L’histoire merveilleuse de Tristan et Yseut se perd dans la nuit des temps médiévaux mais on est impressionné de constater que l’aventure de ces deux amants arrive soudainement dans la conscience européenne et se manifeste subitement dans une littérature française qui, au Xllème siècle, est à sa naissance, pour se diffuser très vite dans tous les pays d’Europe. Si les origines de ce beau conte d’amour et de mort, pour reprendre la formule de Joseph Bédier, sont incertaines ou discutées, une chose est sûre: c’est dans le dernier tiers du Xllème siècle que va commencer la multiplication des textes qui font allusion à l’histoire des deux amants et en font le sujet principal de leur récit.
Chronologie de la légende
En introduction, il est nécessaire de rappeler brièvement la chronologie de la légende dans ses étapes essentielles.
– Vers 800, apparaît un récit celtique qui serait à l’origine d’un récit irlandais «Diarrnaid et Grainne» et d’une version commune de l’histoire de Tristan et Yseut.
– Au Xllè siècle, en 1135, un troubadour gascon, Cercamon, fait allusion dans ses poèmes au thème des amours de Tristan et Yseut.
– En 1138, un clerc normand, Geoffroy de Monmouth, traduit du latin L’histoire des Rois de Bretagne, que l’on a appelée La Matière de Bretagne et qui est un ensemble de récits autour du roi Arthur, de Tristan et Yseut et plus largement des légendes celtiques.
– 1170-1173 : Tristan et Yseut de Thomas (parvenu incomplet)
– Vers 1180 : Tristan et Yseut de Béroul (parvenu incomplet)
– 1170-1190 : Tristant de l’allemand Eilhart d’Oberg, texte qui nous est parvenu intact, l’un des seuls textes complets du Xllè siècle, proche de la version de Béroul.
Dans les mêmes années, trois courtes nouvelles écrites en ancien français : Le lai du chèvrefeuille de Marie de France, conte des ruses de Tristan pour communiquer avec Yseut ainsi que Les folies de Tristan d’Oxford et de Berne, d’auteurs anonymes, qui relatent un retour de Tristan auprès d`Yseut en Cornouailles, déguisé en fou.
– 1200-1210 : Tristan et Isolde de Gottfried de Strasbourg, adaptation en allemand du récit de Thomas, inachevé, et ses deux continuations par Ulrich de Turheim (1230- l235) et par Heinrich de Freiburg (1290-1300). 1226 : la saga traduite en vieil islandais, pour le roi de Norvège, par Frère Robert, adaptation du roman de Thomas, texte précieux car il est complet. Fin XIIIe, «Sir Tristram››, récit d’un anonyme anglais.
– XIVème et XVème : diffusion de divers textes, italiens, islandais, consacrés à la légende tristanienne.
– XVIème : des versions danoises et serbo-croates de «Tristan», «Tristan mit Isolde» de Hans Sachs: Tragedia mit Personen, von der strengen Lieb Herr Tristant mit der schönen Königin Isolden.
Les XVIIè et XV1IIè siècles ne s’intéressent plus à la légende. Au cours de cette période médiévale qui s`échelonne sur quatre siècles, le traitement de la légende tristanienne va évoluer. Ainsi, les premiers textes, fin Xllè, début XIIIè, dont le succès se marque par leur multiplication et diffusion rapides, sont des récits presque nus de la passion portée à l’incandescence et aboutissant à la mort.
Ils suscitent des réactions de fascination et en même temps de rejet, car le mythe est trop fort, trop dur, trop violent. Il transgresse les lois de la chrétienté médiévale, puisqu’il pose l’amour comme valeur absolue, au-delà des règles et des valeurs morales. C`est pourquoi, très vite, au siècle suivant, on atténue ce mythe, on propose une version courtoise de l’amour tristanien. On fait de Tristan un chevalier de la Table Ronde. Les versions chevaleresques de Tristan et Yseut vont alors se développer.
Puis, au XIXè siècle, choc étonnant, on redécouvre le mythe du Xllè siècle. Les Romantiques, qui reviennent au Moyen Age, sont à la recherche de l’irrationnel et s’intéressent aux versions les plus anciennes de la légende, plus pures et plus subversives. Ce retour est amorcé en Angleterre par Walter Scott. D’autres poètes s’emparent de la légende : AW. Schlegel et F. Rückert en Allemagne, d’Annunzio en Italie. Mais c’est surtout Richard Wagner qui en 1859, avec son drame «Tristan et Isolde››, refond et magnifie la légende, par l’épuration extrême et les modifications qu’il y apporte. En 1900, Joseph Bédier a le mérite de nous restituer en français moderne un récit complet et cohérent de la légende : «Le Roman de Tristan et Yseut››, qu’il a mis au point en comparant les divers textes médiévaux qui nous sont parvenus.
A cette chronologie, il faudrait ajouter quelques repères historiques et littéraires.
De 1096 à 1270, soit en près de deux siècles, huit croisades ont vu le jour.
