Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER

RICHARD WAGNER, UN ARTISTE MALADE

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Aussi bizarre que cela puisse paraître, en considérant le titre de notre ouvrage (Un patient nommé Wagner) publié en 2014, Richard Wagner eut une santé singulièrement robuste. Même si la maladie, sous des formes variées et souvent banales, lui a été familière tout au cours de sa vie : ce genre d’affections qui durant des années se jouent du malade, lui rendant la vie impossible sans jamais la mettre en danger. Elle fut donc assez présente pour être un facteur de perturbation chronique, mais sans que ses facultés créatrices en fussent altérées ; ce qu’un jour son vieil ami – et beau-père – Franz Liszt résuma en disant : « Il se plaint du bas‑ventre et écrit des choses pareilles ». Et que Wagner lui-même commenta dans une lettre à sa première épouse Minna : « Etre mort me plairait tout à fait, mais vivre et ne jamais être bien portant, c’est désagréable… » En fait, la seule maladie aiguë qui eût pu mettre son existence en danger fut une fièvre typhoïde contractée à Paris en octobre 1860. En outre, Wagner échappa aux deux grands fléaux de son siècle, la tuberculose et la syphilis et croisa indemne deux épidémies de choléra en été 1832 sur le chemin de Vienne et en juin 1849 lors d’un séjour à Paris.

MVRW Maison Thome LeipzigEnfant, le petit Richard se faisait remarquer par sa chétivité. Durant sa troisième année, sa santé fut l’objet de soucis constants : une affection infantile grave mais restée imprécise faillit l’emporter. Les témoignages nous font penser à une rougeole ou le typhus exanthématique. La maladie emportera d’ailleurs l’un de ses frères et l’une de ses sœurs en très bas âge. Mais en considérant la mortalité de l’époque, on peut dire que la fratrie de Richard Wagner (9 enfants) avait été relativement bien épargnée en ces temps difficiles. On voyait bien qu’il était né pendant la guerre, c’est à dire lors des dernières campagnes d’Allemagne de Napoléon Ier. Son père était mort alors qu’il avait six mois du typhus et le contexte traumatisant dans lequel il passa ses premières années a laissé quelques traces dans l’inconscient de l’enfant. Ainsi, ce dernier fut très longtemps sujet à des angoisses nocturnes. Jusque dans les dernières années de son adolescence, il fut la proie d’atroces cauchemars. Sa demi-sœur raconte dans ses souvenirs que toutes les nuits, il parlait, riait ou criait dans son sommeil, au point de finir par ne plus vouloir dormir auprès de lui. Même dans la journée, sa crainte des fantômes restait vivace. Dans l’obscurité, de pénibles visions poursuivaient le garçonnet sensible. On le surnommait « Monsieur Œuf Brouillé » parce qu’il pleurait beaucoup. A ces peurs infantiles, répondait une turbulence, une indocilité, un caractère coléreux. Bref, le petit Richard était « un enfant à problèmes », prompt au chahut, mais qui éveillait la sympathie de tous. Et déjà, il manifestait un don pour l’acrobatie. Il se tenait sur la tête, faisait des culbutes et jouait au funambule. Mais à part cette aptitude, il ne faisait preuve d’aucun don frappant. Aucun signe qui puisse indiquer un enfant prodige. En particulier dans le domaine musical…

 

MVRW WAGNER Portrait Venise 1880« Richard n’est pas bien »

Arrivé à l’âge adulte, Wagner fut sujet toute sa vie – et dès l’adolescence – à une éruption cutanée récidivante du visage appelée « érysipèle », qui est une infection bactérienne cutanée. De quoi s’agissait‑il ? D’une éruption du visage qui devenait rouge, « enflée et déformée ». Elle débutait par un « gonflement du nez ». Les accès duraient de nombreux jours. Ils s’accompagnaient de douleurs importantes et parfois de fièvre. Les rechutes se succédaient à intervalle plus ou moins réguliers. Mais entre l’automne et le printemps l’année 1856, il connut treize crises, dont trois rechutes dans le seul mois de mai. Spontanément à chaque poussée –  mais bien sûr, beaucoup trop lentement au goût de Wagner –  la guérison survenait. Il va de soi que ces accès éruptifs gênèrent considérablement son activité créatrice.

