Cette section présente une série de portraits biographiques de ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’édification de l’œuvre wagnérienne. Des amitiés ou des inimitiés parfois surprenantes ou inattendues, des histoires d’amour passionnées avec les femmes de sa vie, parfois muses et inspiratrices de son œuvre, mais également des portraits d’artistes (chanteurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre…) qui, de nos jours, se sont “appropriés” l’œuvre du compositeur et la font vivre différemment sur scène.
LES ARTICLES SUIVANTS SONT SUSCEPTIBLES
DE VOUS INTÉRESSER
TANNHÄUSER « en bref »
Tannhäuser et le Tournoi des chanteurs à la Wartburg (WWV70) est le cinquième des opéras de Richard Wagner, soit le deuxième des opéras dits « de la maturité » du compositeur. Composé entre 1842 et 1845, après le succès en demi-teintes du Vaisseau fantôme (Der Fliegende Holländer, WWV 63), Tannhäuser fut conçu pour être présenté à l’Opéra de la Cour royale de Saxe où Wagner exerçait alors la fonction de Maître de chapelle.(lire la suite)
LES MEMOIRES D’HECTOR BERLIOZ ET RICHARD WAGNER
Les Mémoires de Berlioz, toujours intéressants, souvent passionnants, ne donnent certes pas un reflet photographique de leur auteur. Comme tous les mémorialistes, il joue avec ses souvenirs, il trie, enjolive, élimine, pour livrer une oeuvre littéraire autant qu’un document, suivant en cela l’exemple d’un devancier célèbre, Goethe, qui a publié l’histoire de sa vie sous le titre Poésie et Vérité (Dichtung und Wahrheit) (lire la suite)
Pierre-Louis DIETSCH
Si les relations de Wagner avec les deux autres « Géants » de son temps, soit Rossini et Verdi, se limitèrent globalement à une sobre ignorance de part et d’autre (chacun étant persuadé de son propre génie) teintée d’une courtoisie de bon aloi, il y eut, dans le parcours de Wagner, deux autres compositeurs – français tous les deux – qui cumulèrent à eux seuls toutes l’ire, la haine et le mépris du compositeur de Lohengrin et de Parsifal (lire la suite)
Charles NUITTER (Charles-Louis-Étienne Truinet)
(né le 24 avril 1828 à Paris - décédé le 24 février 1899)
Dramaturge et librettiste français.
Parisien de naissance, Charles Nuitter (qui porte encore son patronyme de naissance, Charles-Louis-Étienne Truinet) semble destiné à la vie tout à fait rangée que ses parents souhaitent pour leur fils. Caressant l’espoir de devenir avocat, notre homme achève brillament ses études de droit : admis avec succès le 24 novembre 1849 au Barreau de la Cour d’appel de Paris, le jeune avocat ambitieux devient secrétaire de la conférence des avocats.
Dans ce cadre, il prononce en 1852 le discours de rentrée (Eloge d’Antoine Loisel) par lequel il se fait déjà remarquer.
Mais ce n’est pas là la vie à laquelle notre homme aspire ; en marge de la tentation de la raison et d’une confortable pour un jeune homme de son rang, ce dernier ne peut réprimer ses élans passionnés pour le théâtre, l’opéra et le ballet. Car en ce milieu de XIXème siècle, toutes formes artistiques, toiles, symphonies, opéras historiques, ballets romantiques. – parfois les plus novatrices et jugées scandaleuses – éclosent, foisonnent, triomphent. Ou échouent lamentablement sous les huées d’un impitoyable public !
Malgré les incertitdes de la vie de bohème, notre jeune avocat sait en son for intérieur, qu’il veut appartenir à ce monde artistique trépidant, cotoyer artistes, deviser avec les brillants esprits de son épqoue.
De manière anonyme tout d’abord, puis adoptant le pseudonyme de « Charles Nuitter » (anagramme de Truinet), l’avocat devient peu à peu écrivain. Et les premiers succès ne se font pas attendre bien longtemps.
Car outre des compétences littéraires sans aucun doute indéniables, Charles Nuitter doit à sa formation d’avocat son aptitude à s’exprimer brillamment en public, à convaincre, à s’attirer l’amitié et la confiance des artistes les plus en vogue de son époque.
