Eliza Wille était la fille de l’armateur hambourgeois Robert Miles Sloman. Elle épousa en 1845 le journaliste suisse François Wille, avec lequel elle quitta Hambourg en 1851 pour s’installer, après de longs voyages dans leur domaine de Mariafeld à Meilen sur le lac de Zurich. A Marienfeld, ils tenaient une sorte de salon littéraire où ils recevaient des personnalités des milieux scientifiques, politiques ou artistiques, dont, parmi tannt d’autres, Otto et Mathilde von Wesendonck ou Richard Wagner. C’est à Mariafeld que l’envoyé du Roi Louis II de Bavière vint sur ordre du Roi chercher Wagner, sans l’y trouver.
Plus tard elle écrira un petit livre évoquant ses souvenirs de Wagner :
Fünfzehn Briefe von Richard Wagner. Nebst Erinnerungen und Erläuterungen (Berlin, Gebrueder Paetel, 1894). Les souvenirs d’
Eliza Wille constituent l’essentiel de l’ouvrage, à la fin duquel sont regroupées les lettres de Wagner. Les lettres de Wagner sont successivement datées de : Zurich, 18 mai 1852 ; Penzing, 14 mars 1864 ; Stuttgart, 2 mai 1864 ; Munich, 4 mai 1864 ; Starnberg, 26 mai, 30 juin, 9 septembre, 8 octobre 1864 ; Munich, 26 février, 31 avril, 26 septembre 1865 ; Genève, 26 décembre 1865 ; Tribschen, 25 mai 1868 ; Lucerne, 26 mars 1870 ; Tribschen, 25 juin 1870.
Edmond Fazy s’était déjà emparé du sujet en 1893 dans un ouvrage intitulé Louis II de Bavière et Richard Wagner.
Sept années auparavant, Jacques Saint-Cère, un pseudonyme pour Armand Rosenthal, publia une traduction des lettres d’
Eliza Wille à Richard Wagner, qu’il publia chez A. Dupret en 1886 sous le titre
Richard Wagner et le roi de Bavière, lettres [de Wagner à
Eliza Wille]
traduites par Jacques Saint-Cère, in-16, 53 p., un ouvrage qui n’est malheureusement pas accessible en ligne et qui fit quelque bruit à l’époque de sa publication.
Voici la présentation qu’en donne 1887 Charles de Larivière dans la publication du 15 juin 1887 de La Revue générale : littéraire, politique et artistique dont il est le directeur et le rédacteur en chef :
« Richard Wagner et le roi de Bavière (lettres traduites par Jacques Saint-Cère). 1 broch., 1 franc. Libr. A Dupret, 3, rue de Médicis. M. Jacques Saint-Cère qui écrit au Figaro et à la Revue d’art dramatique, et qui connait très bien l’Allemagne pour l’avoir longtemps habitée, vient de traduire quelques lettres que le grand fou de Bayreuth avait adressées à Mme Élisa Wille, chez laquelle il avait passé quelques mois à Mariafeld. Il est à remarquer qu’en 1861 « Wagner s’apercevant que la gloire ne venait pas à lui, quitta un beau matin ses hôtes de Mariafeld, sans même leur faire ses adieux, et les remerciements qu’il leur devait. C’est ainsi que Wagner, haineux contre la France, pratiquait la reconnaissance à l’égard des autres. Notons que le soir même de cette fuite, M. de Pfistermeiter, secrétaire du roi de Bavière, arrivait chez Mme Élisa Wille pour chercher le musicien. La fortune du grand maestro allait commencer. Cette correspondance offre bien des points curieux sur ces deux monomanes, celui de Munich et celui de Bayreuth. » (Ch. de L.)
La Revue d’art dramatique de juin 1887 en donne la recension suivante :
Enfin Philippe Gille, dans le Figaro du 25 ami 1887 se fait encore plus incisif et évoque l’homosexualité du Roi Louis II, « maniaque aux sens faussés, atteint de lèpre morale » :
« On a trop parlé de Wagner, on n’en parle déjà presque plus assez. Voilà cependant sous ce titre : Richard Wagner et le roi de Bavière, un recueil de lettres publiées par l’éditeur Dupret et traduites par M. Jacques St-Cère, qui vont rappeler l’attention de son côté. J’ai examiné avec soin cette très étrange correspondance,et je dois avouer qu’au premier abord elle m’a paru devoir être classée dans les papiers à oublier. Le roi de Bavière était un maniaque aux sens faussés, et sa folie, suivie de sa mort tragique, impose aujourd’hui le silence. Pourtant il me paraissait honteux pour l’esprit humain, et pour Wagner en particulier, que cette lèpre morale eut atteint un homme de génie. Je viens de relire ces lettres et je crois qu’il en est des moeurs de l’Allemagne comme de son système d’opéra; on ne les comprend pas en France, on ne les acclimatera jamais complètement.
J’ai vu à Munich de très honnêtes garçons allemands se dire adieu, avant de se quitter pour prendre le chemin de fer, en se baisant sur la bouche, sans que personne y trouvât mal ; ici on appellerait et très justement des sergents de ville dans ce cas-là. Autre pays, autres moeurs. L’amour, dont le nom revient sans cesse dans ces lettres de Wagner, n’est pas, je veux le croire et je le crois, l’amour qu’on a voulu y voir. La question de musique, quelques affolés, quelques irrités ont aggravé la chose. Il n’y a au fond de cela qu’un homme de génie qui écrivait sa musique le plus souvent avec une plume d’aigle et la prose souvent aussi (nous ne le savons que trop) avec une plume de moins noble origine. » (Philippe Gille)