Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER

MATHILDE ET COSIMA A TRAVERS LES JOURNAUX INTIMES DE RICHARD WAGNER

par Nicolas CRAPANNE
et Marie-Bernadette FANTIN-EPSTEIN

Introduction

La communication qui suit a pour objet de tenter de définir le rapport qu’entretint Richard Wagner avec les deux femmes qui auront, chacune à sa manière, le plus touché la fibre sentimentale du compositeur : Mathilde et Cosima. Par leurs personnalités, mais également par leur le rôle qu’elles occupèrent dans sa vie intime, parfois jusqu’à être actrices de premier ordre dans le cheminement artistique de notre compositeur. Et ce, durant une période qui, sous leurs égides respectives, couvrit près de quarante années de la vie de l’artiste.

Par souci de tendre à la plus grande objectivité dans notre étude, mais également pour introduire, dès le départ, un indice sur la complexité de ce rapport, nous ne retiendrons de nos deux héroïnes que leurs prénoms : Mathilde et Cosima. Car Mathilde est-elle avant tout, aux yeux de Wagner, Luckemeyer ou Wesendonck ? De même, Cosima est-elle, avant tout, Liszt, ou von Bülow ?

Plus largement, il s’agit donc ici de caractériser au plus près la perception que Wagner avait de ses amantes, – en un mot, l’appréciation portée par notre incorrigible amoureux – avec un soupçon de muflerie toute masculine -, pour ses deux femmes, qui bien que différentes à l’extrême, possèdent toutes deux en commun le caractère de … l’exception. En cherchant à définir le rôle qu’elles jouèrent dans la vie de l’artiste, ce qu’elles lui apportèrent chacune en termes d’affection mais aussi de force et de stabilité, lui qui toujours se plaignait d’être mal-aimé ? Et pour cela, quelle source plus directe que celle du Journal intime dans lequel l’amoureux épanche le désarroi de son âme malheureuse et évoque l’image de sa bien-aimée à l’infini ?

Des précisions relatives aux sources employées dans notre étude s’imposent dès l’introduction. C’est pourquoi le propos de notre étude s’appuie, tant que faire se peut, sur le Journal de Venise 1Richard Wagner à Mathilde Wesendonck : journal et lettres (1853-1871), traduction par Georges Khnopff (deux volumes, Alexandre Duncker, éditeur, 1905), journal intime de Wagner, écrit à l’attention de Mathilde, ainsi que le Carnet brun2Le Carnet brun : journal intime (1865-1882), première édition française, traduction et notes sous la direction de Nicolas Crapanne (Gallimard,2023), celui, rappelant tant par sa forme que son but premier, et rédigé pour Cosima cette fois. Nous avons également emprunté, pour le récit des faits, les éléments recensés et présentés par Martin Gregor-Dellin dans sa biographie de Richard Wagner 3Martin Gregor Dellin, Richard Wagner, sa vie, son oeuvre, son siècle (Fayard, 1980), mais aussi dans celle, moins connue de Carl Friedrich Glasenapp qui possède l’extrême avantage de la quasi-contemporanéité (de la rédaction de l’ouvrage et de la vie des protagonistes). Nous avons tenté également de reprendre nombre de réflexions et remarques de l’ouvrage moins connu encore du contemporain Edouard Schuré qui dans son ouvrage Femmes inspiratrices et Poètes annonciateurs 4Edouard Schuré, Femmes inspiratrices et poètes annonciateurs (Perrin,1912), est une source de documentation sous-appréciée : l’auteur côtoya en son temps nos deux héroïnes, apprit à les connaître et il offre, dans les deux premiers chapitres5Les deux premiers chapitres de l’ouvrage d’Edouard Schuré sont respectivement consacrés à Mathilde Wesendonck et Cosima Wagner. de son ouvrage, deux portraits particulièrement objectifs de ces deux femmes “extraordinaires”6Sont exclus délibérément de cette étude comparée trois autres Journaux intimes : le Journal de Mathilde Wesendonck, le Journal de Cosima (celui qu’elle tint avant sa rencontre avec Wagner, tout comme celui qu’elle dédia à son époux, comme on le sait, à partir du1er janvier 1869, mais également le Journal d’Eliza Wille, tout comme le Portefeuille vert et les missives qu’il contint..

Prologue

Zurich, 31 août 1857. Durant les premiers jours de leur voyage de noce, Hans von Bülow et Cosima, fille de Franz Liszt, fraichement mariés font une halte dans la demeure du couple Wesendonck, car Wagner a besoin du jeune chef d’orchestre ; et quand Wagner l’appelle, von Bülow arrive.

