Lorsque Richard Wagner s’éteint en 1883, c’est tout un empire artistique et un royaume (celui de Bayreuth) qui menacent de s’écrouler. Conserver un temps comme une œuvre intouchable dans un mausolée, survivre à la disparition du compositeur … parfois même pour mieux y échapper : Cette section raconte l’histoire de l’aventure wagnérienne après la mort du compositeur jusqu’à aujourd’hui, des appropriations des plus douteuses aux créations contemporaines les plus intéressantes.
L’OEUVRE DE RICHARD WAGNER A LA CONQUÊTE DU MONDE
L’OEUVRE DE RICHARD WAGNER EN ITALIE
WAGNER ET WAGNERISME EN ITALIE
Les premières représentations wagnériennes en Italie
Richard Wagner de Bologne, à Florence, Rome puis Milan
Angelo Neumann et la tournée italienne du Richard-Wagner-wander-Theater
Wagner/s Verdi, du nationalisme au patriotisme
Défendre l’Italie de Wagner
par Jacques BARIOZ
L’Italie fut un lieu de séjour privilégié pour Richard Wagner, surtout dans les dernières années de sa vie il en appréciait particulièrement le climat, les paysages, mais aussi les oeuvres d’arts plastiques (Raphaël, Titien pour la peinture, Dôme de Sienne, Basilique Saint Marc pour l’architecture, etc.).
En revanche, le compositeur éprouva tout au long de sa vie des impressions et émit des jugements ambigus pour la musique italienne une sorte d’admiration/répulsion. Comment alors ses propres œuvres furent-elles accueillies par le public italien? C’est ce que nous allons voir en décrivant chronologiquement les premières historiques des opéras et drames musicaux de Wagner dans un pays, rappelons-le d’emblée, beaucoup moins centralisé que la France, son unité s’étant faite du vivant même du grand artiste.
En préalable à cette réception de Wagner en Italie, on pourra mentionner les réflexions du philosophe révolutionnaire Giuseppe Mazzini dans sa Philosophie de la musique de 1836, qui préfigurent curieusement les écrits théoriques de notre compositeur. Parmi les artistes « bohèmes » (« scapigliati ») de la mouvance mazziniennne, on comptera les premiers wagnériens, notamment les deux compositeurs, Arrigo Boïto et Franco Faccio. Notons aussi que l’éditrice de musique bolonaise, Giovannina Lucca, passionnément wagnérienne (elle avait assisté à des représentations à Vienne) acquit en 1868 les droits de publication pour l’Italie des oeuvres de Wagner, ce qu’avait refusé quelques années auparavant à Wagner le célèbre éditeur milanais Ricordi et qu’il dut amèrement regretter.
I. BOLOGNE,
1er novembre 1871 : LOHENGRIN
Il n’est pas étonnant que Lohengrin, qui se révélera vite l’oeuvre wagnérienne la plus représentée dans le monde, fut la première « première » en Italie ; et il n’est pas non plus étonnant qu’elle se soit déroulée à Bologne, par la conjonction de trois volontés, celle de l’éditrice Lucca, celle du maire Casarini, musicien et aux goûts avant-gardistes, et celle du directeur et chef d’orchestre du Teatro Comunale, Angelo Mariani, très ouvert aussi sur Wagner (depuis deux ans il mettait des pages de Wagner au programme des concerts), et ceci dans un contexte de rivalité Bologne/Milan qui n’est pas sans rappeler la rivalité Lyon/Paris…
Il ne faut pas oublier cependant que Rossini avait régné en maître absolu sur la vie musicale bolonaise les années précédentes. En ce qui concerne le chef Mariani, il a été fait état aussi d’une vengeance personnelle vis-à-vis de son ami Giuseppe Verdi. En effet celui-ci aurait séduit peu avant la fiancée de Mariani, et de là à penser que Mariani privilégiait dorénavant les oeuvres de Wagner par rapport à celles de son ancien ami (et que donc cela avait contribué à monter Lohengrin), il n’y avait qu’un pas que le petit monde de la critique musicale italienne franchit allègrement… Enfin le maire voulait frapper un grand coup culturel pendant la tenue à Bologne d’un congrès international de préhistoire. Ce qui pourrait faire dire que la préhistoire ne fait peut-être pas mauvais ménage avec la musique de l’avenir…
Le trio sus-indiqué, éditrice, maire, chef d’orchestre, accompagnés des responsables des décors et costumes, firent préalablement le voyage de Munich pour assister à une représentation exemplaire de Lohengrin. Puis l’intense travail de répétitions fut entamé. Prévenu par Mme Lucca, Wagner écrivit le 23 octobre de Tribschen une lettre – en français – d’encouragement au chef Mariani. Celui-ci, très flatté, lui répondit par retour de courrier et redoubla ses efforts de préparation.