Car la maladie le contraignait trop souvent à un isolement et représentait une nuisance tant dans sa vie sociale que dans sa vie intime et surtout d’artiste créateur. L’ultime rechute ne surviendra qu’un quart de siècle plus tard pendant son séjour napolitain de l’hiver 1879‑1880 avec deux poussées successives, alors qu’il composait Parsifal.

Cette dernière partie de la vie de Wagner verra d’ailleurs se multiplier les souffrances, souvent liées à des maladies passagères plus ou moins contraignantes. Le Journal que Cosima rédigea de 1869 à la mort de son époux ne cesse de mentionner les souffrances physiques et les incommodités du compositeur, qui soulignent la diminution de la résistance du patient. Telle une litanie, les mêmes phrases se succèdent : « R. (Richard) n’est pas bien  R. est fatigué ‑ R. est souffrant ‑ ou encore R. est indisposé ». Sans être très graves, Wagner eut également à affronter quelques problèmes de santé qui le gênèrent considérablement : de fréquentes crises de goutte – maladie ayant la réputation d’être celle des gourmands – nous y reviendrons – et des rhumatismes également. Mais l’arthrose est banale à cet âge ! Et puis en mai 1878, un « furoncle hémorragique » à la jambe que Franz Liszt commentera avec humour dans une lettre à sa fille : « J’espère que l’abcès de Parsifal se montrera de bonne compréhension et le fera moins souffrir que la plupart des représentations de ses ouvrages ».


MVRW Wagner franz-seraph-von-lenbach-richard-wagner-1881-82
« J’ai une souris qui me chatouille le cœur »

Au fil du temps, l’état de santé du compositeur se dégrada, surtout à partir de 1881, en cause une maladie de cœur qui lui sera fatale à Venise le 13 février 1883. Dès les années 1872, Wagner, qui était alors âgé de 59 ans, se plaignit d’oppressions dans la poitrine, manifestation de crises d’angine de poitrine. Wagner pensait bien souffrir d’une maladie de cœur. Son médecin traitant à Bayreuth, le docteur Landgraf réfuta ce diagnostic, ordonnant à son patient le repos, des cures d’eau minérales et des frictions avec de l’huile et de l’eau de vie. Quatre ans plus tard, les spasmes cardiaques devinrent réguliers et se poursuivirent durant les années suivantes. Le corps médical méconnut l’origine coronarienne de ses troubles. Leur attribuant des causes nerveuses, digestives ou autres, les moyens thérapeutiques furent inadaptés. Malgré les assauts répétés de la maladie, le travail de composition et d’orchestration de Parsifal avançait tout de même A la fin de l’année 1881, les crises devinrent de plus en plus longues et fréquentes, souvent de repos auxquelles s’ajouta une gêne respiratoire. Mais toujours selon les médecins, Wagner ne souffrait d’aucune affection organique, mais seulement de troubles fonctionnels ! Quant au régime prescrit, avec beaucoup de viande et du bon vin mousseux pour prévenir les crises, il peut apparaître aujourd’hui bien étrange pour s’appliquer à un malade souffrant de troubles coronariens…  Qu’il ait pu achever Parsifal et participer aux représentations du second festival de Bayreuth de 1882 semble presque miraculeux… Les cinq derniers mois de sa vie à Venise furent marqués par une aggravation des crises douloureuses. Le moindre effort physique se soldait par des crampes cardiaques. Wagner ne pouvait franchir à pied une distance raisonnable sans s’essouffler. Dès lors, Wagner prit des gouttes d’opium pour apaiser ses douleurs. Les promenades durent bientôt à cesser. Le musicien, à qui l’on proposait de l’alimenter avec une sonde gastrique, refusa ce qu’il appelait « une atteinte aux droits de sa personne ». Il se contenta de simples massages. L’inévitable survint. Le 13 février 1883 le compositeur mourut dans sa soixante-dixième année d’un infarctus du myocarde.