Dans la soirée, une scène d’anthologie va se dérouler 7Martin Gregor-Dellin, Wagner au jour le jour, Gallimard, collection Idées, Paris, 1976, p. 127. : Wagner déclame les vers du poème de son futur Siegfried, von Bülow est au piano, et dévoile à l’assemblée les premières notes de la partition. Autour de ce duo d’exception, trois femmes : Minna, sous les effets du laudanum 8pour tenter de calmer les effets de la maladie cardiaque qui l’emportera., est inconsciente de tout ce qui peut se tramer autour d’elle, Mathilde Wesendonck regarde son poète avec la fièvre de l’extase dans les yeux, et, Cosima, dans un coin de la pièce pleure… Déjà… Si l’on ajoute à ce tableau, la présence d’un premier mari « trompé »( ?..) : Otto Wesendonck, il ne saurait être de scène plus emblématique des rapports compliqués que ces êtres allaient entretenir pendant près de vingt années ! Toutes ces personnalités, auraient pu être les protagonistes d’un vaudeville, et ils allaient se retrouver tous, quelques dix-neuf années plus tard, à la création de la Tétralogie à Bayreuth en août 1876 (à l’exception de Minna, emportée auparavant par une crise cardiaque)9le 25 janvier 1866..

Il n’est pas nécessaire d’être le plus talentueux des scénaristes pour imaginer, durant les longs entractes de quatre soirées d’opéra, durant lesquels on déambule, on se toise, on se retrouve, des regards qui se croisent, d’autres cherchant à tout prix à s’éviter. Wagner est Wotan célébré en son temple, avec, à ses pieds réunie la foule de ses fidèles, et, parmi eux, d’aucuns portent la tête haute de ceux qui ont triomphé, laissant d’autres, chercher dans leurs souvenirs la force qui leur permet d’éviter les regards indiscrets.

Deux femmes en quête d’amour impossible

Bien que très différentes, les deux femmes présentent quelques éléments biographiques qui les rapprochent que l’on retrouve dès leurs jeunes années.

Mathilde Wesendonck, (de son nom de jeune fille : Agnes Luckemeyer), naquit le 23 décembre 1828 à Elberfeld10Aujourd’hui, un quartier de Wuppertal.. C’est une “rose de Noël”, comme Cosima11 le 24 décembre 1837.. Il est amusant d’évoquer cette première conjonction des astres … voire des désastres ! Agnes – qui prendra par la suite le prénom de Mathilde sur injonction de son époux12Par amour pour son mari, Agnès Luckemeyer prit le prénom de la première épouse d’Otto Wesendonck, Mathilde, décédée prématurément. -, est issue de la haute bourgeoisie allemande ; elle fréquente une école de filles d’enseignement supérieur – fait assez rare à l’époque pour être noté, où elle reçoit une excellente éducation (littérature, langues étrangères, musique…). En 1848, elle épouse le marchand Otto Wesendonck, devenu très riche grâce au commerce de la soie : c’est un veuf de treize années son aîné que sa famille accepte sans sourciller. Il est lui-même issu d’une famille de riches commerçants, et Mathilde éprouve immédiatement pour lui un sentiment d’amour mêlé de compassion : c’est un jeune veuf à consoler ! Après le mariage, elle vit avec son époux à Düsseldorf au Schwanenmarkt, puis c’est le départ pour les Etats-Unis en 1850, à New York plus précisément, pour les affaires d’Otto – qui continue de faire prospérer ses affaires, avant de revenir à Zurich en 1851 13Zurich arrive comme un choix imposé dans la vie du couple, car le frère d’Otto s’est compromis lors des émeutes révolutionnaires des années 1848/49 en Allemagne.. Mathilde et son époux vont dès lors mener une vie mondaine et artistique recevant et fréquentant l’élite intellectuelle en exil. Car les émeutes révolutionnaires de 1849 vont faire se côtoyer à Zurich et ses alentours des artistes, des aristocrates ainsi que de riches bourgeois allemands dans cette Suisse germanophone, entretenant entre eux et avec eux des relations beaucoup plus proches que s’ils avaient été dans leur patrie d’origine.

Cosima, elle, est née le 24 décembre 1837, autre “rose de Noël”14Traditionnellement, elle fêtera son anniversaire le jour de Noël. C’est pourquoi le 25 décembre est souvent donné à tort comme date de naissance.. C’est une enfant naturelle, née des amours adultérines de la comtesse Marie d’Agoult (née de Flavigny) et de Franz Liszt. Cosima a été éduquée par sa grand-mère Anna Liszt, avec sa sœur et son frère : Blandine et Daniel, puis dans un institut parisien. Ce ne sera qu’à partir de 1844, après la légitimation de son père, que Cosima prendra le nom de Liszt et non plus le nom de naissance de sa mère.

Ces problèmes de noms et de prénoms pas choisis mais imposés ou modifiés, nous rapprochent de Richard Wagner qui, toute sa vie durant, n’aura pas eu de réponse à la question que se pose Siegfried : “Mais qui est donc mon père ?”

