Un opéra de Richard Wagner est comme une course de fond, il faut s’y préparer. Pourquoi un tel entrainement pour une œuvre sensée nous divertir ? Pour cette simple raison qu’un opéra de Richard Wagner (quoiqu’on en dise) c’est long ! Donc pour éviter l’ennui et le découragement dès la première représentation, il vaut mieux mettre toutes ses chances de son côté. Globalement, vous en avez pour quatre heures de représentation, lorsqu’un autre opéra ne durera que deux heures et demie. Cela signifie souvent que les représentations débutent en fin d’après-midi afin de terminer à des heures convenables.
Un opéra de Richard Wagner, c’est également une action complexe, pas toujours abordable si on ne connaît pas les légendes germaniques et la mythologie scandinave. De plus, les personnages sont bavards, ne chantent qu’en allemand (et même si vous êtes un germaniste distingué, je vous défie de saisir toute la logorrhée wagnérienne). Autant vous pouvez suivre un opéra de Puccini sans saisir un mot d’italien, l’action et la musique suffisent à vous entrainer dans le sujet, autant un opéra de Wagner (excepté les premiers opéras comme Lohengrin ou Le Vaisseau Fantôme) peut vous rester totalement abscons si vous n’avez pas lu le résumé de l’action avant.
Un opéra de Richard Wagner, c’est une musique fondée sur le leitmotiv et sur la mélodie continue. Progressivement, il a institué dans ses opéras systématiquement l’usage de thèmes conducteurs, appelés leitmotiv, symbolisant une action (la fuite), un sentiment (l’amour), voir un objet (l’épée). Richard Wagner entrelace ces différents thèmes et abandonne les airs d’opéras, la musique ne s’arrête pas durant l’acte, c’est ce qu’on appelle la « mélodie continue ». Donc inutile d’attendre un air virtuose où vous aurez la joie d’applaudir frénétiquement la soprano en plein milieu d’une scène !
Un opéra de Wagner, c’est un orchestre impressionnant et des chanteurs entrainés. Tout le monde ne peut pas se permettre d’aborder le répertoire de Wagner, cela demande une technique particulière, une résistance physique à toute épreuve pour chanter aussi longtemps sur scène. L’orchestre est déployé au maximum, avec des instruments rares comme le tuba wagnérien, l’utilisation d’un effectif démesuré (normalement pour l’Or du Rhin, il faut huit harpes).
Un opéra de Wagner, c’est pénétrer dans un monde fascinant, qui nous rapproche à la fois de l’enfance (avec des sujets légendaires peuplés de dieux, d’êtres fantastiques, de dragons, de chevaliers, de princesses, etc.) et de la sagesse avec une réflexion sur la condition humaine, sur la passion des sentiments, sur le sacré. On va passer d’un Siegfried qui tue le dragon à une litanie profonde du dragon mourant dénonçant la vanité du monde. Ce qui nous entraine vers l’apport philosophique d’un opéra de Richard Wagner : en effet, en grand lecteur de Schopenhauer et ami de Nietzsche, Wagner a inséré dans ses œuvres scéniques une réflexion personnelle sur la vie, l’amour, la mort, sur toutes les passions bonnes ou mauvaises qui jalonnent la vie de l’homme, et qu’il fait incarner avec brio par des personnages aux caractères nuancés. Chez Richard Wagner, surtout dans les derniers opéras, le monde n’est pas manichéen, le personnage est méchant car un épisode antérieur l’a frustré ou humilié et qu’il se venge d’un personnage qui semble bon au premier abord.
NC/CPL