Le brillant Nuitter travaille avec de nombreux compositeurs dont Jacques Offenbach, Charles Lecocq, Léo Delibes, Edouard Lalo, Verdi et … Wagner. Ses qualités humaines rares et la qualité de ses textes le font apprécier de ces musiciens. En particulier Offenbach, le roi de l’Opérette qui règne sur tout Paris et avec qui Nuitter il noue des relations particulièrement amicales. On estime ainsi que ce dernier a écrit ou participé à l’écriture de cinq-cent pièces théâtrales, des livrets d’opéras comiques, d’opéras bouffes, d’opérettes en grande partie pour son ami, Jacques Offenbach.
C’est Nuitter également qui compose l’argument du ballet Coppelia de Léo Delibes, s’inspirant librement de l’un des célèbres Contes fantastiques du romantique allemand E.T.A. Hoffmann.
Si c’est avec l’opérette et le ballet que le nouveau scribe des maîtres des Bouffes-parisiens ou de l’Opéra et ses Sylphides se fait un nom et une réputation non négligeable, c’est avec l’Opéra que Nuitter acquiert ses vraies lettres de noblesse… Et pour longtemps…
L’histoire ne dit pas si c’est l’enthousiasme et l’admiration sans borne qui provoqua la rencontre de Nuitter avec Richard Wagner ou bien que le Maître, se voyant obligé de « commettre » son Tannhäuser en français pour les représentations de la grande scène de l’Opéra prévues pour mars 1861, fut le premier à s’adresser à lui.
Indiquons au passage que, au début de l’année 1860 justement, l’ex-avocat découvre, les archives de l’Opéra de Paris (alors Académie Impériale de Musique), alors non classées. Emballé par cette découverte et des trésors dont cette collection regorge, il décide dès lors de consacrer tout son temps à leur classement, à leur conservation et à leur enrichissement. C’est ainsi que Nuitter se fait un véritable sacerdoce d’acquierir des documents autographes inédits et des journaux intimes (et le plus souvent, sur ses propres deniers).
En 1861, les archives de l’opéra comptaient 350 volumes ; à la fin de 1862,on dénombrait 1076 documents. En 1882, la collection allait en compter pas moins de 7087 !
Tant Wagner que Verdi, le Maître allemand et le Maître italien, appréciaient particulièrement les adaptations que Nuitter fit des oeuvres respectives de chacun en langue française, pour la scène du grand Opéra de Napoléon III. Et nul doute que le talent littéraire de l’homme de lettres tout comme ses connaissances approfondies du milieu théâtral et musical parisien contribuèrent efficacement au succès des œuvres de Wagner en France. C’est ainsi qu’en France notre homme se fit une réputation de wagnérien d’avant-garde avec ses adaptations fort réussies des livrets traduit en français des opéras du Maître de Bayreuth (Tannhäuser, 1861, Rienzi, 1869, Lohengrin 1870 and Le Vaisseau fantôme, 1872). Nuitter traduira aussi des livrets de Verdi (Macbeth, Aida, La force du Destin et Simon Boccanegra). Et il participa même de manière engagée à la révision que Verdi fut contraint d’opérer pour son Don Carlos en 1882-1883.
Avant que l’intégralité du corpus ne soit représentée en France, on n’avait accès à Wagner, outre par les partitions, que par les traductions des livrets par Challemel-Lacour. Ce fut le biais par lequel Baudelaire, Mallarmé, René Ghil ou Léon Bloy découvrirent Wagner.
Ainsi que l’opus de promotion rédigé par Franz Liszt : Lohengrin et Tannhäuser de Richard Wagner.