Ce besoin de reconnaissance et de stabilité sociale – en réaction, bien naturelle et compréhensible à cette naissance “illégitime” – va sans nul doute inciter la jeune et très velléitaire Cosima à vouloir s’émanciper. En 1855, Liszt emmena ses enfants à Weimar et les confia quelques mois plus tard à la baronne Franziska von Bülow à Berlin pour la poursuite de leurs études. Elle y rencontre le fils de la maison, Hans von Bülow, l’un des élèves les plus talentueux de son père, qui s’est déjà fait un nom en tant que chef d’orchestre et pianiste.

Cosima reçoit une très bonne formation musicale, c’est une bonne pianiste ; elle s’exprime avec beaucoup d’aisance et voudrait être artiste ou interprète. Sa mère la décrit ainsi :

« Cosima est une fille brillante, très semblable à son père. Leur forte imagination les emmènera hors des sentiers battus ; elle a un démon intérieur auquel elle est déterminée à tout sacrifier. Il y a en elle à la fois de la bonté et de la grandeur. Elle manque souvent de jugement, mais cela se développera peut-être trop tôt en raison des expériences douloureuses de la vie. »

D’un côté, nous avons donc la poétesse, compositrice, Mathilde, naturellement plus émotive et réservée, et Cosima, plus enflammée par nature, qui est celle qui veut exister par des actes et aurait volontiers été sur scène une excellente actrice.

Le 18 août 1857, Cosima et Hans von Bülow se marient à l’église Hedwigskirche de Berlin. Si l’époux est un jeune noble prussien, il ne va pas se montrer particulièrement joyeux en ménage. C’est de plus un épileptique à l’humeur fragile et instable. Pour résumer à gros traits, ce n’est pas là un mariage d’amour. Cosima écrit dans son Journal que c’était « un grand malentendu », une « erreur », car leurs « tempéraments étaient absolument aux antipodes l’un de l’autre »15Danielle Buschinger, « Wagner, Cosima », dans Dictionnaire encyclopédique Wagner (sous la direction de Timothée Picard), Actes Sud/Cité de la musique, 2010, p. 2202..

Mais sa nouvelle condition d’épouse va propulser Cosima parmi les salons berlinois : elle invite régulièrement des invités à des soirées élégantes. Parfois, elle montre aussi ses talents musicaux. Elle fait preuve également d’un certain talent journalistique, fait des traductions et rend compte de la culture berlinoise dans la Revue germanique. Son charisme masculin énergique suscite à l’époque des commentaires contradictoires. Elle est en contact avec des femmes émancipées et politiquement actives telles que la féministe Hedwig Dohm, la militante des droits des femmes Emma Herwegh et l’actrice Ellen Franz.

Mathilde Wesendonck, pleinement épanouie dans son rôle de maîtresse de maison, préfère dans son salon la compagnie des artistes masculins. Et, parmi eux, un certain Richard Wagner.

Et entre en scène… Richard Wagner

Malgré leurs différences d’âge, Mathilde et Cosima vont faire la rencontre de Wagner à peu d’années près. Cinq en fait.

La première rencontre de Wagner avec la famille von Bülow a lieu fin février 1852, à Zurich Lors d’un dîner qui a lieu chez Marschall von Bieberstein, notre compositeur fait la rencontre d’Otto Wesendonck et de son épouse Mathilde, alors âgée de 23 ans. Le couple a été particulièrement touché par l’exécution de Beethoven et ainsi entrent-ils pour la première fois dans le « monde sensible » du compositeur. Il est probable que dès leur première rencontre, Wagner va parler d’argent : et c’est Mathilde qui va inciter son époux à aider le musicien et lui faire partager l’admiration qu’elle éprouve. Une admiration qui passe donc par le soutien financier. Entre le 18 et le 22 mai se tient à Zurich le tout premier « Festival Wagner » financé par Otto Wesendonck. L’histoire ne dit pas si Otto était mélomane. Tout ce que l’on peut sentir de ce décalage entre le « commerçant enrichi » et le fougueux compositeur, c’est que Wesendonck, qui est depuis peu installé à Zurich et qui doit acquérir une certaine respectabilité, s’achète un statut social de premier ordre : car il mise sur l’« Oeuvre d’Art de l’Avenir », Otto s’acquiert une réputation de mécène artistique : peut-être était-ce tout juste ce qui lui manquait !16Cette réflexion est à rapprocher de l’épisode de la bibliothèque de la future Villa qu’il va faire construire sur la Colline Verte ; en même temps que les meubles ainsi que les objets d’art précieux, il commandera une bibliothèque toute garnie des ouvrages que d’aucun esprit éclairé se devait de posséder.