1175 : Le Roman de Renart
1176-1181 : Chrétien de Troyes écrit Yvain ou le Chevalier au Lion et Lancelot ou le Chevalier de la Charette
1182-1183; Perceval ou le Comte du Graal de Chrétien de Troyes
1208: Parzival de Wolfram von Eschenbach
Nous constatons ainsi que le Graal est contemporain de la légende de «Tristan et Yseut››.
Origines de la légende
Certains commentateurs attribuent une origine orientale à la légende qui aurait sa source dans un poème iranien du Xlè siècle «Wis et Ramïn››. Régis Boyer, pour sa part, pense que cette histoire aurait été ramenée d’Orient par les Croisés. L’hypothèse la plus communément admise privilégie l’origine celtique. Ainsi, on trouve des éléments très ressemblants dans la légende irlandaise «Dirmaid et Grainne» dont on retrouve des traces au Xè siècle et qui raconte comment Grainne, mariée au vieux roi Finn et amoureuse de son jeune neveu Diarmaid, obtient, grâce à une contrainte magique, que celui-ci s’enfuie avec elle. Au début du Xllè siècle, la légende devait circuler, oralement ou par écrit, dans une aire assez vaste, débordant largement les limites du domaine celtique, puisque le troubadour Gascon Cercamon y fait allusion en 1135. Les auteurs français du Xllè siècle, s’inspirant de récits oraux ou écrits dont on a perdu la trace et utilisant les différents éléments mis à leur disposition par une légende vraisemblablement celtique, ont eu le mérite d`avoir donné une forme cohérente a l’histoire et d’en avoir fait un mythe.
Les premières versions
Des anciennes versions, allant des années 1170 à 1230 environ, qui exercèrent une véritable fascination lors de leur redécouverte au XIXè siècle, il reste essentiellement des manuscrits tronqués, incomplets, voire fragmentés, dont les textes nous sont parvenus en piteux état, à deux exceptions près : ceux de l’allemand Eilart d’Oberg et du scandinave Frère Robert.
Mais en comparant les versions françaises ainsi que les adaptations étrangères, il a été possible de reconstituer la légende. Ce travail d’industrieuse mosaïque fut notamment l’oeuvre, en 1900, de Joseph Bédier, oeuvre qui connut un grand succès au sein d’un large public. Les grandes étapes de l’histoire légendaire de Tristan et Yseut peuvent se résumer ainsi :
1- Les enfances de Tristan et la rencontre d’Yseut
2- Les amants ensemble – Les amours clandestines
3- La séparation – I’exil et le mariage de Tristan – La mort des amants
1- Les enfances de Tristan et la rencontre d’Yseut
Il faut remonter aux parents de Tristan. Tout commence dans le Léonois, en Bretagne. Rivalin, jeune grand seigneur venu se mettre en Cornouailles au service du roi Marc, rencontre Blanchefleur, sœur du roi, dont il devient brusquement amoureux. L’amour de Blanchefleur est réciproque. Ils auraient pu se marier mais des épisodes racontent qu’ils ont eu des rapports avant d’être mariés. Rivalin doit rentrer chez lui parce qu’un seigneur lui prend ses terres. Blanchefleur, enceinte, le suit. Elle accouche et meurt aussitôt, après avoir appris la mort de Rivalin, en mettant au monde Tristan. La naissance de ce dernier est difficile et c’est à cause de cela que les textes français disent qu’il s’appelle «Tristan›› : il est né dans un triste moment, bien que ce nom soit d’origine celtique (Drystan, apparenté au chêne, drus ou drys en latin, et aux druides).
