Therese Vogl, née Thoma, vit le jour le 12 novembre 1845 à Tutzing, une charmante localité située sur le bords du lac de Starnberg en Bavière, où elle passera également les dernières années de sa vie. Elle faisait partie d’une famille très nombreuse de seize enfants. C’est son père qui lui enseigna le chant.
Soprano, elle étudie d’abord au conservatoire de Munich. Elle fait ensuite ses débuts à l’opéra à Karlsruhe en 1865. A Munich, l’année suivante, elle tient le rôle de Casilda dans une représentation de La part du diable de Daniel Auber.
Therese épouse en 1868 le Heldentenor Heinrich Vogl. Ils apparaissent désormais ensemble sur scène à plusieurs reprises. Elle interprète Sieglinde dans La Walkyrie à l’Opéra de Munich le 26 juin 1870, en compagnie de son mari qui interprète le rôle de Siegmund. Elle sera aussi Wellgunde dans Das Rheingold à Munich le 22 septembre 1869, la représentation exigée par le roi Louis II de Bavière, quoique interdite par le compositeur Richard Wagner qui ne prédestine les représentations des quatre volets de La Tétralogie qu’au futur Festspielhaus de Bayreuth. Son mari y joue Loge.
Elle interprète Brünnhilde lors de la première de Siegfried à Munich le 10 juin 1878, toujours avec son mari dans le rôle-titre.
Therese et Heinrich Vogl sont parmi les premiers artistes à interpréter Tristan et Isolde, avec un grand succès. Elle est la première artiste à jouer le rôle de Brünnhilde au Royaume-Uni lors des représentations du Ring au Her Majesty’s Theatre avec Anton Seidl à la direction, et chantant Siegfried et Loge.
Le célèbre critique Herman Klein décrit sa voix comme une soprano dramatique lumineuse, comparable à Christine Nilsson, avec un registre de tête très clair. Il souligne l’élégance du phrasé et sa diction. Klein décrit également décrit la scène finale de Brünnhilde dans Le Crépuscule des Dieux comme «passionnant» (thrilling). Selon Klein, elle est l’une des meilleures sopranos dramatiques wagnériennes.
Le couple quitte le Festival de Bayreuth en juin 1882, après une querelle avec Wagner. Therese Vogl termine sa carrière en Isolde, à Munich, où elle chanta au Théâtre de la Cour de 1888 à 1892, année où elle fit ses adieux à la scène.
Elle meurt à Munich en 1921, après avoir survécu plus de 20 ans à son mari, décédé subitement en avril 1900. Ils sont enterrés ensemble à Tutzing.
Therese VOGL vue par la presse française
Voici quatre coupures de presse qui évoquent des moments importants de la carrière de la grande soprano wagnérienne.
