Le propos du texte qui suit, à savoir le récit de l’aventure hors du commun qu’Angelo Neumann entreprit d’effectuer à travers l’Europe à bord de son « théâtre itinérant » (- principalement entre 1881 et 1883 -) a fait l’objet d’une communication au cours du Séminaire annuel du Cercle Richard Wagner de Lyon, le 26 novembre 2017. Il est ici présenté dans son intégralité originale. Outre les travaux de recherches de l’auteur, basés essentiellement sur les écrits biographiques de Neumann, sur ceux de Richard Wagner et de son entourage, tout comme ceux des personnalités qui prirent part à l’aventure du producteur ainsi que des témoins de l’époque. Cette communication présente également des extraits de textes de Paul Souday, ainsi que des « souvenirs de scène » vécus par l’artiste lui-même – relatés dans son récit de mémoires Souvenirs sur Richard Wagner – fruits des recherches de Luc Roger et présentés sur le blog de celui-ci – cf infra.
Fascinant personnage qu’Angelo Neumann !
Un homme au caractère tout aussi passionné et impulsif que sa carrière fut des plus originales … et des plus accomplies, poussant notre homme, initialement prédestiné à devenir médecin à endosser tous les costumes des métiers du spectacle… ou presque ! De chanteur d’opéra, baryton de la troupe du prestigieux Opéra de Vienne, à directeur de théâtre, impresario et … producteur.
Car Angelo Neumann est de ceux que l’on ne croise jamais là où on l’attend. Ou plus exactement, il est là précisément où on ne l’attend pas. Ainsi, après s’être mis sa famille à dos pour tenter sa chance en étudiant le chant avec pour rêve de briller sur les plus grandes scènes lyriques internationales, Neumann, devenu enfin membre honoraire de l’une des scènes les plus réputées au monde, ne recule devant aucun défi et, du jour au lendemain, décide d’abandonner les planches pour se consacrer aux fonctions de la direction artistique et administrative d’un théâtre lyrique, en l’occurrence celui de Leipzig.
Mais le personnage fascinant d’Angelo Neumann reste – et restera – pour toujours attaché à celui de Richard Wagner. Un compositeur que l’homme de théâtre reconnut dès ses débuts sur scène comme un génie de la musique et de la scène à qui il voua une passion sans borne et dont, en apôtre et disciple dévoué, il allait participer à la reconnaissance de son œuvre à travers l’Europe toute entière.
A une époque où ni les médias d’aujourd’hui ni internet ne pouvaient servir à participer à la notoriété d’un compositeur et de sa création artistique, cet ancien chanteur devenu impresario puis producteur fut en quelque sorte l’un des pionniers de la communication relative à la création artistique et musicale de son temps.
Et pour tout « support de communication », pas de plaquette publicitaire, encore moins de disque ou d’enregistrement (qui – est-il nécessaire de le rappeler – n’existaient pas même à l’époque), un train, oui, un train, avec wagons et locomotive, un train « tout simplement », avec à son bord décors, costumes, chanteurs solistes, choristes, un orchestre et ses musiciens… et toute une ménagerie composée de chevaux, de béliers… et même d’un dragon !
Et, bien le plus précieux entre tous, une partition, celle des quatre soirées de La Tétralogie de Richard Wagner, que notre homme, wagnérien de la première heure, apôtre des plus dévoués, allait révéler au public d’une Europe allant de Londres à Saint-Pétersbourg – souvent incrédule – à bord de son expédition de fortune, baptisée le « Richard Wagner Traveling Theater ».
C’est le récit de cette extraordinaire aventure que je me propose de vous livrer aujourd’hui au cours de cette communication.
UNE AVENTURE HORS DU COMMUN
NÉE DE … DÉBOIRES FINANCIERS À BAYREUTH
Afin de comprendre le contexte dans lequel cette folle aventure débuta, je vous demanderai de bien vouloir effectuer avec moi – par la pensée du moins – un voyage ainsi qu’un retour en arrière.
Nous sommes à Bayreuth, le 30 août 1876.
Le troisième cycle de La Tétralogie vient de s’achever sur la scène finale du Crépuscule des Dieux au Palais des Festivals.
Depuis le 13 août, date à laquelle s’ouvrit le tout premier Festival avec le Prélude de L’Or du Rhin (du premier cycle), une ambiance de liesse générale règne autour de Richard Wagner, non seulement compositeur d’une musique enfin reconnue par l’intelligentsia quasi-européenne, mais également auteur d’un livret qui n’a pas manqué de séduire les représentants (présents) d’une Allemagne divisée en quête de ses origines et qui cherche à se trouver une histoire commune, tout comme le créateur d’un spectacle qui – à grands renforts de trouvailles scéniques – a signé là ce que quasiment tous se sont accordés à reconnaître comme une expérience à part, à vivre « à part » et dans un lieu… « à part » !
Bref à l’exception et l’exceptionnel, la foule des invités – et des souscripteurs à cette production hors du commun dans l’histoire de l’art en ce sens qu’il s’agit, avec La Tétralogie de Bayreuth, du premier spectacle produit grâce aux dons de spectateurs qui ont payé leur billet des années à l’avance – la foule répond donc par un enthousiasme sans réserve.
Richard Wagner, cet obscur compositeur et homme de théâtre souvent honni, peut enfin regarder ses semblables la tête haute : alors que nul – ou presque – ne croyait en son aventure de « festival tétralogique représenté dans un théâtre conçu et errigé de nulle part pour l’occasion », le créateur des aventures de l’Anneau du Nibelung a, semble t’il, remporté son pari. Il a gagné.
Et comme avec Wagner – et chez Wagner – on ne fait rien dans la demie mesure, l’enthousiasme des bravos à n’en plus finir qui ont salué ce troisième Crépuscule des Dieux et qui signe la fin du Festival de 1876 se poursuit par des banquets somptueux et de non moins élégantes réceptions.
Oui, mais…
Oui, mais si l’on observe la genèse de ce qui fut sans aucun doute l’ « Œuvre de la vie » d’un homme, cette Tétralogie de Wagner, depuis ses débuts – à savoir la conception de la représentation de ce festival unique et hors du commun,
Nous sommes loin, très loin, en cette fin d’été 1876 particulièrement festif tout au long de ce mois d’août qui aura vu naître non pas UN cycle tétralogique, mais pas moins de TROIS – il faut bien récompenser par des places de spectacles les mécènes fondateurs de cet événement musical à souscription, raisons économiques oblige – des toutes premières aspirations de l’artiste concernant les représentations de « son Oeuvre ».
Très loin de ce que Wagner « avait en tête » à l’origine, soit lorsque pour la première fois lui vint l’idée de bâtir le concept d’un événement exceptionnel, autant théâtral et musical que (démonstration) social et culturel autour de la mort de Siegfried.
Et pour cause.
Car – est-il besoin de le rappeler ? –
Dans l’idéal wagnérien de la première heure, à celles même où il concevait son Palais des Festivals et la représentation de ce spectacle unique dans l’Histoire de la Musique, quasiment en même temps qu’il composait texte et musique de cette Œuvre hors normes,
Dans cet idéal de la première heure dans lequel Wagner écrivait, composait, noircissait des pages d’encre à la même table à laquelle Friedrich Nietzsche, porté par une verve quasi commune de ramener les peuples à ses origines, parlait à notre compositeur des Origines de la Tragédie.
Dans cet idéal donc, le spectacle que Wagner aurait dû donner à ses fidèles aurait dû – je cite de mémoire – « n’être donné qu’une seule fois dans un théâtre éphémère construit de bois et de paille à l’issue duquel on aurait … brûlé le théâtre ainsi que la partition » (en une sorte d’apothéose grandiose de ce « happening » avant l’heure !)
Mais depuis les heures « de jeunesse » qui berçaient notre artiste un brin rêveur, les choses ont bien changé. Le Palais des Festivals – heureusement pour les spectateurs du XXIème siècle que nous sommes – est bien toujours là, érrigé sur cette colline sacrée avec ses solides briques rouges. Et en 2017 on joue le Ring… de San Francisco à Sydney, la partition ayant traversé les affres du temps sans une ride.
Car dès 1876 Richard Wagner, concepteur d’un spectacle certes unique, a dû se rendre à l’évidence… ainsi qu’à la réalité des choses.
D’ailleurs n’a t-il pas « égratigné » ses propres règles dès la première édition du Festival non seulement en donnant trois cycles successifs de son œuvre à l’issue des représentations mais en déclarant publiquement – pour reprendre l’une de ces célèbres phrases (déclarations) – « L’an prochain, nous ferons tout autrement ».
