Genre :

Opéras et drames musicaux

Tannhäuser et le Tournoi des Chanteurs à la Wartburg, WWV 70
Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER

TANNHÄUSER EN DECORS NATURELS

[image_categorie_parente]

par Henri PERRIER

Tannhäuser est l’ouvrage que Wagner a situé avec le plus de précision dans l’espace géographique. La Wartburg est un château historique qui se dresse sur une colline boisée dominant la ville d’Eisenach en Thuringe. Le Hörselberg, où la légende place le royaume de Vénus, est une montagne des environs. Bien sûr, ce paradis de tous les plaisirs sensuels personne ne l’a visité ; c’est un séjour de fiction onirique. Et dans la réalité de la pratique théâtrale, c’est même semble-t-il un cauchemar pour les metteurs en scène. Ainsi curieusement, à notre époque où la pornographie est devenue une des mamelles du théatre lyrique, Tannhäuser est un ouvrage relativement délaissé. Maintes relectures décapantes ou musclées, pour employer le jargon pitoyable des critiques, ne sont pas parvenues à émerger du salmigondis de la provocation puérile et de la vulgarité poisseuse. 

Loin de cela, nous pouvons retrouver Wagner et son Tannhäuser au cours d’un voyage qui, s’il reste imaginaire, est un mode de tourisme qui a l’avantage d’économiser les devises, en n’en gardant qu’une seule, celle que Lavignac a reprise de Goethe : “Qui veut comprendre le poète doit aller dans le pays du poète”. 

 

Les étapes de la genèse de Tannhäuser

La fantaisie du destin a voulu que Paris soit le lieu où Richard Wagner se sentit attiré irrésistiblement et définitivement par le monde des légendes et des mythes de la vieille Allemagne qui sont comme le fin vêtement simple et somptueux dont se pare la forme humaine véridique et étemelle.

C’était pendant l’hiver de 1842 ; Wagner avait terminé la composition de son Fliegender Holländer et s’apprêtait à retourner dans son pays. Dans ses lectures de l’époque, il découvrit les sujets de Tannhäuser et de Lohengrin, mais c’est la figure de Tannhäuser qui s’imposa immédiatement à lui. A son retour en Allemagne, au mois d’avril, le parcours de la diligence lui présenta la Wartburg comme un augure favorable. “L’aspect de ce château, qui assez longtemps se présente très favorablement aux voyageurs venant de Fulda, me réchauffa extraordinairement le cœur. Non loin de là, j’aperçus une crête de montagne que je baptisai sur-le-champ de Hörselberg et, tout en roulant dans la vallée, je montais en imagination la scène du troisième acte de mon Tannhäuser. J’en conservai une mémoire si précise que plus tard le peintre Despléchins en put exécuter les décors à Paris d’après le plan que je lui en fournis.”

La ville de Teplitz (Teplice), telle que Wagner l'a sans doute découverte.Ici, vue vers la grande synagogue (au fond, le Schlossberg)

Peu après son installation à Dresde, Richard se rendit en villégiature à Teplitz, ville d’eau de Bohême. De là, il partit à pied en excursion et s’arrêta plusieurs jours dans la petite auberge du château de Schreckenstein. C’est là qu’il nota le plan détaillé de son opéra en trois actes dont le titre était le Venusberg. Un jour au cours d’une promenade dans les montagnes tchèques, il rencontra un pâtre étendu dans l’herbe, sifflant un air de danse champêtre. Une autre fois, dans l’église d’Aussig, il admira une peinture représentant une Vierge Marie si belle qu’il souhaita que Tannhäuser l’ait vue : comme cela, on s’expliquerait clairement que le héros puisse s’arracher de Vénus sans être pourtant transporté de dévotion.

Revenu à Dresde, Wagner fut pris dans une suite d’événements très importants : la création de Rienzi en octobre, puis celle du Hollandais Volant en janvier 1843, sa nomination de Maître de Chapelle et aussi la composition de sa cantate, La Cène des Apôtres. Cependant, il parvint à terminer le poème du Venusberg pour son trentième anniversaire. En été, de nouveau à Teplitz, il entama la composition de son ouvrage dont les principaux motifs étaient bien sûr déjà dans son esprit. Mais il fut détourné de son travail par des circonstances extérieures, en particulier l’étude de la mythologie germanique. Le premier acte ne fut terminé qu’en janvier 1844. Wagner écrivit ensuite la musique du deuxième acte pendant les congés qu’il prit en septembre et octobre dans les vignobles de Löschwitz, dans la vallée de l’Elbe près de Dresde. Puis sans interruption, il se mit au troisième acte qui fut achevé à la fin de l’année, mais il travailla à l’orchestration jusqu’en avril 1845. Ce travail fut délicat et difficile car, ayant décidé de faire lithographier sa partition, Richard devait écrire avec le plus grand soin sur un papier spécial.