Le 1er novembre, la foule se pressa au Comunale. Le succès fut pratiquement complet si l’on néglige quelques « Viva Verdi », « Viva Rossini ». Une attention silencieuse inaccoutumée, des applaudissements très vifs et nombreux du public, une presse très élogieuse si on excepte le papier de Licurgo dans La Gazzetta Musicale di Milano, comme par hasard organe officiel de l’éditeur Ricordi, vraisemblablement jaloux de sa consoeur Lucca. Les spectateurs étrangers reconnurent la valeur de l’exécution, comme en témoigne par exemple une lettre du peintre viennois Gustav Gaul à son ami Nilius, lettre conservée aujourd’hui au Musée Reuter d’Eisenach.
Le lendemain, Mariani reprenait sa plume pour écrire au vénéré maître allemand qu’il avait vécu une des plus belles journées de sa vie. Le 12 novembre, Richard Wagner lui répondit en lui adressant une photo signée de sa main : »Ewiva Mariani ». Auparavant, le 7 novembre, il avait rédigé « Une lettre à un ami italien » (Boïto, le traducteur du poème) louant le génie italien d’avoir aussi bien reçu son oeuvre. Le 22 mai 1872, jour de son 59e anniversaire et de la pose de la première pierre du théâtre de Bayreuth, Wagner écrivit à Mariani pour regretter son absence à cette manifestation.
Si le 2 novembre, Jour des Morts, les spectateurs furent un peu moins nombreux au Comunale, le succès ne se démentit pas pour les seize autres représentations.
A noter que Verdi vint de Busseto assister le plus discrètement possible à la représentation du 19 novembre, où se trouvaient aussi Hans von Bülow ainsi que Boïto, ce qui n’empêcha pas des « Evviva Verdi » quand il fut reconnu. Dans une correspondance à Ricordi, Verdi semble rongé de jalousie. Ce spectacle fut donné également trois soirées à Florence.
Pour couronner ce succès wagnérien à Bologne, la municipalité ajouta à la liste de quelques notables savants du congrès international de préhistoire à qui devait être conférée la citoyenneté d’honneur de Bologne, le nom de Richard Wagner. Le diplôme fut adressé à l’intéressé (« Votre Illustrissime Seigneurie« …) en août 1872 par une lettre de l’assesseur Malvezzi mettant en avant “le mariage entre le génie artistique de l’Allemagne et de l’Italie”. La réponse de remerciement de Wagner au maire de Bologne du 3 octobre (et non du 1er comme il est indiqué par erreur dans le tome XI de la traduction en français des Oeuvres en prose) mettait en valeur la « liberté » de jugement du public bolonais en l’opposant à l’incapacité du Français de comprendre ce qui n’est pas français. Ce qui contribua à renforcer la fierté bolonaise.
En Italie, hors de Bologne, cette création de Lohengrin marqua le point de départ d’une polémique, d’une scission dans les milieux artistiques; on parla d’une « déclaration de guerre au monde politico-culturel italien ».
Si l’on néglige les trois représentations exportées de Bologne à Florence immédiatement après, la reprise de Lohengrin en Italie se fit à la Scala de Milan en mars 1873. Les premières représentations furent houleuses, puis plus calmes à partir de la quatrième, et enfin la septième et dernière fut un fiasco interrompu au cours du deuxième acte. Wagner ne reparut à la Scala qu’en 1884 avec Rienzi.