MVRW Sofa mort Wagner VeniseEt à la question au titre alléchant, « Qui a tué Richard Wagner ? », en référence à l’ouvrage surréaliste de Stefan Themerson, une mauvaise langue pourrait répondre à cette question : ses médecins… Aucun d’entre eux – pas seulement le docteur Landgraf mais également le docteur Keppler qui le soigna dans les derniers mois de sa vie – , mais TOUS les praticiens qui eurent à soigner le compositeur jusqu’à la fin de sa vie – ne surent reconnaître l’origine cardiaque des troubles dont souffrait l’artiste. Tous les attribuaient à des problèmes digestifs ou nerveux ; les moyens thérapeutiques furent donc inadaptés.  Or Wagner aurait pu bénéficier d’un traitement à la trinitrine. Car c’est en 1879 que celle-ci fut promue au premier rang des médications de l’angine de poitrine. Aurait‑il pu vivre quelques années supplémentaires ? Aurait‑il composé les symphonies qu’il disait vouloir écrire, aurait‑il remanié certains de ses ouvrages comme Le Hollandais Volant ou Tannhäuser, aurait‑il pu remonter la Tétralogie à Bayreuth ? Ces questions demeurent sans réponses par défaut de quelques dragées de trinitrine…

Voir également :
–  logo_cercle rw « Enquête sur la mort de Richard Wagner » (PB)

 

« Il se plaint du bas-ventre et écrits des choses pareilles »

Mais quelques que soient les erreurs d’appréciation, voir même diagnostiques commises par ces praticiens, il convient de rappeler – ce qui ne manqua pas de fausser les diagnostics – que Wagner se plaignit toute sa vie de troubles digestifs divers associant des douleurs gastriques et intestinales ainsi que des troubles du transit et de mauvaises digestions évoluant par poussées et fortement aggravés par des facteurs psychologiques. Ces troubles perturbaient Wagner de façon assez régulière pour qu’il s’en plaigne de manière humoristique dans une conversation qu’il eut dans le milieu des années 1850 : « La chose la plus importante qui soit, c’est qu’un homme ait un bon transit intestinal. Rien d’autre n’est aussi important ». Ce qu’il réaffirmera plus tard dans une lettre à Mathilde Wesendonck : « Schopenhauer a pourtant bien raison, quand il énonce parmi les conditions physiologiques du génie, entre autres, un bon estomac ». Ou encore, dans une lettre à Franz Liszt du 20 novembre 1851, dans laquelle il explique – dans le même temps – le futur plan de sa Tétralogie : « Procurez-vous, infortunés mortels que vous êtes, une bonne digestion, et tout à coup la vie se présentera à vous sous une tout autre forme que vos éternelles douleurs abdominales ne vous permettaient de la voir ». A ceci s’ajoutèrent de fréquentes poussées hémorroïdaires parfois compliquées de thrombose, c’est-à-dire d’un caillot de sang, obligeant les médecins à de petits gestes chirurgicaux pour soulager notre patient. Une pudeur bien naturelle obligea Wagner à ne pas mentionner ces crises de façon explicite dans son autobiographie. Mais dans sa correspondance, il utilise le mot allemand « Unterleib » que l’on traduit usuellement par « bas-ventre », mais qui ne concerne pas autre chose que l’intestin et toujours les organes en aval… Il s’agissait donc d’une forme polie pour évoquer ses problèmes intestinaux et aussi proctologique. Mais parfois, Wagner se montre plus loquace, en évoquant, dans les lettres ou journaux intimes « ses congestions de sang à l’anus », voire parfois « le feu au Cul » dont il souffre. Et pour conclure sur ce point, voici une sympathique lettre adressée à son ami Otto Wesendonck : « En attendant je bois de l’eau minérale. Il était temps de réagir contre la révolte toujours croissante des éléments de mon être physique : par amour du travail, j’aurais souhaité m’épargner cette corvée, mais j’ai dû tout de même finir par capituler et maintenant l’espoir me sourit d’obtenir – avec l’autorisation de la Chambre basse – une plus grande liberté de mouvements pour la Chambre haut du petit cosmos qu’est mon parlement intime ».

