L’œuvre musicale de Richard Wagner est composée d’opéras ou “drames musicaux” allant des “Fées” (Die Feen) à “Parsifal”. Une présentation détaillée de chacune de ces œuvres majeures est ici associée à un ensemble d’articles thématiques, replaçant celles-ci non seulement dans le contexte de sa vie personnelle mais également dans son contexte social, économique et culturel. Cette section regroupe également l’ensemble des œuvres musicales (hors opéra) et son œuvre littéraire.

LES MAÎTRES CHANTEURS DE NUREMBERG, WWV96

Die Meistersinger von Nürnberg, WWV96

LES ARTICLES THEMATIQUES

DES PREMIÈRES ESQUISSES AU TEXTE DÉFINITIF DE LA PARTITION : LES AVATARS DU LIVRET DES MAITRES CHANTEURS

par logo_cercle rw Pascal BOUTELDJA

 

C’est en juillet 1845, au cours de ce fameux séjour à Marienbad où il conçut également son Lohengrin, que Wagner écrivit un premier plan scénique des Maîtres Chanteurs. Il avait lu L’Histoire de la littérature allemande de Gervinius  et avait pris un grand intérêt pour le personnage de Hans Sachs. À l’époque, il pensait suivre le conseil de ses amis qui souhaitaient le voir écrire un opéra léger et  gai qui pourrait lui apporter le succès. Plus encore, cette comédie aurait été le pendant du concours de chant de la Wartburg de Tannhäuser, « de même que chez les  athêniens, un drame lyrique satyrique succédait à la tragédie” (Une communication à mes amis). Mais finalement le projet de Lohengrin s’imposa avec plus de force et l’esquisse des Maîtres Chanteurs fut rangée dans ses cartons.

MVRW Wagner Marienbad

En 1851, Wagner publia ce projet dans sa publication autobiographique intitulée : Une communication à mes amis.  Il n’en fut plus question jusqu’en 1861. C’est probablement au cours d’un voyage à Nuremberg en août de cette  même année que Wagner repensa à son sujet. Il y fit une joyeuse visite en compagnie de Blandine (la sœur de Cosima) et de son mari Emile Ollivier. Cela lui rappela sûrement la scène burlesque de pugilat nocturne, rapportée dans Ma vie, qu’il avait vécu dans cette même ville en 1835.

Dans une lettre datée du 30 octobre 1861, Wagner fit part à son éditeur Schott de l’existence de ce projet sur Les Maîtres-Chanteurs et de son souhait d’y travailler à nouveau. Mais il ne prit la décision de se mettre à l’œuvre qu’une semaine plus tard. Dès son retour à Vienne en novembre 1861, Wagner écrivit alors un deuxième scénario en prose, bientôt suivi d’un troisième, qu’il envoya à Schott. Wagner commença alors la rédaction du texte versifié à Paris à la fin du mois de décembre et l’acheva un mois plus tard.

Le 5 février, Wagner fit une première lecture de son livret chez les Schott à Mayence. C’est à Biebrich que Richard se mit à  la composition musicale en commençant par l’ouverture puis le début du premier acte. À la fin de l’été, des circonstance diverses allèrent l’obliger à interrompre son travail. Cet arrêt se prolongea pendant plus de trois ans, le travail de composition n’étant repris que très épisodiquement à Vienne puis à Munich.

Ce n’est qu’au  début de l’année 1866 que commença le véritable travail de partition. Le troisième acte fut achevé le 24 octobre 1867. Mis en répétition au début de l’année 1868, au théâtre de Munich, l’ouvrage vit sa première représentation le 21 juin, soit 23 ans  après la première esquisse…

Entre le projet initial de Marienbad et le livret définitif de 1867, qui est celui que nous connaissons, cinq versions se sont succédées. Les étapes de cette  longue genèse révèlent moins un enrichissement de l’argument dramatique qu’une  modification des thèmes dramaturgiques et philosophiques de l’œuvre. Ce sont les différences entres ces versions multiples et le texte de la partition que se propose d’analyser cette étude.