En pensant, insatisfait que notre Génie de la musique et du théâtre était des premières représentations de son œuvre pensée « pour tout sauf pour la scène », « remanier » non seulement la production en elle-même mais également semble t’il certains passages du livret ainsi que de la musique dont il était peu convaincu lui-même en vue d’une édition (voire de plusieurs) ultérieure du Festival… N’y a t’il pas là… plus qu’un simple « coup de canif dans le contrat » ?
Wagner et sa Tétralogie semblent s’orienter vers une autre définition : un spectacle unique dont on réitèrerait régulièrement les représentations. Et cela, en son Temple, au Festspielhaus de Bayreuth, naturellement.
Si le fait peut nous sembler anodin, il est pourtant d’une importance capitale dans la création wagnérienne, car quel chemin l’œuvre d’une vie a t’elle parcouru dans l’esprit de son géniteur ! Et Wagner allait bientôt encore évoluer – ou peut-on déjà dire « devoir évoluer » – dans la dimension qu’il donnerait son Œuvre.
Nous sommes à présent le 9 septembre 1876, toujours à Bayreuth.
Après l’excitation, l’euphorie et allégresse qui ont enflammé tout l’été le Palais des Festivals, la villa Wahnfried ainsi que toute la petite ville de Bayreuth, l’ambiance est plus morose.
Les derniers amis (Judith Gautier, Franz Liszt, Mathilde Maier entre autre…) viennent de quitter la ville ; tout le monde rentre chez soi. Si Richard Wagner rumine dans son coin sur les imperfections de mise en scène de son spectacle, maudissant les merveilles d’ingéniosité théâtrales de Carl Brandt, le « technicien du Ring » ou bien encore sur les inexactitudes de tempi dans la direction de Hans Richter, rêvant sans doute à de prochains Festival à venir, il y a plus grave à affronter dans les prochaines heures de ce début d’automne.
Car l’heure des comptes de la grande fête wagnérienne de l’été 1876 de sonner. Et ce son n’a rien d’un carillon de renaissance ou d’espoir ; il a bien plutôt tout l’aspect du glas.
On le sait, c’est une catastrophe absolue : le Festival se solde par un déficit catastrophique qui s’élève pour le moment à 148.000 marks. Cosima notera ce jour même dans son Journal : « Richard très triste, il dit qu’il voudrait mourir ».
Lorsque la nouvelle tombe (et ce n’est là que la confirmation de ce que l’on pressentait – Wagner lui-même y compris sans aucun doute -), à Wahnfried on repousse aux calendes grecques l’espoir de la productions de nouveaux Festivals, de nouveaux spectacles, ou même encore la création de nouvelles œuvres. Et pourtant, dans les cartons qui sont adossés au piano du salon, Parsifal attend. Sous forme de premières esquisses, d’ébauches. Mais nul doute que Wagner caressait discrètement l’espoir de donner Parsifal sur la scène de son théâtre à Bayreuth. Avec naturellement la même exclusivité qu’il destinait à son Ring. A œuvre unique, scène de théâtre unique.
Mais on l’aura compris, le moral est au plus bas. La famille Wagner décide de prendre du recul sur la situation catastrophique qui les mine en entamant un grand périple en Italie durant tout l’hiver 1876-77.
Avant de partir de Bayreuth, Richard Wagner avait bien reçu la visite de ce jeune homme si enthousiaste, du nom d’Angelo Neumann. Que doit-il en penser ?
Car ce même Neumann qui partage la direction de l’Opéra de Leipzig – ville natale du compositeur – avec son ami August Förster ne lui a t’il pas proposé de racheter une partie des droits sur les quatre soirées de La Tétralogie sous forme de royalties contre l’autorisation expresse de la main de Wagner de faire représenter le cycle sur la scène de son théâtre ?
Sans doute (mais ce n’est qu’une hypothèse que nous formons là) Wagner est-il touché par l’idée de se voir représenté lui et son œuvre sur la scène du théâtre de la ville qui l’a vu naître ; il sait par ailleurs que la scène de Leipzig, qui jouit d’une très bonne réputation a toutes les capacités à donner dignement son œuvre. Dans des conditions convenables de représentation pour le Maître, du moins.
Mais n’est ce pas là donner un « nouveau coup de canif » à son contrat moral personnel concernant la destinée de SON Ring ? Et d’abord, qui est donc cet Angelo Neumann ?
ANGELO (Josef) NEUMANN
QUELQUES ELEMENTS BIOGRAPHIQUES
Angelo Neumann est un pur produit de l’Empire austro-hongrois.
Notre homme est issu d’une famille juive habitant la petite ville de Strampffen au nord de Bratislava, et dans laquelle il voit le jour le 18 août 1838. Il porte alors le prénom de Josef que lui donnent ses parents, dans un environnement familial fort empreint de culture religieuse.
Peu de temps après sa naissance, la famille déménage à Vienne. Un bouleversement, sans aucun doute, pour le tout jeune garçon dont le changement de cadre de vie est l’une des conséquences majeures et inéluctable suite à la disparition du chef de famille. Ce père que craignait le jeune garçon, un homme au caractère si affirmé que l’on n’aurait su ni renier l’autorité, ni même oser provoquer cette dernière.
Pour tout testament, et hormis quelques biens, le père a exprimé à son fils sa volonté que celui-ci devienne médecin. Reconnaissant à ses parents de lui avoir pourvu une éducation sérieuse dans les meilleures institutions locales, le jeune homme, obéissant, cède au désir de ce père qui veut faire de lui un scientifique. Et comme une telle carrière se doit à l’époque d’être préparée sur les bancs des meilleures facultés de l’empire austro-hongrois, c’est tout naturellement que la mère de Josef inscrit celui-ci à la prestigieuse Université de Vienne. C’est avec une certaine application que le jeune homme entame ses études de médecine sur les bancs de la prestigieuse capitale.
Mais c’est sans compter sur l’âme bohème et l’esprit d’artiste de « Josef-futur Angelo ».
A Vienne, l’étudiant découvre la vie mondaine… et l’opéra. C’est un coup de foudre immédiat pour le jeune homme. Qui se rêve déjà artiste. Chanteur lyrique, justement. En cachette, le jeune étudiant en médecine prend des cours particuliers de technique vocale et d’interprétation avec la célèbre pédagogue vocale viennoise Thérèse Stilke-Sessi. Cette dernière ne tarde pas à déceler en notre homme un futur grand talent. Et l‘incite à renoncer à une carrière scientifique au profit d’une carrière d’artiste lyrique. Car il en a assurément le talent. Outre sa voix au timbre affirmé de baryton, Neumann a ce don inné de la présence scénique et on lui reconnait assez vite un certain charisme. Audacieux, volontaire et d’une optimiste jovialité qu’il sait transmettre à son auditoire, Neumann, sans nul doute, saura se faire apprécier du public.
C’en est décidé : contre l’avis de sa famille qui ne voit résolument pas d’un bon œil ces élans artistiques et ces rêves de gloire, Josef – qui pour l’occasion prend le nom d’artiste d’ « Angelo » aux consonances moins judaïques – Neumann sera… chanteur d’opéra ! C’est ainsi que Josef, devenu « Angelo » Neumann, fait officiellement ses débuts en tant que chanteur en 1859, sur les – modestes – scènes de la province de l’Empire que sont Cracovie, Ödenburg et Dantzig. En 1860, notre homme, contrairement à l’ensemble de sa famille, peu sensible à la chose religieuse – voire conscient qu’une appartenance trop marquée à la religion juive de ses parents pouvait à terme constituer un frein au développement de sa carrière artistique – se convertit et devient catholique.
Moins de deux années après, on retrouve notre baryton-basse sur la scène du théâtre de la Cour de Vienne, cette fois, où l’artiste déploie ses talents de chanteur et de comédien dans les seconds rôles d’un répertoire particulièrement impressionnant par sa variété (et sur près de 1.000 représentations).
Mais s’il est un choc qui à jamais marquera la carrière de notre artiste, c’est bien celui qu’il éprouve au cours des répétitions de Tristan et Isolde au cours de la saison de 1862. De cette envoûtante expérience, il retiendra le regard perçant du chef qui exige de l’orchestre et des chanteurs qu’ils se dépassent. Non : qu’ils se surpassent : il ne s’agissait pas moins que du compositeur de l’ouvrage lui-même, Richard Wagner ! Un Richard Wagner, en ces années difficiles que furent les années passées à Vienne (1859-1864), qui peine à trouver des interprètes à la hauteur de son œuvre, une partition réputée « impossible », « inchantable », et qui vit dans la plus parfaite incompréhension de ses contemporains ainsi que la précarité la plus extrême.