 

« Les nerfs de mon cerveau ! ‑ Voilà la source de tous les tracas » 

Ces troubles digestifs en disent beaucoup sur la nature essentiellement psychosomatique de nombre des ennuis de santé de notre génial patient. Il présenta, à plusieurs reprises, des troubles nerveux variés (hypersensibilité et émotivité exaspérée, surexcitation nerveuse) sans définition médicale précise ainsi que des maux de tête fréquents ; Ces états se comprennent mieux à la lumière du récit de sa vie si riche en événements critiques, en rebondissements multiples et tout orientée vers la réalisation de son Œuvre.  Expression caractéristique – pathognomonique diront les médecins – de ces troubles anxieux, la personnalité de Wagner a toujours été caractérisée par une inquiétude excessive concernant sa santé et le bon fonctionnement de ses organes. Mais peut-être avait-il ses raisons ? Pour reprendre la fameuse expression de Paul Valéry, « la santé, c’est le silence des organes ». Et ceux de l’artiste le tourmentait plutôt ! Autre caractéristique : l’existence de multiples plaintes physiques, d’allure psychosomatique et traduisant l’expression de symptômes de somatisation, à savoir l’expression par le corps de symptômes anxieux. En revanche, il ne saurait être question d’hypochondrie, qui selon sa définition médicale est l’écoute obsessionnelle et l’interprétation du moindre signe comme le témoin d’une maladie grave. Il n’en est point question chez Wagner. La seule fois où il pensait « avoir une maladie cardiaque », il le sentait, le savait, mais personne ne le croyait, à commencement par le corps médical. Difficile donc de parler d’hypochondrie !

Pour rester dans ce thème, les années d’exil en Suisse, de 1849 à 1857 furent particulièrement pénibles pour le compositeur. A partir de ce moment, sa vie se partagea entre des périodes de labeur intensif avec une surexcitation nerveuse et des crises de dépression, toujours plus fréquentes. Dans ces moments, ses lettres répètent à satiété un sentiment de lassitude et ne cessent de faire allusion à sa fatigue nerveuse et à ses insomnies. « Les nerfs de mon cerveau ! ‑ Voilà la source de tous les tracas » écrit‑il à un ami. Et à un autre : « Ma santé n’est pas des meilleures, et, tandis que mon corps montre une suffisante fermeté, mon système nerveux est dans un état inquiétant d’affaiblissement progressif, – conséquence nécessaire de ma sensibilité violente et passionnée, qui fait de moi un être artiste dans la mesure où je le suis ». Avec Franz Liszt, Wagner s’épanche sans restriction : « Mes nuits sont le plus souvent sans sommeil ; épuisé et misérable, je sors du lit avec la perspective d’une journée qui ne m’apportera pas une seule joie ».

 

« Avec les yeux qui clignent » (Siegfried, Acte I)

Comme bien souvent en médecine, le stress n’explique pas toujours tout… En effet, à ces manifestations s’ajoutèrent de fréquents maux de tête qui le firent souffrir surtout pendant les années 1852 à 1857. Ceux-ci suivirent toujours un travail continu imposant une vision de près et chaque moment de repos entraîna une amélioration de cet état clinique. Ces symptômes étaient mal venus car contemporains d’une intense activité littéraire et musicale pour Wagner. Le témoignage d’un ophtalmologue londonien que Wagner consulta en juin 1877 lors de son séjour dans la capitale britannique nous permet d’en savoir un peu plus sur les causes de ses maux de têtes et troubles nerveux atypiques. Voici ce qu’écrit le médecin : « Le grand compositeur se plaignit de souffrir de violentes céphalées frontales, d’insomnie, d’incapacité de travailler autrement que par courtes périodes, sous peine de voir réapparaître ses souffrances. J’examinai les yeux de Wagner et trouvait un astigmatisme myopique. Il fut à la fois heureux et surpris de voir de la musique à travers les verres sphérocylindriques qui corrigeaient son vice de réfraction ; car il vit les notes, les portées et les interlignes avec une netteté qu’il n’avait jamais connue jusqu’alors. Après son retour en Allemagne, il nous adressa plusieurs lettres de remerciements et l’assurance que ses symptômes désagréables avaient été identifiés. Dans le feu de la composition, les lunettes avaient à souffrir assez souvent et je fus très amusé à la réception d’une lettre de Wagner, me demandant de lui en envoyer six paires à Bayreuth ».

