ou « Et du murmure des eaux naquit… le prélude de L’Or du Rhin »
(La Spezia, septembre 1853)
Durant les années 1850, au cours de son séjour à Zurich, Richard Wagner – alors exilé d’Allemagne – déborda d’une énergie créatrice concentrée sur l’écriture, la poésie, la versification, les ébauches de ses futurs drames musicaux, la rédaction de plusieurs essais, allant même jusqu’à s’essayer à la philosophie. Mais plus que tout cela, sa “grande entreprise” fut la composition des quatre journées qui forment “La Tétralogie” (“L’Anneau du Nibelung”) : d’abord le poème en vers, puis – bien après la publication de ce premier – l’élaboration de la musique de ce Ring.
Or cette aventure à ses débuts ne devait être qu’un “opéra” en un seul volet (La Mort de Siegfried). Mais un deuxième s’avéra rapidement indispensable pour la compréhension de toutes les facettes de l’action (Le Jeune Siegfried), puis enfin deux oeuvres supplémentaires furent nécessaires pour créer un tout, tant dramatique que musical (L’Or du Rhin et La Walkyrie). Initialement, Wagner n’avait pas pour objectif les seize heures de drame et de musique que nous connaissons aujourd’hui.
Ces poèmes, rédigés en vers, Wagner en donna lecture publique entre les 16 et 19 février 1953, au cours de quatre soirées de déclamation, dans un salon du très prisé Hôtel Baur-au-Lac, sur les bords du lac zurichois.
L’enthousiasme du public fut tel qu’il convainquit Wagner (mais avait-il besoin d’être convaincu ?) d’entamer la mise en musique de son oeuvre… devenue titanesque.
De santé fragile, Wagner, sur les conseils de son ami Otto Wesendonck, entreprit durant l’été 1853 un voyage en Italie, en quête de cette luminosité sensée calmer ses douleurs.
A Turin, puis à Gênes, au lieu du calme qu’il entendait y trouver, Wagner se heurta au bruit de la foule estivale des vacanciers et à une chaleur suffocante. Pris de fièvre, le compositeur se rendit dans la petite ville de La Spezia, en Ligurie.
Et c’est alors que le miracle de la création artistique se produisit :
Alors qu’il n’avait composé aucune note de musique depuis des années, faute d’inspiration et sans doute aussi trop accaparé par l’écriture de ses poèmes, le murmure du ruisseau qui jouxtait son hôtel inspira au compositeur les notes qui allaient bientôt constituer le prélude de L’Or du Rhin.
« C’est dans un état d’extrême épuisement, à peine capable de me traîner, que je cherchai à La Spezia le meilleur hôtel qui, à ma grande frayeur, se trouvait dans une ruelle étroite et bruyante. Brûlant de fièvre, je passai une nuit blanche ; le lendemain, je me forçai à poursuivre mes promenades à pied dans les environs vallonnés, couverts de pins parasols. Tout m’apparut nu et vide ; et je ne comprenais pas ce que j’étais venu faire ici. Je rentrai dans l’après-midi, mort de fatigue ; je m’allongeai sur un dur lit de repos et ne tardai pas à sombrer dans une espèce de somnambulisme habité de l’accord parfait en mi bémol majeur, souligné de motifs mélodiques. Ces motifs mélodiques allaient en s’accélérant, mais l’accord parfait en mi bémol majeur immuable, semblait vouloir donner à sens à mon cauchemar.
Une frayeur soudaine me fit sortir de la semi-torpeur avec la sensation que des vagues, à présent, passaient avec fracas au-dessus de ma tête. Et là, soudain je sus que je détenais le prélude orchestral de L’Or du Rhin, et, du même coup, je compris aussi que c’était en moi et en moi seul, que je devais puiser des forces vives. » (extrait de Mein Leben/Ma Vie)
En une journée à peine, l’inspiration qui avait tant fait défaut au compositeur lui revint de plein fouet.
Dès le lendemain de cette expérience musico-sensorielle étonnante, Wagner rejoignit Zurich. Le compositeur était désormais prêt à s’attaquer à mettre en musique les innombrables vers de … La Tétralogie !