Neumann révéla d’ailleurs quelques années plus tard à travers les pages de ses Souvenirs sur Richard Wagner que lorsqu’il logeait dans un hôtel modeste, il entendait dans la chambre jouxtant la sienne « craquer les chaussures » d’un Wagner qui maugréait après la terre entière de ne rien comprendre à « son Tristan ». Et quel honneur pour Neumann, déjà tout à fait sous le charme du compositeur… que de régler lui-même la note de l’hôtel que le compositeur ne pouvait honorer !
Bien que le projet de Tristan ne vit pas le jour sur la scène de l’Opéra de Vienne, le jeune Neumann fut de toutes les répétitions et, très rapidement, devint un ardent wagnérien de la première génération. D’ailleurs, le chanteur multiplia ses apparitions dans les (petits) rôles des œuvres de Wagner sur la scène viennoise : le Veilleur de nuit dans Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg et Cecco de Veccio dans Rienzi. Et lorsque Wagner revint dans la capitale autrichienne, quelques années plus tard, en 1875, cette fois-ci dans toute sa gloire, à l’occasion des nouvelles productions de Tannhäuser, puis de Lohengrin, Neumann était également toujours présent, et plus que jamais captivé par le charisme du compositeur de génie.
Malade, Neumann sait qu’il devra bientôt renoncer à envisager une très longue carrière sur scène en tant que chanteur. Pour autant, il ne renoncera pas à l’univers du théâtre, ni à celui du spectacle. Plus sur les planches des théâtres d’opéras, mais aux commandes de ceux-ci. En effet, Neumann, depuis ses débuts d’artistes a réussi à se forger une solide et honorable réputation dans le milieu du théâtre lyrique. C’est ainsi que notre homme est appelé à diriger aux côtés d’August Förster, en 1876, année du premier Festival de Bayreuth, l’Opéra de Leipzig, la ville natale de Richard Wagner. Et naturellement, quoi d’autre qu’un opéra de Wagner pour ouvrir sa première saison en tant que directeur d’opéra ?
Ce sera Lohengrin que le nouveau directeur de théâtre, à présent commandant à la barre de son vaisseau, dirige et demandera à produire sur sa propre scène.
PREMIERES RENCONTRES D’UN MAÎTRE AVEC SON DISCIPLE,
POURPARLERS SANS FIN
ET « TEMPÊTE SOUS LE CRÂNE »… DE RICHARD WAGNER !
A l’occasion du premier Festival de Bayreuth de 1876, le Théâtre de Leipzig avait acquis un certificat de patronage qui permit ainsi à nos deux co-directeurs de Leipzig, August Förster et Angelo Neumann, d’assister chacun à l’intégralité du cycle de La Tétralogie au Festspielhaus de Bayreuth. August Förster est le premier à effectuer le voyage.
A l’issue du premier cycle dont il est l’un des spectateurs privilégiés, Förster rapporte à son confrère – dont il connaissait le désir (à peine) caché de faire représenter les quatre soirées du Ring « chez eux », à Leipzig – la phrase suivante : « C’est absolument injouable, peut-être la Walkyrie, et encore… Mais les trois autres : impossible ! » Il en faudra plus pour éprouver et faire renoncer Angelo Neumann qui assiste au deuxième cycle. C’est un choc artistique qui le dépasse plus encore que les précédentes « révélations » qu’il avait eu l’occasion d’éprouver lorsqu’il découvrit Lohengrin ou bien même Tristan. Car à l’émerveillement causé par la musique de Wagner, s’ajoute l’incroyable réalisation technique dont le compositeur-metteur en scène a su faire preuve sur sa propre scène de Bayreuth. Et le directeur de théâtre, toujours débordant d’optimisme et bien loin de l’effarement et des réserves de son collaborateur, de s’écrier : Wagner est pour lui le « plus grand réalisateur de tous les temps ».
Pour autant, notre homme, fort aguerri de par son métier aux difficultés de la scène et notamment – et surtout – à la transposition d’un rêve idéalisé par son géniteur-compositeur sur une scène pour être présentée à un public du XIXème siècle déjà rompu aux artifices les plus modernes dont usent (et abusent) les concepteurs de spectacles de théâtre et d’opéra, n’oublie jamais de conserver un œil critique sur ce qu’il voit.
Aussi, si avec la première soirée, L’Or du Rhin, la découverte de l’univers si particulier dans lequel Wagner plonge son auditoire à Bayreuth opère par son charme, le séduit immédiatement et le mène à rêver, Neumann de déclarer que « le tableau de l’incantation du feu » (dans La Walkyrie) « était complètement raté », là même où il salue la prouesse des décorateurs pour rendre presque réelle la rusticité de la cabane de Hunding ou bien encore les efforts d’ingénierie, cette fois réussis, développés par Carl Brandt dans Siegfried pour la scène qu’il appellera dans ses mémoires « de la transformation du feu ».
En cette période fort mondaine à Bayreuth, la petite ville de Franconie est à la fête. Car elle reçoit tout ce qui compte de plus important en termes de personnalités du monde artistique de l’époque. On se croise, on se rencontre un peu par hasard entre personnalités du même univers (la chose n’a guère changé pour autant de nos jours !) Et c‘est justement par hasard que Neumann rencontre, pendant son séjour à Bayreuth, Ludwig Bösendorfer, patron de la célèbre maison de facture de pianos allemande. A sa rencontre, Neumann, débordant de cet enthousiasme qui le caractérise tellement ne peut s’empêcher de ne tarir d’éloge au sujet de ce spectacle hors du commun dont ils viennent d’assister à la création.
Si le célèbre facteur de piano se montre plus « réservé », il est toutefois sensible au débordement d’enthousiasme de son ami. Et si Bösendorfer ne connaît pas Wagner personnellement – car il pressent que Neumann brûle de rencontrer le Maître – tout du moins est-il un ami proche de Franz Liszt !
Et c’est par l’intermédiaire de Franz Liszt, qui était bien loin d’être étranger – tout romantique exalté aux vifs élans spirituels qu’il pourrait sembler être – aux affaires et pourparlers préalables aux accords relatifs aux productions de spectacles (on l’aura vu pour la création de Lohengrin à la cour de Weimar en 1850 où il se sera montré fort diplomate et aura ainsi réussi à surmonter les obstacles afin d’aboutir à ses fins).
C’est donc par l’intermédiaire du bon Franz Liszt que Neumann va officiellement pouvoir rencontrer le Maître en personne et faire ainsi son entrée dans le sérail confiné de Wahnfried.
Le rendez-vous est fixé à Wahnfried fin août 1876.
A ce moment de notre récit, il sera opportun de vous préciser qu’entre la date à laquelle Neumann rencontre Liszt et celle de la rencontre de Neumann avec Wagner, les conversations sont allé bon train. Et les desseins de Neumann ne sont restés secrets pour personne bien longtemps ! Neumann de son côté n’a cessé de vanter auprès du beau-père de Richard les avantages que représentent la ville de Leipzig, une riche ville commerçante, où la culture est omniprésente – notamment grâce à la présence dans ses murs de l’orchestre du Gewandhaus, déjà célébré à l’époque comme l’un des meilleurs d’Allemagne – et les mérites de son propre théâtre, de ses équipements techniques à l’excellente popularité dont celui-ci jouit auprès de la critique musicale.
Liszt – en hommes d’affaires avisé ou en protecteur des intérêts de son gendre qui risque, car le bruit court déjà, une faillite monumentale – est fortement enthousiaste à l’idée d’une production du Ring à Leipzig. C’est selon lui l’une des portes de secours obligées que devra emprunter Wagner pour sauver si ce n’est son œuvre et ses projets de Festivals ultérieurs, du moins … fille, gendre et maisonnée de la banqueroute !
Lorsque Neumann, « l’homme de toutes les providences » franchit le seuil de Wahnfried, Liszt d’accueillir ce dernier et de griffonner un billet à l’attention de Wagner qui travaille (ou fait une sieste !) au premier étage de la villa.