 

LA VERSION INITIALE DE MARIENBAD (1845)

Cette première esquisse de l’œuvre est sous-titrée « Komische Oper » ; mention qui sera conservée dans les autres scénarios en prose, avant de disparaître  du poème définitif.

Les noms des personnages ne sont pas venus d’emblée. Alors  que Hans Sachs, David et Magdalena sont prévus, Wagner indique seulement “le  jeune homme » ou « l’amoureux » pour désigner Walter von Stolzing, ” l’amoureuse »  pour Eva. Pogner est appelé “le doyen » ou “le vieux” et Beckmesser, « le marqueur.”

Le premier acte se déroule dans l’église Saint-Sebald. Le jeune chevalier, qui est venu à Nuremberg pour se présenter à la Guilde des Maîtres Chanteurs, est féru de poésie épique (Siegfried, Hagen sont cités, ainsi que Wolfram von Eschenbach et les grands empereurs).

MVRW Sebalduskirche Nuremberg

Son chant d’épreuve est à la gloire de cette poésie-là. La scène d’explication entre Walter et David n’existe pas. Le doyen explique que le peuple élira prioritairement le vainqueur du concours de chant. En cas de désaccord, la fiancé départagera le peuple et la confrérie par le choix de son élu. Sachs est un être assez bougon, toujours mi-sérieux et mi-ironique, et pas très à l’aise au sein d’une société qui ne l’aime guère (Pogner le décrit à Eva comme un  “méchant homme « ). C’est lui pourtant qui est, en 1845, le gardien des lois.

À ce titre, il lit la Tabulature à Stolzing avec cette ironie qui déplaît tant à ses collègues. Ces derniers, comprenant bien qu’il n’y croit guère, le trouvent pédant et lui pardonnent mal d’être l’ami du peuple.

Dès le début, presque tout ce qui concerne les épisodes comiques liés au « marqueur” est assez clair dans le second acte. La scène de « marivaudage » entre Hans Sachs et Eva n’apparait pas ; il n’y a d’ailleurs pas trace d’idylle entre eux. Au contraire, la jeune fille n’aime pas le cordonnier-poète et le prend pour un hypocrite. À l’arrivée du « marqueur« , Sachs entame un chant quelconque et non sa chanson biblique d’Eve au Paradis. Enfin, la bagarre générale du final de l’acte est remplacée par les protestations des voisins réveillés par le tumulte.

MVRW Wahn Monolog SachsAu troisième acte, on ne retrouve pas de “ Wahn-Monolog  » ; les méditations de Hans Sachs concernent uniquement “ la ruine de la poésie » et « la fin du  bel Art poétique”. Le chevalier n’a pas rêvé. À la demande de Sachs, il lui montre ses poésies. Son ” Preislied » est un poème d’amour que Sachs lit, tandis que l’orchestre commente. Le cordonnier continue à pester : “ la poésie doit céder le pas à  l’humanisme et à la philosophie pour combattre la sottise et la superstition. C’est seulement après la victoire de la raison que l’art poétique pourra renaître« . Wagner proposait une alternative pour l’épisode du vol du manuscrit par Beckmesser : soit il s’agissait de la poésie du chevalier, soit le texte datait de la jeunesse de Hans  Sachs. Enfin, le quintette se réduit dans cette première version par un trio. Au second tableau de ce troisième acte, Sachs est applaudi par le peuple ; le choeur  » Wach auf  » est absent.  » Le marqueur » chante sans erreur mais grotesquement  le chant de son rival. Il est ridicule seulement par le contraste complet entre le contenu du poème (les espérances et les doutes d’un amoureux) et la manière  dont il est déclamé musicalement. Hans Sachs se défend de vouloir chanter : « c’est  une déclaration d’amour » dit-il. « Comment pourrais-je prétendre à une si jeune  fille ? Je ne ferais pas mieux que le marqueur » conclue-t-il. Le jeune homme s’avance et demande d’essayer un chant. Le peuple exige que les Maîtres le laissent concourir. Le chant demeure similaire à celui du premier tableau. Quant au dénouement, il n’est pas différent. Le discours de Hans Sachs se termine par la fameuse formule,  même si c’est sous une forme quelque peu différente :  » Zerging’ das Heil’ge  Römische Reich in Dunst, uns bliebe noch die heil’ge deutsche Kunst « . Et parce que l’idée de l’œuvre y est nettement formulée, ces vers ont subsisté à travers  presque toutes les modifications successives du livret. La pièce s’achève par la  formation d’un cortège nuptial qui regagne la ville, Hans Sachs conduisant la fiancée.