Dès lors, Wagner se sent débiteur vis-à-vis d’Otto : il offre la musique qu’il crée, c’est ainsi que vont commencer à fleurir une série de cadeaux dédiés à Mathilde17et que Wagner remettra par l’intermédiaire d’Otto.. Une première polka est offerte à Mathilde Wesendonck le 29 mai suivant le Festival zurichois. Puis une Sonate composée, puis mise au net le 20 juin 1853 : celle-ci porte en épigraphe et en abrégé (lettres initiales) la devise interrogative des Nornes dans Le Crépuscule des Dieux : « Sais-tu ce qu’il adviendra ? » ; et Mathilde de demander à la pauvre Minna de transmettre ses remerciements à Wagner. Un chassé-croisé amoureux qui allait durer quatre ans. Sous l’oeil avisé et complice d’Elisa Wille, la fidèle Brangäne de ce drame qui ne s’appelle pas encore Tristan et Isolde mais qui en a déjà toutes les effluves : Wagner va devenir le Maître, le Pygmalion de cette fraîche Galatée qui l’admire avec passion. Elle comprend tout, assimile tout, même les cours de composition musicale. A son tour, la jeune élève va découvrir Schopenhauer, Novalis18Les Hymnes à la nuit ou bien encore Calderon19La Vie est une Songe : en faisant part de ses lectures à son Tristan, ils vont construire à eux deux le prodigieux Hymne à la Nuit dans lequel elle sera Isolde. Otto vient de temps à autres offrir un cigare au « professeur » de son épouse, ne prenant nul ombrage de sa présence de plus en plus proche, la facilitant même avec l’offre au couple Wagner de l’Asyl, et se montre toujours généreux dès qu’il s’agit d’aider le compositeur éternellement endetté.

Je passe sur les détails de l’évolution de cette passion sur fond du drame musical de Tristan – qui « d’opéra italiano-brésilien » va passer à « drame musical » – passion semble-t-il jamais consommée, qui va unir les âmes de Mathilde et de Richard.

Car Isolde c’est Mathilde, et Wagner qui théâtralise sa vie déjà depuis l’enfance, a plus ou moins consciemment cherché à vivre les affres de cette folle passion dans la réalité pour pouvoir la retranscrire dans son oeuvre Tristan et Isolde. Les Journaux intimes montrent cette capacité de Richard à s’identifier à ses propres personnages, mieux encore, à vivre parmi eux.

Le rôle de Muse que Mathilde commence à jouer de manière pleine et entière remonte déjà à La Walkyrie20dont le début de la mise en musique date de juin 1854.: la partition manuscrite est en effet remplie de notes en abrégé qui ne sont que des dédicaces à Celle qu’il aime, ou du moins qui l’inspire de plus en plus ardemment. Richard est Siegmund, lui, le proscrit politique, qui fuit et s’enfuit, elle est « l’enfant, la sœur » – il y a du Baudelaire quelque part en filigrane dans cette écriture – ce sont ces deux « jumeaux » qui ont « le même regard lointain » comme Minna, inconsciemment sans doute, l’a elle-même remarqué. Et notre « Hunding local » bien aussi, évidemment…

Au pinacle de la passion, notons que le 18 septembre 1857, a lieu une lecture privée chez les Wesendonck du 3e acte de Tristan qui provoquera chez Mathilde une intense émotion : car ce souvenir aura des répercussions dans le Journal de Venise (comme nous le verrons ultérieurement). La Muse se fait elle-même poétesse ; d’inspiratrice, elle devient créatrice. En témoignage de son admiration, mais aussi de sa gratitude, Mathilde offre à Wagner le poème Traüme21le 5e des Wesendonck-Lieder., début décembre 1857.

Mais plus les feux de la passion grandissent, moins ils peuvent se cacher plus longtemps. La suite est connue : le 7 avril 1858, Minna intercepte une lettre dans laquelle Wagner donnait rendez-vous à sa Muse au fond du jardin afin que, une fois seuls tous deux, ils puissent …. « échanger » ! L’ambiguïté de la situation ayant été révélée comme preuve de culpabilité par Minna au couple Wesendonck, il ne reste plus à Wagner qu’à … prendre à nouveau le chemin de l’exil. Alors qu’un concert Beethoven a lieu dans la salle de réception de la Villa Wesendonck, Wagner fait ses bagages, et quitte Zurich le 17 août .

Et avant qu’il ne parte, Mathilde aura pris soin de remettre à Richard un gros cahier, afin que celui-ci puisse y consigner ses pensées qu’elle pourra lire plus tard : c’est Le Journal de Venise.

Dans ce bal des dupes et des faux-semblants, notons que c’est von Bülow qui avait déclenché inconsciemment la série des événements à suivre quand il présenta Cosima à Richard Wagner, de vingt-quatre ans son aîné, lui-même déjà marié, à l’occasion de ce voyage de noces au cours de l’été 1857 que nous avons décrit plus haut22En réalité Wagner avait déjà rencontré les trois enfants de Liszt (dont Cosima, alors âgée d’à peine seize ans) lors d’un dîner le 10 octobre 1853 (in Danielle Buschinger, « Wagner, Cosima », dans Dictionnaire encyclopédique Wagner (sous la direction de Timothée Picard), Actes Sud/Cité de la musique, 2010, p. 2201. Wagner avait été troublé par la présence de cette toute jeune épouse qu’il avait aperçue encore enfant et dont il se souviendra ainsi dans son autobiographie (à noter que Cosima ressemblait beaucoup à son père) :