Le vrai Grane de la Tétralogie
En 1907, la revue musicale de Lyon cite un extrait des Souvenirs sur Richard Wagner d’Angelo Neumann, dans lequel le célèbre imprésario wagnérien évoquait le vrai Grane de La Tétralogie :
[…] Pendant mon séjour à Munich [en 1878]…, j’ai assisté à une répétition en scène du Crépuscule des Dieux et j’ai pu voir pour la première fois le fameux saut à travers les flammes de Thérèse Vogl. Le cheval, celui que montait autrefois le roi Maximilien, possédait à un degré incroyable l’instinct nécessaire pour son rôle de Grane ; tout son emploi consistait à tenir ce rôle. Lorsque vint le moment où Brunehilde s’écrie : « Heia, Grane, salue ton maître », il se montra plein d’agitation, haletant ; ses pieds battaient le plancher de la scène. Au moment du dernier appel – « Siegfried, c’est le salut de ta femme bienheureuse» – il se retourna brusquement et traversa au galop la scène en se dirigeant vers le bûcher. Thérèse Vogl, qui représentait Brunehilde, profita d’un moment pendant cette course, s’élança sur le cheval en saisissant fortement sa crinière, et bientôt tous les deux parurent avoir trouvé la mort en se précipitant au milieu des flammes. Cela fut rendu magistralement au point de vue de la scène et de l’illusion des spectateurs. Thérèse Vogl, à laquelle je fis part de mon admiration, m’assura que, malgré ses qualités d’excellente écuyère, elle ne pouvait exécuter ce « saut dans le feu » qu’avec le cheval de Munich, et cela, parce que l’intelligence de cet animal tenait presque du prodige. Elle ajouta que l’on serait tenté de considérer ce cheval comme comprenant la musique, car à la fin du Crépuscule des Dieux, exactement à la même mesure, sans qu’elle lui fit aucun signe et sans attendre qu’elle fût montée sur lui, agissant comme s’il savait qu’elle monterait pendant sa course, il son élan et exécutait le saut dans les flammes. […]
Angelo Neumann raconte ensuite que Therese Vogl, ayant à jouer à Berlin le rôle de Brunehilde, voulut avoir son cheval de Munich, Ce fut une véritable question diplomatique. L’empereur Guillaume Ier consentit, sur la demande du roi de Bavière Louis II, à ce que le cheval fût logé dans les écuries royales de Berlin et promit qu’il serait entouré de soins tout particuliers. L’affaire n’eut d’ailleurs aucune suite, car le pauvre Grane mourut avant d’avoir pu montrer au public berlinois ses talents scéniques.
Tristan et Yseult
Dans un article intitulé Les Iseult illustres (Berühmte Isolden), le Monde artiste du 13 décembre 1898, proposait la traduction d’un important article du Dr West, critique musical, publié dans une revue wagnérienne de Leipzig Die Redenden Künste. Voici un extrait de cet article :
[…] Ce sont les noms des deux couples d’artistes, Schnorr de Carolsfeld et Vogl qui nous apparaissent comme le plus étroitement liés à l’histoire et au sort de la tragédie : Tristan et Yseult de Wagner.
Le public qui, de jour en jour, s’assimile de plus en plus Wagner, connaît suffisamment le sort tragique de Louis Schnorr de Carolsfeld, l’illustre interprète du rôle de Tristan lors de la première représentation de l’œuvre au Théâtre National de Munich en juin 1865, pour qu’il soit utile de le rappeler ici.
Trois semaines à peine après cette première représentation, la mort du premier chantre de Tristan laissa vide un trône brillant, visible au loin dans le domaine de l’art ; l’œuvre magistrale de Wagner se trouva pour un temps en danger de tomber dans l’oubli, Aucun des artistes d’alors ne se sentait tenté de recueillir la triste succession de Carolsfed, mort à la tâche ardue de Tristan.
C’est aux époux Henri Vogl de Munich, plus dignes qu’aucuns de leurs prédécesseurs d’interpréter l’œuvre de Wagner, qu’il fut donné de rendre Tristan à la vie, et cette lois d’une manière plus durable.
Neuf ans plus tard, à Weimar, la ville consacrée de l’Art, où presque un quart de siècle auparavant le Chevalier du Cygne, Lohengrin, avait fait sur la scène allemande sa première et brillante apparition, eurent lieu les 14, 17 et 21 juin 1874, sous la direction d’Edouard Lassen, les trois premières représentations de Tristan et Iseult. M. Vogl paraissait dans le rôle du héros, Mlle Dotter, mariée maintenant à Weimar, dans celui de Brangaine, M. de Wilde dans celui de Kurwenal et M. Hennig (encore engagé à Weimar) dans celui du roi Marke.
Le Tristan de Vogl est vite devenu célèbre par les nombreuses représentations de l’oeuvre à Munich et en d’autres villes d’Allemagne et d’Amérique, et surtout par les festivals de Bayreuth, de 1886 à 1892, où Vogl fut, avec Max Alvary, le seul interprète chargé de ce rôle. Il l’a chanté plus de 150 fois et passe encore aujourd’hui pour le véritable gardien et le représentant modèle de Tristan bien que les qualités scéniques de Niemann lui aient parfois fait tort.