 

SECOND SCENARIO EN PROSE (1861)

Wagner écrivit sa deuxième esquisse de mémoire (l’original était resté entre les mains de Mathilde Wesendonck ). À ce scénario en prose étaient joints quatre feuilles couvertes de notes recopiées du livre de Wagenseil emprunté à la  Bibliothèque Impériale de Vienne. Elles rassemblaient des détails techniques sur les règles et les modes de chant des Maîtres Chanteurs, ainsi qu’une liste de douze  noms de maîtres de Nuremberg.

Les personnages ont à présent des noms. Eva s’appelle d’abord Emma  jusqu’au troisième acte, où son prénom définitif lui est donné. Le “doyen ” devient Bogler. Cette esquisse transforme Magdalena en Kathrine ; mais elle nede-  vient Magdalena au troisième acte. Le  » marqueur » se nomme Hanslich et Stolzing se prénomme Konrad.

L’acte I se déroule toujours dans l’église Saint-Sebald. Bogler est “président » de la confrérie des Maitres Chanteurs. Cette fonction est exercée à tour de rôle par les membres de la Guilde. À ce titre, le père d’Emma occupe un siège d’honneur. Pour l’épreuve de chant, Konrad doit chanter sur un mode déjà existant. Sa méconnaissance des règles le fait opter pour un  mode de chant dont le nom lui plaît. Il s’agit du ton du « Minnesang« . Le parrainage par Vogelweide se profile, ce qui lui vaudra son prénom définitif. C’est David qui inscrit les fautes à la craie sur ordre de Hanslich. À la fin de l’acte, Konrad  achève son chant non pas « dans un élan d’enthousiasme orgueilleux et désespéré« , mais furieux.

Le second acte débute avec le monologue de Sachs (dit “du sureau”). On ne trouve toujours pas de dialogue entre Eva et Sachs ; ce dernier n’est toujours  pas amoureux de la jeune fille. Le reste de l’acte n’est presque pas modifié, seule la  bagarre générale avec l’intervention des diverses corporations est plus développée. Enfin, nous pouvons noter dans la chanson du cordonnier les vers suivants,  qui proviendraient d’une chanson satyrique du XVIIIème siècle :  » Ich, Hans Sachs,  bin ein Schuster und Poet dazu”.

MVRW Fliedermonolog

Le troisième acte ne comporte pas le chant d’école de David, mais contient déjà le “Wahn-Monolog« , prêt dans ses grandes lignes. Lorsque le chevalier  paraît, il reproche à Sachs de s’être opposé à sa fuite et d’avoir empêché son bonheur. Le cordonnier lui répond par la négative et lui dit que ce n’est pas la coutume à Nuremberg d’enlever les filles de bourgeois. On ne retrouve toujours pas de rêve pour Konrad qui, comme dans la version précédente, a occupé sa nuit à rédiger un  poème pour sa bien-aimée. Hans Sachs lit la poésie en silence et l’admire : « c’est  encore le Wahn, si tendre, si doux, si douloureusement passionné » dit-il.

