Introduction
I.1. Nouvelle analyse des Leitmotive (motifs conducteurs) dans Parsifal.
Le tableau des motifs conducteurs, habituellement joint à l’édition de l’ouvrage (1), ne peut en aucun cas rendre la pensée exacte du compositeur car ils sont sortis de la place et du moment, du contexte, de leur apparition dans l’oeuvre. Ainsi ils ne montrent pas le lien avec la pensée maîtresse de l’oeuvre et les liens entre eux. (Ex. nr 1 : Parsifal, le tableau des Leitmotive).
Nous nous concentrerons pour ce chapitre sur le Prélude et le Premier Acte de Parsifal dont nous analyserons la construction leitmotivale.
Le Prélude.
Le Leitmotif nr 1 » La Cène« , le Leitmotif nr 2: » Le Graal » et le Leitmotif nr 3: « la Foi« , forment un tout en La b Majeur. Auquel est rattaché le Leimotif nr 4: « la Lance« . Ils apparaissent l’un après l’autre dans le Prélude qui s’ouvre sur le Montsalvat au premier acte. C’est seulement là que les Leitmotive mauvais (diaboliques) se font entendre. Au début, essentiellement celui de Kundry. Parsifal commence et se finit par des Leitmotive purs. Dans cette construction en trois actes, symbolique, nous avons: le Paradis, l’Enfer, le Paradis. Montsalvat, le château de Klingsor, Montsalvat et, de l’un à l’autre, le chemin intiatique. Toute l’oeuvre est contenue dans cette pensée. Nous avons des Leitmotive puissants, purs, invulnérables, quoique tourmentés comme l’âme du jeune Parsifal, et des Leitmotive, mauvais, brûlants, éphémères. Leur raison d’apparition n’est pas dictée par des règles harmoniques ou l’esthétique de l’époque, mais par la pensée pure du drame (ici de l’action sacrée : la foi naissant et triomphant en Parsifal). Le Leitmotif nr 1 est en soi un mystère. D’où vient son charme irrésistible ? Il se déploie sur toute l’étendue du Prélude, originel ou modulant et sur toute l’oeuvre, transposé, fragmentaire, entier, triomphant. C’est une lumière qui perce les Ténèbres. D’où vient cette lumière, cette inspiration ? (Ex. nr 2/a/b/c : Leitmotif de « la Cène » son déploiement à l’orchestre. Le Prélude de Parsifal ). Courte analyse et hypothèse à propos de ce Leitmotif (Ex. nr 3 : courte analyse du Leitmotif de « La Cène » dans Parsifal (le Prélude).
La puissance musicale du premier Leitmotif (La Cène) décide de toute l’oeuvre. Sa force, son rayonnement, est prédominant. C’est ainsi qu’il envahit toutes les premières pages du Prélude, développant l’essentiel et conservant l’essentiel. Symbole de la lumière de la Foi.
Parsifal est une immense toile au motif central inaltérable qu’aucun autre motif ne domine (2). Nous proposons donc une nouvelle analyse des Leitmotive dans Parsifal : les Leitmotive, quoique modulants, inaltérables : les Leitmotive mauvais (Kundry, Klingsor, la souffrance d’Amfortas) et les motifs secondaires, essentiels à l’action.
I.2. Analyse et enchaînement des Leitmotive.
Aux mesures 1 à 14 le Leitmotif nr 1 « La Cène« , en Lab Majeur, est porté à l’orchestre à différentes hauteurs. Mesures 15-20 transition, aussi en La b Majeur, qui aboutit au Leitmotif nr 1 dans une autre tonalité : en do mineur (mesures 21-33). Puis transition dans la même tonalité amenant au Leitmotif nr 2 « Le Graal » (Ex. nr 4 : Leitmotif nr 1, transposé, transition et Leitmotif nr 2-débouchant sur le Leitmotif nr 3 : « La Foi« ). Le Leitmotif de « La Foi » apparaît donc à la suite de celui du « Graal« , après des silences expressifs. Le rythme à 4/4 passe à 6/4 (mesure nr 44, op. cit.). Ce Leitmotif, solennel retentit forte en dynamique crescendo et est répété trois fois en modulations qui semblent le rapprocher dans le temps et l’espace : La b M, Do b M et Ré M puis il va s’éloigner en descente lente vers sa conclusion en Mi b mineur.(Ex. nr 5 : le Leitmotif de « La Foi« ). Aussitôt lui répond le Leitmotif nr 2 du « Graal » en Do b M qui entraîne la reprise (à 6/4) du Leitmotif de « La Foi » qui va se répéter en lente descente jusqu’à son arrêt en La b M (m. 59-77) et sa vibration en trémolo (m. 78) sur un rythme devenu 4/4 amenant l’amorce du Leitmotif nr 1 (« La Cène« ) dans sa version originale : La b Majeur (m. 78-81). Nous avons 81 mesures des trois motifs-clé : La Cène, Le Graal, la Foi.