On confie l’éducation du jeune orphelin au fidèle sénéchal Rual qui lui apprend le métier des armes -et les arts, la musique entre autres. Un jour, Tristan est enlevé par des marchands-pirates norvégiens qui l’abandonnent après une tempête sur un rivage de Cornouailles près de Tintagel, résidence du roi Marc. Introduit à la cour de son oncle, le roi Marc, il conquiert l’estime et l’affection de celui-ci qui en fait son favori, l’adoube chevalier et songe à lui comme héritier car il n’est pas marié. Tristan retourne ensuite dans son pays et venge son père en tuant l’usurpateur Morgan. Le héros revient alors en Cornouailles accompagné de son fidèle écuyer, Gouvernal La Cornouailles est contrainte de verser périodiquement au roi d’Irlande, représenté par son beau-frère, le Morholt, un tribut en jeunes gens et en jeunes filles, destinés à être des serviteurs et courtisans auprès du roi. Ce Morholt est très grand et réputé invincible. Nul ne veut s’y opposer. Tristan obtient de l’affronter dans une île, et le vainc après un combat difficile. Mais en tuant son ennemi, après lui avoir laissé dans le crâne un fragment de son épée, le héros est victime d’une blessure empoisonnée. Le Morholt lui a alors révélé que seule sa sœur, la reine d’Irlande, pouvait guérir ce poison. Tristan se rend en Irlande, sans se faire reconnaître, déguisé en marchand et sous le faux nom de «Tantris››. Il est soigné par la reine d’Irlande, Yseut, et par sa fille qui s’appelle aussi Yseut. Guéri, il devient son professeur de musique. Au bout d’un an, Tristan retourne en Cornouailles auprès du roi Marc. Jaloux de l’affection que porte le roi à son neveu, des seigneurs font pression sur lui pour qu’il prenne une épouse. Marc déclare qu’il ne veut épouser que la jeune fille à qui appartient le cheveu d’or déposé dans sa chambre par deux hirondelles qui étaient entrées en se querellant par la fenêtre ouverte (épisode du cheveu d’or raconté par Eilhart d’Oberg). Cette jeune fille, c’est Yseut, Yseut la blonde, fille d’Yseut, reine d’Irlande. A nouveau déguisé et sous le faux nom de Tantris, Tristan retourne en Irlande pour accomplir l’exploit d’amener à Marc la fille de la reine d’Irlande. Pour se qualifier, il accomplit un deuxième exploit en tuant un dragon qui ravageait le pays, mais il est empoisonné par la langue du dragon qu’il a emportée en guise de preuve de son exploit. La reine et sa fille le guérissent à nouveau mais la princesse, en voyant l’épée ébréchée, découvre que Tantris est Tristan, le meurtrier de son oncle, le Morholt. Après de nombreuses hésitations, Yseut renonce cependant à la vengeance et Tristan gagne sa main pour le roi Marc. Il s’embarque pour la Cornouailles avec la fiancée et sa suivante Brangien.
2 – Les amants ensemble – Les amours clandestines
C’est lors du voyage en mer entre l’Irlande et la Cornouailles que se situe l’épisode du philtre. Nous sommes au milieu de la journée, la chaleur est accablante. Tristan demande qu’on apporte une boisson pour Yseut et pour lui. Mais au lieu d’un rafraîchissement, une servante, en l’occurrence Brangien, leur apporte par méprise le «vin herbé» préparé par la reine d’Irlande pour sa fille et destiné à unir Marc et Yseut d’un amour indéfectible. Voilà les deux jeunes gens qui s’aiment et se désirent follement. Le mariage de Marc et d’Yseut a lieu en Cornouailles. Brangien remplace Yseut, qui n’est plus vierge, dans le lit de Marc pour la première partie de la nuit de noces. Le roi, ignorant leurs amours coupables, laisse sa femme et son neveu seuls ensemble. Ils en profitent et entretiennent une liaison clandestine qui ne peut échapper longtemps à l’observation des seigneurs jaloux. Ces derniers essaient de rendre le roi méfiant mais les amants, se sentant épiés, déjouent les ruses de leurs ennemis. Tristan et Yseut se sont donné rendez-vous dans le jardin. Ils sont dénoncés par le nain Frolin qui engage le roi à grimper et à se cacher dans un pin (épisode du rendez-vous épié du début du roman de Béroul) afin d’écouter les jeunes gens. Mais Tristan et Yseut s’aperçoivent de la présence de Marc. Le piège se retourne alors contre le roi. Grâce à un discours habile et recourant même au mensonge, ils vont pouvoir convaincre Marc de leur innocence. Mais le nain Frolin parvient à les faire tomber dans le piège en semant de la farine entre le lit d’Yseut et celui de Tristan (épisode de la fleur de farine, Béroul, Gottfried). Bien qu’éventée par Tristan, la ruse réussit à moitié et ils sont pris en flagrant délit. Marc constate alors l’adultère et finit par faire condamner Tristan au bûcher, Yseut à être livrée aux lépreux. Avant de rejoindre le bûcher, Tristan, emmené par les gardiens, va se recueillir dans une chapelle. Il réussit à échapper aux gardiens, s’élance au dehors en sautant par une fenêtre (épisode du saut de la chapelle) et s’enfuit. Il enlève Yseut aux lépreux avec l’aide de Gouvemal et tous trois se réfugient dans la forêt de Morrois. Commence alors pour eux une vie âpre et dure que seul l’amour permet de supporter selon la version de Béroul. Pour d’autres auteurs, Thomas, Gottfried, frère Robert, ils vivent dans une grotte qui se révèle être un véritable paradis. C’est dans cette retraite que le roi découvre les amants endormis, dans une position décente, l’épée de Tristan entre eux, épée séparatrice qui convainc le roi de leur