Il n’y a pas d’explication du rêve, pas d’apprentissage du chant, ni de baptême, mais cette  phrase d’Eva notée en passant et qui aura le développement que l’on sait: “Si je  n’aimais pas tant le chevalier, et si Sachs avait gagné le prix aujourd’hui, je l’aurais  volontiers choisi « . Aucune réponse n’est prévue et tout cela semble rester très  innocent.

De même, Hans Sachs se plaint de sa condition de cordonnier sans le  sous-entendu de son amour déçu. Le choeur  » Wach auf  » n’apparaît pas au second tableau. Il n’y a toujours pas de confusion grotesque des mots lorsque Hanslich  déclame son chant de concours. C’est seulement sa pédanterie et la mélodie ridicule qui suscitent l’hilarité de la foule. Les maîtres sont d’ailleurs scandalisés de voir ainsi leur art poétique bafoué par le peuple. Konrad chante en s’accompagnant à la lyre. Enfin, Hans Sachs, faisant allusion à la bagarre générale de la veille, fait dans son discours final l’éloge de la corporation des Maîtres Chanteurs comme  élément important de paix sociale.

 

TROISIÈME ESQUISSE (novembre 1861)

Celle-ci est plutôt une copie de la précédente. Elle offre néanmoins un  prénom à Bogler (Thomas) et à Hanslich (Veit ) sans plus rien préciser de l’église où se déroule l’action. Le reste du scénario ne présente que très peu de changement, sauf au troisième acte lorsque Konrad retrouve Sachs à son réveil. Le cordonnier précise sa pensée au chevalier, empli de méfiance. Ainsi, serait-il un ” bien mauvais poète » s’il ne comprenait pas le ”Liebeswahn« . Hans Sachs, pendant la  nuit, a vu Konrad, qui ne trouvait pas le sommeil, se mettre à la table de l’atelier pour écrire. Enfin, remarquons que Sachs ne tutoie pas Eva. Il ne lui dit pas « Du »  mais « Ihr« , forme de vouvoiement familier, qui n’est plus employée en allemand moderne.

 

LES PRINCIPALES DIFFÉRENCES ENTRE LES ESQUISSES ET LE TEXTE DÉFINITIF

À cette esquisse succédera le livret versifié. Il existe en fait deux versions  du poème. Elles diffèrent essentiellement par le chant de concours du troisième  acte. Nous développerons ces aspects ultérieurement. En résumé, les points de  différences les plus importants entre les différents esquisses en prose et le texte  définitif sont exposées ci-après.

– Hans Sachs n’éprouve pas de “tendre sentiment » pour Eva. Il ne lui porte que des sentiments exclusivement paternels, somme toute assez banals. Tout ce qui en découle pour le caractère du cordonnier, sa nostalgie d’amour, son sacrifice et son renoncement douloureux, sans parler des craintes du « marqueur » n’apparaît donc dans aucune esquisse. Seule, figure dans le scénario de 1861, la phrase d’Eva notée ci-dessus. Dans le version définitive, le renoncement de Sachs devient  principe d’action musicale et dramatique. Dès le second acte, le déroulement scénique n’est plus que la mise en oeuvre de la stratégie de Sachs pour réunir les deux  amants jusqu’au dénouement, à savoir la scène de la chaussure du troisième acte.  De ce principe découle l’allusion musicale à Tristan et Isolde, ainsi que la déclamation du ”Schusterlied  » de Sachs, évoquant la mère originelle bannie de l’Eden et condamnée à marcher sur les cailloux.  * Le troisième acte ne comporte pas de rêve de Walter. L’apprentissage poétique, l’explication du rêve n’existent pas. Ainsi, d’avocat du chevalier qu’il était au premier acte, Hans Sachs n’en devient pas le maître au troisième. De même, le cordonnier ne transcrit pas de sa main le chant du chevalier. “Le marqueur » ne  peut donc pas avoir la preuve que Sachs l’ait écrit. On ne retrouve pas le baptême  du chant, ni le quintette. A une certaine époque, le bruit aurait couru (le critique Hanslick en aurait été à l’origine) que le quintette du baptême avait été composé isolément, bien avant le reste de la partition. Que Wagner en écrivant la musique du troisième acte aurait  voulu le supprimer et ne l’aurait finalement conservé qu’à la demande insistante  de Cosima. C’est une absurdité, d’une part puisque la scène n’existe pas dans les  esquisses (pas même celle de 1861), d’autre part, en raison d’arguments d’ordre musical (la mélodie du songe de Walter) qui prouvent que le quintette a bien été  composé avec le reste de la musique du troisième acte.