A la quatre-vingt-deuxième mesure, l’orchestre plus agité et plus chargé prépare à la lever du rideau par le Leitmotif nr 1. Le rideau s’ouvre sur un accord suspendu par une septième d’espèce (mi b-sol-si b-ré b-mi b-ré b-sol-mi b) qui suit la transition, enchaînant la reprise du Leitmotif nr 1 (en mi b M). Quand le rideau se lève sur l’Acte I « au domaine du Graal » la musique ne cesse pas et continue sur le Leitmotif nr 1 (modulant) joué par le sonneur sur la scène (op.cit. p. 8: Acte I).
Gurnemanz s’éveillant et secouant les pages : « He! Ho! Waldhüter ihr, Schlafhüter mitsammen, so wacht doch mindest am Morgen » (Hé! Ho! Gardes du bois, Gardes du bon somme, Debout, au moins à l’aurore). (3)
Sous le mot « Morgen » sonne le Leitmotif nr 2, « Le Graal« , dans sa totalité et dans sa tonalité originale (La b Majeur) (Ex. nr 7 : le début de l’Acte I, Parsifal. R. Wagner). De la quatre vingt deuxième mesure jusqu’à la lever du rideau, nous avons le Leitmotif nr 1 (« La Cène« ) sous les nombreux éclairages de modulations proches ou éloignées. Des éléments harmoniques le dramatisent introduisant en lui une tension nouvelle. Apparaissent le Leitmotif nr 5 (« l’Appel au Sauveur« ) et un fragment du motif de Kundry qui fera la matière harmonique de la révélation en Parsifal de la souffrance d’Amfortas, à l’acte II (« Amfortas! die Wunde. Sie brennt in meinem Herzen« = Amfortas! la plaie. Elle brûle dans mon coeur). (Ex. nr 5 : Leitmotif nr 1 modulant, dramatisé et Leitmotif nr 5 : « L’appel du Sauveur« . Fragment du Leitmotif nr 6 : Kundry (« Amfortas! die Wunde. Sie brennt in meinem Herzen« ). (Ex. nr 6/a/b/c : la fin du Prélude ouvrant sur l’Acte I).
Conclusion :
Parsifal est entièrement bâti sur les Leitmotive : harmonie et mélodie vocale. Sans la conscience de leur omniprésence, on ne comprend rien ni à sa construction ni à son sens (Ex. nr 7 : le début de l’Acte I bâti sur les Leimotive 1 et 2).
I.3. L’acte I de Parsifal. Construction du langage musical.
L’Acte I, en son début, est presque entièrement bâti sur les Leimotive purs : La Cène, le Graal, la Foi, la Lance. L’action dramatique est amené par les Leitmotive mauvais : La Magie, Kundry, Klingsor, qui la trouble. Tout se passe donc dans l’harmonie et la mélodie expressives de l’orchestre qui entoure et enveloppe le chant, l’imprègnant, le guidant, portant la parole dont chaque mot résonne musicalement de la pensée leitmotivale. C’est la mélodie continue ou la pensée musicale ininterrompue du début à la fin de l’oeuvre. Un monde sémantique articulé et parfaitement cohérent. (4)
Comme nous l’avons écrit précédemment, la fin du Prélude s’enchaîne sur l’Acte I, sans interruption, avec la lever du rideau qui déouvre le Montsalvat et le Leitmotif nr 1 (« La Cène« ) transposé. Au Leitmotif nr 1 (« La Cène« ), succède le Leitmotif nr 2 (« Le Graal« ) puis le Leitmotif nr 3 (« La Foi« ). (Ex. nr 7 : L’acte I, le début : les trois premiers Leitmotive). La mélodie du chant (Gurnemanz) est en concordance avec ces Leitmotive (ainsi que la mise-en-scène et les décors) (5). Leitmotif nr 1. Dans la même tonalité : La b Majeur.
