de 22 ans, visita Wagner à Tribschen en même temps que le couple Mendès et Villiers. Voici le récit que donne Villiers de cette visite :
» […] Deux mois avant la guerre allemande (2), je rencontrai à Triebschen, près de Lucerne, chez Richard Wagner lui-même, Mlle Holmès; son père s’étant décidé » malgré son grand âge » au voyage de Munich pour laisser entendre à la jeune compositrice la première partie des Niebelungen – » Moins d’attendrissement pour moi, Mademoiselle !… lui dit Wagner après l’avoir écoutée avec cette attention clairvoyante et prophétique du génie. Pour les esprits vivants et créateurs je ne veux pas être un mancenillier dont l’ombrage étouffe les oiseaux. Un conseil : ne soyez d’aucune école, surtout de la mienne ! «
Richard Wagner ne voulait pas que l’on représentât le Rheingold à Munich. Bien que la partition en eût été publiée il se refusait à laisser montrer l’ouvrage isolément des trois autres parties des Niebelungen. Son grand rêve, qu’il a depuis réalisé à Bayreuth, était de donner une exécution d’ensemble, en quatre soirées, de cette oeuvre de sa vie. Mais l’impatience de son jeune fanatique, le roi de Bavière, avait passé outre : l’on allait jouer le Rheingold par ordre royal. Et Wagner, ayant décliné toute participation et tous éclaircissements, inquiet et attristé de la façon dont on allait déflorer l’unité de son vaste chef-d’oeuvre, avait défendu à ses amis d’aller l’entendre. En sorte que plusieurs musiciens et littérateurs, au nombre desquels je me trouvais, et qui avaient accompli deux fois le voyage d’Allemagne pour écouter la musique du maître, ne savaient trop s’ils devaient obéir ; l’injonction était cruelle.
– » Je regarderai comme ennemis ceux qui auront encouragé ce massacre par leur présence « , nous disait-il.
Mlle Holmès, résignée à la soumission devant cette menace, était désespérée. Cependant les lettres du Kappelmeister Hans Richter, qui conduisait l’orchestre de Munich, ayant un peu rassuré Wagner, son ressentiment s’adoucit contre ses passionnés zélateurs et l’on profita de cette accalmie pour partir, quand même, à la sourdine.
J’ai sous les yeux une lettre, encore amère, toutefois, et dans laquelle Wagner m’écrivait, à Munich: – » Ainsi vous allez, avec vos amis, admirer comment on s’amuse avec des oeuvres viriles : eh bien ! je compte, malgré tout, sur quelques passages inexterminables de cette œuvre pour sauver ce qui n’en pourra pas être compris ! «
Les prévisions du maître furent déçues par l’éclatant triomphe du Rheingold plutôt pressenti qu’apparu (puisque les trois autres parties des Nibelungen, dont il est la clef, le rendent, seules, totalement intelligible). Tous ses partisans y assistèrent, malgré la menace et la défense,et je me souviens d’avoir aperçu, ce grand soir là dans la salle, au premier rang de la Galerie Noble, Mlle Augusta Holmès qui, assise à côté de l’abbé Liszt, suivait l’exécution du Rheingold sur la partition d’orchestre de l’illustre musicien. […]
Après la générale de l’Or du Rhin, Augusta Holmès adressa la lettre suivante à Oscar Comettant, collaborateur au journal Le Siècle, qui estima qu’elle méritait « à tous égards les honneurs de la publicité » et la publie dans son édition du 7 septembre 1869 :
Munich, 3 septembre 1869.
Mon cher monsieur,
Je sors de la répétition générale du « Rheingold.» (L’or du Rhin), de Richard Wagner, à laquelle, pour ainsi dire, toute l’Europe artistique s’était donné rendez-vous.
Liszt était là, entouré de ses admirateurs et de ses disciples, comme jadis Raphaël ; Mme Pauline Viardot, Rubinstein, Saint-Saëns, Brasin, l’éminent pianiste belge; M. et Mme Mendès, M. Cusias, directeur de la société philharmonique de Londres, Schuré, l’auteur du bel article sur Wagner publié par la Revue des deux mondes, Cornelius, Serow, le compositeur russe ; enfin toute une pléiade de célébrités et d’intelligences qui manifestaient hautement leur enthousiasme.