Ainsi écrit-il : « O Génie inconcevable ! Neumann est là ! Descends donc pour causer avec lui ! »
Ce à quoi Wagner, du premier étage, répond en écrivant sur le verso du même billet :
« O génie encore plus inconcevable ! Je suis en chemise et ne peux pas descendre ! J’ai de nouveau et longuement réfléchi aux projets de Neumann. Décidément il m’est impossible de renoncer à l’idée de reprendre les représentations, l’an prochain à Bayreuth. »
Malgré la menace d’une faillite colossale – mais ce n’est pas la première à laquelle notre génial compositeur aurait à faire face – le géniteur de l’œuvre que l’on célèbre encore à ce moment à tous les coins de la ville de Bayreuth, n’est pas encore prêt à céder. Wagner campe sur ses positions : le Ring devra rester à Bayreuth et le Festspielhaus sera bien la seule scène au monde à abriter et pourvoir représenter cette fameuse Tétralogie !
Fin de la « rencontre »… qui finalement n’eut donc pas lieu à ce moment-là.
Certes on pourrait imaginer un temps la déception de Neumann, mais ce serait oublier l’extraordinaire optimisme de notre homme ainsi que sa détermination tout comme sa force de conviction. A peine rentré à Leipzig, notre homme tente une nouvelle tentative d’approche. Par voie postale cette fois-ci, avec un courrier que, le 27 août 1876, il fait rédiger par l’intermédiaire de son collaborateur, August Förster, à l’attention du Maître de Bayreuth.
Citons ici quelques passages particulièrement choisis et caractéristiques de la stratégie de Neumann.
« Très honoré Maître,
M. l’abbé Liszt a eu la bonté, par l’intermédiaire de mon ami et associé, M. Angelo Neumann, de me laisser espérer que vous prêteriez une oreille favorable à ma requête, car c’en est une que j’ai l’honneur de vous adresser.
On peut imaginer l’embarras de Wagner lorsqu’il reçoit et lit cette missive qui lui est adressée et à laquelle on pourrait trouver quelques analogies avec nos actuelles brochures et catalogues d’agences de voyage qui vanteraient les mérites de la ville de Leipzig comparant tout bonnement celle-ci à un … nouvel Eldorado de la création wagnérienne en Europe (dans le monde ?).
Car notre homme sait les difficultés financières auxquelles, une fois encore dans sa carrière, il va devoir être confronté. Pis encore, ne pas accepter la réalité des choses et refuser de rentrer dans un certain jeu de négocations, c’est également fort probablement, ; devoir faire une croix sur une seconde édition du Festival, de son propre Festival, à Bayreuth, dans son propre théâtre. Mais en échange, livrer SON ŒUVRE à des mains, à la réalisation d’une production qui lui échapperaient, quel embarras, quelle déception !
Alors Wagner de répondre à la missive de nos deux compères de Leipzig par une autre missive, tout aussi évasive qu’elle saura rester aimable.
Cette réponse en date du du 6 septembre 1876 se lisait ainsi :
“ Très honoré Monsieur,
Mon oeuvre n’est pas encore achevée ; ce n’est qu’en la voyant à la scène que je l’ai compris ! Laissez-moi le temps de la revoir et de la corriger soigneusement, et de la faire représenter une deuxième fois, ici, à Bayreuth, l’an prochain. Je ne vous en remercie pas moins, très cordialement, de votre proposition, exprimée avec tant de chaleur, et je vous prie d’agréer l’expression de ma très haute considération.
Votre dévoué,
Richard Wagner “
Un peu plus tard, Wagner fut forcé de réaliser que le Festival de Bayreuth avait été un énorme déficit financier pour lui, de sorte qu’il avait déjà demandé avec soin si l’offre pour le «Ring» était toujours valable le 31 janvier 1877 à Leipzig.
Enfin, Wagner est d’accord avec la performance du « Ring » au Leipziger Stadttheater.
Pour accorder au théâtre municipal de Leipzig le privilège exclusif des représentations du Ring dans l’Allemagne du Nord pendant quelques années, Wagner exigeait une prime, versée sous forme d’avance, d’un montant de 10,000 marks – dont 4 000 marks percevables immédiatement – ainsi que 10% de la redevance journalière, soit 3% de plus que d’habitude.
Or et bien qu’il se fût exprimé très clairement, Fœrster feint d’avoir compris que ces 10,000 marks seraient une simple avance sur les droits d’auteur, prévus à raison de 10/100 sur la recette.
Une nouvelle fois, on craint – à ma droite, de la part de Richard Wagner, à ma gauche, de la part de l’ambitieux Neumann – que les pourparlers ne s’achèvent et que l’affaire tombe une fois encore à l’eau.
Car c’est pour la misérable somme de 10,000 marks que le Fœrster qui se doit de tenir les comptes de son théâtre, non seulement arrête les pourparlers, mais se répand en exécrables insolences.
Le pauvre Wagner se résignant, pour être joué, à ne pas réclamer le payement de sa modeste prime, Fœrster lui répond que c’est trop tard et que cette « discussion pénible » a suffi à le dégoûter de la Tétralogie !
« Je ne peux pas effacer de mon esprit, écrit-il, cette impression que dans nos négociations vous n’avez plus en vue l’intérêt de l’art, comme c’était peut-être le cas au début. J’ai l’impression, que j’ai le droit de noter ici, que je me trouve en présence d’une individualité si fortement accentuée, au point de vue des affaires autant que de l’art, qu’il me paraît impossible désormais d’arriver à une entente avec elle. »
Toute cette littérature épistolaire du nommé Fœrster est un monument du genre !
LE « WAGNER-THEATER » D’ANGELO NEUMANN
Très vite remarqué par Wagner comme l’un des éléments les plus brillants mais également les plus charismatiques de la Cour qui siégeait à Wanhfried l’année qui précéda la première édition du Festival à Bayreuth, Angelo Neumann n’eut aucun mal à s’immiscer dans le cercle des plus intimes du Maître. Car, à l’issue de ce premier Festival, ce ne fut un secret pour personne, Neumann également eu écho des déboires financiers du compositeur : cette première édition de 1876 s’était alors soldée par un déficit record. Engageant la responsabilité du compositeur lui-même. Certainement plus habitué que Wagner lui-même à tenir les comptes d’un théâtre d’opéra tout comme à monter de nouvelles productions, c’est avec une certaine audace que Neuman proposa au compositeur de lui céder les droits de La Tétralogie pour faire représenter le cycle dès l’année suivante, en 1877, sur la scène de l’Opéra de Leipzig. Il ft convenu que les recettes émanant de ces représentations exceptionnelles « hors les murs » contribueraient à combler les pertes considérables du Festival.
Un coup dur assurément pour Richard Wagner qui entendait, dès le départ de la folle aventure de Bayreuth, réserver à « son » théâtre l’exclusivité de son œuvre. Et s’il était apprécié par le compositeur tant pour son enthousiasme que pour ses propres qualités artistiques, l’homme n’en était pas moins détesté par son épouse Cosima qui voyait en lui un « profiteur de situation ». Et ne manquait pas de le faire remarquer à son artiste d’époux. Certes, les origines juives de Neumann ne jouèrent pas particulièrement en sa faveur auprès de la farouche – et ouvertement antisémite – Cosima. Confiant toutefois en cet homme qui lui semble animé d’une sorte de feu sacré, Wagner osa jouer la carte « Neumann » et lui céda ainsi les droits de La Tétralogie. Pour ces seules représentations exceptionnelles à Leipzig, sa propre ville natale. Et si le compositeur espéra alors sans doute un accueil favorable, il était bien loin d’imaginer le succès que remportèrent ces représentations.
Lorsque le rideau se ferma à l’Opéra de Leipzig le soir du 28 avril 1878 sur la Première de L’Or du Rhin, l’œuvre fut accueillie dans la liesse générale et un triomphe unanime en direction de son créateur. Franz Liszt qui était présent dans la salle rapporta immédiatement à son gendre et ami Wagner le succès de la soirée. Comme il en avait été convenu, le bénéfice net de ces représentations alla directement dans les caisses du Festival, afin de renflouer un tant soit peu le déficit amassé au cours de l’été 1876.
Et très vite, devant un tel succès, l’idée de présenter l’œuvre dans cette même production imaginée pour et réalisée sur d’autres scènes d’Allemagne devint autant obsession qu’elle devenait la raison même de la vie de l’homme de théâtre particulièrement avisé si ce n’est visionnaire. C’est donc toute à fait confiant qu’il s’en alla quérir Wagner pour recueillir de lui-même l’autorisation de représenter l’intégralité du cycle sur différentes scènes d’Allemagne dans un premier temps. De simple amoureux de la musique de Wagner, Neumann s’improvisa ainsi producteur, sous le regard bienveillant du Maître qui pour seules conditions imposa que la direction d’orchestre serait assurée par un « connaisseur », le célèbre Anton Seidl, tout comme il laissait à Richard Fricke, l’un des assistants de Wagner pour La Tétralogie de la première édition de Bayreuth. Pris dans ce tourbillon aussi soudain qu’il avait été inattendu, Wagner, toujours en pleine confiance vis-à-vis de son collaborateur, osa à nouveau croire en la fin de ses déboires financiers, tout comme il rêvait secrètement que les portes de l’Opéra de Berlin qui par le passé n’avait guère été tendre avec lui avait jusqu’alors su lui résister si longtemps ?