Le chant est conçu en fonction de ces Leitmotive, liés à l’action dramatique : Montsalvat s’éveille. Le nouvel élément viendra avec Amfortas, le Leitmotif de sa souffrance (Ex. nr 8/a : Leitmotif nr 7 (par ordre d’apparition dans le drame) : « la Souffrance« ).
Mais le langage de Parsifal n’est pas si simple. Comme déjà auparavant est apparue la quinte augmentée (fa-do#) – dans la tonalité originale ou transposée – lié au Leitmotif de Kundry et à celui de la Magie (venant de Klingsor) et présente dans la révélation en Parsifal de la souffrance d’Amfortas (à l’acte II : « Amfortas ! die Wunde !« – Amfortas ! la plaie !).
Quand résonne le Leitmotif nr 7 « la souffrance« , subtilement, sous lui, se glisse un fragment de celui de Kundry. Ce qu’en aucun cas n’indique le Tableau des Motifs (voir ex. nr 1). (Ex. nr 8/b : L’Acte I de Parsifal). Le motif de « la Souffrance » est répété plusieurs fois à partir de la mesure 36 de l’acte I (op. cit. pp. 9-10). Pour l’instant, les Leitmotive sont plus puissants que le chant. C’est eux qui le génèrent, an accord intime, ou en dépendance harmonique. Le contenu du texte, ses accents prosodiques et sa sémantique, peuvent être aussi déterminants. Mais la priorité des Leitmotive est incontestable. (Ex.nr 8/c : Le Leitmotif de « la Souffrance » pénétré par les Leitmotive mauvais : La Magie, Kundry, Klingsor).
I. 4. Analyse du début de l’Acte I de Parsifal.
L’évidence leitmotivale apparaît dès le début de l’Acte I : scène 1 : Une forêt ombreuse d’aspect sévère, mais non sombre. Au milieu, une clairière. On devine, vers la gauche, le chemin qui monte à Gralsburg. Du centre de la scène, le sol s’incline vers un lac, situé plus loin. – L’aube du jour.
Gurnemanz (Acte I, début) :
– « He ! Ho ! Waldhüter ihr, Schlafhüter mitsammen, so wacht doch mindest am Morgen. » (construit sur le Leitmotif nr 1: « La Cène« ).
– « Hört ihr den Ruf ? Nun danket Gott, daß ihr berufen ihn zu hören » (amené par le le Leitmotif nr 2 : « Le Graal« , construit dessus, dynamique comprise). Le Leitmotif 1 s’enchaîne tout naturellement au Leitmotif 2. Les deux pages s’éveillent en sursaut. Sur la fin des paroles (de l’éveil) de Gurnemanz, à 6/4, après des silences significatifs, forte retentit le Leitmotif nr 3 de « La Foi« . (Il s’agenouille avec les pages et fait avec eux, mentalement, la prière du matin) (6)
Développement du Leitmotif 3 (avec des parcelles du Leitmotif 1). Retentit de nouveau sur la scène le Leitmotif nr 2 « Le Graal« , ils se relèvent lentement. Modulation en Do# mineur, Mi Majeur sur un développement du Leitmotif nr 3 et enchaînement utilitaire ressemblant, dans son rythme seulement, au Leitmotif de Parsifal, non encore apparu. Ascendant (peut-être allusion au Leitmotif nr 2, quand il monte sur la dominante du ton). Enchaînement sur le Leitmotif nr 7 (dans l’ordre d’ apparition, complète, ou allusive, dans la partition) : « La Souffrance » (Ex. nr 8/b : Leitmotif nr 7 : « La Souffrance« ) (7). Gurnemanz : « Zeit ist’s des Königs dort zu harren« . Il regarde vers la gauche) : « Dem Siechbett… » sous ces mots dans le Leitmotif nr 7 se glisse un élément (la quinte augmentée) (8) du Leitmotif de Kundry (non encore avenu : Kundry apparaît physiquement, plus tard). « das ihn trägt, voraus, seh’ich die Boten schon uns nah’n ! Heil euch! Wie geht’s Amfortas heut ? Wohl früh ver (?) langt’er nach dem Bade…« ). (Ex. nr 8/c : allusion au Leitmotif de Kundry dans le Leitmotif nr 7 : « La Souffrance« ). Le chant déclame le texte et joue l’action. Les Leitmotive mènent le drame.