MVRW RichardWagner avec lunettesLe port de verres correcteurs, particularité qu’aucun portrait officiel, ni aucune photographie de l’artiste ne montre, est mentionné par son passeport helvétique. Néanmoins, on voit le lorgnon (pince‑nez) qui pend du gilet de Wagner sur quelques photographies. Logiquement, plusieurs caricatures et dessins du compositeur, à la fois hommage à sa célébrité et précieux témoignage sur la manière dont il était perçu par ses contemporains, témoignent du port de lorgnon ou de lunettes à branches. On peut noter que sur son ultime portrait – il s’agit du rapide croquis au crayon de Paul von Joukowsky réalisé au soir du 12 février 1883, portant la mention de Cosima « R. lisant », Wagner – l’expression paisible – plisse les yeux (attitude caractéristique des myopes pour augmenter la vision), mais n’a pas de lunettes. Ce qui frappe sur certains portraits et photographies de Wagner, c’est une déviation de l’œil gauche en dehors et en haut, que l’on appelle en ophtalmologie,  hyperéxophorie : à ne pas confondre avec du strabisme… Effectivement dans les deux cas, l’œil est dévié mais dans le strabisme, la déviation est permanente. Alors que dans le cas de Wagner, la déviation des axes visuels est maintenue latente par le cerveau. Et lorsqu’elle apparaît, c’est que le cerveau ne parvient plus à lutter contre la déviation et les signes fonctionnels (maux de tête, tension nerveuse) apparaissent, traduisant la décompensation de ce trouble oculaire. Ce qui explique que dans plusieurs photographies de Richard Wagner ne présentent pas l’élévation et la déviation de l’œil, ce qui démontre bien la faculté temporaire de vaincre ce défaut par un effort intense de fixation ou de concentration de l’attention. Quelle aurait été la cause de cette hétérophorie ? Le plus probable est que cette déviation de l’œil aurait été le résultat de l’astigmatisme myopique : ainsi, il eût suffi d’une paire de lunettes adaptée pour neutraliser la fatigue oculaire et soulager de la seule manière, possible et efficace, l’illustre patient ! Et on note chez Wagner, ce que bien des spécialistes d’affections des yeux, connaissent A savoir que les céphalées disparurent, dès que la presbytie s’installa. Et effectivement, dès les années 1860, sa correspondance ne comportent plus de plaintes ayant trait à ses migraines. Mais quoiqu’il en soit, que Wagner ait souffert d’une hétérophorie, d’une simple fatigue visuelle ou de toute autre affection, une chose est certaine…, le bleu de ses yeux que Judith Gautier comparait à « l’azur du lac de Lucerne ».

 

Wagner, le malade et le patient

Wagner, en tant que malade, avait besoin qu’on s’intéressât bien plus à sa personne qu’à ses symptômes. Nous en voulons pour preuve son besoin permanent de commenter, avec une précision quasi chirurgicale, ses symptômes. Aussi, rechercha‑t‑il toujours des médecins prêts à écouter ses plaintes diverses et multiples et à s’occuper de lui avec sollicitude. C’est à eux qu’il dut les meilleurs bénéfices thérapeutiques. Ceci explique qu’il eut souvent recours à d’empiriques médecins – voire des charlatans – et autres thérapeutes en marge de la communauté scientifique de l’époque. En 1852, il écrivait à un ami : « Pour le moment, Herwegh (poète de son état) est mon médecin. Ses connaissances physiques et physiologiques sont étendues et sous tous les rapports il m’est plus sympathique que n’importe quel docteur. Quand il s’agit de souffrances comme les nôtres, il n’y a qu’un ami qui puisse conseiller et un médecin seulement lorsqu’il est en même temps un ami ». En mars de cette même année, Wagner se mit entre les mains d’un empirique médecin parisien traitant par correspondance, qui lui envoya de la prescription suivante : gibier bien cuit, un verre ou deux de bon vin, des bains tièdes et, surtout du repos…

