Une Capitulation,
comédie à la manière antique,
par Richard Wagner

(Article en cours de travaux de mise en ligne)

Écrite pendant l’automne de 1870, à Triebchen, cette œuvre a été finie en décembre de la même année, — quatre semaines après l’étude sur Beethoven, quelques mois avant l’achèvement de Siegfried ; de la même époque sont encore L’Ode à l’armée allemande devant Paris, et la Marche impériale (kaisermarsch). Elle n’a été publiée qu’en 1873, dans le neuvième volume des Écrits et poemes de Richard Wagner.

La préface a été écrite deux ans après l’œuvre, pour l’édition des Écrits et Poemes.

Nous traduisons entière cette préface où, très clairement, sont expliquées les dispositions et les intentions de Wagner. Quant à l’œuvre même, qui tient quarante pages in-8°, nous ne faisons que l’analyser et en indiquer le plan et l’esprit général.

Ce qu’il faut marquer, c’est, au lieu de l’acrimonie et de la malveillance qu’on s’est plu à chercher en ces pages, la parfaite et essentielle bonhomie qui, évidemment, respire en elles, à chaque ligne, et qui permit à Wagner de les joindre à ses Œuvres complètes, en 1873.

E. D.

PRÉFACE

(Traduction.)

« Dès le commencement du siège de Paris par les armées allemandes, vers la fin de l’année 1870, j’appris que les auteurs dramatiques allemands se mettaient à exploiter sur nos scènes populaires les embarras de nos ennemis. Je n’y pouvais rien trouver de choquant, surtout puisque déjà, avant le commencement de la guerre, les Parisiens s’étaient, pour leur amusement, donné en représentation nos malheurs qu’ils supposaient certains ; au contraire, j’espérais même qu’enfin, avec des esprits capables, on réussirait à se montrer original en traitant d’une façon populaire ce genre de sujets ; car, jusqu’ici, même en la plus basse sphère de ce qu’on appelle notre théâtre populaire, tout en était resté à une mauvaise imitation des inventions parisiennes.

Le vif intérêt que j’y pris finit par augmenter mon attente jusque l’impatience ; dans une heure de bonne humeur, j’ébauchai moi même le plan d’une pièce telle que je devais à peu près en désirer une, et ; en peu de jours, je la poussai si loin, — comme une interruption gaie à des travaux sérieux, — que je pus la remettre à un jeune musicien, qui alors habitait chez moi, pour qu’il essayât d’en faire la musique.

Le plus grand théâtre de banlieue de Berlin, auquel nous fîmes offrir anonymement la pièce, la refusa. Mon jeune ami s’en trouva délivré d’une grande peur, et il m’avoua qu’il n’aurait pu faire la musique à la Offenbach, véritablement nécessaire. Ainsi, nous reconnûmes que, pour toute chose, il faut un génie et une vraie vocation, conditions que, dans ce cas, nous accordions de plein cœur à M. Offenbach.

Si maintenant (1873) je communique encore à mes amis le texte de cette farce, ce n’est très certainement pas pour ridiculiser les Parisiens après coup. Je n’ai voulu mettre au jour aucun autre côté du caractère français que celui dont la lumière nous fait, en réalité, nous autres Allemands, paraître plus ridicules : car eux, dans toute leur folie, se montrent toujours originaux, tandis que nous, par notre dégoûtante imitation, nous descendons encore au dessous du ridicule.

Puisque cette triste préoccupation, — dont l’obsédante importunité me gâte mainte bonne journée ! — s’est présentée, en une bonne journée, gaîment et innocent, dans une manière comique, puissent, aujourd’hui, mes amis ne pas trouver mauvais si, en leur communiquant ce poème burlesque, — dont il nous fut pourtant impossible de trouver la musique convenable, — je tâche à éveiller en eux le même sentiment de libération momentanée que je sentis quelques instants en l’écrivant. »

UNE CAPITULATION

COMÉDIE À LA MANIÈRE ANTIQUE

(Analyse.)

Personnages : Victor Hugo, — chœur de la Garde nationale ; choryphées : Mottu, Emile Perrin, Lefèbre, Keller, Dollfuss, Diedenhofer, Véfour, Chevet, Vachette, — Jules Favre, Jules Ferry, Jules Simon, Gambetta, — Nadar, — Flourens, Mégy, quelques Turcos, — rats de Paris.

Le Proscenium représente l’Hôtel de Ville de Paris ; au milieu, l’autel de la République, etc…

Par une ouverture située devant l’autel et semblable à une boite de souffleur, Victor Hugo sort : il arrive de Belgique, ayant pénétré dans Paris par les égouts ; il vient au secours de ses concitoyens.

… Entrée de la Garde nationale : scène de serments…

… On aperçoit Victor Hugo ; ovation ; il se proclame le sauveur du pays ; le chœur et les habitants de l’égout se le disputent ; ils se l’arrachent entre eux.