Continuant, sur quelques accords de l’orchestre (dans un style récitatif), Gurnemanz ment par la parole, tandis que la mélodie dit vrai! « das Heilkraut, das Gawan mit List und Kühnheit ihm gewann, ich wähne, daß es Lind’rung schuf ?« . Ce que relève le Chevalier (nr 2) : « Das wähnest du, der doch alles weiß ?« . Ce motif n’est pas répertorié dans les Leitmotive.
Curieusement, il comporte des éléments du Leitmotif d’ Herzeleide (la mère de Parsifal) et il est nécessaire car il créé un double langage et, plus loin, précèdera le cours de l’action dramatique. Est-ce prémonition ou le destin est-il déjà en marche, ce que savent et disent les Leitmotive, avant même la parole ou les actes ? Là est toute la profondeur de l’art de Wagner. Le chant est complètement modulé et généré par le Leitmotif, idéalement habillant le texte, son intention et sa sonorité. « L’espères tu, toi si bien instruit ? (« Das wähnest du, der doch alles weiß ?« ) (Ex. nr 9/a/b/c : Gurnemanz ment (cache sa pensée) aux Chevaliers qui viennent avec Amfortas porté sur son lit de souffrance. « Wie geht’s Amfortas heut ?« .
I.5. La pensée caché de Gurnemanz. Les motifs secondaires, nécessaires à l’action.
Gurnemanz : » (« Les plantes que Gawan par ruse et force lui conquit) j’espère, ont calmé son mal ?« . (voir ex. nr 9/a/b : « Comment va Amfortas aujourdhui ? « ).
Chevalier (nr 2) : « L’espères tu, toi si bien instruit ? » (op.cit. p.10).
Le motif musical qui porte ce dialogue et résonne dans l’harmonie n’est pas signalé dans le Tableau des Motifs (voir ex. nr 1). Il ressemble au Leitmotif de Herzeleide, la mère de Parsifal. Serait-ce une prémonition de la venue de Parsifal ?
Chevalier 2 : « En lui plus âpre, le mal s’est vite réveillé: sans trêve brûlé de fièvre, il nous harcèle pour le bain« .
Gurnemanz : « Fous nous tous, pensant calmer ses affres ! S’il n’est guéri, nul calme ! Cherchez les herbes et les philtres, loin partout, par l’univers : il n’est qu’une aide, une seule »
Chevalier 2 : « Nomme la donc ! »
Gurnemanz (évasivement) : « Vite le bain ! » (Ex. nr 10/a/b/c/d : Le dialogue entre Gurnemanz et le Chevalier).
C’est alors qu’apparaît Kundry. Les deux écuyers se sont tournés vers le fond et regardent à droite: « Là-bas, la cavalière !… » (op. cit. pp.10-12). (Ex. nr 11/a/b/c).
I. 6. Les Leitmotive mauvais, changeants, agissant secrètement, par allusion, avant même leur appariton physique dans le cours du drame.
