L’œuvre musicale de Richard Wagner est composée d’opéras ou “drames musicaux” allant des “Fées” (Die Feen) à “Parsifal”. Une présentation détaillée de chacune de ces œuvres majeures est ici associée à un ensemble d’articles thématiques, replaçant celles-ci non seulement dans le contexte de sa vie personnelle mais également dans son contexte social, économique et culturel. Cette section regroupe également l’ensemble des œuvres musicales (hors opéra) et son œuvre littéraire.

LES DEUX GRENADIERS, mélodie sur un texte de Heinrich Heine WWV60

Les deux grenadiers (Bariton und Klavier), WWV60

mélodie sur un texte de Heinrich Heine
(composée en 1838-1840)
dans la traduction en français
de François-Adolphe Loève-Veimars

 

C’est un bien obscur chef d’orchestre, un directeur musical malchanceux, un compositeur de faible notoriété qui arrive à Paris en septembre 1839 après quelques périples dans les « provinces » de Wurzbourg, Magdebourg, Königsberg et enfin Riga. Son nom : Richard Wagner. Totalement inconnu dans la capitale, le jeune artiste ambitieux rêve d’un avenir des plus brillants : il n’a en effet pour but que de se faire reconnaître parmi ses pairs que sont Halévy, Meyerbeer, Bellini ou bien encore Rossini, c’est-à-dire se faire admettre parmi les compositeurs d’un genre qui fait fureur à l’époque : le « grand opéra à la française ».

Mais pour tout bagage, l’infortuné qui a quitté Riga et traversé une mer déchaîné pour rejoindre Paris n’a que quelques partitions autographes d’ouvertures peu concluantes ainsi que quelques projets d’opéra. Rienzi, troisième ouvrage lyrique du jeune homme, est celui que Wagner souhaite montrer au Maître qui fait alors autorité sur la scène lyrique parisienne et tient entre ses mains l’avenir de tout nouveau postulant au succès : Giacomo Meyerbeer.

Malheureusement, malgré son ardent désir de gloire et de reconnaissance, et bien que armé d’un talent particulièrement fécond, le jeune compositeur de vingt-six ans ne trouve que des portes qui se ferment malgré ses nombreuses tentatives. Meyerbeer lui-même (est-il conscient qu’il se trouve face à un réel génie et que celui-ci pourrait porter ombrage à sa propre carrière?) n’apporte pas à Wagner l’aide et le soutien que celui-ci escomptait.

Mais il faut bien vivre et entretenir le ménage misérable qu’il tient avec Minna, sa jeune épouse. Afin de subvenir à ses besoins, Wagner accepte de l’éditeur de musique  Moritz Schelsinger de lui fournir divers arrangements de la musique d’Halévy, Donizetti et Rossini : des extraits des opéras de ses « collègues » – ceux qui ont « réussi » – réduits pour petites formations orchestrales (notamment ces curieux arrangements pour cornets à piston WWV62A) et destinés à être joués dans les salons musicaux parisiens « à la mode » afin de faire connaître la musique de ceux-ci auprès du grand public.

Mais « du Wagner » à proprement parler, il n’y en a point. Tout du moins pas de musique publiée. Ni représentée. Car les projets de Rienzi et du Vaisseau Fantôme sont poliment refusés par la grande institution de l’Académie de Musique, l’Opéra. Le livret du Vaisseau Fantôme (écrit par Wagner pour l’occasion en français – un français assez approximatif) est finalement vendu … pour la somme de cinq cents francs ; en contrepartie de cette aumône, le compositeur s’engage à renoncer à proposer son projet à la scène de l’Opéra de Paris. Une lueur d’espoir – une seule – éclaire soudain le moral misérable du compositeur : le Théâtre de la Renaissance lui promet de monter l’un de ses opéras, La Défense d’aimer. Un opéra de jeunesse, une comédie, plus proche des vaudevilles que son ami Marion Dumersan, en charge de la direction du théâtre, propose régulièrement à son public. Hélas, l’infortune s’acharne sur Wagner lors de ce séjour parisien : le théâtre fait faillite et le projet, lui également, échoue lamentablement. Aucun moyen ne semble malheureusement propice à concrétiser les rêves de Wagner de se faire représenter à la scène.

L’argent manque toujours et c’est bien là ce qui, au-delà des prétentions artistiques du compositeur, le ronge au quotidien. Surtout qu’avec l’espoir né de représenter La Défense d’aimer, Wagner avait « vu grand ». Trop grand sans doute en louant cet appartement sur le Boulevard des Italiens.

Révisant son ambition à la baisse et quittant momentanément son espoir de se voir représenté sur une scène digne de son nom, Wagner s’attache à mettre en musique quelques écrivains français (des plus célèbres, avec Wagner on ne lésine pas sur le prestige de ses librettistes !) ; c’est ainsi que voient le jour plusieurs mélodies sur des textes de Ronsard (« Mignonne », WWV57 mélodie d’après le poème « Mignonne, allons voir si la rose » composée en 1839), Béranger (« Les Adieux de Marie Stuart », WWV61, mélodie pour soprano et piano composée en 1840), Reboul (« Soupir », WWV58 (« Tout n’est qu’images fugitives »), mélodie pour mezzo-soprano et piano composée en 1839) ou bien encore Hugo (« Attente », WWV55, mélodie avec piano composée en 1839 et « La tombe dit à la rose » (fragment), WWV56, mélodie également composée en 1839).