« Cosima écoutait la tête penchée et ne disait rien ; quand on insistait pour la faire parler, elle se mettait à pleurer. »

Cosima n’est pas heureuse en ménage. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’hésite nullement à faire part de son propre malheur… à qui veut l’entendre. Un curieux incident, est relaté par Wagner à Mathilde dans le Journal de Venise. Lors d’une promenade sur le Lac de Genève en compagnie de Karl Ritter, Cosima, a révélé à celui-ci toute la déception que lui avait apporté son mariage. Et le jeune homme de lui faire à son tour des aveux similaires. Cosima voulut alors se jeter à l’eau et n’y renonça finalement que … lorsque Karl lui jura qu’il l’imiterait alors immédiatement23Cette anecdote est rapportée par Henry-Louis de La Grange dans la Préface à l’édition française du Journal de Venise : Richard Wagner à Mathilde Wesendonck, Journal et Lettres (1853-1871) (Parution, Paris, 1986). L’auteur précise ensuite que l’on peut comprendre que, lors de la publication de la correspondance avec Mathilde, la veuve de Wagner ait plus tard détruit dans le journal de Venise les pages faisant mention de cet épisode fâcheux..

Hans von Bülow, était désormais devenu un collaborateur fidèle mais aussi un ami proche de Wagner (il avait créé la réduction pour piano de Tristan). L’ami et collaborateur si dévoué du Maître consacre toute la majeure de sa carrière à aider le Maître à parachever son Oeuvre24Pour Tristan et Isolde (1865), naturellement, mais aussi pour Les Maîtres chanteurs de Nuremberg (1868)..

Wagner – même si absent – devient un personnage à part entière dans le couple von Bülow”. Ce qui ne va pas manquer d’accentuer l’intérêt de Cosima pour l’œuvre de RW (aussi parce que son père en disait le plus grand bien). Elle décide ainsi de rendre visite au compositeur à Wiesbaden-Biebrich à l’été 186225Où il travaillait alors sur les Meistersinger.. Loin de von Bülow, les âmes se rapprochent. Wagner rapporte que Cosima a été « transfigurée » par son interprétation des « Adieux de Wotan » de La Walkyrie. En octobre 1862, juste après la mort de Blandine, Wagner et Bülow partagèrent les fonctions de direction lors d’un concert à Leipzig ; Wagner rapporte lors d’une répétition : « je me suis senti complètement transporté par la vue de Cosima… elle m’est apparue comme si elle venait d’un autre monde ».

Après la désastreuse aventure viennoise où Wagner avait tenté, en vain, de faire représenter Tristan sur la scène de l’Opéra Impérial, intervient le miracle tant attendu. Fuyant incognito créanciers et débâcle artistique, au printemps 1864, Wagner est appelé à la Cour du roi Louis II de Bavière. Le jeune « roi de contes de fées » qui depuis qu’il a accédé au trône, cherche à rencontrer l’homme qui par sa musique, avait, enfant, bercé ses rêves. Et rapidement le roi, de devenir son mécène. Wagner a désormais un soutien financier, et Louis II lui a ouvert de nouvelles perspectives artistiques.

Et après Biebrich,au cours de l’été 1864, Cosima prend seule la décision de se rendre avec ses filles à la Villa Pellet afin de rendre visite à Wagner, au bord du lac de Starnberg26. Ils sont tous les deux seuls et donc seuls acteurs-témoins de ce qui se passa réellement, en pleurant sur les désastres que furent leurs mariages respectifs, cela durant les trois jours qui précédèrent l’arrivée de Franz Liszt. Cosima avait déjà élu son champion : le “Chevalier Wagner”. et où il vit désormais à l’ombre du besoin.

Très vite (!), Bülow, sur les recommandations de Wagner auprès de Louis II, est nommé au prestigieux directeur de la musique de la Cour. Cosima et son époux s’installent à Munich. Ils ont déménagé et ont pris une maison commodément proche de celle de Wagner (Brienerstrasse), apparemment pour que Cosima puisse travailler comme secrétaire du compositeur. Mais tout en devenant le « bras droit » organisateur de Wagner, elle a également gagné la confiance du roi Louis II.

Et c’est à partir de ce moment-là que flottent dans l’air les brumes opaques d’un triangle amoureux. Le 10 avril 1865, Isolde, le premier enfant de Cosima von Bülow et Richard Wagner, naît à Munich27La dévotion de von Bülow envers Wagner était telle qu’il accepta l’enfant comme la sienne et l’enregistra comme « la fille légitime » de Hans et Cosima von Bülow. Wagner a assisté au baptême catholique le 24 avril.. Et le 10 juin 1865, au Hofoper de Munich, von Bülow dirige la première de Tristan et Isolde.