Les répétitions du Rheingold ont été faites avec un soin infini, sous la direction de M. Naus [sic, pour Hans] Richter, jeune chef d’orchestre d’un grand talent et d’un enthousiasme sans bornes pour son art. M. Richter remplace à Munich Naus [sic, pour Hans]de Bülow.
MM. Betz, baryton (Wotan); Schlosser, tenor (Loge); Kindermann, basse (Fafner); Fischer, baryton (Alberich), et Mlle Itehle, soprano (Fricka), ont droit aux plus grands éloges pour la façon magistrale dont ils ont compris leurs rôles.
La voix de Betz surtout est une merveille : jamais enrouée, jamais fléchissante.
La salle du Hoftheater (théâtre de la cour), où se donnent les oeuvres de Wagner, contient environ 2,500 personnes. La loge royale fait face à la scène, ce qui est infiniment plus agréable pour les souverains, condamnés chez nous à voir perpétuellement les acteurs de profil. Mais les souverains en France ont tant d’autres compensations!
L’orchestre, selon les indications de Wagner, e été baissé de six pieds et entouré d’une cloison qui le dérobe au public. Le chef d’orchestre seul est en vue. Cette disposition offre de grands avantages; celui d’augmenter et d’adoucir à la fois la sonorité, ensuite celui de ne pas distraire l’auditoire en interposant entre lui et la scène une haie d’archets souvent violemment agités, ce qui les fait ressembler de loin à une armée de marionnettes à la rescousse.
Le Rheingold n’est en réalité qu’un prologue, la première partie d’una oeuvre composée de quatre opéras : le Rheingold, la Walkyrie, Siegfrid, et le Crépuscule des dieux.
Il s’agit dans le Rheingold d’un anneau magique donnant la toute-puissance. Cet anneau est forgé par les Nibelungen, gnômes [sic] gardiens de trésors, avec l’or rouge que possèdent au fond des eaux les trois filles du Rhin. Cet or leur a été ravi par Alberich, un des gnômes puissants qui, pour s’en emparer, a maudit l’amour ; car, en effet, il est dit que quiconque aime ne pourra posséder ce trésor. Wotan (Odin), Fricka, la Junon du nord; Loge, le dieu du feu; Donner, le dieu du tonnerre ; et Froh, le dieu de la joie, se concertent pour reprendre aux Nibelungen l’or du Rhin, afin de payer les deux géants, Fasolt et Fafner, qui ont construit pour les dieux le palais de Walhalla. Ce vol est la première méchante action des dieux, et cette méchante action doit plus tard les anéantir.
Wotan et Loge descendent au Nibelheim, la demeure des gnômes. Loge, par des ruses méphistophéliques, parvient à arracher de la tête d’Alberich son cas-que magique, qui a le don dé le rendre invisi-ble, et à l’entraîner lié, suivi de Wotan. Les géants, qui ont emporté Freia, la Vénus scandinave, dont l’absence avait jeté sur les dieux un voile de tristesse, reviennent en ramenant leur conquête. Ils demandent comme rançon assez d’or pour la couvrir tout entière. Alberich, contraint par les dieux, commande à ses gnômes d’apporter leurs trésors.
Puis Wotan arrache à Alberich son anneau, que celui-ci maudit en menaçant ceux qui le posséderont. Freia est presque entièrement cachée; mais Fasolt, le géant qui aime Freia, découvre son regard brillant encore à travers les sceptres et les couronnes. Fafner, le géant ambitieux, demande pour couvrir ce regard l’anneau tout puissant qui scintille au doigt de Wotan. Les dieux refusent. Erda, la nornefatidique, la Cybèle scandinave, apparaît et commande à Wotan de renoncer à l’anneau. Il lui faut obéir.
Aussitôt la malédiction d’Alberich s’accomplit.
Fasfer [sic] tue Fafolt d’un coup de massue et fuit on emportant les trésors. Loge le Rusé félicite les dieux, chez lesquels cependant naissent les remords de leur premier crime. Sur un arc-en-ciel qui mène au Walhalla, les dieux montent dans la lumière, tandis qu’au fond du Rhin les trois nixes pleurent la perte de l’or merveilleux.
