L’œuvre musicale de Richard Wagner est composée d’opéras ou “drames musicaux” allant des “Fées” (Die Feen) à “Parsifal”. Une présentation détaillée de chacune de ces œuvres majeures est ici associée à un ensemble d’articles thématiques, replaçant celles-ci non seulement dans le contexte de sa vie personnelle mais également dans son contexte social, économique et culturel. Cette section regroupe également l’ensemble des œuvres musicales (hors opéra) et son œuvre littéraire.

LES MAÎTRES CHANTEURS DE NUREMBERG WWV96

Die Meistersinger von Nürnberg, WWV96

ANALYSE PSYCHOLOGIQUE ET VOCALE DES RÔLES

WALTHER VON STOLZING

(ténor héroïque ou heldentenor)
Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg

Création purement imaginaire sorti de l’esprit de Richard Wagner pour les besoins de son livret, Walther, de par son rang de chevalier-poète, est une sorte d’émule de Tannhäuser, son grand frère dans la création wagnérienne ; le héros préfigure également le personnage de Siegfried, devant affronter d’autres dragons (ceux de la confrérie des Maîtres chanteurs de Nuremberg), ou bien encore de Parsifal, jeune « chaste et fol » un peu perdu parmi les rangs d’une confrérie dont il ne comprend pas les règles.
Tout comme Siegfried et Parsifal d’ailleurs, Walther, au cours des trois actes de l’opéra, vivra une initiation « quasi-maçonnique » (voir « Richard Wagner était-il franc-maçon ? ») jusqu’à s’épanouir pleinement dans toute la dimension de son personnage et triompher des bassesses et médisances (incarnées par Beckmesser) à la toute fin de celui-ci.
Si l’on peut noter la présence du héros dans la toute première esquisse que Wagner rédigea pour Les Maîtres chanteurs au cours du séjour estival que Wagner passa en compagnie de son épouse à Marienbad en juillet 1845, le nom définitif de ce dernier prit plus de temps à prendre forme. Tout comme l’origine véritable de son nom reste encore aujourd’hui auréolée d’un certain mystère.
Dans la première esquisse en effet, celui-ci est simplement désigné par Wagner comme « le jeune amoureux », alors que Hans Sachs (le personnage historique, lui), véritable pilier fondateur autour duquel allait se construire l’action des Maîtres chanteurs est bel et bien nommé en tant que tel. Ce n’est que lorsque Wagner, après s’être perdu dans les brumes du Graal qui entourent Lohengrin et dans celles de Cornouailles qui encadrent l’action de Tristan que Wagner reprend son scénario initial en 1861. Une deuxième esquisse, composée sous l’inspiration de la muse qu’est Mathilde Wesendonck, et qui développe de manière un peu plus précise l’action mais également les personnages de ce que Wagner appelait encore son « Komische Oper » (opéra comique, une dénomination pour ces Maîtres Chanteurs qui devra perdurer jusqu’à peu de temps avant la création de l’ouvrage en 1868). Dans ce développement du scénario initial, les personnages nt à nouveau tous leurs noms propres (y compris, ceux des Maîtres, dont Wagner reprend scrupuleusement les noms historiques des personnages de la guilde originale), le « jeune amoureux », notre futur Walther, s’appelle désormais Konrad. Ce ne sera que dans la version définitive du livret que Wagner composera l’année suivante en 1862, que Konrad deviendra Walther von Stoltzing. Avec cette particule, Walther est anobli de la main de Wagner, baptisé ipso facto « chevalier-poète », ce qui n’est pas innocent car cela place le personnage de manière encore plus extérieure au petit monde de la confrérie des Maîtres ; Maîtres dans l’art du chant, certes, mais également de la corporation des métiers dont ils sont les représentants.
Si l’origine du nom « Stolzting » demeure encore énigmatique (si ce n’est qu’il pourrait évoquer la « fierté – « stolz : fier » » – voire l’arrogance du jeune homme), son prénom, Walther fait sans doute référence au Maître à penser du héros, le Minnesänger, Walther von der Vogelweide, un poète de l’amour courtois, personnage historique ayant bel et bien existé (1170-1230) et que l’on retrouve d’ailleurs, tout comme son auguste confrère Wolfram von Echenbach, dans l’action de Tannhäuser.