Sous tous rapports, nous pouvons placer Mme Thérèse Vogl, dans le rôle d’Iseult, à côté de son mari, dans celui de Tristan ; cependant elle n’est pas arrivée à la même célébrité que lui, pareille en cela à la première et excellente interprète d’Iseult, Mme Malwine Schnorr-Garrigues, qui se retira de la scène et vécut longtemps à Vienne, dans une paisible retraite, en donnant des leçons de chant. Mme Vogl n’acquit pas une plus grande célébrité, parce qu’elle se retira trop tôt du théâtre et aussi parce que, à l’époque où Tristan, partant de Weimar, commença lentement son tour sur les scènes allemandes, il ne manquait pas de cantatrices dramatiques supérieures, qui dépassaient de* beaucoup Mme Vogl par la fraîcheur de la jeunesse et la force de la voix, et semblaient ainsi prédestinées pour le rôle si extraordinairement fatigant d’Iseult.
Je ne veux citer qu’Amélie Materna, Lilly Lehmann, Thérèse Malten, Hedwige Reicher-Kindermann, Rosa Sucher, Fanny Moran-Olden; plus tard, vers 1885, Catherine Klafsky et dernièrement, Pélagie Ende-Andriessen. […]
La Tétralogie à Londres
En janvier 1881, La Renaissance musicale évoque les représentations de La Tétralogie au Majesty’s Theater de Londres en 1880.
La grande Tétralogie wagnérienne vient de sortir d’Allemagne pour la première fois. L’entreprise était dirigée par M. Neuman, un véritable artiste, un croyant de l’oeuvre « wagnérienne, à laquelle il s’est exclusivement consacré. […] Beaucoup de bruit dans les journaux anglais public nombreux et choisi toute là hante aristocratie anglaise, et un certain nombre d’étrangers. Richard Wagner est resté à Bayreuth. […]
Hors de pair nous citerons M. Helnrich Vogl (Siegfried). M. Vogl est un artiste de premier ordre; comédien excellent, chanteur consommé, I1 a profondément étudié et saisi son rôle très grand succès. Madame Thérèse Vogl (Brûnnhilde), une éminente artiste aussi, était malheureusement fatiguée aux deux dernières soirées, mais le rôle de la Walküre est un fardeau que bien peu de nos cantatrices en vogue pourraient aborder. […]
[…] la première journée, Die Walküre, a été très applaudie, malgré le scandale des amours de Siegmund et Sleglinde. Siegfried (avec Vogl) a eu un plus grand succès encore. […]
La rupture avec Wagner
Le Gaulois du 9 juin 1882 (p.4) expose les circonstances de la rupture des époux Vogl avec Wagner :
En juin 1882, on apprit que les époux Vogl ne participeraient pas au Festival de Bayreuth.
Voici que M. Henri et Mme Thérèse Vogl, les créateurs ordinaires des principales œuvres wagnériennes, viennent de signifier à M. Wagner, que tous deux, ils refusèrent leur concours aux représentations du Parsifal, parce que, dit M. Vogl dans une lettre rendue publique, le cygne de Bayreuth, contrairement à toutes ses promesses, a donné en double les rôles de Parsifal et de Kundry, le premier à MM. Winkelmann et Jaeger, le second à Mmes Maria Brandt et Materna.
Vogl redoute des rivalités et des scènes fâcheuses qui ne pourraient qu’être préjudiciables à la bonne interprétation de la nouvelle œuvre.
La réplique de M. Wagner, répondant sèchement que la reconnaissance lui faisait un devoir de donner ces rôles à ces artistes, n’a pas été sans étonner les Allemands eux-mêmes car jusqu’à ce jour, ils ne connaissaient point le maestro accessible à ce sentiment profondément humain.