innocence. Marc substitue son épée à celle de Tristan, échange son anneau avec celui d’Yseut, renouvelant par ces deux gestes les pactes de fidélité qui lient à lui chacun des jeunes gens et il place son gant de façon à empêcher les rayons du soleil de frapper le visage d`Yseut, puis il s’éclipse. Il semble que ce dernier geste traduise un sentiment de pitié et de tendresse. Ainsi s’est manifestée la clémence de Marc. L’épisode de la découverte des amants endormis coïncide chez Béroul au moment où le philtre perd son effet; Béroul écrit: «Seigneur, vous avez entendu parler du vin dont ils burent et par lequel ils furent plongés si longtemps dans une si grande peine; mais je pense que vous ne savez pas pour quelle durée fut déterminée l’action du «lovendrine››, du vin herbé: la mère d’Yseut, qui le fit bouillir, l’avait composé pour trois ans d’amour›› On peut se demander alors si Tristan et Yseut vont cesser de s’aimer. Il n’en est rien. Ils vont continuer de s’aimer mais d’une autre façon. Le philtre qui les plaçait sous la contrainte l’un de l’autre ayant fini son oeuvre, ils vont être libérés et obligés de trouver une définition de leurs rapports plus humaine, plus courtoise. Tristan manifeste son désir de repentir. Aidés par l`ermite Ogrin qui joue le rôle de confesseur et de médiateur, ils demandent à revenir à la cour du roi. Marc accepte et offre son pardon. Tristan, à la demande des seigneurs jaloux, aurait dû quitter la Cornouailles, mais il se cache dans une forêt voisine. Yseut, elle, doit faire face à l’offensive des félons qui lui reprochent de n’avoir jamais vraiment prouvé son innocence. Elle décide alors de prêter serment devant Dieu et jure, en présence du roi Arthur et de ses prestigieux chevaliers de la Table Ronde, qu’elle n’a tenu aucun autre homme entre ses jambes que son mari et un lépreux (en l’occurrence Tristan) qui lui a servi de bête de somme pour traverser un marais. Par la suite, Tristan et Yseut qui ne peuvent renoncer l’un `a l’autre, se revoient en cachette mais ils sont surpris par le roi qui les découvre endormis dans un verger, sans épée entre eux cette fois. Tristan est banni. Les amants échangent serments et gages éternels d`amour.
3 – La séparation et la mort des amants.
Ils sont désormais séparés et s’aimeront de loin. Tristan imagine des ruses multiples pour revenir voir furtivement Yseut, sous de fausses identités, déguisé en fou, en marchand, en pèlerin, en lépreux ou en musicien. Il erre de pays en pays, réalisant des exploits. Après des années, il arrive en Bretagne où, par jalousie ou par dépit, il courtise la soeur de son confident et ami Kaherdin, Yseut aux blanches mains, homonyme de la première et qui lui ressemble par sa beauté. Elle l’aime et il la désire, mais le souvenir de l’autre Yseut l’empêche de consommer le mariage. Pour se consoler, Tristan a fait placer des statues de sa bien-aimée dans une salle secrète et s’entretient avec l’image de celle qu’il n’a pas cessé d’aimer. Un jour, voulant aider un certain chevalier nommé Tristan le Nain, seigneur de Bretagne, à retrouver sa femme enlevée par un géant, Tristan, dans un combat inégal, reçoit une blessure empoisonnée. Désespéré de son sort, il envoie son ami Kaherdin chercher Yseut qui seule pourrait le guérir. Si la nef la ramène, que le messager hisse une voile blanche, sinon une voile noire. Mais l’épouse de Tristan, Yseut aux blanches mains, qui a compris la signification de ses couleurs, ment par jalousie et annonce au moribond une voile noire. Celui-ci meurt aussitôt. Yseut, retardée par une tempête, débarque trop tard et vient mourir de douleur sur le corps de son bien-aimé. Marc apprend leur fin tragique et le secret du breuvage. Il pardonne et les fait enterrer côte à côte. Eilhart d’Oberg termine le roman en rapportant la fable du rosier et du cep de vigne: «Marc fit planter un rosier à l`endroit où se trouvait la femme et un cep de vigne là où était Tristan. Les deux plantes s’entrelacèrent si étroitement qu’il aurait été impossible de les séparer… c’était là encore un effet de la force du philtre››. Telle est, ainsi résumée, l’histoire de Tristan et Yseut
Comparaison des principales versions
Béroul et Thomas
Les deux récits les plus anciens qui nous sont parvenus dérivent de deux textes connus, mais fragmentaires, écrits par Béroul et Thomas en ancien français, en vers de huit syllabes, dans le dernier tiers du Xllè siècle. Le texte de Béroul longtemps considéré comme le plus ancien, semble postérieur à celui de Thomas. Du roman de Béroul, dont un seul manuscrit est conservé, ne subsistent que 4500 vers environs. Ces fragments ne relatent que les événements ayant trait aux étapes «les amants ensemble» et «les amants séparés» et sont structurés ainsi: les amants à la cour de Marc, les amants dans la forêt de Morrois, la fin d’action du philtre, la séparation des amants et le retour d`Yseut `a la cour du roi. Les fragments concernant les enfances de Tristan et la mort des amants sont perdus. Trois personnages principaux: Tristan, Yseut et Marc. On peut rapprocher de la version de Béroul un «Tristant››, écrit par l’Allemand Eilhart d’Oberg entre 1170 et 1190, qui a le mérite d’être une version complète de l’histoire de Tristan et Yseut. Dans son texte, Béroul a gardé une certaine familiarité, parfois comique, souvent naïve, que l`on trouve dans les contes.