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– Hanslich est beaucoup moins ridicule que Beckmesser. Il chante les paroles exactes du poème. C’est seulement la mélodie inadaptée, les enjolivements et les ornementations emberlificotées qui suscitent l’hilarité du peuple. Ce dernier se  moque en fait de l’art des maîtres devenu pédant, suranné et totalement inexpressif.

– Enfin, la harangue finale de Sachs ne fait pas allusion à la menace welsche qui pèse sur le Saint Art Allemand.

 

LE POÈME DE JANVIER 1862

Il y a beaucoup de changements de détail sans importance entre le livret versifié de 1862 et le texte définitif de la partition. Ainsi, Wagner modifie souvent  quelques mots, qui lui semblent plus en accord avec la musique composée. Une dizaine de vers ont été supprimés dans le “Wahn-Monolog » dans sa seconde  partie. Ils concernent les effets du ver luisant sur le cerveau des hommes. Ces  différences ne s’accompagnent d’aucune modification de sens général. Bien plus importante est la modification complète du « Preislied”, donc  du rêve de Walter et conséquemment du rapiéçage du chant par Beckmesser. Dans la version initiale, les thèmes du chant de concours se rapportent à la demeure du  père, au chemin vers « la maison du sureau » (s’agit-il de celle de Sachs, de  Pogner ?) et à une blanche colombe, assimilée à la bien-aimée, qui porte un rameau pour récompenser le poète. Le texte de ce chant et celui de Beckmesser qui  va avec ont été traduits par Philippe Godefroid dans le numéro de l’Avant-Scène  Opéra consacré aux Maîtres Chanteurs. Notons que Wagner n’a pas modifié l’allusion de Sachs à la colombe lorsqu’il dit à Walter à la fin de la scène 2 du troisième acte : “ Une colombe doit lui avoir montré le nid où rêve son chevalier« .

Dans le texte de 1862, le chant de concours est rigoureusement identique à celui du lied  déclamé dans l’atelier de Sachs alors que dans la partition de 1867, il s’agit d’une nouvelle version poétique et musicale qui, après les premières lignes s’éloigne complètement du chant du premier tableau. Wagner la justifie par une indication scénique : Walter a vu que Kothner avait cessé de suivre sur le manuscrit ; possédé par  l’inspiration, il continue dans une version plus libre. Tout se passe comme si le poète se libérait des règles qu’il a d’abord attentivement respectées et qu’il intègre maintenant totalement. L’allégorie du chant de concours est plus explicite. Le rêve devenu poème évoque un jardin merveilleux, et l’Eve biblique au milieu de cet Eden (premier couplet) ; puis sous un laurier, Walter voit la Muse du Parnasse (deuxième couplet). Enfin, réunissant les deux images féminines, sa vision synthétise le Parnasse et le Paradis (envoi). Ceci pourrait se lire comme un résumé de l’opéra tout entier, en étroite relation avec les divers plans de l’œuvre. Naturellement, le texte du chant de concours ayant été complètement  changé, celui de Beckmesser est aussi entièrement différent. Mais, pour celui-ci, gageons (avant qu’un psychanalyste ne nous en démontre l’insondable profondeur !) que Wagner n’a pas eu besoin de forcer son talent pour confectionner les à-peu-près les plus loufoques. L’autre modification majeure se situe dans la harangue finale de Hans Sachs. Voici la traduction du texte apparaissant dans le poème de 1862 et se situant  après « was vollt Ihr von den Meistem mehr ? » et avant “Ehrt eure deutschen  Meister” :