 Il est clair que seuls ces « médecins » gagnèrent sa confiance, car ils surent admirablement comprendre la nature essentiellement psychosomatique des ennuis de santé du génial patient et furent capables de le rassurer. Tout praticien sait parfaitement qu’une bonne parole, même si le patient est un génie, fait toujours du bien à entendre… On comprend mieux que Wagner se soit laissé facilement convaincre des vertus bénéfiques de l’hydrothérapie, d’autant que les résultats thérapeutiques de la médecine de son siècle étaient peu concluants. En effet, l’art de guérir était encore placé sous le signe de l’empirisme et la médecine disposait de peu de moyens pour soigner et guérir les divers maux auxquels elle était confrontée. Ce que commente ironiquement en 1860 Hector Berlioz, dont le père était pourtant médecin : « Les médecins actuels sont bien les fils de ceux du temps de Molière ! »

Pour régler ces divers problèmes de santé, Wagner eut souvent recours à l’hydrothérapie. Il fut converti à ses bienfaits en 1850 et se constitua d’emblée champion de cette méthode nouvelle. Voici ce qu’il écrit dans son autobiographie :  « L’hydrothérapie […]  m’enchanta par ses tendances radicales. La négation de toute science médicale avec son empirisme, et la foi dans l’action de la nature, secondée par un usage méthodique de l’eau fortifiante et rafraîchissante, eurent bientôt en moi un adepte passionné ».

MVRW AlbisbrunnA la fin de l’été 1851, Wagner entreprit un régime hydrothérapique des plus stricts. Il en rend compte dans une lettre : « Voici ce que j’en connais déjà, à savoir –  pas de vin, pas de bière, pas de soupe ; mais tout froid ou tiède….. De bonne heure, au lit, trois ou quatre verres d’eau froide ; puis ablutions – à midi, bain dans le lac ou bain de siège. Mon estomac, qui était toujours dérangé, est en bon état, et je sens mon abdomen libre. Pendant la journée je bois continuellement beaucoup d’eau ; après les repas je sors pendant une demi‑heure, et ainsi de suite. Ma tête est beaucoup plus dégagée. A la fin j’aurais tellement de santé que je ne saurais plus qu’en faire ». Il effectua par la suite, entre 1850 et 1856, plusieurs cures hydrothérapiques « médicalement conduites », comme à Albisbrunn, à coté de Zurich, à Saint-Moriz ou encore à Mornex en Savoie. En revanche, Wagner fit plusieurs fois à domicile des cures diététiques à base d’eau minérales en bouteille. Il garda aussi une prédilection pour l’hygiène aquatique en particulier pour les “ bains médicaux de la rue de la Victoire” qu’il fréquentait à Paris à l’époque de Tannhäuser dans les années 1860-61. Quand périodiquement ses ennuis intestinaux se manifestaient trop désagréablement, il envisageait bien de faire une nouvelle cure. Mais il ne mettait pas le projet à exécution. C’est seulement à l’âge de 64 ans qu’il trouva l’opportunité de la faire à Bad‑Ems, mais sans grande conviction… En 1880, Wagner pensa assez sérieusement entreprendre une cure à Gräfenberg en Basse Silésie dans la station fondée le fameux Priessnitz, le père de l’hydrothérapie. Mais la perspective de quitter le beau ciel d’Italie pour se retrouver sous la pluie, entouré de sombres forêts de sapins et d’insupportables curistes, le fit renoncer…  L’âge venu, il se soumit malgré tout aux soins de la médecine classique, tout en restant persuadé de l’efficacité de ces méthodes parallèles. Il aimait dire : « Les médecins vivent de nos sottises ». Le médecin qui le soigna à Venise durant les derniers mois de sa vie, le docteur Keppler, remarqua avec justesse que « l’état de santé de Wagner était de ceux pour lesquels le fait de se distraire et de ne pas penser à la maladie était la plus efficace des médecines ».