Du roman de Thomas, dont cinq manuscrits sont conservés, il ne reste que 3500 vers environ sur les dix à douze mille que devait certainement compter ce poème. Thomas était probablement un clerc vivant en Angleterre, à la cour d’Henri II Plantagenêt. Du texte de Thomas, il ne subsiste pas l’enfance de Tristan, ni les premiers événements de Cornouailles. Le roman commence à la scène où Tristan et Yseut sont surpris par ruse dans le jardin. Il se poursuit avec le mariage de Tristan qui épouse Yseut aux Blanches Mains, la blessure empoisonnée de Tristan et la mort des amants. Quatre personnages principaux: Tristan, Yseut (la Blonde), Marc, Yseut aux Blanches Mains. La version de Thomas, plus lyrique, plus courtoise, plus raffinée que celle de Béroul, donne la priorité à l’analyse des sentiments des quatre personnages principaux dont il dépeint les passions et les souffrances plutôt qu’au récit des événements. Ainsi de longs 20 monologues traduisent le déchirement intérieur des personnages: monologue d’Yseut qui, au cours de son voyage en mer et dans la tourmente de la tempête, se désole de mourir loin de Tristan; long monologue de Tristan blessé qui envoie son ami Kahetdin auprès d`Yseut pour qu’elle vienne le guérir; monologue de Tristan qui, avant son mariage, exprime ses pensées contradictoires. Béroul et Thomas donnent une orientation différente à leur récit. Ainsi, chez Béroul, il apparaît une forte volonté de vivre des amants qui, toujours en lutte, sont résolus à se défendre coûte que coûte afin de protéger leur vie et leur amour; alors que chez Thomas, tout semble converger vers la mort qui semble être l’unique possibilité de réalisation de leur amour. Dans son monologue du voyage en mer, Yseut dit : «Que Dieu nous accorde de nous retrouver, mon ami, afin que je puisse vous guérir ou bien que nous mourions tous deux d’une même angoisse››. Cet aspect de la légende tristanienne retenu par Thomas constitue bien l’essence du mythe. Son roman jouissait, dès la fin du Xllè siècle et dans la première partie du Xlllè, d’une célébrité indéniable, tant en France qu’en Europe comme en témoignent les nombreuses traductions et adaptations auxquelles il a donné lieu et dont les deux essentielles sont:
– celle de Gottfried de Strasbourg, écrite en haut allemand dans le premier tiers du Xlllè siècle
– celle de Frère Robert, la saga en islandais ancien, du début du Xlllè siècle qui a l’avantage d`offrir un récit complet.
Gottfried de Strasbourg
Nous savons que le récit de Gottfried de Strasbourg est la source principale dont Wagner s`est servie. Poète épique de langue allemande de la fin du Xllè siècle et du début du Xlllè, Gottfried était sans doute un clerc. Sa vie nous est pratiquement inconnue. Son «Tristan und Isolde» inachevé, compte un peu moins de vingt mille vers. Il débute par l’histoire de Rivalin et Blanchefleur, parents de Tristan et s’arrête au moment où Tristan se décide à épouser Isolde aux Blanches Mains. Un grand nombre d’épisodes, narrés par Gottfried, ont été rapportés, avec quelques variantes néanmoins, dans l’histoire de Tristan et Yseut esquissée dans le précédent résumé. Gottfried, qui adapte le roman de Thomas, reconnaît lui-même que ce dernier a donné la seule version authentique de l’histoire de Tristan. Tout en se référant sans réserve à l’idéal courtois et en prônant inlassablement les vertus chevaleresques, il montre aussi comment l’amour de Tristan et Isolde bouleverse totalement ce système de valeurs et s`avère plus fort que les lois et conventions humaines, et plus fort même que la loi divine. La grotte d`amour où les amants trouvent refuge n`est-elle pas un véritable temple consacré au culte de l`amour? Gottfried raconte qu’après avoir été bannis de la cour de Marc sous la pression des barons jaloux, «ils se réfugient dans une grotte merveilleuse, tout enchâssée de pierres précieuses, avec au milieu un lit de cristal. Dans ce sanctuaire de l’amour, ils vivent heureux pendant longtemps…›› I’oeuvre de Gottfried sera poursuivie au Xlllè siècle par deux continuateurs allemands: Ulrich de Türheim et Heinrich de Freiburg qui s’inspirèrent tous deux du Tristant d`Eilhart d’Oberg. Tous deux, à la fin de leur poème, condamnent l`amour illégitime de Tristan et Isolde qui leur apparaît infamant et blâmable face à la morale chrétienne.