Le Leitmotif nr 8 : La Magie empoisonne le dialogue entre les Ecuyers, les Chevaliers et Gurnemanz. (Ex. nr 11/a/b : La Magie de Kundry et de Klingsor, avant même leur appartition dans le drame). Il est donc nécessaire avant de lire Parsifal de connaître parfaitement ces Leitmotive qui font la matière harmonique et mélodique de l’ouvrage. Ceci afin de comprendre, vraiment, l’intention des mots. C’est ce que nous avons appelé en introduction les motifs secondaires essentiels à l’action. L’action anticipée par une citation, un fragment, d’un Leitmotif qui n’ a pas encore apparu dans sa totalité et sa tonalité originale. Ces Leitmotive mauvais, se glissent subrepticement dans le cours de l’harmonie et changent le sens. (9)
Nous les rappelons ici (Ex. nr 13 : Les Leitmotive mauvais). Kundry apparaît enfin précédée de son Leitmotif entier. Lasse, elle évoque cependant le désert (arabe ?) et la magie. (Ex. nr 12 : Kundry et sa magie).
Conclusion : la langue absolue des Leitmotive et des Motive.
La mélodie continue. Par ces mêmes Leitmotive. modulant, se transformant, entiers ou fragmentaires, allusion seulement ou suggestion, s’enchaîne la mélodie continue. C’est la technique supérieure de Wagner qui fait l’unité du matériau sonore. L’unité de l’harmonie avec la mélodie et la mise en valeur dramatique du texte poétique, de son sens et de sa profondeur.
Conclusion : Parsifal, la langue absolue des Leitmotive et des Motive. La mélodie continue.
Par ces mêmes Leitmotive. modulant, se transformant, entiers ou fragmentaires, allusion seulement ou suggestion, s’enchaîne la mélodie continue. C’est la technique supérieure de Wagner qui fait l’unité du matériau sonore. L’unité de l’harmonie avec la mélodie et la mise en valeur dramatique du texte poétique, de son sens et de sa profondeur.
Richard Strauss, hérite de la technique wagnérienne mais si l’orchestre gagne encore en couleurs, variété rythmique et indépendance vis à vis de la ligne vocale, le chant dépasse le cadre et devient à la fois, réaliste, expressioniste et symbolique. Entre tonalité et atonalité, l’harmonie noie la mélodie vocale qui resurgit, éperdue, perdue, moderne. La mélodie continue se fait polyphonie, rompue, polychrome, où résiste une idée monothématique: la sensualité barbare et exacerbée d’une vierge orientale, perverse, passionnée et innocente ou ignorante. Qui entraîne la chute d’un royaume païen et superstitieux.
Etude de Salomé. La construction par le langage musical.
II. 1; Equilibre ou déséquilibre de l’orchestre et de la voix. La mélodie rompue.
La mélodie vocale dans Salomé est directement dépendante de l’harmonie, mais l’harmonie dépasse les bords du chant et le chant déborde les possibilités de la technique vocale. D’où, quelque fois, une apparence de chaos tonal et de déséquilibre ou de lutte entre la voix et l’orchestre.
Comme nous l’avons démontré précédemment, l’opéra est essentiellement bâti sur le Leitmotif de Salomé, de sa danse et de son exigence farouche qui entraîne sa mort : la tête de Jean (Ex. nr 1/a/b : la danse des sept voiles). Hérode ne peut résister à Salomé. Aucun argument n’a prise sur elle. Peu à peu éclate sa folie. La démesure noie la partition, cependant subtilement construite (Ex. nr 2/a/b/c : dialogue d’Hérode et de Salomé).
Le paroxysme est atteint, quand Salomé obtient la tête du prophète, Jean, sur un plateau d’argent, et la baise, ensanglantée, lui déclarant ainsi son amour. « Le mystère de l’amour est plus grand que celui de la mort« .
Ecoeuré, épouvanté, Hérode commande à ses soldats de tuer cette femme, « ce monstre« . L’opéra se finit sur le motif de la danse, de son rythme, endiablé. Le Leitmotif de Salomé (Ex. nrs 3/ a/b et 4/a/b : les excès, la fin et la mort de Salomé). Utilisation du Leitmotif de Salomé (la danse des sept voiles) ( Ex. nr 5/a/b/c : Le Leitmotif-clé de Salomé. Utilisation). Le tissu harmonique et les excès vocaux balançant entre des extrèmes suicidaires (Si b au-dessus de la portée à Sol b au-dessous) (10) sont délirants, quoique parfaitement plausibles quand à la situation et même harmonieux. L’oeuvre n’est pas bâtie sur les Leitmotive (comme Parsifal) bien qu’elle use partiellement de cette technique. L’orchestre est en constant rapport avec la voix, même s’il l’est en décalage rythmique ou temporel (11), cependant ce ne sont pas les Leitmotive qui les lient ensemble. Quel est donc le secret compositionnel de Richard Strauss ?