La création de Tannhäuser à Dresde en 1845

Les répétitions commencèrent en septembre et la première représentation eut lieu le 19 octobre 1845. Le titre primitif, Le Mont de Vénus, avait été changé à cause des plaisanteries des étudiants en médecine et était devenu Tannhäuser et la guerre des chanteurs à Wartburg. L’accueil fut d’abord mitigé, ce qui amena Wagner à modifier plusieurs fois la scène finale, dès 1845 puis en 1847 (dans la version primitive, Vénus n’apparaissait pas et seul le glas annonçait la mort d’Elisabeth). Le succès s’affirma au fil des représentations et des reprises et le Tannhäuser devint même un ouvrage populaire joué sur de nombreuses scènes. C’est une des raisons qui fit que bien des années plus tard, quand il chercha à s’imposer devant le public parisien, Wagner choisit son Tannhäuser. Ce fut l’occasion d’un remaniement et d’un important développement de la scène du Venusberg : la Bacchanale et la deuxième partie du duo. Il est à noter que Wagner composa alors sa musique sur des vers en français traduits à partir d’une esquisse en prose ; ultérieurement, il plaqua un texte en allemand sur cette musique dont le style “tristanesque” apporte un contraste pas spécialement heureux avec le reste de l’oeuvre. Même si le Maître donnait sa préférence à la version parisienne, il disait, à la fin de sa vie, “devoir encore Tannhäuser au monde.”

Les représentations parisiennes furent l’occasion d’une fameuse bataille, en réalité d’une minable et odieuse cabale dont malgré tout les wagnériens français ne doivent pas avoir honte, tant il est vrai que s’il y a quelque chose au monde qui soit mieux partagé que le génie, c’est heureusement la bêtise.

 

Des lieux pour évoquer [la genèse de] Tannhäuser

à Paris

Le jeune maître qui venait de terminer son Hollandais Volant et qui découvrait ses lectures le sujet de Tannhäuser habitait un très modeste logis au 14 de la rue Jacob. Une plaque commémorative orne aujourd’hui l’entrée de l’immeuble. On peut voir également la demeure de Wagner en 1860-61 au moment du Tannhäuser au Grand Opéra. C’est 3, rue d’Aumale, un appartement au 2ème étage avec cinq fenêtres donnant sur la rue ; ici, il n’y a pas de plaque.

à Dresde

Dresde a été assassinée en février 1945 et il n’y a plus de traces des maisons que Wagner habita à l’époque de Tannhäuser. En maints endroits de la ville actuelle, flotte un tenace parfum de nostalgie. Il n’est guère de paysage culturel plus poignant que le Theater Platz ressuscité mais presque irréel, la Frauenkirche réduite à un monstrueux amas de pierres, ou encore les terrasses du Brühl dont l’animation élégante s’est à jamais enfuie.
Le Semperoper, aujourd’hui magnifiquement restauré, n’est pas le théâtre  (détruit par un incendie au XIXème siècle ) où fut créé Tannhäuser. On visitera aussi la Hofkirche où le maître de chapelle Richard Wagner dirigeait de la musique d’église, l’esprit parfois absorbé par les harmonies voluptueuses du Venusberg.

en Bohême

Le Schloss Schreckenstein (en tchèque Hrad Strekov, en français le château du Rocher de la Peur), sur la rive droite de l'ElbeTeplitz, jadis station thermale brillante et mondaine, n’est plus maintenant qu’une crasseuse bourgade tchèque d’hydrothérapie prolétarienne, à déconseiller formellement aux nostalgiques sensibles. En revanche, ceux-ci peuvent se rendre au Schloss Schreckenstein, en tchèque Hrad Strekov, en français le château du Rocher de la Peur, sur la rive droite de l’Elbe près d’Usti nad Labem (anciennement Aussig). Dans le couloir couvert qui conduit à la forteresse, une très belle plaque, avec son profil en bas-relief, rappelle le souvenir de notre cher Maître : “ Hier entwarf Richard Wagner in Sommer 1842 den Plan zu seinem Tannhäuser ”. On peut voir aussi l’unique salle exiguë de l’auberge ; c’est là que chaque soir on arrangeait une pauvre litière pour le poète musicien. Une nuit, enveloppé de son drap de lit, il grimpa sur les ruines pour se donner l’illusion d’être un revenant, avec la pensée délicieuse que peut être quelqu’un le verrait et tremblerait d’épouvante !  