Le rôle du philtre
On ne peut rappeler l’histoire de Tristan et Yseut sans évoquer la magie du philtre qui reste pour toujours rattaché à la légende. Dans toutes les versions, c`est le philtre qui, grâce à son pouvoir magique, fait naître la passion entre les deux amants. Ceux-ci sont à égalité et on ne peut dire que l’un a séduit l’autre. Les raisons d’aimer ne résident pas dans l’apparence ou la valeur de l`un et de l’autre, la seule source est le philtre. Dans Béroul, Yseut dit à l’ermite Ogrin : «Mon Père, au nom de Dieu tout-puissant, il m’aime et moi je ne l`aime qu`a cause d`une boisson empoisonnée dont j’ai bu, ainsi que lui. Telle fut notre faute…›› Dans le roman de Thomas, le philtre peut être aussi une force de mort. Dans son dernier monologue, Yseut dit avant de mourir: «Puisque je n`ai pu arriver à temps, que je n’ai pas su ce qui vous était arrivé et que je suis venue pour vous trouver mort, je trouverai le réconfort dans le même breuvage… pour vous, je veux mourir de même››. Dans la fin de son poème, Thomas fait bien ressortir le lien amour-mort en multipliant les figures de style telles que «vous ne pouvez mourir sans moi, et je ne puis mourir sans vous››, «je meurs pour vous».
Cette histoire d’amour impossible, qui ne peut se réaliser que dans la mort, est bien l`essence du mythe, mythe de caractère transgressif puisque cet amour érigé en valeur suprême, bouleverse l`ordre moral et social. Au XIXè siècle, les romantiques, qui sont à la recherche de l’irrationnel et de l’inexplicable, redécouvrent la légende médiévale des amants de Cornouailles telle qu`elle a été racontée dans les premières versions, mais c’est surtout Richard Wagner qui remodèle la légende en composant son drame «Tristan et Isolde››.
La genèse du Tristan de Wagner et ses sources
C’est en octobre 1854 que Wagner, alors exilé à Zurich, conçut l’idée d’un drame musical sur la légende médiévale. Il écrit dans «Mein Leben «La disposition d’esprit sérieuse où m’avait amené la lecture de Schopenhauer fut cause sans doute que je cherchai pour mes sentiments une expression toute extatique et c’est ainsi que je conçus mon poème de Tristan und Isolde. ]e connaissais à fond ce sujet depuis mes études à Dresde, mais Karl Ritter y avait rappelé mon attention en me communiquant le plan d’un drame qu’il venait de faire là-dessus… Rentrant un jour d`une promenade, je dessinai les trois actes dans lesquels je comptai resserrer l’action de ce sujet». Le 16 décembre 1854, il écrit à Liszt: «Mais comme dans mon existence je n’ai jamais goûté le vrai bonheur que donne l’amour, je veux élever à ce rêve, le plus beau de tous les rêves, un monument dans lequel cet amour se satisfera largement d’un bout à l’autre. J’ai ébauché dans ma tête un Tristan et Isolde; c’est la conception musicale la plus simple, mais la plus forte et la plus vivante; quand j’aurai terminé cette oeuvre, je me couvrirai de la voile noire qui flotte à la fin pour… mourir››. En résumé, la connaissance acquise de bonne heure des divers poèmes médiévaux, des «Hymnes à la nuit» de Novalis qui lient nuit, amour et mort, et surtout la passion couvant sous la cendre pour Mathilde Wesendonck, furent des facteurs aussi décisifs pour la conception du drame, dont les travaux de composition vont de 1854 à 1859, les années 1857 et 58 étant celles où la passion de Richard et Mathilde était à son paroxysme. Sans doute s’est-il emparé de la légende médiévale pour y incarner le rêve d`un amour dont l’existence lui refusait l’accomplissement, rêve qu’il a cristallisé dans une musique qui porte la passion à son plus haut degré d’incandescence. A Dresde, dès 1843, Wagner s’était constitué une bibliothèque et, selon le biographe Martin Gregor-Dellin, il connaissait déjà, en 1848, toutes les versions importantes de Tristan. Pratiquement, l`oeuvre de toute sa vie était déjà esquissée à cette date-là. Le même biographe indique les ouvrages que Wagner avait acquis sur la légende de Tristan :
– La traduction par Hermann Kurz en allemand moderne de «Tristan und Isolt» de Gottfried von Strasbourg, parue en 1844 ainsi que la traduction des deux continuateurs de Gottfried, Ulrich von Türheim et Heinrich von Freiburg.
– Le poème en vieil anglais « Sir Tristram »
– Le poème de Tristan et Yseut en ancien français
– Un volume des « Minnesänger » édité par von Hagen dans lequel un article sur Gottfried von Strasbourg fait un résumé de toutes les versions européennes et extra-européennes de Tristan Le biographe ajoute que l’usure de ces livres révèle une utilisation intense. La version utilisée par Wagner comme base de son drame est celle de Gottfried de Strasbourg, elle-même étroitement tributaire du texte de Thomas. Mais Wagner, par rapport aux récits médiévaux, pittoresques mais néanmoins complexes et touffus, procède a un élagage radical, simplifiant à l’extrême afin de resserrer l’action sur le drame qui se déroule dans l`âme des protagonistes. Il modifie et innove.
