Cette section présente une série de portraits biographiques de ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’édification de l’œuvre wagnérienne. Des amitiés ou des inimitiés parfois surprenantes ou inattendues, des histoires d’amour passionnées avec les femmes de sa vie, parfois muses et inspiratrices de son œuvre, mais également des portraits d’artistes (chanteurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre…) qui, de nos jours, se sont “appropriés” l’œuvre du compositeur et la font vivre différemment sur scène.
JANSSEN Herbert
(né le 22 septembre 1892 – décédé le 3 juin 1965)
Baryton
Bien que né dans une famille très riche – et de plus mélomane – de Rhénanie, la vocation de Herbert Janssen ne fut pas favorablement accueillie. S’il reçut dans le château familial près de Cologne ses premières leçons de musique, c’est à des études de droit que sa famille le destinait, afin de reprendre les affaires familiales. Il fut donc envoyé à l’Université de Cologne. Mais, après avoir étudié un temps, puis avoir été officier pendant la première guerre mondiale, le jeune homme préféra consacrer l’argent de ses études à s’offrir des cours de chant avec Oscar Daniel, ce qui lui valut d’être renié par sa famille. La fracture fut à jamais consommée lorsque le soir de sa première à la Staatsoper de Berlin où il chanta Hérode dans Der Schatzgräber de Schreker, il découvrit un piano Bösendorfer dans sa loge avec un mot disant : « bon retour dans ta famille ». Avec orgueil, l’artiste renvoya le piano à ses parents qu’il ne revit jamais.
C’est donc en 1922 que Herbert Janssen fit ses tout premiers débuts sur la prestigieuse scène de la Staatsoper de Berlin, maison dans laquelle il entra immédiatement en troupe. Il occupa d’abord de petits rôles, mais avec une telle technique et une telle présence scénique qu’il multiplia ses apparitions jusqu’à se voir offrir les rôles les plus importants du répertoire. Sa rencontre avec le répertoire wagnérien eut lieu au cours de la saison de 1923-1924, où il incarna Wolfram (Tannhäuser), un des rôles qui marqua à jamais sa carrière. Tout en élargissant son répertoire (Wagner naturellement, mais également Mozart, Verdi, Bizet, Lortzing et très amateur de lieder), l’artiste, toujours en troupe à la Staatsoper de Berlin, se produisit également sur les scènes de Covent-Garden, Vienne, Dresde, Paris…
En 1930, Janssen fut invité par Toscanini au Festival de Bayreuth afin d’y incarner Wolfram, le rôle fétiche de l’artiste, dans un Tannhäuser qui résonne depuis comme anthologique. Devenu rapidement l’un des chanteurs wagnériens incontournables, Janssen fut dès lors invité sur la scène du Festspielhaus pour y incarner un Amfortas, un Gunther, un Donner ou un Héraut qui, à chaque fois, lui apportèrent l’adhésion immédiate du public.
Autour de ce chanteur d’exception naquit une interrogation : Janssen se serait pris d’enthousiasme (l’accusateur, aujourd’hui décédé, n’apporte aucune preuve et ne cite aucune source) pour le national-socialisme et aurait pris sa carte du parti nazi en 1937. Mais moins d’un an après (ce qui tend à discréditer cette rumeur), en 1938, Janssen demanda à Toscanini son aide pour l’aider à fuir l’Allemagne (il aurait refusé de dîner avec Hitler après une représentation à Bayreuth). Toscanini l’aida à fuir vers Buenos Aires, puis il fit suivre la même route à Erna Janssen. Toscanini invita d’ailleurs le chanteur à faire parti de la distribution d’un Fidelio qu’il devait diriger comme une provocation contre le régime avec un cast composé uniquement d’opposants au régime.
Après avoir fui à Buenos-Aires, Janssen se rendit aux Etats-Unis. Il fit ses débuts sur la scène de l’opéra de Philadelphie en 1939 dans le rôle de Wotan (Siegfried) puis fut engagé au Metropolitan Opera de New-York où il demeura jusqu’à sa retraite en 1952. Il avait en lui la rage de faire éclore la musique de Richard Wagner sur une scène débarrassée de toute compromission politique. Après la retraite de Friedrich Schorr en 1943, l’artiste osa s’aventurer dans des rôles qui ne convenaient pas à sa voix (Wotan, Hans Sachs). Mais il y avait une telle humanité que l’on pardonnait quasiment tout à cet artiste décidément exceptionnel.
Naturalisé américain en 1946, Herbert Janssen se retira de la scène en 1952 et se consacrera à l’enseignement du chant qu’il prodigua jusqu’à sa disparition en 1965.
NC
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