Toutefois Wagner se révéla un patient rebelle. Lui‑même n’hésitait pas à rappeler, avec humour : « L’auteur de Lohengrin et Tristan est difficile à soigner ». Comme nous l’avons vu il se soigna le plus souvent avec excès en s’adonnant à des régimes ou à des cures qui, précisément par leur caractère excessif, étaient plus nuisibles que bénéfiques. Il prenait rarement au sérieux les avertissements des médecins, se moquant d’eux en soutenant qu’ils « interdisent ce qu’eux même font avec le plus grand plaisir ». Il avait une assez forte tendance à l’inobservance des prescriptions, les considérants comme « une plaisanterie et une imposture, telle que si quelqu’un avait dû les suivre, il n’aurait plus jamais goûté le moindre plaisir dans la vie ». Mais c’est vrai, que soumis au savoir médical de son temps, il n’hésitait pas à affirmer : « De toute façon, les médecins ne trouvent jamais rien ! » Il n’hésitait pas à avoir recours à ses propres règles hygiéno‑diététiques personnelles, comme en témoigne l’anecdote suivante. Dépité des sempiternels conseils de son médecin sur telle eau minérale ou telle poudre, Wagner préférait se débrouiller tout seul. Et voilà ce que cela donnait : « A midi, un petit bifteck et aussi deux œufs mollets, un peu de bordeaux avec de l’eau ordinaire. A quatre heure ; diner léger avec quelques de vin pur et quelques verres de vin coupé d’eau. Rien de venteux, pas de féculents –  une petite tasse de thé (sans lait). A six heures, légère promenade. Je ne prends rien de plus. A dix heures, lavement froid avec vidange complète de l’intestin. Là-dessus, un peu de toilette intime et au lit… ma langue est toujours propre et mon estomac ne donne pas la moindre odeur ».

 

Aspects de la vie quotidienne

Car contrairement à une idée reçue, il ne fut jamais végétarien… Wagner épousa certes la cause du végétarisme, mais il le fit de manière contradictoire. C’était à une époque, dans les années 1880, où ces maux lui inspiraient des remèdes bizarres. S’inspirant de ses multiples lectures, en particulier de celle du théoricien du végétarisme, le français Jacques-Antoine Gleïzès, qui vantait l’image d’une humanité pacifique et herbivore, il envisagea d’adopter lui-même ce régime. Il ne parvint pas pourtant à se soumettre bien longtemps à cette discipline. Pour lui, la non-consommation de viande resta une question plus théorique que pratique. Et en 1882, il se souvenait encore de ses rencontres avec Nietzsche (qui lui était végétarien !) : « Lorsqu’il venait nous voir, il ne mangeait rien et disait : je suis végétarien : vous êtes un âne lui disais-je » Pas plus d’ailleurs qu’il n’arriva, non plus, à renoncer à l’alcool et au tabac.  Car, on pourrait qualifier Richard Wagner de « bon vivant », aimant boire, manger et aussi fumer ! Gourmand, Wagner l’était assurément. Rien n’était meilleur, à son sens, que les tartines beurrées, qu’il ne pouvait s’empêcher d’engloutir par énormes quantités avec son café ou les harengs fumés qu’il mangeait au buffet du théâtre de Bayreuth lors des représentations de Parsifal. Et il faudra attendre l’examen post mortem pour prendre toute la mesure des conséquences néfastes de ses excès alimentaires sur son état de santé, cardiaque en particulier… A Wahnfried, sa résidence à Bayreuth, on servait à sa table une nourriture bourgeoise et d’inspiration franconienne, composée de soupes, de viandes variées et de poisson. Aux côtés des écrevisses et des rôtis, on savourait des Klösse (boulettes de pommes de terre râpées crues puis cuite peu de temps à l’eau), des rôtis de porc à la mode franconienne, du chevreuil au genièvre ou encore du rôti de lièvre accompagné de bacon.