Les aménagements apportés aux légendes médiévales
En fait, pour nous, le mythe de Tristan se réduit aux trois actes du drame de Wagner. Acte I : le voyage en mer de Tristan et Isolde vers la Cornouailles. Le philtre et l’aveu. Acte Il : la nuit d’amour. Acte III : la mort des amants. Deux lieux : la mer, présente aux premier et troisième actes, un jardin planté d’arbres au deuxième acte. Les personnages Wagner limite considérablement leur nombre. Nous ne retrouvons ni Isolde aux Blanches Mains, ni les trois barons félons. Ces derniers sont fondus dans un personnage unique, Mélot qui inflige la blessure à Tristan. Il introduit les personnages secondaires du jeune matelot, du berger et du pilote. Il fait de Morold le fiancé d’Isolde afin de rendre la haine d’Isolde encore plus brûlante.
L’action
Wagner supprime de nombreux épisodes du récit de Gottfried : les enfances de Tristan, le combat de Tristan contre le dragon. Le drame s’ouvre sur l’épisode du philtre. L’auditeur ne connaîtra les antécédents des protagonistes que par le récit qu’ils en font eux-mêmes et dont Wagner ne pouvait se passer pour la compréhension de l’oeuvre. Grâce aux interventions de Kurvenal, de Brangaine et au récit d’Isolde, nous connaissons l’origine de la haine amoureuse d’Isolde. Au deuxième acte, Wagner supprime les épisodes anecdotiques pour ne garder que l’essentiel : la nuit d’amour. Au troisième acte, dans lequel Wagner s’inspire des continuateurs de Gottfried ainsi que de Thomas, c’est la longue attente de Tristan, la mort, le pardon du roi Marke.
Les sentiments
– La haine amoureuse d’Isolde : fidèle à ses sources, c’est une Isolde pleine de haine que Wagner embarque avec Tristan vers la Cornouailles. Mais, chez le compositeur, il s’agit d`une haine amoureuse car depuis leur rencontre lors des soins prodigués à Tristan, Isolde l’aime comme elle l’explique à Brangaine dans son récit du premier acte.
– L’honneur
Ce thème domine dans le premier acte. Il faut préciser à ce sujet que dans les années 1857-1858, époque où Wagner travaillait à Tristan, il lisait le théâtre du dramaturge espagnol Calderon qui, en plein siècle d’or, avait mis en scène les grands thèmes sentimentaux : honneur, fidélité au roi, esprit chevaleresque, sentiments qui sont placés plus haut que l’amour. Il est certain que ce poète castillan a exercé une influence sur Wagner, influence dont le compositeur témoigne lui-même dans «Mein Leben» et dans une lettre qu’il écrit à Liszt en janvier 1858. Dans «Ma Vie››, il affirme que l’auteur espagnol lui a laissé une empreinte profonde et durable. Ainsi, jusqu’à l’absorption du philtre, c`est l’obéissance et l’honneur qui priment tout. C’est le philtre qui anéantira les barrières sociales et morales et fera triompher l’amour.
Le Philtre
Chez Béroul et Thomas, la passion qui naît entre Tristan et Isolde doit tout à la magie du philtre qui est bu par inadvertance. Chez Gottfried, il semble néanmoins que l’amour commence à poindre avant l’absorption. Ainsi lorsque les deux Isolde, mère et fille, prodiguent leurs soins à Tristan, la fille ne cesse de contempler Tristan avec un intérêt inhabituel, «jetant des regards furtifs sur ses mains et son visage››. Lorsqu’Isolde a reconnu en Tristan le meurtrier de Morold et qu’elle veut le tuer, Gottfried raconte : «Et dès que la colère poussait lsolde à frapper son ennemi, la tendre douceur féminine intervenait et disait doucement: mon, ne le fais pas!››. La belle jetait l’épée de Tristan mais aussitôt elle la reprenait. Elle ne savait pas pour quoi elle devait se décider – pour la colère ou pour la bonté… I’indécision la fit ainsi tourner en rond tant qu’enfin la tendre douceur féminine l’emporta sur la colère, si bien que son ennemi mortel resta en vie et que Morolt ne fut pas vengé. lsolde jeta l’épée et dit en pleurant: «Malheur à moi, d’avoir connu ce jour››. Le philtre chez Gottfried revêt une signification symbolique. Dans le drame de Wagner, le philtre perd son pouvoir magique et prend une fonction dramaturgique nouvelle. Au moment où Tristan et lsolde boivent le breuvage de Brangaine ils savent qu’ils absorbent un liquide aux propriétés mortifères. Ils en sont conscients l’un et l’autre. Et c’est à cet instant qu`ils échangent l’aveu de leur amour. Le philtre va les conduire inéluctablement vers la nuit et la mort où leur amour pourra se réaliser pleinement. C’est une modification capitale apportée par Wagner à la légende.