Arrivée du gouvernement ; les trois Jules siégeant au tour d’une table à tapis vert, sont poussés sur le balcon. Jules Simon écrit, Jules Favre et Jules Ferry se lèvent ; ils s’embrassent et expriment par leur mimique une grande émotion.

Après quelques discussions, ils appellent M. Perrin, Jules Simon lui remet un papier fermé.

LE CHŒUR

« Voyez, le citoyen Perrin monte sur le perron ; perron, Perrin, mirliton, ton, ton ! nous le préférons à tous les Plon-plon-plon !

PERRIN

lisant le décret du gouvernement,
Le Ministre du culte 38 arrête que l’Opéra sera réouvert !

LE CHŒUR

Bravo ! Bravo ! bis ! bis !

PERRIN

Vous le devez à ma politique : ainsi nous sauverons la République.

MOTTU

Plutôt la sauverait l’Athéisme !

PERRIN

L’Opéra le fera mieux encore.

LE CHŒUR

Bravo ! bravo! bis ! bis ! »

Le rétablissement de l’Opéra est décidé, mais, tous les artistes manquent : il faut les aller chercher, comment ?

LE CHŒUR

« Trahison ! trahison ! qu’on amène les artistes ! nous voulons un Opéra, et surtout un ballet. »

Apparaît Nadar, en un costume qui représente un ballon ; aussitôt surgit Gambetta : gonflement du ballon : Gambetta et Nadar montent, pour aller chercher les artistes et les danseuses. Le ballon s’élève.

GAMBETTA

criant de la nacelle.
« Citoyens, adieu ! — Le vaisseau de la République m’emporte !
(À Nadar).
Où est le porte-voix ?
Nadar le lui donne.

Bien. — Le vaisseau de la République m’emporte : de l’Océan aérien, je ne reviendrai que victorieux ; je ne marcherai sur la terre que sur les débris de l’ancien régime. Adieu.

DIEDENHOFER

Que dit-il ?

LEFÊBRE

Il ne reviendra qu’avec le corps de ballet.

LE CHŒUR

Gambetta ! Nadar ! couple béni ! en joyeux équipage, nous vous souhaitons bon voyage ! sublime gouvernement adieu, et vole au vent ! Gouvernement ! Gouvernement ! Vol-au-vent ! Vol-au-vent ! »

Tout à coup un grand bruit souterrain retentit.

Voix souterraines

« Poum peroumpoum ! poumpoum ! ratterah ! Ça ira ! ça ira ! ça ira ! Aristocrats ! crats ! crats ! Courage ! en avant ! Rats ! Rats ! O rats ! O rats ! Poumpoum ! raterah !

MOTTU

Trahison ! Aux armes, citoyens ! Formez le bataillon !

HUGO

sortant de terre formidablement armé.
Malheur !malheur ! trahison ! trahison !

LE CHŒUR

reculant
Victor, que fais-tu ici, polisson ?

HUGO

C’est pour vous sauver, que la France m’a armé, avec les armes, une cuirasse et un bouclier, instruments de la civilisation. »

Arrivée de Flourens, de Mégy, et de Turcos qui proclament la République noire ; grand désordre ; invasion de rats, tumulte.
… Lorsque la confusion est à son comble, Offenbach apparaît, jouant sur le trombone un air de danse : peu à peu tout s’apaise.

FERRY

« … Nous vous amenons l’individu international, qui nous assure l’intervention de toute l’Europe : l’avoir en ses murailles, c’est être éternellement invincible, c’est avoir le monde entier pour ami. Ne le reconnaissez vous pas, l’homme du prodige, l’Orphée sorti des enfers, l’adorable preneur de rats de Hameln ?…

LE CHŒUR

Krak ! krak ! krakerakrak ! Voila Jack d’Offenback ! Que dehors, dans le fort, on ne cannonne plus, pour que rien ne soit perdu de la mélodie !… Oh ! combien doux et agréable, et aussi pour les pieds droitement commode ! Krak ! krak ! krakerakrak ! O seigneurial Jack d’Offenbach ! »

À un ordre d’Offenbach les rats se changent en dames de ballet. Perrin les passe en revue et prend des notes. Jubilation générale.

LE CHŒUR

« O le plus aimable de tous les miracles ! quintessence du spectacle ! décolletées, légèrement chaussées !… »

De tous côtés on réclame la danse. Victor Hugo, habillé en Génie, tenant une lyre d’or, s’avance et chante victoire ; le chœur reprend, entre chaque couplet :

Dansons ! aimons ! soupons ! chantons ! — mirliton ! ton ! ton !.
Offenbach dirige un quadrille.

Des attachés d’ambassade de toutes les parties du monde arrivent en foule. Enfin viennent les directeurs des grands théâtres royaux allemands, ils dansent avec les femmes, d’une manière maladroite, et se font persiffler par le chœur.

Apothéose finale.

Appeller le musée

16, Boulevard Saint-Germain 75005 Paris - France

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