Cette section présente une série de portraits biographiques de ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’édification de l’œuvre wagnérienne. Des amitiés ou des inimitiés parfois surprenantes ou inattendues, des histoires d’amour passionnées avec les femmes de sa vie, parfois muses et inspiratrices de son œuvre, mais également des portraits d’artistes (chanteurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre…) qui, de nos jours, se sont “appropriés” l’œuvre du compositeur et la font vivre différemment sur scène.

MOTTL Felix

(né le 24 août 1856 – décédé le 2 juillet 1911)

Chef d’orchestre

Existe-t-il passion plus ardente que celle qu’éprouva Felix Mottl pour l’œuvre de Richard Wagner en général et pour Tristan et Isolde en particulier? C’est en effet pour la toute première représentation de Tristan au festival de Bayreuth (en 1886) que le chef – le préféré de Cosima – fut choisi. C’est Tristan aussi que Mottl dirigea le plus souvent – 100 représentations – avec en “apogée” la mort d’amour d’Isolde… et finalement celle de Mottl, au pupitre de l’opéra de Munich alors qu’il dirigeait justement cette 100ème représentation ! Tristan encore comme une évidence pour Mottl, dont la partition d’orchestre annotée par le chef est restée pour longtemps et par ses successeurs comme une vénérable Bible. Tristan enfin, dont Mottl orchestra les “études préparatoires”, à savoir les Wesendonck lieder et qui est encore de nos jours la version la plus communément jouée.

Felix Mottl naît à Unter Sankt Veil (aujourd’hui dans l’agglomération de Vienne) en 1956. Des doutes subsistent encore aujourd’hui sur son exacte date de naissance : 29 juillet, 24 ou bien 29 août. Après avoir suivi quelques cours de chant auprès du Löwenburg Konvikt (une école de musique rattachée à la Cour Impériale), le jeune musicien poursuit son apprentissage au Conservatoire de Vienne. Son maître n’est autre que l’illustre Anton Bruckner lui-même. La passion simultanée que le jeune Mottl développe pour le chant, le théâtre et la musique le conduit évidemment à l’opéra ! En parallèle à ses études, le musicien se rend chaque soir à l’Opéra, où l’on donne Mozart, Weber… et bien sûr Richard Wagner. C’est un coup de foudre immédiat et il se rêve dès lors dirigeant l’orchestre enflammé de Wagner ! Il découvre lors de ces soirées Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, donnés alors avec des coupures notoires dans la partition, ce dont s’indigne le jeune chef. En février 1873, le tout jeune Mottl qui n’a alors que dix-sept ans se joint à d’autres wagnériens pour fonder la première Société Wagner de Vienne. Le jour de Noël 1873, il s’offre – quel cadeau ! – la partitions d’orchestre de Tristan et Isolde… qu’il ne lâchera plus jamais ! Il se déclare lui-même “pris de passion” pour cette oeuvre emblématique de l’art wagnérien : il en devient “complètement fou” pour reprendre ses propres termes. Le 21 février 1875 quand Wagner arrive à Vienne pour donner un concert, Mottl avec d’autres enthousiastes (Bruckner parmi eux) “l’attend à la gare avec le cœur battant” et est “fou de joie de voir le merveilleux maître” ; quand Wagner l’invite à prendre le petit-déjeuner il “se sent comme un roi et salue ses connaissances dans la rue de haut en bas” (en français dans le texte). Le 2 mars 1876, le jeune musicien entend Wagner diriger Lohengrin en personne et évoque “le merveilleux pouvoir de suggestion de sa personnalité ainsi que la perfection technique de toute l’exécution. Ce fut une soirée merveilleuse”. C’est l’exécution que Mottl considérera plus tard comme un événement décisif dans sa vie.

Le 20 mai de la même année (1876) Wagner invite Mottl à venir prêter son concours aux répétitions pour l’ouverture du festival de Bayreuth ; Mottl y séjourne du 22 mai à la fin août. Le journal relate ce séjour en détail et inscrit au début de l’année 1876 ce commentaire : “L’année de Bayreuth ! C’est l’année capitale dans mon développement artistique, qui m’a marqué pour toute la vie. J’eus la joie d’être en contact personnel avec Richard Wagner pendant trois mois et d’apprendre tout ce qu’un étudiant enthousiaste peut apprendre du plus grand des maîtres. Tout ce dont ce je suis capable je le dois à cette période d’apprentissage à Bayreuth. À partir de ce moment je commence à considérer l’art comme le but principal de mon existence”.