Dans Mein Leben (Ma Vie), l’autobiographie de Wagner, nous trouvons cette description de Nuitter que fait le Maître de Bayreuth à propos de l’adaptation du Tannhäuser destiné à être présenté au public parisien sur la scène de l’Opéra (1860) : « M. Royer, directeur de l’Opéra me déclara que la traduction que j’avais fait réaliser, au prix d’immenses efforts, par mes deux volontaires n’était pas utilisable et il me recommanda instamment de la faire remanier de fond en comble par Monsieur Charles Truinet, connu sous l’anagramme Nuitter. Cet homme, jeune encore, à la physionomie ouverte et sympathique, m’avait offert quelques mois auparavant ses services pour la traduction de mon opéra. Avocat au barreau de Paris, Truinet était le confrère d’Emile Ollivier, et c’est celui-ci qui me l’avait envoyé. [….] Celui-ci ne savait pas l’allemand mais il m’expliqua qu’il pouvait se faire aider par son vieux père, qui avait longtemps voyagé en Allemagne et avait acquis quelques rudiments d’allemand. De fait, une connaissance spécifique de la langue allemande n’était pas nécessaire, puisqu’il s’agissait seulement de donner un tour plus français au vers craintivement élaborés par Roche sous la férule de l’impertinent Lindau, qui s’imaginait être la science infuse. Je fus bientôt conquis par la patience inlassable avec laquelle Truinet se soumettait aux modifications continuelles que réclamaient mes exigences de musicien. […] Mais je reconnaissais la valeur de cet ami compétent et chaleureux qui me resta toujours entièrement dévoué, même dans les moments difficiles. je ne crois pas avoir jamais rencontré une personne ayant un jugement aussi fin pour ce qui est des problèmes les plus délicats, ni un ami possédant une volonté plus énergique dans la défense de mes opinions, qu’il faisait toujours siennes. »
Naturellement, toutes les œuvres de Wagner étaient représentées sur scène en traduction française. Pour certains exégètes, la traduction de Nuitter est extrêmement précise, et fait coïncider, à quelques nécessaires inversions près, les deux langues mot pour mot. A part quelques cas exceptionnels où Nuitter modifie un peu la traduction et le rythme de la phrase par rapport à l’original allemand, le mérite de traduction de Nuitter est d’être très proche à la fois du texte allemand mais également de coller de manière particulièrement harmonieuse au rythme musical de la partition.
Pour ces qualités, ce sont ces mêmes versions qui seront officiellement reconnues et recommandées par les héritiers de Richard Wagner. Ainsi en vertu d’un contrat signé le 4 avril 1895 entre les héritiers de Wagner et l’Opéra de Paris, il est précisé que pour les traductions de Tannhäuser, celle de Charles Nuitter est obligatoire, pour les Maîtres-chanteurs la préférence va à celle d’Alfred Ernst, et pour Tristan et Isolde, celle de Victor Wilder retouchées par Charles Nuitter.
Pour Tannhäuser, Charles Nuitter écrit que le véritable traducteur était Wagner. « Il n’avait besoin de collaborateurs que pour arriver à une versification correcte et à un arrangement des paroles sous la musique conforme à la prosodie française » (Charles Nuitter, Comptabilités des dépenses mensuelles, mars 1861, Paris, Archives nationales). En effet, une première traduction avait été effectuée par Edmond Roche (1828-1861), douanier et poète méconnu, Richard Lindau (1831-1900), chanteur allemand et par Richard Wagner lui-même. Mais le directeur de l’Opéra, Alphonse Royer, souhaita un remaniement du texte à laquelle participa Charles Nuitter.
Charles Nuitter avance deux principaux arguments pour justifier son travail auprès de la direction de l’Opéra et du ministère des Beaux-Arts dont il dépend : des archives en ordre sont nécessaires à la direction du théâtre ; elles peuvent par ailleurs susciter des travaux de recherche sur l’Opéra et l’histoire du théâtre en général, ce qui impliquera tôt ou tard une large ouverture au public.
La correspondance entre Wagner et Nuitter démontrent leur grande amitié et celle entre Cosima Wagner et Nuitter commença quant à elle en 1869 et se prolongea jusqu’aux années 1890.
L’archiviste connut malheureusement une fin particulièrement sombre.
En effet, début 1899, Félix Faure, le président de la République, épris de mondanité, décide que le pavillon Ouest où résidait la bibliothèque de l’Opéra et proche de la loge présidentielle, doit être aménagé en salon de réception pour ses soirées ; on imagine le choc subi par Nuitter, déjà profondément affecté par le double décès de ses amis, Charles Garnier et son fils, Christian Garnier, respectivement en août et septembre 1898.
Dans la nuit du 19 au 20 février 1899, il est victime d’une congestion cérébrale et s’éteint le 23 février. Curieusement, Félix Faure était décédé peu avant, le 16 février ; ses funérailles avaient eu lieu le 23 février.
Nuitter a eu le temps d’apprendre la disparition de Félix Faure mais a-t-il été rassuré pour autant ? Dès 1895, il avait choisi son successeur, le collectionneur et musicologue Charles Malherbe, qui le remplace aussitôt à l’Opéra.
CPL/NC
Sources :
– Charles Nuitter : des scènes parisiennes à la Bibliothèque de l’Opéra par Valérie Gressel
– Correspondance – Richard et Cosima Wagner – Charles Nuitter , 2002, ed. Mardaga
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