Cette section présente une série de portraits biographiques de ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’édification de l’œuvre wagnérienne. Des amitiés ou des inimitiés parfois surprenantes ou inattendues, des histoires d’amour passionnées avec les femmes de sa vie, parfois muses et inspiratrices de son œuvre, mais également des portraits d’artistes (chanteurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre…) qui, de nos jours, se sont “appropriés” l’œuvre du compositeur et la font vivre différemment sur scène.

LAWRENCE Marjorie

(née le 17 février 1907 – décédée le 13 janvier 1979)

Soprano

Cantatrice australienne, Marjorie Lawrence fut surnommée à juste titre la “soprano de tous les excès”. Ne fut-elle pas la première Brünnhilde à enfourcher son cheval Grane, conformément au livret, avant de se lancer avec celui-ci dans le brasier du bûcher de Siegfried qui enflammera le Walhalla ? Sa carrière et sa – tragique – destinée sont entrées dans la légende, faisant de cette artiste “inclassable” l’une des plus réputées de son époque.

Née dans la province de Melbourne au début du XXème siècle, Marjorie Lawrence naquit dans une famille aux origines modestes. Fille d’un boucher et d’une organiste de paroisse locale, elle se retrouva orpheline de mère à l’âge de deux ans. Éduquée par sa grand-mère, elle fut passionnée par l’opéra dès son enfance : elle écoutait sur le gramophone familial les enregistrements d’autres cantatrices australiennes, parmi elles, bien sûr, Nelli Melba et Clara Butt. Elle remporta dès ses jeunes années un certain nombre de concours de chant.

Malgré quelques espoirs déçus, dont un séjour à New-York inutile, elle trouva péniblement l’argent lui permettant d’aller étudier avec Cécile Gilly à Paris puis fit ses débuts sur la scène de Monte Carlo en 1932 dans le rôle Elisabeth dans Tannhäuser de Wagner. L’année suivante, en février 1933, elle remporta un immense succès dans son interprétation d’Ortrud dans Lohengrin à Paris. Son apparition au Met en décembre 1935 dans la production de Gotterdammerung, devant un parterre de spectateurs conquis par autant de hardiesse et d’énergie, est devenue une légende de l’histoire de l’opéra : pour la première fois l’héroïne traversait les flammes à califourchon sur un cheval – Lauritz Melchior était alors son Siegfried – de la manière que Wagner avait initialement prévue.

Le physique, la beauté irradiante de la soprano ainsi que son charisme la rendirent très rapidement populaire. Lorsqu’elle interprétait la Danse des Sept voilesde la Salome de Richard Strauss, elle incarnait avec une telle grâce et une telle conviction la Princesse de Judée qu’aucune autre soprano ne pouvait rivaliser avec … autant de charmes ! Devenue rapidement la coqueluche du Metropolitan Opera de New-York, la soprano alternait avec Frida Leider dans le rôle de Brünnhilde, et même avec Kirsten Flagstad, toujours sur la scène du Met, en 1937.

Elle se maria en 1941 avec le Dr Thomas King, osthéopathe et scientiste. Mais la même année, lors d’une représentation à Mexico, le drame survint et d’une manière la plus inattendue : la cantatrice s’effondra ; elle avait été touchée par la polio. Elle suivit un traitement exigeant et retourna sur scène dix-huit mois plus tard, chantant sur une chaise inclinable ou sur une plate-forme spécialisée. Malgré le manque de mobilité, la soprano, bravant tous les obstacles à sa carrière y compris la terrible maladie, continua de jouer jusqu’en 1952. Son interprétation d’Elektra de Richard Strauss, mais également d’Amneris (Aïda) firent toujours sensation. En 1943, la soprano incarnait une Venus de toute beauté (alitée), d’une crédibilité et d’un sensualité débordante à laquelle il eut été difficile pour tout Tannhäuser de résister.

Mais son répertoire (tout spécialement, le répertoire wagnérien et straussien dans lesquels elle excellait) ne s’arrêtait pas à l’art lyrique. Bien que contrainte dans ses possibilités physiques, elle chanta lors de concerts de charité pour divertir les troupes en Australie durant la Seconde Guerre mondiale, assise sur une chaise.

Après la guerre, Marjorie Lawrence se retira de la scène et consacra son art à l’enseignement. Elle se retira ainsi dans son ranch, Harmony Hills, à Hot Springs (Arkansas), où elle enseigna à des étudiants internationaux.

Sa carrière fulgurante ainsi que sa destinée tragique incitèrent l’artiste à écrire son autobiographie Interrupted Melody, une œuvre bouleversante d’humanité et véritable témoignage de sa force de caractère, qui lui permit de survivre et même de s’épanouir dans son art malgré la terrible adversité que fut sa maladie. Cette œuvre ne manque par ailleurs pas d’humour et regorge d’anecdotes croustillantes sur le monde des coulisses de l’opéra. Profondément humaine, toujours juste, Marjorie Lawrence savait également être d’une incroyable joie de vivre. Dès sa sortie en 1950, Hollywood fut intéressé par cette œuvre et cette destinée hors du commun pour l’adapter au cinéma, la soprano était alors pressentie pour interpréter les parties chantées. Mais lorsque le film sortit en 1955 (production Metro Goldwyn-Mayer), les désaccords entre la production et l’artiste firent renoncer celle-ci à prendre part au projet. Le film Mélodie interrompue – très romancée – ne reflétait selon elle rien de la véritable vie qu’elle avait vécue.

Marjorie Lawrence décéda à 71 ans, le 13 janvier 1979, d’insuffisance cardiaque. Si le film de la MGM ne rend qu’un aspect très romancée de la vie de cette étonnante artiste lyrique, son autobiographie ainsi que les quelques enregistrements qu’elle grava au disque sont là pour témoigner du talent de cette femme décidément hors-pair.

NC/SB

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