Mais Wagner, “L’Ami” du Souverain, occupe un rôle politique encombrant qui finit par représenter une menace réelle pour les finances du Royaume. Sans compter les maladresses qu’il répète à la Cour – sans réelle intention de nuire – tout comme les emprunts constants d’argent pour mener un train de vie luxueux. Caricatures et pamphlets se multiplient dans la presse, heurtant la sensibilité du bon peuple bavarois, fervent catholique et respectueux de la tradition. Le scandale menace d’éclater ouvertement. Afin d’éviter que sa fille ne se compromette dans une scabreuse affaire, qui à jamais nuirait à sa réputation, Franz Liszt, qui doit diriger en Hongrie, à Pest, la création de son oratorio La Légende de Sainte Elisabeth, décide d’emmener avec lui fille et gendre. Afin de mettre le couple à l’abri des regards veules d’une populace qui aime à colporter cancans et ragots d’un goût des plus douteux.

Avant cette séparation qu’ils pressentent longues, Cosima remet à Richard un épais cahier de cuir brun, afin que celui-ci puisse y consigner ses pensées durant l’absence, Cosima espérant pouvoir les lire plus tard lorsque de meilleures circonstances le permettraient. Et c’est ainsi que sur un procédé tout à fait analogue au Journal de Venise, apparait le Carnet brun.

 

1 – Circonstances de l’apparition des deux carnets dans la vie de Wagner.

Les deux cahiers voient le jour dans de bien sombres augures (pour Wagner, l’auteur, comme pour son entourage). Et cette ambiance, le poids du choc émotionnel qu’éprouva Wagner comme conclusion aux deux épisodes amoureux les plus graves de sa vie transparaît dans les premières entrées des deux journaux. A chaque fois, nous retrouvons un Wagner triste et sombre, malade.

2 – Les lieux de la rédaction

Rien de bien gai, en fait dans le Palais Giustiniani que Wagner découvre à son arrivée à Venise : de grandes pièces meublées au strict minimum , et mal chauffées : il pleut, il fait froid, le palais glacial est immense…

Le Hochkopf, ce refuge de haute montagne au-dessus du Walchensee – qu’il faut atteindre après une rude escalade – est humide, et les intempéries n’ajoutent rien de bien réjouissant ; puis, c’est le retour à la Villa de la Brienerstrasse à Munich : encore un lieu vide et dans lequel l’absence de l’être aimée rend l’ambiance encore plus lourde.

3 – Les “retraites imposées”, symboles de l’échec

Notre malheureux héros ne fait que se morfondre ; contraint de vivre en solitaire, Wagner rumine à longueur de journées des pensées négatives : sur le(s) désastre(s) par le(s)quel(s) se sont soldé tant les deux aventures romanesques (et… rocambolesques !) que les perspectives, désespérément attendues, de voir son Œuvre trouver pleinement sa concrétisation.

Proscrit du cadre élégiaque – mais tout aussi fragile – de la Colline Verte de Zurich, Wagner ne peut se voiler la face : il sait que, même le temps faisant son œuvre, il sera difficile de regagner la confiance et les subsides de son premier mécène, Otto Wesendonck.

Et même si dans l’aventure munichoise, le Roi – parfait de candeur et d’innocence et qui ne voit en « l’affaire de la Brienerstrasse » que des ragots populaires sans fondements – n’a pas rompu avec son compositeur protégé28Louis II ne demandera officiellement à Wagner de quitter Munich que le 7 décembre 1865., Wagner sait en son for intérieur que les mois à venir ne vont pas être “simples”29Bien avant que Louis II ne demande le départ de Wagner, l’artiste aura eu le temps de voir venir les prémices de difficultés à venir : le théâtre pour y représenter Tristan (deux projets qui ne verront jamais le jour : celui d’un théâtre dans l’enceinte du Glaspalast, Festspielhaus Isar…), les premières remarques des ministres sur les rentes allouées par le Roi à Wagner et jugées… excessives !.

Mais aussi – et peut-être surtout : Wagner se retrouve totalement seul ; les premières journées du Journal de Venise le montrent pour la première fois de son existence, privé … de présence féminine, et Wagner ressent cette absence du Féminin comme un drame. Minna, mais aussi, Mathilde, puis Cosima, disparaissent pour un temps incertain du quotidien de Wagner, mais avec elles, toutes ces amies, confidentes, complices, amourettes, s’évanouissent aussi : Eliza Wille, Mathilde Maier, également Frederique Meyer, et ces gouvernantes ou cuisinières avec lesquelles Wagner passait du bon temps ; à bavarder tout simplement.

Outre la profonde admiration qu’il portait aux femmes – allant lui-même à contre-courant d’un XIXe siècle particulièrement rétrograde et qui faisait renaître la Femme à travers des réincarnations le plus souvent perverses et pêcheresses – Wagner, malgré ses mésaventures, avait toujours lutté contre cette angoisse de la solitude, toujours avec la compagnie de ces femmes qui l’ont servi, accompagné, admiré… voire aimé.

A ce moment, Wagner se sent profondément éprouvé et affaibli physiquement, et doit se résoudre à l’idée que ce Tristan l’aura coupé de tous… et de tout.

