Article original en français @Le Musée Virtuel Richard Wagner,
rédigé à partir des textes et des informations recueillies dans l’ouvrage WAGNER AU LICEU par Alfonsina JANÉS,
ainsi que de textes originaux de Jordi MOTA (voir Références, en bas de l’article).
Prologue :
Le Liceu : de la construction des édifices successifs …
… à l’entrée de l’œuvre de Richard Wagner au répertoire du Théâtre
(ou : “la naissance en Europe de l’une des plus ferventes traditions wagnériennes”)
Le Gran Teatre del Liceu – plus généralement connu sous le nom d’El Liceu -, est le plus ancien théâtre de Barcelone, Catalogne (Espagne). Située sur la célèbre Rambla, l’une des principales artères du centre-ville, cette prestigieuse scène lyrique européenne, conquise par un “coup de foudre” amoureux à la tradition wagnérienne, atteignit un niveau d’excellence tout à fait inédit.
Historique
En 1837, le Liceo Filodramático de Montesión (Lycée philodramatique de Montesión, désormais nommé Conservatori Superior de Música del Liceu ) fut fondé à Barcelone pour promouvoir l’éducation musicale (d’où le nom de « Liceo », ou lycée ) et organiser des représentations scéniques d’opéra interprétées par les élèves. Un théâtre fut alors construit dans le bâtiment du couvent – nommé Teatro de Montesión ou Teatro del Liceo de Montesión – et quelques pièces de théâtre et opéras y furent représentés. Le répertoire était principalement italien, les compositeurs les plus joués étant Donizetti et Mercadante tout comme Bellini et Rossini.
En 1838, la société changea son nom en Liceo Dramático Filarmónico de SM la Reina Isabel II. Le manque d’espace, ainsi que les pressions exercées par un groupe de religieuses (anciennes propriétaires du couvent), poussèrent le Liceu à quitter son siège en 1844. La dernière représentation eut lieu le 8 Septembre.
Le bâtiment du couvent des Trinitaires situé à La Rambla , au centre de la ville, ayant été acheté, les nouveaux responsables du Liceu confièrent à Joaquim de Gispert d’Anglí le projet de construction du nouvel édifice. Les actionnaires de la société de construction obtinrent le droit d’usage à perpétuité de certaines loges et sièges.
Le Liceu était alors financé par des actionnaires privés, ce qui allait devenir la Societat del Gran Teatre del Liceu (Great Liceu Theatre Society) : cela se reflète dans l’architecture du bâtiment ; il n’y a pas de loge royale.
Entre 1847 et 1989, le Liceu était alors le plus grand opéra d’Europe, il était l’oeuvre de Miquel Garriga i Roca, son architecte ; la construction commença le 11 avril 1845.
Ouverture, incendie et reconstruction (1847–1862)
Le théâtre fut inauguré le 4 avril 1847. A cette occasion est présenté un programme mixte comprenant les premières de l ‘Ouverture musicale de José Melchior Gomis , une pièce historique Don Fernando de Antequera de Ventura de la Vega , le ballet La rondeña (La fille de Ronda) de Josep Jurch et une cantate Il regio himene avec la musique du directeur musical du théâtre Marià Obiols . Le premier opéra complet, Anna Bolena de Donizetti , fut donné le 17 avril.
A cette époque, le Liceu était le plus grand opéra d’Europe, avec 3 500 places. Les autres opéras joués au Liceu au cours de la première année étaient : I due Foscari (Verdi), Il bravo (Mercadante), Parisina d’Este (Donizetti), Giovanna d’Arco (Verdi), Leonora (Mercadante), Ernani (Verdi), Norma (Bellini), Linda di Chamounix (Donizetti) et Il barbiere di Siviglia (Rossini).
Le bâtiment fut gravement endommagé par un incendie le 9 avril 1861, mais reconstruit par l’architecte Josep Oriol Mestres, puis enfin rouvert le 20 avril 1862, avec I puritani de Bellini . De l’ancien bâtiment, il ne reste aujourd’hui que la façade, le hall d’entrée et le foyer (Salle des Miroirs).
Bombardements et guerre civile (1862-1940)
Le 7 novembre 1893, lors de la soirée d’ouverture de la saison et lors du deuxième acte de l’opéra de Rossin, Guillaume Tell, deux bombes furent lancées dans les stalles de l’opéra. Une seule explosa ; une vingtaine de personnes perdirent la vie lors de l’accident et beaucoup d’autres furent blessées. L’attentat, perpétré par l’anarchiste Santiago Salvador, choqua profondément Barcelone, symbolisant l’agitation sociale de l’époque. Le Liceu rouvrit ses portes le 18 janvier 1894 ; on laissa vides les sièges des personnes tuées.
En 1909, l’auditorium fut restauré. Pendant la Première Guerre mondiale, la neutralité espagnole permit à l’industrie textile catalane d’amasser d’énormes richesses en approvisionnant les parties belligérantes. Les années 1920 furent des années particulièrement prospères, et le Liceu devint une maison d’opéra de tout premier plan, accueillant des chanteurs, des chefs d’orchestre et des compagnies telles que les Ballets russes de Sergei Diaghilev.