L’impression musicale que laisse le Rheingold est la plus pure, la plus grandiose et la plus lumineuse qu’on puisse imaginer. La simplicité de cette oeuvre est extrême, comme drame et comme musique. Les vers sont superbes de fièvre poétique et de violence. Ce sont des vers blancs, à la façon de Shakespeare. car Wagner est à la fois un génie musical et un puissant dramaturge.
Cet opéra contraste singulièrement avec tout ce que Wagner a fait jusqu’à présent. Comme couleur, comme ligne, la conception entière diffère totalement de ses oeuvres précédentes. Du reste, chacun de ses opéras porte un cachet particulier. L’orchestration, comme toujours, est chez lui remplie d’effets inconnus, grandioses et saisissants.
Pour la première scène qui se passé au fond du Rhin (non point dans l’eau véritable, comme on s’est amusé à le dire, mais dans un décor faisant parfaitement illusion), l’orchestre, d’une rare originalité, est ainsi composé: Trois grandes flûtes, trois hautbois, un cor anglais, trois clarinettes, une basse-clarinette, huit cors, trois trombones; le quatuor d’instruments à cordes. L’introduction reste en mi bémol et ne change de ton qui lors du chant des trois filles du Rhin qui s’appellent à travers les eaux. L’effet de cette scène est au-dessus de toute description. La phrase musicale est construite de manière à produire un enlacement continu qui ne va pas jusqu’à l’angoisse obsédante, comme dans certaines parties du Tannhauser et de Tristan et Iseult, mais qui fait naître une sensation sans égale de fraîcheur, de clarté et de poétique repos.
Au deuxième acte, dans la caverne des gnômes, le bruit des forges est produit par dix-huit véritables enclumes, grandes ou petites, placées sous le théâtre, et frappées alternativement sur un rhythme régulier, tandis que l’orchestre chante une longue phrase d’un caractère sombre et furieux. Ici la musique devient peinture et le tableau sonne obscur à l’oreille.
Dans l’introduction à la seconde scène, la grande marche triomphale qui doit éclater à la fin de l’opéra est dite pianissimo par quatre tubas, contralto, ténor, baryton et basse, auxquels le chef d’orchestre a imaginé d’appliquer l’embouchure des cors. L’effet est d’une douceur extrême. Tous les chants de Loge, le dieu du feu, sont accompagnés d’un dessin obstiné qui ressemble à un jet de flammes blanches et grêles ; les violons pizzicato, les flûtes en notes détachées et un frottement de cymbales donnent la sonorité voulue par le maître.
Mais la splendeur suprême est ce chant de triomphe de la dernière scène commencée par Froh, le dieu do la joie, repris par Wotan. On croit sentir trembler la terre, et on se sent comme porté vers les cieux inondés de cette suprême mélodie. Jamais Wagner n’avait atteint à de plus sublimes hauteurs.
Des êtres fabuleux et héroïques passent sur ce chant et semblent, par leur présence, élargir l’horizon musical. Les dieux scandinaves se dressent dans la lumière en agitant leurs lances de diamant. C’est sublime. et l’on est transporté dans le monde do l’épopée telle que la comprenaient Eschyle et Homère.
L’exécution publique de cet opéra n’aura probablement pas lieu ; le chef d’orchestre, M. Richter, et le prenier chanteur, M. Betz, s’étant retirés afin de na pas exécuter dans de détestables conditions de mise on scène une oeuvre admirable.
La conduite de M. Richter a été dans tout ceci d’une loyauté et d’un désintéressement au-dessus de tout éloge. Ne voulant obéir qu’à Wagner, qui certes avait le droit de faire retarder une exécution incomplète, M. Richter a donné sa démission de chef d’orchestre et de directeur de musique plutôt que de pactiser avec las ennemis du maître, quelque puissants qu’ils fussent.
Recevez, mon cher monsieur Comettant, mes salutations les plus empressées.
AUGUSTA HOLMÈS
(1) 1890 – Chez les passants, Comptoir d’édition à Paris. L’extrait se situe aux pages 68 à 71.
(2) Villiers fait évidemment une erreur de datation d’un an. La guerre franco-allemande eut lieu en 1870.