Le thème de la nuit
Le philtre patronne l’opposition jour-nuit, vie-mort. En effet, au deuxième acte, le thème de la mort par amour se développe en thème de la nuit par opposition au jour et a ses vanités, le jour dont le royaume brillant est trompeur et hostile. Tristan dit que c`est en tant que prisonnier du jour qu’il est allé chercher Isolde pour le roi afin de garder saufs son honneur et sa gloire. Le dialogue se poursuit rappelant les embûches et les mensonges du jour, puis les amants invoquent ensemble la nuit et se réfugient dans son royaume, désirant la nuit éternelle. Wagner développe ensuite l’idée de l’union éternelle dans la mort par la dissolution de chacun d’eux, la disparition de la personnalité de Tristan et de celle d’Isolde, du «toi» et du «moi››. A la fin de leur duo d’amour, l’extase des deux êtres culmine dans leur dissolution. Wagner est bien loin de Gottfried.
La mort des amants
Dans la légende, la mort n’est pas vraiment recherchée par Tristan et lseut, même si, chez Thomas, elle n’est vécue que comme l’ultime alternative à leur impossible réunion dans la vie. C’est ce qui ressort du monologue d’Iseut: «Que Dieu nous accorde de nous retrouver, mon ami, afin que je puisse vous guérir, ou bien que nous mourions tous deux d’une même souffrance » et Tristan mourant dit: «Que Dieu nous sauve, Yseut et moi. Puisque vous ne voulez venir auprès de moi, il me faut donc mourir pour vous…›› Chez Wagner, les amants désirent la mort considérée comme le prélude à leur véritable union. Quoi qu’il arrive, l’amour de Tristan et lsolde tend vers la mort qui, sur un plan musical, est présente du début à la fin de l’oeuvre.
Le roi Marke
Le roi, obstacle indispensable au désir des amants, détenteur du pouvoir politique et de l’autorité morale, tiraillé entre ses affections pour Tristan et Yseut et son devoir de souverain, est dépeint, dans les romans médiévaux, comme un personnage dont le trait dominant est l’inconstance, cherchant tantôt à punir, tantôt à protéger. Cruel et vindicatif chez Béroul, il fait enchaîner Tristan, condamne Iseut au bûcher, puis la livre aux lépreux. Chez Thomas et Gottfried, il apparaît comme un roi magnanime et compatissant, en proie au doute et constamment soucieux mais toujours enclin a avoir foi dans la loyauté des amants. Chez les continuateurs de Gottfried, il pardonne et avoue qu`il aurait donné Isolde comme épouse à Tristan s’il avait su l’existence du philtre. Chez Wagner, devant la trahison de Tristan, la réaction de Marke est la stupeur, le chagrin mais en aucun cas la jalousie, la colère. Marke, qui, pour Tristan était l’image même de l’honneur et de la loyauté, ne sait pas punir et ne peux qu’exhaler sa douleur. A la fin de l’oeuvre, il pardonne et bénit les cadavres. Il est donc plus un ami blessé qu’un roi offensé dans sa dignité. En mettant l’accent sur la dimension purement humaine du roi, Wagner se libère des romans médiévaux. Selon l’expression d’Henri Lichtenberger, Marke apparaît «comme une âme généreuse brisée par le malheur et anoblie par la souffrance».
Conclusion
L’écrivain suisse Denis de Rougemont, dans son essai de 1939 intitulé L’amour et l’Occident, explique le succès de l’histoire des amants de Cornouailles : «L’amour heureux n’a pas d’histoire, il n’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire l’amour menacé et condamné par la vie même. Ce qui exalte le lyrisme occidental ce n’est pas le plaisir des sens, ni la paix féconde du couple. C’est moins l’amour que la passion d`amour. Et passion signifie souffrance. Voilà le fait fondamental››. Après avoir connu un immense succès durant tout le Moyen Age, la légende tristanienne, reprise au XIXe siècle, va être l’objet d’une version toute nouvelle avec le drame de Richard Wagner qui, en quelque sorte, réinvente le mythe. En ne gardant des textes médiévaux que les éléments essentiels motivant le drame et retenant comme centre de son oeuvre l’idée de l’unité réalisée par l’amour entre les deux amants, Wagner va encore plus loin en portant cette idée jusqu’à la réunion désirée dans la mort, ce qui a valu ce commentaire du célèbre critique littéraire Ferdinand Brunetière : «Tristan, qui n’a été jusqu’en 1859 qu’une légende comme les autres, est devenu depuis lors l’aventure d`amour incomparable et unique››. Mais le génie de Wagner est loin de se limiter au domaine poétique. C’est en cristallisant le paroxysme des passions dans une musique dont il a seul le secret qu’il a réussi merveilleusement à donner toute sa modernité au mythe et à le fixer dans nos mémoires.
in WAGNERIANA ACTA 2001 @ CRW Lyon