à Eisenach

Reproduction (lithographie) du Château de la Wartburg, dans les environs d'Eisenach, tel qu'il apparut à Wagner, dans une conception idéalisée pour la première fois.

Si Wagner ressentit une impression exaltante à la vue de la Wartburg, à son retour en Allemagne, en 1842, il ne jugea pourtant pas utile de venir s’imprégner de l’ambiance des lieux quand il écrivit Tannhäuser. Il ne visita le château que le 15 mai 1849, au moment où il devait fuir sa patrie pour échapper à une arrestation certaine à la suite de la révolution manquée de Dresde. Cette visite avait la signification symbolique d’un dernier regard sur l’Allemagne qu’il quittait en proscrit. Douze ans plus tard, enfin amnistié, il put se rendre à Weimar et en profita pour contempler une nouvelle fois la Wartburg qui, entre temps, avait été restaurée ; mais il ne ressentit qu’une impression de grande froideur. Il y fit une dernière visite en famille, avec Cosima, en 1877.

Les liens entre Wagner et la Wartburg étaient donc plutôt du domaine de l’idéalisation d’une certaine idée de la patrie allemande. Mais il s’est établi pour la postérité des liens plus immédiats puisqu’à Eisenach se trouve un important musée Richard Wagner. Il abrite une très intéressante collection constituée par un amateur viennois, à la fin du XIXème siècle. Mais ces objets et documents, présentés froidement dans une maison étrangère  (celle de l’écrivain Fritz Reuter), font plutôt l’effet d’une exposition. Il manque à ce musée la chaleur d’une présence.

A l’attention des assoiffés, il faut signaler que la café du Théâtre d’Eisenach s’appelle « Tannhäuser ».

 

Des lieux pour évoquer Tannhäuser

L’action se déroule dans trois décors différents : la grotte de Vénus, puis une vallée près de la Wartburg au 1er acte ; la salle des chanteurs à la Wartburg pour le 2ème acte ; et de nouveau la vallée parée des couleurs de l’automne au troisième acte.
Une solide grille protège aujourd'hui l'intimité de la grotte de Venus (Venushöhle), nichée dans le flanc du Hörselberg

La montagne où est située la grotte de Frau Holda s’appelle Hörselberg. La crête boisée qui porte ce nom se dresse à l’est d’Eisenach dans la vallée de la Hörselzn en direction de Gotha. Donc, pour suivre strictemet les indications scéniques (Wartburg à droite et Hörselberg au loin à gauche), il faudrait se placer quelque part au nord-ouest du château. J’avoue ne pas avoir cherché un très problématique point de vue susceptible de convenir. Néanmoins, en gravissant la colline par un sentier à travers bois (et en redescendant par un itinéraire différent !), vous pourrez jouir de splendides échappées sur le château.

Le chemin qui mène à la grotte est certainement très, très difficile à trouver ; car la belle déesse ne veut vraissemblablement pas être éternellement importunée par un défilé d’auteurs-compositeurs galants qui viendraient tenter leur chance comme au radio-crochet. Cependant, ces difficultés n’empêchent pas les téméraires membres du Cercle Wagner d’Eisenach de se promener dans le Hörselberg et de s’aventurer dans une grotte baptisée “Tannhäuser Höhle”.

Il est beaucoup plus facile de trouver le chemin de la grotte artificielle que se fit fabriquer Louis II de Bavière dans le parc de son château de Linderhof. Pauvre roi des ombres, amant fanatique de la solitude, qui voit ce flot incessant de touristes indiscrets profaner son univers intime. Peut-être a-t-il quelque indulgence pour ceux qui s’émerveillent de sa féerie de pacotille et qui l’aiment. Bien sûr, à Linderhof, il y a seulement, en toile de fond à l’arrière du petit lac, une peinture représentant Vénus, Tannhäuser et les autres. Tant pis pour les visiteurs qui s’attendaient peut-être à voir évoluer dans ce décor souterrain des naïades, des sirènes, des nymphes et des bacchantes, languissantes ou effrénées, moites et parfumées, comme au Club Méditerranée.