Le bouillonnant Neumann n’hésita pas un seul instant : La Tétralogie, parce qu’elle rappelait au peuple germain ses origines, devait être présentée au public le plus large. Et si le succès devait être au rendez-vous à Berlin, une scène qui pour Wagner avait résolument toujours raisonner avec le mot s’échec, ce dernier serait indubitablement présent dans le reste l’Europe, au cours des représentations à venir.
C’est ainsi qu’en mai 1881, l’intégralité du Ring fut présentée pour la première fois au public berlinois du Victoria-Theater. Dans l’assistance, retenant son souffle, le couple Wagner, Richard et Cosima, dissimulés dans la foule, assista pour la première fois à la reconnaissance de l’oeuvre du compositeur en dehors de l’enceinte sacrée (et privilégiée) de Bayreuth. L’adhésion du public fut immédiate, et le succès, énorme. Pour cette création berlinoise, la production menée par Angelo Neumann, portait pour la première fois le nom de « Wagner-Theater ».
Cette première au parfum de « test » s’étant avérée être un pari gagné, Neumann que rien n’arrête propose dans la foulée à Wagner d’être, grâce à sa nouvelle compagnie lyrique ainsi constituée, l’ambassadeur de l’art de Bayreuth en dehors des frontières d’Allemagne. Wagner, dont on sait qu’il eut toutes les peines du monde à faire accepter son art partout sur son passage en Europe, n’hésitera guère longtemps avant de donner son accord à Neumann.
Et si le « tourneur » lui parle de Londres, de Paris ou bien encore de Saint-Pétersbourg, Wagner, lui, songe déjà… à l’Amérique ! Plus raisonnables, Neumann, Seidl et Fricke partent ainsi quasiment dans la foulée sur les routes d’Europe – ou plutôt sur les rails de chemins de fer des compagnie ferroviaires – avec à son bord cet étonnant « Richard Wagner Traveling Theater ». Artistes, musiciens, instruments, décors et costumes : un spectacle parfaitement rôdé et livré quasiment « en kit » là où ce convoi hors du commun s’arrêtait pour donner les représentations planifiées des mois en avance. Et surtout, de ville en capitale, spectacle après spectacle, toujours avec la même énergie, avec le même succès et avec la même soif de convaincre un public avide de vivre cette expérience artistique inédite.
Pour quelques années, le Palais des Festivals de Bayreuth ferma… pour cause d’artistes et de spectacle partis en tourné internationale. Car, sur place, là même où l’ »Oeuvre d’art de l’avenir » avait été créée, il ne reste plus rien. C’est un Palais des Festivals désormais vide qui se tient au dessus de la Colline Verte. Dans un souci de présenter au public européen un spectacle tout à fait identique à celui que les Festivaliers découvrirent en août 1876 à Bayreuth, ce sont les mêmes décors, machineries et costumes qui seront utilisés pour ces représentations « hors les murs ». Cette fois-ci, Wagner, qui d’ailleurs songe déjà à financer sa nouvelle production de Parsifal, ce sont directement ceux du Festival qui sont loués à la troupe de Neumann. À Bayreuth, certes, même aux tous débuts du Festival, on pense avant tout en termes artistiques, mais les créanciers, eux, n’oublient pas le besoin impératif de rentabilité d’une telle aventure. Tout apport financer, si minime qu’il soit, est donc considéré comme une source de revenus… non négligeable !
Ironie du sort : les décors de la création de La Tétralogie conçus par le peintre de paysage Josef Hoffmann et réalisés dans les ateliers des frères Brückner de Coburg destinés à l’origine à n’être utilisés qu’à Bayreuth…. serviront de base à l’une des plus grandes tournées de l’histoire de l’Opéra à travers… toute l’Europe !
Avec plus de 135 représentations du Ring données sur les scènes les plus prestigieuses d’Europe, et quelque 58 concerts donnés au cours des différentes tournées du « Richard Wagner Traveling Theater », Angelo Neumann contribua incontestablement et considérablement à la popularité de l’œuvre de Richard Wagner ainsi qu’à la reconnaissance de cette forme d’expression théâtrale et musicale unique en son genre auprès de publics si différents mais tous conquis. Et même si cette aventure hors du commun avait eu pour raison première de « renflouer les caisses » d’un Festival désespérément vides, l’occasion offerte par Angelo Neumann par le biais de cette extraordinaire aventure dépassa naturellement le simple accord matériel. Méconnu par notre époque, Neumann fut l’un des apôtres qui œuvra le plus – et le mieux – pour la reconnaissance de l’art de Richard Wagner en dehors des frontières de Bayreuth.
Après ce nombre impressionnant de « tournées Wagner » à travers les routes d’Europe, et autant de temps passé sur les routes d’Europe, Angelo Neumann reprit ses fonctions initiales de directeur de théâtre et dirigea l’Opéra de Prague pendant vingt-cinq ans. Il s’y éteignit le 20 décembre 1910, au terme de soixante-douze années bien remplies.
LE PREMIER RING « HORS LES MURS » : LEIPZIG (1878)
LA TETRALOGIE QUITTE LA COLLINE…
Pour le premier Festival de Bayreuth en 1876, le Théâtre de Leipzig avait acquis un certificat de patronage qui permettait aux visiteurs de visiter les trois cycles de l’Anneau des Nibelungen. August Förster a été le premier à aller à Bayreuth pour la première et a rapporté à Neumann: « La chose est injouable, peut-être la Valkyrie, mais peut-être que c’est aussi les trois autres – impossible! »
Cependant, après que Neumann ait assisté au deuxième cycle du Ring, il était complètement convaincu de la qualité théâtrale. Wagner était le « plus grand réalisateur de tous les temps » pour lui. En arrangeant Liszt, Neumann a voulu présenter son projet de montrer le Ring dès que possible à Leipzig. Liszt avait écrit une lettre de recommandation à Neumann : «Incompréhensible, Neumann est ici, descendez à la réunion
La réponse de Wagner était : «Encore incompréhensible, je suis encore dans ma chemise, je ne peux donc pas descendre, j’ai encore pensé au plan de Neumann et je ne peux pas me séparer de l’idée de répéter Bayreuth l’année prochaine. Après le retour de Neumann à Leipzig, il essaie de convaincre Wagner de répéter la production Bayreuth du «Ring» à Leipzig. Cette fois, il a envoyé son co-directeur Förster à Wagner.
La réponse de Wagner du 6 septembre 1876 se lisait ainsi :
« Mon travail n’est pas encore terminé : seules les représentations m’ont informé de choses inachevées, et permettez-moi de présenter mon travail l’année prochaine, ici à Bayreuth, sous une forme soigneusement corrigée Mais je voudrais également exprimer mes sincères remerciements pour votre réponse chaleureuse et être assuré de mon plus grand respect. «
Un peu plus tard, Wagner fut forcé de réaliser que le Festival de Bayreuth avait été un énorme déficit financier pour lui, de sorte qu’il avait déjà demandé avec soin si l’offre pour le «Ring» était toujours valable le 31 janvier 1877 à Leipzig. Enfin, Wagner est d’accord avec la performance du « Ring » au Leipziger Stadttheater. En outre, Angelo Neumann a reçu les droits d’exécution pour l’ensemble du Reich allemand, mais sans la Bavière. Selon les idées de Wagner, les droits de l’Autriche devraient être réservés à l’Opéra de la cour à Vienne. Wagner a exigé une avance de 10 000 marks – dont 4 000 marks immédiatement – ainsi que 10% de la redevance journalière, soit 3% de plus que d’habitude. Les costumes et la scénographie de la production de Bayreuth ne pouvaient pas être laissés à Angelo Neumann au besoin ; Wagner dut admettre qu’il avait payé l’équipement du Festival de Bayreuth avec le crédit de Ludwig II et resta la propriété du cabinet bavarois jusqu’au remboursement des dettes, des costumes et des décors. Comme Wagner est devenu de plus en plus dans le besoin financier, il a essayé d’obtenir des paiements encore plus élevés. Cependant, après que le théâtre de Leipzig eut résilié le contrat à court terme et exigé le remboursement de l’avance, Wagner céda et accepta les conditions négociées à l’origine. Les détails ont été discutés par Neumann avec Wagner lors d’une réunion à la Villa Wahnfried. Quand Wagner lui demanda pourquoi il avait fixé la première du « Rheingold » le 28 avril 1878, Neumann lui dit que la Foire de Printemps de Leipzig devait être ouverte ce jour-là. Wagner reçut les premiers paiements un peu plus tard et laissa à Neumann la note de Bayreuth, qui restait aussi la propriété du Fonds du Cabinet bavarois, pour produire les copies nécessaires. Neumann a copié les images de scène selon les modèles de Bayreuth. Il a promis le directeur du Bayreuth Schneiderwerkstatt, qui devait adapter les costumes du festival pour Leipzig. Wagner a envoyé pour la performance en tant qu’indicateur Hans Richter et Anton Seidl, qui avait déjà rapporté des premières répétitions à Bayreuth. Enfin, Liszt a assisté aux représentations de «Rheingold» et de «Valkyrie» à Weimar à Leipzig et a écrit à Wagner : «Neumann a fait encore mieux qu’à Bayreuth. Après le succès à Leipzig Neumann prévu la performance de l’ensemble « Ring » à Berlin.
