
Cette section présente une série de portraits biographiques de ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’édification de l’œuvre wagnérienne. Des amitiés ou des inimitiés parfois surprenantes ou inattendues, des histoires d’amour passionnées avec les femmes de sa vie, parfois muses et inspiratrices de son œuvre, mais également des portraits d’artistes (chanteurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre…) qui, de nos jours, se sont “appropriés” l’œuvre du compositeur et la font vivre différemment sur scène.
WAGNER Friedelind
(née le 29 mars 1869 – décédé le 8 mai 1991)
Fille ainée de Siegfried et de Winifred Wagner
(petite-fille de Richard Wagner)
Dramaturge et metteur en scène
Fille aînée de Siegfried Wagner et de Winifred, petite-fille à la fois de l’auguste Richard Wagner et du non moins célèbre Franz Liszt, Friedelind fut l’une des rares descendantes du compositeur à prendre ouvertement position contre les discours haineux et la politique barbare d’Adolf Hitler et à dénoncer la récupération idéologique par les nazis des œuvres – musicales et littéraires – de son grand-père. Ainsi exclue ipso facto du cénacle sacré de Wahnfried, elle ne put jamais vraiment trouver sa place dans une famille qui aurait sans nul doute préféré ne pas compter parmi ses rangs un élément aussi … “gênant” ! Souvent présentée – à tort – comme “le vilain petit canard” de la famille, Friedelind Wagner fut en fait une rebelle héroïque dont rien n’altéra l’esprit d’indépendance, malgré la précarité de sa vie, conséquence à la fois de ses choix de femme libre et des embûches semées sur son chemin par ses détracteurs.
Friedelind – dont le prénom signifie littéralement “le tilleul de la paix” – naît et grandit à Bayreuth dans l’Allemagne en débâcle des derniers mois de la première guerre mondiale. A Wahnfried (est-ce à cause de son caractère effacé ?), elle est “Die Maus” ou “Mausi” (“la souris”, “la petite souris”), celle qui se glisse furtivement et avec discrétion dans les ombres portées par les décors du Festspielhaus dans lequel elle grandit et évolue dès son enfance avec les autres membres de sa famille. C’est ce qui lui permet, dès son plus jeune âge (on ne naît pas “une Wagner” pour rien) de connaître à la perfection l’oeuvre de son grand-père et d’en devenir, plus tard, une ardente défenseur, particulièrement instruite et éclairée.
Pour tout accueil, elle sera confinée sur l’île de Man, au large de l’Angleterre, où l’on rassemblait sous étroite surveillance les “évadés suspects”, les ressortissants d’un pays en guerre avec le Royaume-Uni. Et le nom qu’elle porte, celui de son grand-père – qu’elle ne renierait pourtant pour rien au monde – ne plaide pas vraiment en sa faveur. Malgré toute sa bonne volonté et les colonnes ouvertement anti-nazies que la jeune femme rédige pour le journal “The Daily Sketch”, elle ne parvient pas à se faire accepter des britanniques, effrayés par la célèbre Cinquième Colonne.
Car rien ne parvient à leur faire oublier la proximité pendant un temps (un temps seulement, à cette époque, elle était, avec sa mère Winifred, l’“hôtesse de maison” de la Villa Wahnfried) de la jeune femme avec Adolf Hitler ; au cours d’une session du Parlement britannique, son sort est débattu. Doit-on croire ses paroles apparemment si sincères ? Est-elle une espionne à la solde des Allemands ? Finalement, jamais Friedelind ne sera librement accueillie au Royaume-Uni.
Outre ses appels à une opposition acharnée contre le régime nazi et un appel à la prise de conscience et la mobilisation collective, Friedelind peut à son aise renouer des liens d’amitié avec les anciens chanteurs de Bayreuth qu’elle avait côtoyés avant les années noires du IIIème Reich et qui, comme elle, ont émigré aux Etats-Unis… et triomphent sur la scène du Met, à New-York. Elle rédige son autobiographie qu’elle souhaite un témoignage et un testament pour les générations futures (NDA : le livre fut publié aux éditions Harper & Brothers en 1945, après guerre, sous le titre « Heritage of Fire »).
Friedelind pour autant ne renonce pas à Bayreuth, car c’est bien là qu’elle estime être sa place : pendant plusieurs années, la petite-fille du compositeur tient des masterclasses de musique au sein du Festival. Hors Bayreuth, Friedelind dirige une mise en scène de Lohengrin sur la petite scène du théâtre de Bielefeld en 1967.
En 1975, elle devient Présidente de la Société Internationale Siegfried Wagner (Internationalien Siegfried Wagner Gesellschaft) avec pour but de réhabiliter l’oeuvre – injustement – méconnue de son père. Elle participe également au “Ring du Centenaire” du tandem Boulez–Chéreau en 1976 en tenant le rôle d’“hostess” pour le film documentaire réalisé par Brian Large en marge des représentations du cycle et largement consacré au travail de metteur en scène.
Et comme son élève américain Michael Tilson Thomas est nommé assistant musical puis assistant chef d’orchestre du Festival, c’est finalement par la grande porte que Friedelind revient au Festspielhaus.
Au terme d’une vie passionnée et bien remplie, faite de combats, enivrée par la musique de son aïeul, Friedelind Wagner meurt en 1991 à Herdecke. Ses cendres sont dispersées selon ses dernières volontés dans les environs de Tribschen, en Suisse, là où son grand-père, Richard Wagner, avait vraisemblablement connu les meilleurs instants d’une vie également tourmentée. Qu’ils reposent désormais et à jamais tous deux en paix !
NC
Sources :
– Philippe Olivier : Wagner. Manuel pratique à l’usage des mélomanes (Hermann Musique, 2007)
– Eva Rieger : Friedelind Wagner, Richard Wagner’s rebellious granddaughter (The Boydell Press, 2013)
– Friedelind Wagner et Page Cooper : Heritage of Fire (Harper & Brothers, 1945)
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