L’amitié que voue Richard Wagner au poète Heinrich Heine, un des habitués du cercle que tient le compositeur à son domicile, l’inspire également, et c’est le compositeur semble-t-il qui propose au poète de mettre en musique l’un de ses poèmes Les deux Grenadiers (Die Grenadiere ou Die beiden Grenadiere). En français naturellement, car Wagner poursuit son rêve de se faire (re-)connaître du public français. La traduction et l’adaptation en français du poème narrant l’histoire de deux grenadiers français capturés lors de la campagne de Russie et rentrant au pays en traversant l’Allemagne a pour père François-Adolphe Loève-Veimars. Bien qu’œuvre « de jeunesse », il s’agit sans doute avec ces Deux Grenadiers (qui porte le numéro 60 dans le catalogue WWV des œuvres musicales de Richard Wagner) de l’une des œuvres les plus personnelles et inspirées de cette période française du compositeur, celui-ci n’hésitant pas à la fin de la mélodie à introduire le thème de La Marseillaise qui sonne comme l’aboutissement du voyage des deux soldats ainsi que le retour dans leur mère patrie. Grave et sombre, cette pièce préfigure dans sa construction et son harmonie globale le récit d’un autre retour d’exil, celui de Tannhäuser, à l’acte III de l’opéra éponyme (« Inbrunst im Herzen »).

Publiée par l’éditeur Schlesinger avec une couverture portant un dessin d’Ernst Benedikt Kietz, autre ami de Wagner, la mélodie (d’une exécution d’environ 6’30) est composée pour voix d’homme, basse ou baryton.

Un autre compositeur, Robert Schumann, reprendra lui également le texte de Heine pour en composer une mélodie… cette fois-ci…. en allemand !

NC

Texte original de Heine (en allemand) :

Die Grenadiere

Nach Frankreich zogen zwei Grenadier’,
Die waren in Rußland gefangen.
Und als sie kamen ins deutsche Quartier,
Sie ließen die Köpfe hangen.
Da hörten sie beide die traurige Mär:
Daß Frankreich verloren gegangen,
Besiegt und zerschlagen das tapfere Heer,
 –Und der Kaiser, der Kaiser gefangen.
Da weinten zusammen die Grenadier’
Wohl ob der kläglichen Kunde.
Der eine sprach: Wie weh wird mir,
Wie brennt meine alte Wunde!
Der Andre sprach: das Lied ist aus,
Auch ich möcht mit dir sterben,
Doch hab’ ich Weib und Kind zu Haus,
Die ohne mich verderben.
Was scheert mich Weib, was scheert mich Kind,
Ich trage weit bess’res Verlangen;
Laß sie betteln gehn wenn sie hungrig sind, 
–Mein Kaiser, mein Kaiser gefangen!
Gewähr’ mir Bruder eine Bitt’:
Wenn ich jetzt sterben werde,
So nimm meine Leiche nach Frankreich mit,
Begrab’ mich in Frankreichs Erde.
Das Ehrenkreuz am rothen Band
Sollst du aufs Herz mir legen;
Die Flinte gieb mir in die Hand,
Und gürt’ mir um den Degen.
So will ich liegen und horchen still,
Wie eine Schildwacht, im Grabe,
Bis einst ich höre Kanonengebrüll,
Und wiehernder Rosse Getrabe.
Dann reitet mein Kaiser wohl über mein Grab,
Viel Schwerter klirren und blitzen;
Dann steig’ ich gewaffnet hervor aus dem Grab –
Den Kaiser, den Kaiser zu schützen.
Traduction française des Grenadiers 
 
Les deux Grenadiers
Longtemps captifs chez le Russe lointain,
Deux grenadiers retournaient vers la France;
Déjà leurs pieds touchent le sol germain;
Mais on leur dit: Pour vous plus d’espérance;
l’Europe a triomphé, vos braves ont vécu!
C’en est fait de la France, et de la grande armée!
Et rendant son épée,
l’Empereur est captif et vaincu!
Ils ont frémi; chacun d’eux sent tomber
des pleurs brülants sur sa mâle figure.
« Je suis bien mal » … dit l’un, « je vois couler
des flots de sang de ma vieille blessure! »
« Tout est fini, » dit l’autre, « ô, je voudrais mourir!
Mais au pays mes fils m’attendent, et leur mère,
qui mourrait de misère!
J’entends leur voix plaintive; il faut vivre et souffrir! »
« Femmes, enfants, que m’importe! Mon coeur
par un seul voeu tient encore à la terre.
Ils mendieront s’ils ont faim, l’Empereur,
il est captif, mon Empereur! … ô frère,
écoute-moi, … je meurs!
Aux rives que j’aimais,
rends du moins mon cadavre, et du fer de ta lance,
au soldat de la France
creuse un funèbre lit sous le soleil français!
Fixe à mon sein glacé par le trépas
la croix d’honneur que mon sang a gagnée;
dans le cercueil couche-moi l’arme au bras,
mets sous ma main la garde d’une épée;
de là je prêterai l’oreille au moindre bruit,
jusqu’au jour, où, tonnant sur la terre ébranlée,
l’écho de la mêlée
m’appellera du fond de l’éternelle nuit!
Peut-être bien qu’en ce choc meurtrier,
sous la mitraille et les feux de la bombe,
mn Empereur poussera son coursier
vers le gazon qui couvrira ma tombe.
Alors je sortirai du cerceuil, tout armé;
et sous les plis sacrés du drapeau tricolore,
j’irai défendre encore
la France et l’Empereur, l’Empereur bien aimé. »

 

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