C’est le mélange des couleurs et des rythmes, sans préjugé ni retenue. La palette sonore qui rend la turbulence du sujet. La toile luxuriante où, jaillis soudain jetés là et là des symboles comme la lune, le sang. La mort. Technique surréaliste où sur la toile tonale se colle une toile atonale, en décalage, ou quelque fois en accord.
Ce jeu d’ombre et de lumière est admirablement adapté au sujet et au drame d’Oscar Wilde. Cependant la voix et sa mélodie, contrairement à l’écriture wagnérienne, sont désordre, insatisfaction, au bord d’un précipice inconnu. La logique sort vaincue d’un combat sans merci de l’orchestre et de la voix, qui ouvre pourtant l’avenir du drame lyrique de demain.
Conclusion: le secret compositionnel de Salomé.
L’unité de la partie musicale de cet opéra est assurée par le Leitmotif de Salomé, dominant dans la danse des sept voiles. Leitmotif en trois parties : rythme des tambours (la-mi-fa-la-mi-fa-la-mi-fa), le court motif rythmique ascendant (mib-fa-sol) et les ornements (fa-mi-ré #-mi; sol-fa-mi-ré #) orientaux, suggestifs, érotiques, provocants, insolents et hors tonalité. Que suggèrent plus loin les trilles en demi-tons, évoquant les sept voiles. Richard Strauss joue de la tonalité et de l’atonalité. L’une sur l’autre. Mais la couleur principale, la tonalité dominante-comme en peinture- est toujours maintenue. Tout dépend de l’analyse et de l’exécution de l’oeuvre. Le Leitmotif en trois parties voyage entre orchestre et voix, exact, allusif, modulant, fragmenté. C’est la technique wagnérienne de la mélodie continue. R. Strauss passe de l’atonalité expressive du drame à la complète et puissante tonalité. Comme dans la réponse d’Hérode: « J’ai fait un serment, je le sais bien » qui est en mi b mineur (Ex. nr 5/c : tonalité et atonalité ensemble ou en transition directe de l’une à l’autre. Unité par le motif-clé : le Leitmotif de Salomé : sa danse).
L’originalité, la modernité, de Salomé est dans son rythme, changeant, capricieux, désarmant : oriental. La dynamique de ces rythmes qui volent de l’atonalité à la soudaine tonalité ne permettent pas de s’appesantir sur un ton et pousse le drame à sa fin tragique. Avec un fragment du Leitmotif de Salomé, triomphant, foulant son cadavre.
Conclusion générale.
De Parsifal à Salomé, le chemin parcouru et à parcourir. L’oeuvre de demain.
De Parsifal, qui est en soi un sommet incontournable et non dépassé, à Salomé dont l’audace créatrice est incomparable, nous avons la ligne directe des chefs-d’oeuvres. Quelle serait l’oeuvre contemporaine qui maîtriserait la voix comme instrument de l’orchestre, porteur de la parole poétique, philosophique, symbolique? Comment faire de l’orchestre la résonance dramatique de la voix dont le message passe en continu comme un long film qu’on ne peut quitter un instant, tant il tient en haleine un public avide de réponse à la chair comme à l’esprit.
Notes :
1– Parsifal, drame sacré de Richard Wagner, version française de Alfred Ernst, partition pour chant et piano par K. Klindworth, B. Schotts Söhne Mainz-Leipzig-Brüssel-London-Pari s: Max Eschig.(sans date visible).
2– On peut se demander comment est construit La Passion d’Albert Dupuis (1916) et si la Lumière de La Cène est la même et domine tout l’oeuvre.
3– Parsifal R. Wagner, version française d’Alfred Ernst. Op. cit.
4- Comparable dans son exactitude sans faille à La Critique de la Raison pure de Kant (1781).