LE RING A BERLIN …. OU… LE VERDICT !
(5 au 9 janvier 1881)
Wagner écrit à Neumann que la performance de Siegfried au Hofoper à Munich ne correspond pas à ses idées et demande à Neumann de copier la production de Bayreuth aussi exactement que possible. Pour cela, Wagner a recommandé d’obliger d’autres employés de Bayreuth, ainsi que le directeur technique Karl Brandt et le réalisateur Richard Fricke. Neumann a essayé autant que possible de répondre à ces souhaits
Neumann a prévu le « Ring » en mai 1881 dans le théâtre Victoria Victoria à la scène. Le 23 février, cependant, il a dû signaler à Bayreuth que les représentations étaient justifiées, à cause de la pétition antisémite, un boycott des Juifs de Berlin contre Wagner était à craindre. Pour calmer la situation, Wagner lui écrit que «le présent» mouvement antisémite «est» complètement isolé. Neumann était satisfait de cela et a apporté le « Ring » sur scène. Wagner a voyagé avec Cosima à la première à Berlin. Les performances ont été un grand succès, à Berlin, plus de téléspectateurs ont vu le « Ring » qu’avant à Bayreuth.
L’AVENTURE EST LANCEE :
LE « RICHARD WAGNER TRAVELING THEATER » VOIT LE JOUR
En attendant, Neumann a essayé d’acquérir les droits de première de « Parsifal » de Wagner, qu’il a immédiatement rejeté. Un peu plus tard, cependant, Neumann réussit à vendre quatre représentations du «Ring» à Londres après de longues négociations, et Wagner reçut 32 000 marks de royalties. Wagner autorisa alors Neumann à utiliser le titre de «Théâtre Wagner» pour ses entreprises, qui devinrent désormais la source de revenus la plus importante pour Wagner. Neumann a également reçu le droit exclusif de Wagner d’effectuer le «Ring» à Londres il a d’abord assisté à His Majesty’s Theatre London (première anglaise du cycle Ring 4 – 9.5.1882), à Paris, à Saint-Pétersbourg et dans l’ensemble des États-Unis d’Amérique.
À cette époque, Wagner a également joué avec l’idée d’émigrer aux États-Unis et d’y installer une nouvelle maison de festival. Parfois, il voulait aussi laisser ce projet à Angelo Neumann, auquel il communiqua le 10 janvier 1881 à Bayreuth :
«En ce qui concerne l’Amérique, vous savez bien que je suis moi-même encore fortement impliqué dans le projet d’obtenir une fortune moi-même (je n’en ai pas!).» Je suppose que je n’aurais rien fait de moins là-bas: les craintes de l’effort excessif de cette personne m’ont laissé jusqu’ici indifférent, je vous laisserai volontiers travailler pour moi là-bas, bien que mes désirs ne puissent être accomplis que de cette manière modeste.
Cosima écrivait le même jour : «Et une lettre du Dr Neumann avec de très grandes publicités, Richard dit aux enfants qu’il va devenir si riche qu’il va avoir des pantalons troués pour que l’argent puisse aller partout. Deux jours plus tard, il a dit: «Le soir, il dit:« Je suis content de ne pas aller en Amérique, je vais chez Neumann – l’alter ego, je m’exclame, et nous devons beaucoup rire de l’idée de Richard » , L’argent que Wagner reçut de Neumann permit à Wagner de se concentrer entièrement sur la composition du Parsifal. En retour, il vint de plus en plus à Neumann, lui prêtant même un jour le rideau de la Maison du Festival de Bayreuth pour son «Théâtre Wagner». Après tout, Wagner a même fait le point de quitter Neumann pour toute l’opération de la salle des fêtes de Bayreuth. A cela, Cosima a écrit: Wagner, « loue H. Neumann, qui a disséminé tout le travail, et dit: » Comme c’est étrange que ce soit un Juif « .
Depuis le 1er septembre 1882, Neumann part en tournée avec l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, la Hollande, la Suisse, l’Italie et encore l’Autriche avec le «Wagner-Theater». Il a eu deux ensembles vocaux complets pour le « Ring« , ainsi que le chœur et l’orchestre composé principalement d’artistes de l’Opéra de Leipzig, Neumann avait mis en place un train spécial pour le transport. Son coût était de 40 000 marks par semaine. Au total, 135 représentations complètes des concerts « Ring » et 58 Wagner ont été jouées. A l’origine, Neumann avait prévu de partir en tournée avec son ensemble à Venise et de rendre visite à Wagner. Mais le projet a échoué au dernier moment. La visite du théâtre Wagner s’est terminée par la représentation du «Götterdämmerung» le 5 juin 1883 à Graz.
MAIS A CHAQUE ETAPE, LE RING DOIT S’ADAPTER …
Où il est question « d’interprètes » malheureusement non immortels,
D’adaptation de la production aux contraintes techniques des théâtres dans lesquels le cycle est interprété,
Et de bras-de-fer entre l’Oeuvre Suprême et de plus prosaïques applications des us et coutumes locaux.
Avec, au fil des mois, des interprètes qui montreront des signes de fatigue et qui devront être remplacés, d’autres… qui mourront carrément (là bien entendu et encore, le remplacement s’avèrera inévitable !!) et, entre des décors qui tombent progressivement en lambeaux et des costumes qui vont bien vite ne plus donner autant d’éclat que lors de la première édition de Bayreuth en 1876, la production originale, mise en scène par le Maître lui-même devra faire face aux contraintes géopolitiques des scènes des pays dans lesquels le cycle sera donné.
NDA : les événements ou incidents relatés ci-après relèvent plus de l’anecdote et sont à prendre avec un certain recul, mais ils sont toutefois suffisamment significatifs de l’entreprise de Neumann pour rendre compte de cet sorte de « fil de funambule », propre au spectacle vivant, sur lequel marchaient en même temps un imprésario, une troupe et … la destinée d’une Œuvre. C’est pourquoi nous relatons ci-après quelques-uns des plus marquants.
- Berlin, premiers incidents :
Le Cheval Grane
. Pour la scène de clôture du «dieu crépuscule», Neumann, guidé par une aveugle fidélité à la production originale de Bayreuthy, a même voulu ramener le cheval, déjà apparu dans le Bayreuth Festival Hall. Après que cet animal, que Ludwig II avait rendu disponible, avait cessé entre-temps d’être à Munich, Neumann réussit à prêter un cheval convenable à l’écurie de l’empereur d’Allemagne.
La Brünnhilde à barbe du premier Crépuscule de Berlin
« On le jouait (premier Crépuscule des Dieux )pour la première fois à Berlin, le mai 1881, et Wagner s’entretenait avec Neumann pendant le changement du décor du troisième’acte, quand un instinct irrésistible poussa le directeur à pénétrer une dernière fois dans les coulisses. La Materna* n’étant pas comme Thérèse Vogl* une écuyère intrépide, on avait décidé qu’elle disparaîtrait avec Grane, tandis qu’un excellent cavalier costumé en Brunhilde s’élancerait dans le feu. « Tout est prêt ? » demanda le directeur. — Tout. — La fausse Brunhilde est à son poste ? » Une voix mâle répondit : « Parfaitement. » Quelle ne fut point alors la surprise de Neumann en voyant une Brunhilde avec de longs cheveux gris et une barbe chenue. «Comment, s’écria Neumann épouvanté, c’est vous qui faites Brunhilde? » Avec le même calme, l’homme répéta son « Parfaitement ». Cependant, sur la scène, l’action se précipitait; la Materna chantait : « Ton épouse bienheureuse, Siegfried, te dit adieu ». Ce n’était pas le moment de discuter. Neumann se jeta sur « le » figurant; lui arracha vivement sa perruque et sa barbe et lui enveloppa la tète d’un voile noir. L’écuyer s’élança sur le cheval avec la vitesse de l’éclair et disparut dans les flammes, pendant que l’imprésario, brisé par l’émotion, s’effondrait contre un portant, à demi-évanoui.