Lors de la proclamation de la Deuxième République en 1931, l’instabilité politique signifiait que le Liceu souffrait d’une grave crise financière, surmontée grâce aux subventions de la mairie de Barcelone et du gouvernement régional de Catalogne . Pendant la guerre civile, le Liceu fut nationalisé et prit le nom de Teatre del Liceu – Teatre Nacional de Catalunya. Les saisons d’opéra furent suspendues. Après la guerre, en 1939, le théâtre fut rendu à ses propriétaires d’origine.
« Âge d’or » et crise (1940-1980)
De 1940 aux années 1960, les saisons connurent une période faste. En 1955, le Festival de Bayreuth a lieu « hors les murs ». Les représentations de Parsifal , Tristan und Isolde et Die Walküre avec des décors innovants de Wieland Wagner furent accueillies avec enthousiasme au Liceu (voir ci-après).
Dans les années 1970, la crise économique affecte également le théâtre : la société privée ne peut plus se permettre d’assumer les budgets croissants des productions d’opéra modernes et la qualité générale diminue.
Nouvelle direction et deuxième incendie (1980–1994)
La mort de Joan Antoni Pàmias en 1980 révéla la nécessité de l’intervention d’organes officiels pour maintenir le niveau de l’institution. En 1981, la Generalitat de Catalunya , avec la Mairie de Barcelone et la Societat del Gran Teatre del Liceu, crée le Consorci del Gran Teatre del Liceu, responsable de la gestion du théâtre.
La Députation de Barcelone et le Ministère espagnol de la Culture rejoint le Consortium en 1985 et 1986 respectivement, attirant le public au Liceu grâce à une amélioration considérable de son niveau artistique : d’abord le chœur et l’orchestre, puis un casting soigné et maintenir l’intérêt du public pour d’autres aspects des productions au delà des rôles principaux. Cette approche, couplée au nouveau soutien économique et à un public plus exigeant et plus avisé, s’est traduite par un haut niveau de productions.
Ce haut niveau connaît un arrêt brutal avec l’incendie du 31 janvier 1994 : le bâtiment est détruit par un incendie provoqué par une étincelle accidentellement tombée sur le rideau lors d’une réparation de routine.
Il est décidé à l’unanimité de reconstruire un nouvel opéra sur le même site avec des installations améliorées. Le nouveau Liceu est le résultat d’une série d’actions visant à préserver les parties du bâtiment non touchées par l’incendie, les mêmes qui avaient survécu à l’incendie de 1861. L’auditorium a été reconstruit avec le même plan, à l’exception des peintures du toit qui ont été remplacés par de nouvelles œuvres d’art de Perejaume et une technologie scénique de pointe.
Pour reconstruire et améliorer le théâtre, il est devenu public. La Fundació del Gran Teatre del Liceu a été créée et la Societat del Gran Teatre del Liceu a cédé la propriété du bâtiment à la Fondation.
Réouverture (1994-présent)
De 1994 jusqu’à sa réouverture en 1999, les saisons d’opéra à Barcelone ont eu lieu dans l’arène Palau Sant Jordi. Le théâtre reconstruit, amélioré et agrandi a ouvert ses portes le 7 octobre 1999, avec la Turandot de Puccini , l’opéra au programme au moment de l’incendie de 1994.
I.- LES DÉBUTS DU WAGNÉRISME AU LICEU
Depuis le tout premier concert donné par Josep Anselm Clavé en 1862 avec la “ Grande marche triomphale “ extraite de Tannhäuser qui marqua les débuts du wagnérisme en Catalogne, la vague artistique est tout aussi notable qu’elle est profondément ancrée dans la vie culturelle de ce lieu et de cette époque. Ce qui s’inscrit comme un nouveau genre musical (et artistique) n’a rien à voir avec l’opéra dit « de société » : ce wagnérisme , nouveau et révolutionnaire s’adresse tout aussi bien aux artistes qu’aux individus à une forme de sensibilité ainsi que des centres d’intérêt tout à fait …particuliers.
De nombreuses années s’écoulèrent depuis ce fameux concert de 1862, avant que ne soit interprétée une oeuvre complète, Lohengrin, en 1882 au Théâtre principal. C’est une période qui va voir émerger des personnalités nouvelles, tels Josep de Letamendi ou Joaquin Marsillach, auteurs de textes et articles d’une qualité tout à fait remarquable, et dont certains d’ailleurs seront publiés dans les Bayreuther Blätter (à la demande de Richard Wagner, pour plus d’informations : voir ici.)
La période de 1880 à 1899 se caractérise par une multiplication constante du nombre de représentations des œuvres sur scène, ainsi que d’une profusion de manifestations de l’effet du wagnérisme dans la vie culturelle, avec son lot de débats et d’oppositions houleuses devenus désormais traditionnels. Et pour lesquels les sujets de désaccords concernent les œuvres figurant au programme des concerts ainsi que les représentations partielles (avec la présence ou non de coupures dans l’oeuvre), mettant en valeur les peintures de Lorenzale.