La deuxième première représentation wagnérienne en Italie eut lieu à nouveau à Bologne dans une réalisation un peu précipitée, avancée de deux jours. L’ouverture, déjà connue au concert à Bologne, fut applaudie malgré un « Evviva Rossini », la fin du premier aae fut froidement accueillie, des mouvements divers accompagnèrent le deuxième acte et le « Retour de Rome » déclencha le vacarme, le tomber du rideau étant accompagné d’un concert de trousseaux de clés… Lapresse parla d’un fiasco, d’un coup de grâce à l’art allemand, d’une revanche des nationalistes. Cependant le chef Mariani tint bon et, avec quelques coupures et des prestations améliorées des solistes, la seconde représentation et les suivantes se déroulèrent à peu près normalement. Les opposants s’étaient avant tout organisés pour la première. A noter que Milan ne représentera cette oeuvre qu’en 1891 après Trieste, Turin, Rome, Naples.
Cette première, dans la traduction de Boïto, fut apparemment bien exécutée à la Fenice et accueillie favorablement par la critique, mais très froidement par le public, à part l’ouverture et le premier acte. Repris pour la clôture de la saison, Rienzi eut un insuccès encore plus marqué.
La reprise à Bologne, le 4 décembre 1876, doit être également évoquée puisqu’elle se déroula en présence de l’auteur. En effet, invité par le maire, Wagner accompagné de Cosima, fit le déplacement de Rome où il séjournait. Son entrée dans la loge fut saluée par un tonnerre d’applaudissements et il dut monter sur la scène dès la fin du premier acte. Le lendemain, un banquet fut organisé en son honneur ; on célébra la libertas et la fraternité des deux peuples, et Wagner exécuta au piano l’ouverture de Tannhäuser, puis le prélude de Tristan encore inconnu à Bologne. Il reçut ensuite les hommages écrits des artistes et du choeur.
II. BOLOGNE,
14 novembre 1877 : « IL VASCELLO FANTASMA » ou « IL OLANDESE VOLANTE »
Le Comunale devait être encore la première scène italienne pour cet opéra romantique. La salle était pleine à la première, avec beaucoup de critiques et de spectateurs venus d’ailleurs. L’accueil fut froid, et même moqueur à la scène finale, en raison d’une mise en scène ratée, quelque peu ridicule. La critique insista sur le principal protagoniste qu’est la mer dans la musique de cet ouvrage. Mais, comme pour Tannhäuser, avec des améliorations de mise en scène et une familiarisation des interprètes avec cet ouvrage, le public se montra plus satisfait dans les représentations suivantes.
Un autre chef d’orchestre et directeur du Théâtre Comunale de Bologne de 1879 à 1886, Luigi Mancinelli, fut un grand wagnérien. Il entretint d’ailleurs une correspondance avec Richard Wagner entre 1880 et 1882 sur la manière d’exécuter certains morceaux pour des concerts. Et, le 10 décembre 1882, le compositeur lui écrivit pour savoir s’il pouvait venir à Venise avec un orchestre de 40 musiciens afin d’interpréter, à l’occasion de «l’anniversaire de sa chère femme», sa Symphonie en ut Majeur composée cinquante ans auparavant. Mancinelli fut désolé de devoir décliner cette invitation à cause de sa charge de travail au Comunale dans le mois en cours.
En ce qui concerne Le Vaisseau Fantôme, il està noter que Turin, Florence et Rome le représentèrent avant Milan qui ne fit sa »première » qu’en 1893.
III. VENISE
les 14, 15,17 et 18 avril 1883 : « L’ANELLO DEL NIBELUNGO »
Cette première n’était en fait qu’une étape de la tournée européenne du théâtre d’Angelo Neumann; aussi bien, c’est un peu le hasard qui a donné au Ring comme premier port d’attache en Italie, Venise.
Rappelons que Neumann, directeur de l’opéra de Leipzig à partir de 1876, avait obtenu le droit d’y représenter dès 1878 le premier Ring en dehors de Bayreuth. Cefut un vrai succès qui poussa Wagner, ainsi mis définitivement en confiance (sa lettre à Neumann du 23 septembre 1878 le prouve), à lui renouveler ce droit en mai 1881 pour Berlin puis en mai 1882 pour Londres. Ainsi naquit le Théâtre Richard Wagner itinérant : un train spécial emportait les 70 musiciens, les 30 solistes, les 30 choristes, les 20 techniciens, deux chefs d’orchestre (dont Anton Seidl qui fit plus tard une carrière glorieuse aux Etats-Unis en imposant durablement l’oeuvre de Wagner). La tournée commença fin 1882 dans toute une série de villes allemandes, Amsterdam, Bruxelles (ou les voisins Français vinrent nombreux) ; le passage à Venise avait été déconseillé par Wagner lui-même en raison d’un public jugé par lui très retardataire.