Voici ce qui s’était passé. Sur la recommandation de la comtesse de Schleinitz, on avait engagé un coiffeur qui avait été employé, en 1876, au théâtre de Bayreuth et qui prétendait « être au courant de tout ». En effet, il avait été chargé de faire la tête des figurants. Or l’écuyer était un fort gaillard, le coiffeur n’avait pas imaginé qu’il jouât un rôle de femme, et le prenant pour quelque vassal, lui avait distribué une de ses plus belles barbes. Le cavalier s’était laissé faire; en soldat qui ne connaît que sa consigne, et sa consigne était seulement de monter à cheval. Le régisseur, appelé ailleurs par sa tache multiple, n’avait pas eu le temps d’inspecter le militaire. Sans l’heureux hasard, sans l’obscur pressentiment qui amena Neumann sur la scène, le drame s’abîmait dans une chute effroyable. Voit-on l’arrivée de Brunhilde avec sa large barbe ? En ce temps, où le wagnérisme.ne triomphait pas encore,, c’eût été pour le Crépuscule une catastrophe plus terrible que l’écroulement du Walhalla. »
- LONDRES
Premiers « petits arrangements entre amis » (dans le dos du Maître)
Bien qu’également impresario, soit connaisseur des artistes, des voix et des talents, Neumann dut faire valoir avant tout sa casquette de producteur surtout dans les débuts de cette aventure artistique itinérante. Autrement dit : il n’eut de mot à dire quant au choix des chanteurs qui lui furent proposés (comprendre : imposés) pour interpréter les personnages de la Tétralogie.
A Londres, c’est avec l’interprète de Froh (nom ??) que la relation – déjà tendue avant le début des représentations – se crispa jusqu’au paroxysme. Et c’est l’une des futures grandes complices de Neumann dans cette aventure, la soprano Hedwig Reicher-Kindermann (interprète de Fricka pour les représentations londoniennes) qui souffla à l’oreille du producteur la solution pour « améliorer » la qualité musicale de la scène 4 de L’Or du Rhin dans laquelle Froh décidément déplaisait à Neumann. Ainsi la soprano proposa t’elle en toute discrétion de chanter elle-même la réplique du ténor commençant par les vers « Wie liebliche Luft wieder uns weht »… Ce que le producteur accepta : mieux valait une entorse à la sacro-sainte partition qu’une cuisante éraflure ! Et de ce fait, la soprano non seulement remporta l’acclamation du public mais également toute l’admiration et une amitié sans faille de la part de Neumann.
Wagner fut-il au courant de ce subterfuge ? L’Histoire ne le dit pas.
- BRESLAU
Richard Wagner, qui s’enquêrait de loin, – enfin de Bayreuth, – du succès de ses œuvres à chaque étape, à chaque gare que traversait le Richard Wagner Traveling Theater , ne se montrait pas moins attentif aux conditions dans lesquelles sont œuvre était représentée … car après tout, le maître aux commandes, – et le créateur et signataire de ce spectacle hors-normes, cela restait bien lui….
Aussi, lorsque la soprano Therese Vogl, interprète de Brünnhilde lors des représentations de Munich de 1878, supplia le Maître – par l’intermédiaire du bon Neumann – de lui épargner d’enfourcher Grane, et de jeter les dernières – et périlleuse notes – de sa scène avant de s’immoler dans le brasier du bucher de Siegfried emmenée par le galop de son fidèle destrier, Wagner de considérer finalement que ce passage de sa propre mise en scène s’apparentait finalement plus à un exercice de cavalière de cirque qu’à la noble immolation de la vierge guerrière par les flammes. Therese Vogl eut ainsi gain de cause et la dernière « chevauchée fantastique » du Crépuscule des Dieux fut dorénavant supprimée de la production.
En revanche, et ce, malgré les pourparlers de Neumann que l’on peut envisager tendus, le Maître, lors des représentations à Breslau, ne put rien faire contre l’adaptation de la Chevauchée des Walkyries qui pour l’occasion fut confiée, sur recommandation et insistance du Directeur du Théâtre, au directeur de cirque Ernst Jakob Renz qui fut très fier de pouvoir trouver là l’occasion de présenter un spectacle équestre de sa propre production, ne manquant pas ainsi d’assurer la promotion de son propre spectacle forain. L’histoire – et les archives – ne témoignent pas de la fierté ni d’un quelconque bonheur du Maître de Bayreuth. (NOTE)
- EN ITALIE … on applaudit les airs !…
– BOLOGNE :
L’air de Mime « Sorglose Schmiede » remporte un tel succès que l’interprète que l’on peu imaginer aussi désemparé que … surpris… dû non seulement bisser son air, mais encore même le trisser. Contre toute loi dictée par Bayreuth ! Mais Wagner n’était pas dans la salle.
– ROME :
Une scène de Erda (Laquelle ?) fut même bissée.
– ON REVERE AUSSI EN MUSIQUE LES SPECTATEURS SOUVERAINS.
C’est ainsi que le premier acte de la Walkyrie fut non seulement interrompu par l’arrivée tardive dans la salle de spectacle du couple royal, mais que cette arrivée… protocole oblige… fut même accompagnée en musique au son d’une marche royale, les musiciens de l’orchestre ayant à peine eu le temps de sortir de la cabane de Hunding pour faire sonner les ostentibles cuivres royaux. Mais grâce au talent d’Anton Seidl on évita le pire.
– L’AUTRICHE = GRAZ
Depuis 1885, Angelo Neumann était directeur du Deutsches Theater de Prague. Gustav Mahler appartenait aussi aux jeunes chefs d’orchestre qu’il y avait engagés et soutenus. En 1889, il organisa une dernière tournée de Wagner à Saint-Pétersbourg et à Moscou.
La dernière tournée du « Richard Wagner Traveling Theater » eut lieu au cours de l’année 1889, soit six années après la disparition du compositeur : c’est grâce à cette ultime tournée que La Tétralogie fut présentée pour la première fois au public russe de Saint-Pétersbourg et Moscou. Lorsque Cosima, désormais restée seule souveraine à Bayreuth, demanda le retour des éléments de décors et costumes prêtés par le Festival à Neumann pour remonter La Tétralogie en son sein originel, elle se les vit rendre en si piteux état… qu’il fallut, au grand dam de celle qui dirigeait le Festival depuis la mort de son époux, envisager, faute de matériel, à offrir au public une toute nouvelle production de La Tétralogie . On peut aisément imaginer le désarroi de la « Dame de Bayreuth » qui, dans un esprit de conservation à l’extrême de l’oeuvre de son défunt époux, dut considérer ce « changement de cap artistique » comme… une véritable trahison ! Ce fut également toutefois l’occasion, pour la première fois, de repenser « Wagner autrement », donnant ainsi naissance à la deuxième production du Ring à Bayreuth en 1896. Ainsi que le début de la longue histoire du Festival qui eut toujours – à l’exception de certaines « années de misère » – comme préoccupation majeure que de présenter au public de nouvelles productions, soit de nouvelles lectures des œuvres qui y sont représentées, elles, dans le respect de la règle d’un répertoire immuable.
Quand il a terminé son activité à Prague en 1910 après 25 ans, Neumann a voulu construire son propre « Grand Opéra » à Berlin. Il est mort peu de temps après à Prague.