5- Dans notre ouvrage, nous n’analyserons pas cette partie de l’Art Total de Richard Wagner. Au plus, nous y ferons allusion. Cette étude pouurait faire l’objet d’un deuxième article : « L’action scénique de Parsifal à Salomé. L’Art Total de Richard Wagner et sa postérité« .
6- Op. cit. p. 8.
7- Op. cit. p. 9
8- Ou sa transcription sémantique: intervalles de quintes ou quartes, altérés en augmentation ou en diminution.
9- On peut penser à la technique de Franz Liszt dans sa Faust-Symphonie.
10- Pour un soprano dramatique (rôle de Salomé). La note la plus grave pour cette catégorie de voix est le La b (Sigurd d’Ernest Reyer-1884, le rôle de Brunnhilde).
11- Porebska-Quasnik (Dominique), About the visual form of the musical work. Perfect adequacy of the shape to the content. The masterpiece of the German tradition, and its future, Academa-edu, San Francisco, 2015.
Bibliographie et Contreverse :
– QUASNIK, Dominique : Marian Porębski. Chanteur wagnérien. Sa carrière et son oeuvre pédagogique, maîtrise d’Education Musicale, Paris IV-Sorbonne, Paris, 1976.
– QUASNIK, Dominique : La Voix dans l’orchestre de Wagner, Verdi, Puccini et Richard Strauss, doctorat d’Histoire de la Musique et Musicologie, Paris-IV-Sorbonne, 1978.
– QUASNIK, Dominique, Le Style vocal de l’opéra polonais aux XVIIIe et XIXe siècles, Thèse de Doctorat d’Etat (Habilitation) en Musicologie,Włodziśław Śląsk, Xenon Kubiak, 1991. Lille, Presses Universitaires de Lille, 2002, 660 p.48
– POREBSKA-QUASNIK, Dominique, Le Grand Opéra Français à travers la carrière d’un fort ténor, dramatique et wagnérien, dans les théâtres de province (1944-1957), San Francisco (USA), Academia.education, édition-internet, 2015.
– POREBSKA-QUASNIK, Dominique, About the visual form of the musical work. Perfect adequacy of the shape to the content. The master-piece of the German tradition, and its future, édition-internet, San Francisco, Academia.edu, 2015.
– POREBSKA-QUASNIK, Dominique, Le Grand Opéra en Europe : modèle et postérité. de Parsifal de Richard Wagner à Monna Vanna d’Henri Février [1882-1909], San Francisco, Academia.edu, 2015.
– POREBSKA-QUASNIK, Dominique, La construction idéale des oeuvres lyriques dans l’Europe de l’ouest et de l’est de la première moitié du XXe siècle. La forme, le centre, le message, San Francisco, Academia-edu, 2015.
– BOULAY, Jean Michel, Les premières esquisses pour Salomé, Canadian University Music Review, vol. 17, nr 2, 1997, p.49-70.
– CAVAZZA, Francesca, Un phénomène, la « rumeur », et une figure, Salomé. La Rumeur Salomé, sous la direction de David Hamidocić, Paris : Les Editions du Cerf, coll. « Histoire », 2013, 300 p. Concordia/Toulouse II, Cercle Richard Wagner de Toulouse : La représentation de mythe : Richard Wagner et l’Oeuvre d’Art Totale, Jeu de réflexion sur les concepts constitutifs d’une théorie, communication orale du 18/12/2008.
– LAREURE, Edouard, Il y a cent ans, en juillet 1914: première de Parsifal de Richard Wagner au Casino de Vichy: le compte-rendu du musicologue-de naissance clermontoise-Henri Quittard, Les Cahiers bourbonnais: arts, lettres et vie en pays boubonnais, Nr 228 de Juillet 2014.
– OLLION Martine, Face à la critique: Salomé, Oscar Wilde, Lugné-Poe et Richard Strauss. Paris, 1891-1910, thèse en Littéture françaises et comparée, Université Paris-Sorbonne Ecole Doctorale III (6 décembre 2014).
– PICARD, Timothée , L’Art total, grandeur et misère d’une utopie (autour de Wagner), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, 464 p.
Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Dominique Porębska-Kwaśnik
ainsi qu’au site www.academia.edu
Pour retrouver le texte dans sa publication initiale sur internet, cliquez ici