“ Ce n’est pas souvent que des gentilshommes arrivent ici de leurs châteaux
et de leurs hauteurs,
amoureux et enivrés de chant comme vous,
pour accourir à Nuremberg.
Nous avons souvent dû rassembler le peuple
face à leur soif de galanterie et de capture ;
et si cela se trouve à profusion,
il s’habitue aisément au pugilat.
Artisans, guildes et corporations eurent de fâcheuses assemblées
(comme on a pu récemment encore le remarquer dans certaines ruelles ! )
Les corporations sont toujours revenues à la raison
au sein de la chère association des Maîtres-Chanteurs.
Compacte et solide, elle ne se laisse pas si facilement ébranler ;
ce qu’elle préserve est gardé intacte pour votre postérité !
Que de telles coutumes et de tels usages se flétrissent,
qu’ils tombent en ruines et disparaissent en fumée.
Renonçons à la lutte !
Ce n’est pas les bombardes ni la fumée de la poudre qui donneront
consistance à ce qui n’est encore qu’un souffle ! »

Le texte se situe dans la ligne d’une utopie réconciliatrice. Hans Sachs lance un appel à la paix civile, à 1’arrêt de la « lutte des classes » entre la noblesse et  la bourgeoisie, sous l’égide de l’Art. Wagner supprima ces paroles pour les remplacer dans le texte définitif de la partition par les vers suivants :

”Prenez garde
De coups durs vous menacent !
Le peuple et l’empire allemand vont se désagréger ;
à force de souverains étrangers ;
aucun prince bientôt ne comprendra son peuple ;
ils implanteront en terre germanique les brumes et futilités welches.
Nul ne saurait plus ce qui est véritablement allemand
si cela ne vit pas dans l’’honneur des Maîtres allemands. »

MVRW Meistersinger 2001 Met

Wagner en appelle à la préservation de l’intégrité culturelle allemande  menacée par l’influence welsche, c’est-à-dire la latinité. Ce changement serait intervenu sur l’instance de Cosima à la suite d’une longue discussion. Du Moulin-Eckart cite dans son ouvrage consacré à Cosima une lettre adressée à Louis ll de Bavière, dans laquelle elle rapporte qu’elle aurait discuté avec Wagner toute  la journée sur la fin des Maitres Chanteurs et qu’il aurait ensuite écrit la version  définitive selon ses propositions dans la nuit du 28 janvier 1868 entre 2 et 3 heures du matin.  Bien que n’ayant trouvé sa forme définitive que beaucoup d’années plus  tard, de nombreux thèmes majeurs étaient présents dans la version primitive des Maîtres Chanteurs : la critique des formes, la pédanterie des maîtres, l’art libre  d’inspiration populaire, la déchéance de la poésie lyrique, une expression nationale authentique. Mais lorsque Wagner reprit et réalisa ce projet, conçu initialement comme une critique satyrique du thème de l’Art dans Tannhäuser, il le fit  avec une expérience consommée et surtout une entière sérénité. Le ton de l’œuvre  a donc pu être plus souriant et détendu qu’il ne 1’aurait été vingt ans plus tôt, et son contenu plus riche. Cette version définitive offre des perspectives de réflexion  philosophique plus profonde. Elle est marquée par une réaction vitale au tragique de Tristan et Isolde avec la recherche de solutions à des conflits qui soient viables. L’œuvre respire l’optimisme en même temps que la gravité et l’émotion, ce qui en  fait sans doute l’ouvrage le plus « sain » et peut-être le plus merveilleusement équilibré du Maître.

 

logo_cercle rw  PB in WAGNERIANA ACTA  1996 @ CRW Lyon

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