Mais quelques semaines après la mort du Maître, le tenace imprésario arriva à conclure la suite du voyage en Italie. Cette première en Italie, en langue originale, aurait pu être un « four »: est-ce le respect dû au grand homme mort moins de deux mois avant dans cette ville, aux liens personnels que Wagner avait tissés ici, à un certain nouveau snobisme consistant à supporter calmement un art qui vous dépasse complètement ?
Toujours est-il que le public vint nombreux, sans humeur, applaudissant les scènes des Filles du Rhin, du premier acte de La Walkyrie, de la forge. La critique se montra plus sévère pour une oeuvre qui lui sembla sans véritable chant, sans morceaux d’orchestre, mais plutôt comme un dialogue continuel couvert par l’orchestre. II y eut cependant un problème avec Georg Unger, très fatigué dans le rôle de Siegfried. Par contre Seidl, le chef, et Kindermann, Brünnhilde, furent très applaudis. Retenons ce commentaire sur ce premier Ring :
« Qui va au théâtre pour se divertir, pour se laisser bercer par le flot de mélodies faciles, pour chiper un thème et le chantonner à la sortie, trouvera la musique de Wagner obscure, impossible, absurde, mais qui a une vénération sereine pour le beau, et place au dessus de tout l’idéal du génie, s’inclinera respectueusement devant un chef d’oeuvre sans égal« .
Le 19 avril après-midi eut lieu une cérémonie funèbre sur le Grand Canal devant le Palais Vendramin près de 400 gondoles et barques se pressaient pour entendre l’orchestre Wagner placé dans un splendide bateau interpréter la Marche funèbre du Crépuscule des dieux suivie d’un silence recueilli, puis de l’ouverture de Tannhäuser frénétiquement applaudie. En soirée, un concert au Conservatoire obtint un immense succès avec un bis pour le duo Elsa/Ortrud et le finale du prélude de Parsifal. La tournée du Ring du Wagner-Theater se poursuivit très rapidement à Bologne, le 21 avril (où régnaient et gouvernaient les wagnériens, comme l’écrivit un critique milanais), à Rome le 28 en présence du couple royal (avec une reprise de La Walkyrie à la demande de la reine Marguerite), à Turin le 8 mai avec un succès encore plus grand, et enfin à Trieste. Des raisons de calendrier empêchèrent de satisfaire la demande faite au dernier moment par la ville de Naples; quant à Milan, c’est le veto de l’éditrice Giovannina Luccaqui s’y opposa.
Ainsi la musique de l’Anneau résonna-t-elle en Italie bien avant la France.
Il convient de mentionner les premières en italien des différentes journées du Ring qui représentaient tout de même un effort plus méritoire que d’accueillir le Wagner Theater « prêt à consommer »: La Walkyrie en décembre 1891, Le Crépuscule des dieux en décembre 1895 tous les deux à Turin, Siegfried en décembre 1899 et L’Or du Rhin en décembre 1903 tous les deux à la Scala de Milan. Cette dernière eut quand même le privilège de créer les premiers Ring complets en italien en 1926 et en allemand en 1938.
Nous revoilà dans la Città Santa del wagnerismo. Succédant à Mariani et Mancinelli, le chef d’orchestre-directeur du Teatro Comunale, Giuseppe Martucci, fut lui aussi un wagnérien convaincu. On lui doit, ainsi qu’à la saison bolonaise de la Société universelle Richard Wagner, cette première présentation de Tristan en Italie qui se fit, non par hasard, en cette année du huitième centenaire de l’Université de Bologne.