 C’est le moment de rappeler les visions érotico-mythologiques que Wagner a mentionnées dans les indications scéniques du Venusberg : l’Enlèvement d’Europe et Léda et le Cygne. Ces épisodes ont inspiré de nombreux peintres, en particulier Paolo Veronèse.

 Pour évoquer le décor du deuxième acte, il y a bien dans le château de la Wartburg une salle des Chanteurs où se trouve une peinture murale de Moritz von Schwind représentant le tournoi des Chanteurs dans laquelle Wolfram von Eschenbach ressemble beaucoup à Franz Liszt. Mais cette salle simple et sévère, au plafond assez bas supporté par des piliers, ne saurait convenir au cortège et au rassemblement des gentes dames et nobles chevaliers. La vaste salle des fêtes de la Wartburg, réaménagée au XIXème siècle, est beaucoup mieux adaptée à ce type de réunion. Dans cette salle, Liszt dirigea son oratorio, La légende de Sainte-Elisabeth, en 1867. C’est dans ce même lieu, qu’une assemblée d’étudiants lança en 1817 son appel à l’unité de la patrie allemande, contribuant à faire de la Wartburg, avec le souvenir de Luther et la touche wagnérienne, un symbole monumental de la nation.

 Bien évidemment, Louis II a voulu avoir sa salle des chanteurs au Neuschwanstein. Elle est très imitée de la salle des fêtes de la Wartburg et sert à l’occasion de cadre à des concerts wagnériens. De plus, à Neuschwanstein, dans le cabinet de travail du roi (qui avait de bien drôles de façons de travailler, diront certains), on peut admirer les gracieuses peintures de Joseph Aigner représentant Tannhäuser chez Vénus, Tannhäuser au tournoi de chant, Tannhäuser implorant le pardon du Pape.  

Pour terminer, nous prenons garde de ne pas oublier de mentionner des lieux qui évoquent des personnages de l’opéra ayant eu une existence historique :

– Wolfram von Eschenbach a son village natal qui porte son nom, au sud-est d’Ansbach. Le Minnesänger, auteur de Parzifal, a sa statue sur la Marktplatz de cette bourgade moyenâgeuse, pittoresque et romantique à souhait.

– Walther von der Vogelweide repose depuis 1230 dans un petit jardin près du Neumünster de Wurtzbourg. Il a aussi sa statue sur la place de la Résidence de la ville.

La châsse de Sainte Elisabeth, au coeur de l'Elisabeth KIrche à Marbourg

– Sainte-Elisabeth a son tombeau dans une grande église gothique qui lui a été dédiée à Marbourg, la ville où elle est morte en 1231. D’autre part, Schwind a peint dans une galerie de la Wartburg des fresques représentant les principaux épisodes de sa vie ou de sa légende.

– Deux villages, situés à quelques dizaines de kilomètres au sud de Nuremberg et répondant au nom de Thannhausen, revendiquent l’origine du Minnesänger vénérolâtre. L’un est un hameau de Freystadt qui n’a aucun témoignage à offrir au touriste. Mais l’autre, à l’ouest entre Pleinfeld et Gunzenhausen, est plus attrayant avec sur la Tannhäuserplatz le Gasthof « Zum Tannhäuser » où le chanteur figure en statuette sur l’enseigne et en peinture sur la façade ; il y a même, près de l’église, un petit monument moderne, naïf et charmant de Tannhäuser assis sur une colonne.

Quant à Vénus, on peut l’admirer qui brille dans le ciel des beaux soirs d’été. Les larmes qu’elle verse en se souvenant d’avoir vu passer l’âme d’Elisabeth forment une rosée qui féconde de ses sortilèges la nostalgie de bien des poètes. Quand même, avec cette Romance à l’Étoile d’apparence anodine, Wagner a réussi une de ses plus prodigieuses performances dans son domaine privilégié, à savoir l’ambiguïté. Libre à quiconque de penser qu’il s’est planté lamentablement, parce qu’il était nul en astronomie ; libre à moi aussi de voir, dans l’adresse de Wolfram à la Vénus du ciel, une merveille de syncrétisme dualiste.

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