4 – Où l’on perçoit des ressentiments différents à l’égard des deux maîtresses

 Se retrouvant seul, Wagner va successivement et par le biais de deux Journaux intimes, tenter de combler le vide, s’adressant dans des soliloques sans fins, et écrits à ses maîtresses.

« L’enfant » Mathilde : la fragile disciple adoratrice (il est son professeur et s’était vanté d’écrire « sa page blanche »), et « ma femme » : Cosima, bien que plus jeune est un personnage beaucoup plus mature et fort, et qui lui donne des enfants.

Mais, d’une manière ou d’une autre, Wagner affirme son amour. Quels seront les retours ?

Les lettres passionnées de Mathilde enchantent Wagner et le réconfortent.

L’opposition est totale avec Cosima dont il imaginait, seul à Munich, recevoir des lettres pleines de réconfort : au contraire, c’est la douche froide.

Cosima manœuvre insidieusement, consciemment et peut-être un peu inconsciemment aussi, distribuant les cartes (ainsi que les preuves d’affection) aux trois protagonistes (Hans et Richard, mais aussi Franz), qui sont confrontés dans ce jeu cruel.

Avec Mathilde, poète et Muse sont à l’unisson : les réponses restent dans un style proche de ses propres poèmes. C’est le ton et le vocabulaire du livret de Tristan, comme on le voit plus bas.

Pour Cosima, le discours est différent, souvent factuel, et raconte comment il occupe ses journées, le récit des affaires courantes (le projet de théâtre de Semper…) auxquelles le trio “en voyage” est nécessairement étranger. Et nombre de piques sarcastiques volent à destination du beau-père (devenu “de fait”, le responsable de tous les maux de Wagner), il évoque le “pauvre Hans”, et … nombre de reproches cinglants sont faits à Cosima, « ma femme » (notamment concernant le peu de fibre maternelle la concernant….)

5 – Styles et sémantique

Le style que Wagner emploie dans les entrées des Journaux intimes varie selon la thématique développée, à savoir la nature du propos traité par Wagner qu’il s’agisse de Mathilde ou bien de Cosima.

L’ensemble des entrées du Journal de Venise laisse Wagner tout entier encore à son rêve auquel il n’a été que trop vite et de manière trop brutale arraché. Nous sommes encore pleinement dans l’extase cosmogonique et passionnée du duo d’amour du 2e acte de Tristan (il est à rappeler que pendant son exil à Venise, Wagner était entièrement accaparé par la mise en musique de ce duo d’amour avec Mathilde à Zurich au cours de l’année précédente…)

L’entrée du 18 septembre 1858 du Journal de Venise est particulièrement caractéristique de la juxtaposition de l’évocation par Wagner des joies de l’Eden à jamais perdues, et d’un regard porté a posteriori sur la condition misérable qui les lie désormais : la séparation. C’est très précisément un an auparavant que Wagner avait remis le poème du 3e acte de Tristan en cadeau-hommage à Mathilde.

Dans le Carnet brun, les références à Tristan semblent comme une tentative désespérée pour Wagner de recréer avec Cosima l’atmosphère de cette union parfaite, perdue depuis le départ de l’Asyl. On lit :

31 août [1865]
« Le navire – ne le vois-tu pas encore ? »
« Tant que j’étais assis à mon Parsifal, mon imagination m’a été d’une grande aide : – chaque fois que le rideau rouge devant la porte bougeait, mon cœur frémissait : – c’est elle qui va apparaître ! – […] »

Certes, Wagner, tout comme Tristan, attend le retour sans fin de son Isolde-Cosima, d’où la citation en incipit extraite du 3e acte de Tristan, mais la suite de la lettre nous fait vite comprendre que Wagner a dépassé le stade de l’alanguissement de Tristan, et que l’impatience a cédé le pas à l’agacement. Preuve supplémentaire s’il le fallait, voici comment se termine cette même entrée :

« Mais – je t’aime plus que tu ne m’aimes ! – tu dois me laisser cette [bien] triste fierté ! – Ah ! […] »

L’entrée de l’entrée du 3 septembre 1865 dans le Carnet brun est également toute inspirée de Tristan. On retrouve toute la sémantique “dormir, rêver, mourir” : n’est nul besoin d’être un connaisseur aiguisé de l’œuvre de Wagner pour reconnaître ici l’inspiration de Tristan. Certes c’est la même sémantique chère aux romantiques allemands (Novalis, Heine, Hoffmann…) qui célèbrent la nuit comme le triomphe de la vérité en face du mensonge du Jour ; il ne faut donc plus vivre mais seulement rêver.

Dans d’autres entrées, Wagner utilise également le mot si proprement germanique de “schweben” qui signifie “flotter”, en l’occurrence, ne pas toucher les réalités et bassesses de la terre. Qui forcément sont nocives. Là où Tristan et Isolde célébraient leur amour de la nuit pour son caractère supposé “authentique”, Wagner n’a bien que la nuit et le rêve, voire la mort, qui lui permettent de… survivre !