Le triomphe des « wagnériens », ce soir-là, fut complet : même les « verdiens », après que leur maître se soit dit admirateur de la musique de Tristan, acceptaient cette musique étrangère. Mais la presse milanaise se partagea entre « pour » et « contre » : d’un côté, admiration pour »cette oeuvre sans conventions », « événement historique pour la culture musicale italienne », de l’autre, « exclusivisme partisan », « colères hystériques d’Isolde dans les cinq premières scènes, le plus long duo d’amour jamais écrit pour le théâtre avec son langage pornographique« , ou « opéra à récitatif continu sous une polyphonie continue de l’orchestre« . Par contre, résistent à toute critique : le prélude, les avertissements de Brangaine, le solo de cor anglais et la transfiguration d’Isolde. Le courage et la compétence du chef Martucci font également l’unanimité.
Près de vingt ans après, en 1907, la reprise suivante de Tristan à Bologne se fera à nouveau sous sa baguette. Pendant la dernière décennie du siècle, Martucci, par ailleurs président de la nouvelle Société wagnérienne bolonaise depuis 1893, dirigea de nombreux concerts dédiés à toutes les facettes du génie wagnérien. C’est aussi de 1893 à 1895 que cette association fera paraître une revue périodique, la Cronica wagneriana.
C’est enfin de Bologne et de Turin que venaient à Bayreuth les contingents italiens les plus importants.
Le poète Giosuè Carducci avait, après le concert donné le 13 mars 1883 à la mémoire de Wagner au conservatoire de Bologne, écrit à une amie : « La mort d’Isolde est, pour moi, supérieure à tout ce que j’ai jamais entendu en musique« , et après la création bolonaise de 1888, se déclara « wagnérien convaincu ».
IV. MILAN
26 décembre 1889 : I MAESTRI CANTON DI NORIMBERGA
Enfin une première italienne de Wagner à la Scala !
A cette date, elle n’avait représenté que Lohengrin et Rienzi. La critique musicale locale, bien que beaucoup plus ouverte à Wagner, estimait que le choix des Maîtres, partition de la dernière manière de l’auteur et au caractère spécifiquement allemand, semblait téméraire et prématuré pour le public milanais.
De plus, Franco Faccio, le chef d’orchestre pressenti, s’était rendu à Londres pour y étudier les Maîtres dirigés par Mancinelli (l’ancien chef du Comunale de Bologne de 1879 à 1886) : or, les commentaires des journaux berlinois et viennois avaient été critiques concernant la direction et la mise en scène à laquelle manquait « l’esprit allemand ». Cependant le succès vint et grandit au fur et à mesure des représentations.
Le public apprécia avec le Chant de concours ce qu’il considérait comme un retour à l’opéra d’antan; la bagarre du deuxième acte rappela le réalisme de Goldoni.
La reprise à la Scala eut lieu neuf ans après, sous la direction de Toscanini qui fut célébrée par la critique, bien que, contrairement à Faccio, il ne voulut pas entendre parler de coupures, ce qu’une partie du public parut ressentir comme une épreuve.
Bologne présenta Les Maîtres Chanteurs en 1904 seulement, après Turin, Rome, Venise, sous la direction incomparable, vibrante de Toscanini.
BOLOGNE
1er janvier 1914 : Parsifal
Comme tant d’autres villes en Europe, Bologne, la ville sainte du wagnérisme en Italie, profita au plus tôt de l’extinction des droits d’exclusivité de Bayreuth sur l’ultime drame wagnérien (fin 1913) pour le programmer dès le 1er janvier. Mais le théâtre Costanzi à Rome l’avait prévu également. Bologne avança donc la représentation à 15 heures pour être vraiment la première…
Le double centenaire Verdi/Wagner de 1913 avait été célébré, principalement bien sûr pour le premier en Italie. Mais dans la Gazetta del Popolo du 1er janvier 1914, Berta écrivait « Année de Verdi – s’appellera celle qui s’est achevée hier. Année de Parsifal – voici le nom que portera l’année commencée aujourd’hui« . Bologne se distinguait encore en préférant la mystique nordique à la « terrestrità » de Verdi, en programmant pour la saison 1913-1914 Lohengrin et Parsifal et seulement Les Lombards à la première croisade. Pour une partie de la presse conformiste italienne, ceci apparaissait comme une provocation anti-nationale.