Les lieux et dates des représentations du Richard-Wagner-Wagner-Theater
London (Her Majesty’s Theatre), à partir du 5 mai 1882 – 4 cycles intégraux
Breslau 1er septembre 1881
Königsberg, Danzig, Hannover, Bremen, Barmen, Dresden, Amsterdam, Brüssel, Aachen, Düsseldorf, Mainz, Darmstadt, Karlsruhe, Strassburg,
Stuttgart : on célèbre la 100ème représentation le 4 avril 1883
Et, suite au succès fulgurant de l’aventure en Europe du Nord, Neumann de proposer un autre « tour » en Italie avec pour étapes :
Venise (19 avril 1883)
Bologna
Rome
Torino,
TRIESTE Teatro Politeama Rosseti 15 au 19 mai 1883
puis en Europe de l’Est :
Budapest,
puis Graz 5 juin 1883
soit au total 135 représentations du Ring de RICHARD WAGNER
SOUVENIRS SUR RICHARD WAGNER
Dans les Souvenirs sur Richard Wagner de l’imprésario Angelo Neumann, dont MM. Maurice Rérnon et Wilhelm Bauer publieront demain, chez Calmann-Lévy, la traduction française, il ne faudrait pas chercher des aperçus propres à nous faire mieux comprendre l’œuvre et le génie du maître de Bayreuth. Ce volume n’est pas une étude de psychologie ni d’esthétique. Mais on y trouvera de curieux renseignements sur les embarras et les ennuis de Wagner dans sa vie pratique, sur ses perpétuels démêlés avec les directeurs, les chanteurs, les agents intermédiaires, etc. M. Angelo Neumann nous introduit dans les coulisses, dans la cuisine de l’art théâtral, et cette pot-bouille ne manque pas d’un certain pittoresque. On s’en amuse, et en même temps on plaint le grand homme contraint de consacrer une large partie de ses journées et de ses forces à se débattre parmi ces mensonges et ces mesquineries.
Avant de devenir directeur, M. Angelo Neumann fut baryton. Sans fausse honte, il rapporte qu’il joua le héraut de Lohengrin et le veilleur de nuit des Maîtres chanteurs, rôles qui ne sont pas les plus importants de ces deux ouvrages ; il est vrai qu’en 1860, à dix-neuf ans, il avait étudié sous la direction du maître lui-même celui de Wolfram d’Eschenbach. En 1864, lorsque Wagner fut mandé par le roi de Bavière, M. Neumann ne prétend pas avoir pris une part directe à cet événement décisif ; mais il note qu’il habitait une chambre voisine dans le même hôtel, à Stuttgart, lorsque Wagner reçut la dépêche qui l’appelait à Munich. M. Neumann considère que lorsqu’il s’agit d’un Wagner (et d’un Neumann), aucun détail n’est indifférent.
En 1876, notre mémorialiste est placé à la direction du théâtre municipal de Leipzig, qu’il partage avec le docteur Auguste Fœrster. Son associé va naturellement faire gaffe sur gaffe, alors que lui seul verra clair. Le mois d’août 1876 fut marqué par l’ouverture de Bayreuth, avec les premières représentation de la Tétralogie. Fœrster entendit le premier cycle et revint en déclarant que sauf la Walkyrie et encore c’était injouable. Neumann assiste au second cycle, et son enthousiasme est tel qu’il court à la Wahnfried demander l’autorisation de monter tout le Ring, à Leipzig. Suit une longue correspondance entre Fœrster et Wagner. Fœrster semble d’abord brûler d’un saint désir de représenter au plus tôt et à tout prix le chef-d’œuvre du maître vénéré. Mais sous l’influence d’intrigues antiwagnériennes, sur lesquelles M. Neumann ne s’explique pas et qu’il avoue seulement n’avoir pu empêcher, son associé suscite avec la plus insigne mauvaise foi un prétexte de rupture. Pour accorder au théâtre municipal de Leipzig le privilège exclusif des représentations du Ring dans l’Allemagne du Nord pendant quelques années, Wagner exigeait une prime de 10,000 marks. Bien qu’il se fût exprimé très clairement, Fœrster feint d’avoir compris que ces 10,000 marks seront une simple avance sur les droits d’auteur, prévus à raison de 10/100 sur la recette. C’est pour une misérable somme de 10,000 marks que le Fœrster non seulement arrête les pourparlers, mais se répand en exécrables insolences. Le pauvre Wagner se résignant, pour être joué, à ne pas réclamer le payement de sa modeste prime, Fœrster lui répond que c’est trop tard et que cette « discussion pénible » a suffi à le dégoûter de la Tétralogie! « Je ne peux pas effacer de mon esprit, écrit-il, cette impression que dans nos négociations vous n’avez plus en vue l’intérêt de l’art, comme c’était peut-être le cas au début. J’ai l’impression, que j’ai le droit de noter ici, que je me trouve en présence d’une individualité si fortement accentuée, au point de vue des affaires autant que de l’art, qu’il me paraît impossible désormais d’arriver à une entente avec elle. » Toute cette littérature épistolaire du nommé Fœrster est un monument.
Cependant Wagner consentit, un an plus tard, à traiter avec Neumann. Et il ne toucha pas de prime, mais un simple acompte remboursable. II sacrifiait toute rancune au désir de voir donner le Ring en entier. II avait en horreur les représentations isolées de l’un quelconque des quatre drames. A Neumann lui promettant de les monter tous les quatre, il répondait « Si vous faisiez cela, vous seriez le premier directeur de théâtre intelligent! » C’est en 1878 que ces représentations eurent lieu à Leipzig et valurent à Neumann diverses félicitations, entre autres celles de Hans Richter et de Liszt, qui trouva, paraît-il, que c’était mieux qu’à Bayreuth. Le kapellmeister était Joseph Sucher, époux de la célèbre cantatrice Rosa Sucher. Neumann se flatte d’avoir toujours eu la main heureuse en fait de kapellmeister, et d’avoir notamment découvert Arthur Nikisch et Félix Mottl (ce dernier, à la vérité, lui était recommandé par Wagner). Savez-vous quel est le premier ouvrage que Mottl eut à diriger? C’est le Postillon de Longjumeau. Et Nikisch? Il débuta par Jeanne, Jeannette et Jeanneton, de Lacome, et par l’Eclair, d’Halévy.
Angelo Neumann a rendu de grands services à la cause wagnérienne par ses organisations de tournées de la Tétralogie en Allemagne et même en Europe. Après Leipzig, c’est à Berlin qu’il songea d’abord. Il aurait désiré la salle de l’Opéra royal. Tout manqua par la faute de l’intendant von Hulsen, qui télégraphia à Wagner qu’il y consentait à la condition que le maître l’autorisât ensuite à représenter la seule Walkyrie. Rien ne pouvait blesser plus cruellement Wagner, qui ne daigna même pas répondre. Les représentations berlinoises du Ring, en 1881, eurent donc lieu au théâtre Victoria, mais avec un prodigieux éclat, en présence du kronprinz Frédéric, du prince Guillaume (aujourd’hui Guillaume II), d’une foule d’autres princes et princesses, et même de l’empereur Guillaume Ier, qui, bien qu’octogénaire, parut à quelques-unes de ces soirées. A l’occasion de l’anniversaire de Wagner, Fœrster, le Fœrster des 10,000 mark,s lui tourna un compliment en vers ardemment admiratifs et se terminant par ces mots, d’une naïveté charmante « Avec toi tous les grands esprits! » Ainsi ce Foerster se décernait un brevet de grand esprit; il avait très sincèrement oublié ses grossièretés encore récentes.
A la dernière représentation du Crépuscule des Dieux, à laquelle assistait l’empereur, près les acclamations et les rappels, Wagner et Neumann parurent sur la scène avec les artistes, et Neumann commença un discours ; juste au moment où il remerciait « les augustes membres de la famille impériale », Wagner fit demi-tour et quitta la scène. Scandale ! Était-ce un affront à l’orateur, ou un crime de lèse-majesté ? C’était simplement un accès aigu de l’affection cardiaque dont Wagner devait mourir deux ans après. Mais Neumann n’y crut pas et se brouilla avec Wagner ; des journaux prussiens accusèrent le maître d’insulte à l’empereur, et Guillaume Ier, âgé de quatre-vingt-cinq ans, revint à une représentation supplémentaire de la Walkyrie par bonté, tout exprès pour démentir ce bruit si nuisible aux intérêts du musicien dans un pays loyaliste.
Wagner pardonna à Neumann d’avoir douté de sa parole ; il lui conserva jusqu’au bout toute sa bienveillance, lui accorda toutes les autorisations, entre autres celle de donner Lohengrin en allemand à Paris, dans la saison 1881-1882, mais on sait que ce projet n’aboutit pas parce que des troubles semblèrent à craindre ; et c’est à Neumann que Wagner eût confié Parsifal s’il n’avait pas décidé d’en réserver le monopole à Bayreuth. En 1882, après avoir entendu ce suprême chef-d’œuvre, Fœrster s’était écrié que Wagner n’avait plus maintenant qu’à mourir. Il est permis de supposer que les directeurs ont hâté sa mort et qu’il devait être bâti à chaux et à sable pour leur avoir résisté jusqu’à soixante-dix ans.