BECKMESSER PLUS VRAI QUE NATURE
et
UNE SCÈNE DE RIXE DANS LES RUELLES DE NUREMBERG
Extrait des Écrits autobiographiques de Richard Wagner à propos de la composition du livret des Maîtres chanteurs de Nuremberg.
Sur le personnage de Beckmesser
En 1835, dans une auberge de Nuremberg, où l’a conduit son beau-frère Wolfram, Richard Wagner fait la connaissance du menuisier Lauermann qui fait rire la compagnie en se prenant pour un grand chanteur. Pour amener le personnage à montrer ses talents, Wolfram fait passer Wagner pour la célèbre basse italienne Lablache. Le résultat ne se fait alors pas attendre :
« Un combat étrange se livra chez le menuisier entre son incrédulité et sa vanité, et, au bout de deux heures… on réussit à obtenir de cet homme qu’il chantât. je crus voir un automate qui joue de la musique quand il est remonté : ses lèvres palpitèrent, ses dents grincèrent, ses yeux se révulsèrent, et, de sa voix éraillée et grasseyante, il finit par entonner une chanson obscène d’une rare trivialité. tandis qu’il chantait en portant d’un mouvement saccadé son pouce dressé derrière ses oreilles, sa grosse figure virant au rouge le plus vif, les auditeurs ne tardèrent pas à éclater d’un rire énorme et le malheureux artisan entra dans une fureur extrême et voulut sortir du café en proférant les plus terribles malédictions. » (Mein Leben/Ma Vie)
Sur un combat de rue observé par Wagner dans les ruelles de Nuremberg
Après l’incident de cette « audition » hors du commun du pauvre menuisier, Richard Wagner est confronté à l’une des scènes de rues des plus « vivantes » qui lui inspirèrent la rixe de la fin de l’acte II des « Maîtres Chanteurs » :
« Notre extravagante aventure nocturne n’était pourtant pas terminée. Toute la bande se remit en marche en direction du café, mais on en avait fermé la porte parce que l’heure imposée par la police était passée ; ceux que, parmi nous, on pouvait appeler les habitués crurent qu’il était possible d’entrer quand même ; l’hôte maintint sa porte fermée et il en résultat une confusion qui, par les cris, le vacarme et le surprenant accroissement du nombre des champions, prit bientôt l’allure d’une émeute. Soudain, j’entendis un bruit de chute et, comme par enchantement, toute la masse se dispersa. Un des habitués, familiarisé avec une ancienne forme de lutte en usage à Nuremberg, avait, d’un coup de poing entre les deux yeux, étendu sans connaissance l’un des braillards les plus acharnés. Moins d’une minute après, je pus reprendre le chemin de la maison avec mon beau-frère, bras dessus bras dessous, plaisantant tranquillement par les rues désertes qu’éclairait la lune, et j’eus la surprise de l’entendre dire qu’il avait l’habitude d’assister à ce genre de scène tous les soirs. » (Mein Leben/Ma Vie)