Beaucoup de spectateurs de cette première avaient eu en mains une plaquette de Bassi, véritable propédeutique, initiation à cette nouvelle religion, ou bien l’opuscule édité spécialement par l’administration du théâtre Comunale, où l’on mettait en valeur la compassion permettant le passage de l’ignorance à l’omniscience. Le texte se terminait par un éloge de la musique « Le tissu harmonique y est d’une transparence et d’une fluidité, les couleurs instrumentales d’une fusion et d’une douceur qui s’apparentent au rêve et à la vision« .
La représentation fut semble-t-il remarquable. Un critique écrivait “l’entreprise qui frisait l’impossible, l’inaccessible, est un succès triomphal”. « Interprétation inoubliable du chef Rodolfo Ferrari ». Le ténor Borgatti, qui s’était fait une spécialité des rôles wagnériens, notamment sous la baguette de Toscanini à la Scala (Siegfried, Tristan, Loge) trouva dans Parsifal son interprétation la plus exaltante. La Kundry russe, et bolonaise d’adoption, Elena Rakowska, fut une Kundry à la même hauteur.
Les autres représentations, de Rome, 1er janvier aussi, direction Edoardo Vitale, de Milan, 9 janvier, direction Tullio Serafin – un critique musical bolonais jugea cette production catholique et latine par opposition à celle de Bologne chrétienne et universelle – et enfin de Florence, en mars, furent également de grands succès.
Voici deux extraits de la presse de cette époque.
Le premier: « C’est la seule musique vraiment sacrée qui soit apparue en Europe après Palestrina et après Bach (…) Cette religiosité n’est pas un signe de décadence comme l’a cru Nietzsche. La nature de Wagner, mystique et sensuelle à une époque, comme elle nous apparaît dans Tannhäuser, lutte tragique et éternelle entre l’esprit et la chair, s’est pour ainsi dire polarisée en deux oeuvres : dans Tristan (le tourment de la passion) et dans Parsifal (la béatitude de la libération)« .
Le second : « Aucune autre oeuvre de Wagner n’a obtenu un succès semblable à celui de Parsifal et l’histoire musicale présente peu d’exemples d’une partition qui, en un laps de temps aussi bref, et dans un nombre aussi considérable de théâtres, ait obtenu une série aussi importante de représentations et attiré un aussi large concours du public« .
En conclusion, on peut constater que Bologne fut sans conteste, à la fin du fin du XIXe siècle – début XXe, la ville la plus wagnérienne d’Italie si l’on en juge par le nombre de créations. Certes, celle de Parsifal le fut, on l’a vu, d’extrême justesse, mais à l’inverse, si le Ring itinérant de 1883 n’a pas commencé sa tournée italienne par Bologne, c’est uniquement en raison de l’itinéraire géographique suivi…
Bologne n’aura été vraiment en retard que pour Les Maîtres Chanteurs. C’est un critique musical florentin qui, par moquerie, appela Bologne la ville sainte du wagnérisme : « Ces wagnériens bolonais se sont fabriqué leur paradis avec la musique de Wagner, ici on vit béat dans la contemplation de Dieu« . Bologne, par la suite, est restée fidèle à son citoyen honoraire, avec par exemple les festivités du centenaire de Lohengrin en 1971, occasion d’une grande exposition sur Richard Wagner.
D’une manière générale, on peut aussi constater que l’Italie a devancé la France pour les premières représentations wagnériennes. Ce fut le cas pour Lohengrin, Le Vaisseau Fantôme, l’Anneau intégral en allemand, (et pour les journées séparées de la Tétralogie, Siegfried et Crépuscule), Tristan, les Maîtres Chanteurs et Parsifal. La France ne l’a devancée que pour Tannhäuser (dans les conditions que l’on sait !), Rienzi, L’Or du Rhin, La Walkyrie et le Ring en traduction.
JB in WAGNERIANA ACTA 2002 @ CRW Lyon
SOURCES DOCUMENTAIRES :
– Rostirolla (Coll.) : Wagner in Italia – Edit. ERI – Torino 1982
– Large & Weber : Wagnerism in European Culture and Politics – Cornell University Press (USA) 1984 – (Chap. 4 : Wagnerism, Wagnerians and Italian Identity)
– D. della Porta : Il fenomeno Wagner – Fogola Edit. Torino – 1983
– Diverses biographies (Gregor-Dellin, Newman, Gutman)
Vous souhaitez apporter des informations complémentaires et ainsi enrichir cet article, contactez-nous !