Leipziger allerleiLe plat préféré de Wagner aurait été le Leipziger Allerleï, qui est une macédoine de légumes, mélange de chou-rave, d’asperge, de petit-pois et de carottes reposant sur un lit de purée de pommes de terres agrémenté d’un beurre d’écrevisse. Il était avec la soupe au vin blanc de Franconie ou le potage à la bière et aux pommes, l’un des ornements de la table de Madame Cosima Wagner. Si Wagner avait une inclination particulière pour les eaux minérales, il aimait également les breuvages plus grisants. En bon allemand, il affectionnait la bière, mais également le vin, sans doute moins en connaisseur émérite que plus banalement en consommateur avisé. Plusieurs lettres de commande à des marchands de vins montrent qu’il fut un consommateur régulier et assidu. A côté du bordeaux ordinaire, consommé pendant les repas, d’autres grands crus du bordelais étaient bien présents dans la cave de Wahnfried, sans oublier toutes sortes de vins mousseux allemands, comme le sekt Rhiengold, mais aussi les crus des domaines vinicoles rhénans, franconiens et suisses. Mais sa boisson favorite était le champagne… Mais pour conséquente que fut sa consommation de vin, Wagner n’alla pas jusqu’à la cirrhose du foie, à l’instar de Johannes Brahms, qui devait en mourir. Par contre, on peut à juste titre supposer que les sempiternels problèmes de colite et autres mauvaises nuits trouvaient peut-être leur origine dans une consommation trop généreuse de quelques capiteux breuvages ! Autre mauvaise habitude, une consommation de tabac régulière et assidue. Il consommait du tabac à priser et surtout des cigares. Habitude, qui ne sera également pas également sans conséquence sur son état cardiaque…

Voir également :
–  logo_cercle rw « Richard Wagner passe à table » (PB)

Mais loin de d’avoir tout raconté, le lecteur apprendra bien d’autres choses en consultant Un patient nommé Wagner, par exemple sur ses médecins, sur ses opinions sur la médecine… des idées d’un obscurantisme foncier…, ou sur l’étude de la personnalité de ce patient hors-norme. Car Wagner était profondément ambivalent : « psychosomatique sans être hypochondriaque, névrosé sans être maniaco-dépressif, aspirant à la paix et se mettant perpétuellement en situation de la perdre ! » (Christian Merlin) Aussi, laisserons-nous à certains auteurs la responsabilité de classer parmi « les grands névropathes » un artiste que son hypersensibilité et sa force vitale débordante situaient assez loin de ce qu’il convient d’appeler « la normale ». Quant à nous, nous avons constaté qu’il est difficile de faire entrer un homme comme Wagner dans l’une des catégories prédéterminées que la psychologie a élaborées. Comme l’écrit Christian Merlin dans sa préface, « fort de ces conclusions, vous pourrez décider en connaissance de cause si cet homme hors normes mérite votre sympathie, votre exaspération, ou bien les deux ! » Mais dans tous les cas, l’attachement que les wagnériens portent au « vieil enchanteur » s’en sortira grandi, en découvrant « un homme comme les autres » comme il est dit dans son œuvre ultime, Parsifal.

 PB

Pour allez plus loin, nous vous recommandons vivement la lecture du remarquable ouvrage de Pascal BOUTELDJA, auteur de cet article : Un patient nommé Wagner, éditions Symétrie

 

 

 

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AU SEUIL DE LA NOUVELLE ANNEE, WWV36
par Nicolas CRAPANNE

Musique de scène pour chœur mixte et orchestre pour la pièce (ou « Festival allégorique ») en un acte de Wilhelm Schmale (Musik zum Allegorischen Festspiel in einem Akt Beim Antritt des Neuen Jahres von Wilhelm Schmale), für gemischten Chor und Orchester WWV 36) composée durant l’année 1834 à Würzbourg… (Lire la suite)

PARSIFAL WWV111 : KUNDRY, UNE FEMME NOMMEE DESIR

par Pascal BOUTELDJA   Le 17 mai 1879, Cosima notait dans son Journal que Kundry était, d’après Wagner, « le personnage féminin le plus original de toute son œuvre » . On peut véritablement parler d’invention car Wagner a fondu en un seul personnage deux figures différentes apparaissant dans le… (Lire la suite)

Sommaire
„Wen ruf’ ich zum Heil, daß er mir helfe? Mutter, Mutter! Gedenke mein!” : dans quelle situation Siegfried chante-t’il ce cri désespéré appelant à l’aide ?

Réponse : Lorsqu'il est surpris de découvrir que sous l'armure (Brünne) se trouve non pas un homme endormi, mais Brünnhilde.

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