En 1899, La Walkiria (La Walkyrie) est présentée pour la première fois au public dans les conditions fidèles à une représentation « wagnérienne » telles qu’imposées dans les salles des théâtres par le compositeur : une salle plongée dans l’obscurité, ponctualité et silence du public durant la représentation.
Tristany (Tristan et Isolde) sera donné peu de temps après, dans des décors de Soler et Rovirosa.
Tout est prêt pour la création de l’Association wagnérienne, fondée -pour rappel- le 12 octobre 1901 aux célèbre café des « Quatre chats ».
II.- LA LUTTE DE L’ASSOCIATION WAGNÉRIENNE
Dès le début du XXe siècle et sous l’impulsion de l’Association, le wagnérisme imprègne la vie culturelle de Barcelone : c’est ainsi que l’on peut découvrir les impressionnants vitraux inspirés des opéras de Wagner dans le foyer du Liceu mais également des sculptures représentant les Walkyries au Palau de la Música.
Comme le dit très bien Alfonsina Janés, « L’Association wagnérienne est le résultat d’une réaction contre la façon dont le Liceu a mis en scène Wagner ». Le Liceu était alors dominé par une idée d’opéra et d’italianisation selon laquelle le sérieux et la rigueur étaient secondaires au spectacle social et au confort des « divas ». Ainsi Rafel Moragas explique la création de l’Association : « Il est nécessaire d’étudier Wagner sérieusement car s’il faut faire confiance à ce que le Liceu nous offre, nous ne puiserons pas d’eau claire. » Des mots prophétiques toujours valables cent ans plus tard, à la différence près que l’eau n’est toujours pas claire mais plutôt trouble.
Alfonsina a très bien exposé toutes les luttes développées par l’Association wagnérienne pour que Wagner puisse être chanté en catalan, de préférence à l’italien, comme c’était le cas par le passé. Un Lohengrin entièrement en catalan est programmé en 1924, le rôle-titre étant joué par Emili Vendrell. Mais, malheureusement, cela n’a pas été réalisé au Liceu.
On sait peu de choses sur les efforts de l’Association wagnérienne pour créer un Bayreuth ibérique situé soit à Montserrat soit dans le monastère de Piedra. Le centenaire de la naissance de Wagner est célébré au Palau de la Música par l’Association wagnérienne, encore une fois, loin du Liceu italianisant, avec un premier acte de La Walkyrie en catalan et la marche des pèlerins de Tannhaüser interprétée par l’Orfeó Català avec les paroles d’un poème écrit par Geroni Zané et Joaquim Pena intitulé « Hymne à Wagner » dont le texte est reproduit dans le livre.
La première représentation de Parsifal dans le monde, à l’extérieur de Bayreuth, le 31 décembre 1913, montra à nouveau la résistance de la direction du Liceu qui, sous la pression de la propriété, décida de représenter l’oeuvre seulement la nuit où les droits exclusifs avaient cessé d’être exercés.
III.- LES ANNÉES DE SPLENDEUR DE WAGNER AU LICEU
À partir de 1920, la situation a changé et, finalement, le Liceu est devenu le centre du wagnérisme, on recrute de grands interprètes wagnériens et on impose la langue allemande dans les représentations, effaçant les problèmes italianisants antérieurs.
Otto Kempler, Max von Schillings, Lauritz Melchior, Anna von Mildenburg, Hans Knappertsbusch, etc. viennent au Liceu, réussissant à augmenter et à consolider le wagnérisme à Barcelone.
La guerre civile marque une période sans Wagner, que les républicains n’aiment pas, mais après quatre ans, la passion wagnérienne reprend, culminant en 1950 avec la venue de Kirsten Flagstad.
Les années 50 sont peut-être les plus importantes du wagnérisme à Barcelone grâce au soutien non seulement du Liceu et de l’association wagnérienne, mais aussi des autorités de Barcelone qui soutiendront économiquement la culture autour de Wagner.
La grande tentative de créer des festivals Wagner en dehors de Bayreuth est également un aspect peu connu. Les festivals Wagner se sont tenus à Barcelone en 1955, mais ce n’était que que le début d’une série de projets et d’œuvres déjà initiés par l’Association Wagnérienne avec l’idée de créer un théâtre wagnérien au Théâtre National de Montjuic puis à Montserrat.
Avec l’arrivée de Mestres Cabanes ou Diego Monjo au Liceu débute une phase glorieuse du wagnérisme au Liceu, qui culmine avec l’invitation des petits-enfants de Wagner, Wieland et Wolfgang en 1951 pour l’exposition « Wagner dans le monde » à Tinell, un acte qui coïncide avec le 50ème anniversaire de l’Association wagnérienne.
Des plans ont été élaborés pour la rénovation du Théâtre national de Montjuic et certains lieux ont également été choisis à Montserrat, mais ces projets n’ont pas abouti. Les traductions en anglais des œuvres de Wagner initiées par les précurseurs de l’Association wagnérienne ont été développées par Anna D’Ax, qui avec la publication de son travail « Wagner vu par moi », est le résultat de ce temps glorieux s’étendant entre 1960 et 1970 avec la présence d’Anja Silja et les grands décors de Mestres Cabanes, établissant une bonne relation entre Liceu et le wagnérisme.