Mottl est âgé de vingt ans à peine ; malgré sa très grande sensibilité à la musique de Wagner et malgré sa maîtrise dans la direction d’orchestre (les leçons de Bruckner ne lui auront pas été données en vain), il doit se résoudre, plein d’humilité, à la simple collaboration et la préparation d’orchestre que dirige Hans Richter pour les festivités de l’été 1876 (la création de La Tétralogie au festspielhaus de Bayreuth). Il devra attendre un peu plus longtemps pour recevoir les honneurs.

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Wagner, de son côté, garde un oeil attentif sur la personnalité et la carrière du jeune homme. A partir de 1881, ce dernier est nommé chef principal de l’Opéra de Karsruhe : Wagner ne peut que se réjouir d’avoir sur cette scène alors prestigieuse un tel ambassadeur. Une lettre datée du 1er mai 1882 témoigne de l’estime et de la confiance que Wagner place en ce jeune prodige qui de plus est son apôtre dévoué : “On me dit que vous allez monter Don Juan. Je m’en réjouis pour vous qui comprenez si bien Tristan et Isolde. Je crois que vous comprenez mieux que quiconque ce que c’est que l’amour. Vous avez développé dans mon Tristan et Isolde tant de beauté et de charme divin que je suis tout fier de pouvoir vous confier mes œuvres”.

Lorsque le Maître disparaît en 1883, Mottl a conquis toute sa confiance mais également celle de tout son entourage, Cosima en tête. Et quelle confiance fallait-il que la “veuve Wagner” ait dans les aptitudes du jeune musicien pour lui confier la direction de Tristan et Isolde au cours du Festival de 1886. Alors que le Festival commence à s’inscrire de manière pérenne, Mottl se voit successivement confier – fait unique dans l’histoire du Festival – toutes les oeuvres qui sont données au programme : Tannhäuser en 1891, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg en 1892 et Lohengrin, en 1894. Puis enfin vient Parsifal, en 1896. Comme le couronnement d’une carrière absolue à Bayreuth.

Fidèle à Wagner et à son œuvre partout où peut propager la bonne parole, l’apôtre Mottl est réclamé sur les principales scènes d’Europe comme le meilleur exécuteur des ouvres du Maître de Bayreuth : il est appelé partout, à Londres (1898-1900), en Belgique (en 1902, 1904 et 1907) ainsi qu’aux États-Unis (durant la saison 1903-1904). A l’occasion de ce voyage, il est indigné que le Metropolitan Opera de New-York puisse, selon la décision contraire de la famille Wagner, jouer la sacro-sainte messe qu’est Parsifal en dehors de ses murs créateurs, à savoir Bayreuth.

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A son retour des États-Unis, un froid s’est immiscé entre le chef d’orchestre à présent aguerri et Cosima. A l’atmosphère de Festival de Bayreuth Mottl préfère celle de l’Opéra de Munich dont il devient le chef attitré, créant de ce fait la légende durable d’une rivalité entre les scènes de Munich et de Bayreuth en ce qui concerne l’exécution des œuvres de Wagner. Mais, bien qu’éloigné du Festspielhaus, Mottl ne trahit en rien sa fidélité à l’œuvre du compositeur, multipliant les représentations. Jusqu’à l’extrême. Au cours de la représentation de la centième représentation de Tristan et Isolde qu’il dirige le 21 juin 1911, le chef s’évanouit, victime d’une attaque. Il décède dix jours plus tard à l’hôpital, le 2 juillet, après avoir épousé in extremis sa maîtresse de longue date, la soprano Zdenka Fassbender.
Pionnier de l’art de Richard Wagner, Mottl promut également l’œuvre d’autres compositeurs tels que d’Ernest Chabrier – dont il orchestra la Bourrée fantasque ainsi que Trois valses romantiques – ou bien encore d’Hector Berlioz, dont il dirigea la première des Troyens, sur la scène de l’Opéra de Karsruhe, en 1890.

 

NC

 

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