Mais il est plus facile de rêver… à deux. Et Cosima est bien loin de pouvoir (de vouloir ?) ressusciter le rêve d’Isolde ! Alors,Richard rêve et attend une lettre…et « quand la lettre arrive », tout s’effondre !

6 – La Femme : l’amie, l’amante, la Muse, l’épouse, la mère ?

Déjà mis en exergue précédemment, le seul fait d’appeler la compagne désignée du moment par le terme “Mein Kind” ou bien celui de “Mein Weib” est un indice important – et non des moindres – pour déterminer, presque de manière sensitive et sensorielle, la représentation que Wagner se fait de ces deux femmes. Deux appellations aux connotations bien différentes et qui peuvent laisser présager qu’elles vont engendrer les tons respectifs utilisés par Wagner dans ses journaux.

Après avoir vécu ces deux périodes émotionnelles si rapprochées, avec une rupture incontestablement perturbante, il est aisé d’imaginer que Wagner ait pu espérer retrouver l’une et l’autre en une seule (l’amante, ou bien l’aimée et la Muse).

Si Cosima n’avait pas tenté de dissimuler un caractère bien trempé, à de nombreux égards bien masculins, voire un rôle de dominatrice au sein du couple, il n’en demeure pas moins que c’est celle qui lui donne des enfants, ce rêve enfin concrétisé que Wagner appelait dans son inconscient désordre relatif à la notion de famille. Fonder une vraie famille, enfin, une relation stable qui est la condition essentielle pour l’équilibre quotidien et la vie sociale (des valeurs aussi conventionnelles que bourgeoises, a priori aux antipodes de ce que l’on pourrait attendre de Richard Wagner), tout comme un port d’attache stable et pérenne pour cet éternel errant, un lieu de pause enfin pour celui qui, fatigué, parachève ainsi la folle aventure de son existence.

7 – Le contenu des textes des journaux intimes.

 Bien entendu, le Carnet brun ayant accompagné Wagner dans son quotidien jusqu’en 1882, celui-ci renferme quantité de textes traitant d’une foule de sujets : lectures, opinions diverses telle celle qui nous interroge sur la notion de journalisme, sur la condition de spectateur, sur la religion, sur la destinée de l’Humanité, sur l’environnement, des écrits aux résonances modernes qui nous montrent l’évolution de la pensée de l’auteur.

Le Carnet brun est le reflet de la diversité des centres d’intérêt de l’artiste, et parfois c’est aussi le témoin de conversations que l’auteur entretenait avec Cosima, une fois celle-ci devenue son épouse. Mais là où l’on aurait pu voir une convergence des deux âmes on se trompe, Cosima acquiesçait toujours, du moins en façade – concordance de textes datés dans le Carnet brun et repris dans le Journal de Cosima – mais la jeune femme poursuit sa manœuvre de sacralisation de Richard Wagner selon l’image du Maître qu’elle a décidé de laisser à la postérité.

Enhardi par ces diverses constatations sur les deux journaux intimes, il aurait été facile de limiter le Journal de Venise à une banale correspondance d’amoureux séparés par le Destin.

C’est beaucoup plus que cela. En effet, avant Cosima, et le Carnet brun, les lectures de Schopenhauer, des épopées indiennes, mentionnées et distillées tout au long du Journal de Venise sont autant de preuves que le cadre des discussions entre les amoureux de Zurich sont d’un très haut niveau intellectuel, et que Richard avait trouvé en Mathilde une interlocutrice particulièrement réceptive pour échanger sur les sujets culturels ou de société qui le passionnaient.

Conclusion

« It must be so… »30“I doit en être ainsi”l

Tel un Leitmotiv, la citation de Shakespreare (Henri V) que Wagner avait employée et  à Mathilde dans les Lettres et le Journal de Venise, sera reprise aussi dans le Carnet Brun à l’attention de …Cosima, pour évoquer toujours le Fatum antique – élément primordial sur lequel Wagner va construire les livrets du Hollandais volant à Parsifal – qui serait le seul responsable de leurs situations … si délicates ! Wagner toujours mêlant les réalités de sa vie aux destinées de ses héros. Ainsi se clôt aussi en quelque sorte pour Wagner, la quête impossible de l’amante idéale.

Certes, Isolde n’existe pas, mais Mathilde s’en rapproche de près, tandis que Cosima reste complètement inaccessible à ce monde du rêve qui restera toujours et quoi qu’il advienne celui auquel aspirera l’incorrigible amoureux qu’est resté jusqu’à sa mort le Maitre de Bayreuth : et vivre le rêve et l’illusion…

NC/MBFE

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Réponse : Ludwig Schnorr von Carolsfeld (1836-1865) et son épouse Malvine (1825-1904). Quelques semaines plus tard, Ludwig Schnorr von Carloslfeld mourut de manière soudaine, âgé de seulement vingt-neuf ans.

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