Ce « Maître spirituel » duquel le jeune Walther aurait appris l’art de la poésie – ce qui fait se gausser les Maîtres quand ils apprennent de qui ce jeune noble venu de nulle part tient son (NB : au moment de l’action des Maîtres Chanteurs, Vogelweide est mort depuis plus de trois siècles) – notre jeune Walther le nomme dès son air d’entrée (acte I : « Im stillen Herd ») non sans respect et déférence. Mais avec la certaine assurance (arrogance) qui le caractérise pendant toute la première partie de l’opéra : d’un tel Maître aussi auguste ne peut-il pas disposer du plus beau et du plus noble des chants ? Les choses se compliquent lorsqu’après avoir subi la longue énonciation des règles strictes du beau chant tel que l’entendent les Maîtres chanteurs (de Nuremberg, cette fois), le jeune homme de se voir mettre à l’épreuve et se lancer – toujours sans peur et sans reproche – dans son premier chant d’épreuve, sorte de test d’approbation quant à ses qualités à intégrer la confrérie des Maîtres. Fi donc des soi-disantes règles (castratrices pour le jeune homme des élans de la création poétique), celui –ci (premier chant de concours, acte I : « Fanget an ! So rief des Lenz in dem Wald ») de se lancer dans un bouillonnant – et magnifique – chant exaltant la nature et la liberté (de son chant !) caractéristique des ardeurs de la jeunesse de notre poète résolument en désaccord avec la rigidité de l’écriture poétique des sacro-saintes règles de la guilde.
Le résultat sera sans appel et notre chevalier, tout comme Parsifal à la fin de l’acte I, trouvera porte close à cet univers auquel il aspirait (certes, vaguement) mais qui ne veut pas de lui.
Après avoir échafaudé avec Eva les tentatives les plus folles d’évasion (et d’enlèvement de sa belle), c’est un Walther assagi que nous retrouvons au troisième acte. Il se plie, tel un étudiant studieux, à l’apprentissage prodigué par Hans Sachs, son nouveau Maître : le jeune cheval fou et impétueux s’est cabré et peut à présent se présenter au concours « dressé dans les règles de l’art ». En résulte son deuxième chant de concours (acte III : « Morgenlich leuchtend im rosigen Schein ») ; si Walther, à travers ce nouvel exercice public, n’a rien perdu de l’ardeur de sa jeunesse, il exprime sa flamme avec un phrasé quasi bel-cantiste, en hommage justement, à ce « beau chant » dont il s’est fait l’apôtre. Cette noblesse – qui est également celle de son rang – que l’on décèle dans son chant nouveau conquiert l’assemblée ravie.
Confié à un ténor lyrique (ou parfois heldentenor) aux accents bel-cantistes, le héros wagnérien qui fait la part la plus belle à la beauté du chant est sans doute le rôle le plus italianisant de tous les héros wagnériens. Et ce n’est d’ailleurs pas innocent si certains interprètes non aguerris d’habitude à la scène wagnérienne s’y sont risqués (avec plus ou moins de bonheur) : parmi eux, signalons Placido Domingo qui enregistra (Jochum, Berlin, 1976, DGG) le rôle. Bien avant lui, d’autres ténors légendaires tels Charles Kullmann, l’incontournable Max Lorenz (l’égérie du heldentenor rêvé par Hitler), Hans Hopf ou Wolfgang Windgassen nous laissèrent des Walther d’anthologie. Plus proche de nous, Ben Heppner et Klaus Florian Vogt triomphèrent récemment dans ce rôle sur toutes les scènes d’opéra les plus prestigieuses.

NC

Sources :
Des premières esquisses au texte définitif de la partition : les avatars du livret des Maîtres Chanteurs, Pascal Bouteldja in Wagneriana Acta, Cercle Richard Wagner de Lyon (1996)
Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, collection « L’Avant-Scène Opéra », n.279 (2014)
Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, commentaire d’Alain Poirier, Guide des opéras de Richard Wagner (Fayard, Les Indispensables de la musique, 1988)
– Dictionnaire des personnages (collectif, Robert Laffont éditeurs, Bouquins, 1992)

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