Siegfried, deuxième journée de La Tétralogie, est non seulement l’un des opéras les plus populaires de Richard Wagner mais également le noyau central de toute l’épopée du Ring. Pendant les quatre heures que dure l’opéra, on voit Siegfried grandir et évoluer : d’un jeune adolescent turbulent, le héros se fera homme. Mais que de péripéties au cours d’un seul et même opéra !
Le jeune héros, après avoir forgé l’épée Notung dans la forge du nain Mime, s’en va combattre le dragon Fafner et laver ses plaies dans son sang (ce qui lui permettra de comprendre ainsi le chant des oiseaux de la forêt), tuer son père adoptif (le même Mime qui l’avait recueilli, orphelin, à la naissance), rencontrer son grand-père Wotan (sous les traits du Wanderer), franchir une barrière de feu avant de s’éveiller enfin à l’amour – et à la peur – en découvrant la belle endormie, la Walkyrie Brünnhilde, qu’il réveille par un baiser du sommeil dans lequel l’avait plongée Wotan à la fin de l’ “épisode” (ou “journée”) précédent, La Walkyrie.
Comme dans toute mythologie, le Ring possède du reste son lot d’incestes. Mais Wagner réussit à s’affranchir avec brio de telles convenances … un tant soit peu “bourgeoises” ! Brünnhilde, la fière fille de Wotan qui s’unit à Siegfried, n’est autre en effet que la tante de ce dernier ; Siegfried est lui-même le fruit de la relation incestueuse de ses parents, les jumeaux Wälsungen, Siegmund et Sieglinde, eux-mêmes enfants … du même Wotan ! Passons sur ce point délicat du livret de Wagner…
En plus de ces “relations familiales” un tant soit peu compliquées, le compositeur et dramaturge n’hésite pas à remplir la scène d’un bestiaire plutôt extravagant (un ours, des béliers, un dragon, un oiseau… ) et y ajoute des situations où le dramatique côtoie le cocasse ; citons, pour exemple, les mots lâchés par Siegfried, s’émerveillant de la beauté d’un guerrier endormi sous son armure, et découvrant, effrayé, qu’il s’agit en réalité d’une femme : « Das ist kein Mann ! » (« Ce n’est pas un homme ! »).
Les représentations de Siegfried, oeuvre pour le moins complexe, ont également donné lieu à plusieurs événements ou réactions pour le moins … décalées !
En témoignent les trois anecdotes suivantes :
I. L’éminent chef d’orchestre Arturo Toscanini (1867-1957) était un chef brillant mais un homme peu aimable, surtout avec les artistes, même ceux avec lesquels il avait coutume de travailler. Pour preuve, le témoignage d’un spectateur de la scène suivante entre le maestro et un chanteur (apparemment, très célèbre, mais dont l’identité n’aura pas été dévoilée) alors qu’il dirigeait Siegfried à Bologne en 1905 :
« À la première des représentations de Siegfried à Bologne, l’un des chanteurs (un excellent artiste) qui faisait alors ses premiers pas sur la scène du Teatro Comunale, montrait quelques signes visibles d’inquiétude et de panique. Quelques minutes avant le lever du rideau, le Maestro Toscanini passa devant lui, l’air grave et morose comme à son habitude. « Bonsoir, Maestro » lui adressa le chanteur, dans l’espoir d’obtenir de ce dernier un signe de réconfort. « Tout va bien pour l’opéra ? » Et Toscanini de répondre non avec un soupir d’extrême lassitude : « Je n’en sais vraiment rien. Il y a décidément trop d’animaux dans cet opéra. Il y a des oiseaux, il y a le dragon, il y a l’ours … et il y a … vous ! » Sur quoi, le chef tourna le dos au chanteur avant d’entrer dans la fosse d’orchestre. » (Francesco Vatielli, extrait de la biographie de Harvey Sachs, Toscanini, 1978)
II. La soprano Jane Eaglen fut maintes fois sur scène et au concert l’interprète de Brünnilde, rôle éprouvant par bien des aspects.
La scène où la Walkyrie doit rester assoupie sous son armure n’est paradoxalement pas des plus reposantes. Un jour, alors qu’elle attendait l’arrivée et son réveil par le valeureux Siegfried, la soprano s’était endormie, en attendant étendue sur son rocher le baiser de son héros. Le cri (de détresse ?) de Siegfried : « Das ist kein Mann ! » réveilla l’artiste de façon tellement soudaine qu’elle faillit hurler.
A l’issue de la représentation, celle-ci s’exprima : « Ce n’était qu’une répétition générale, j’étais sans doute moins stressée que d’habitude ».
Heureusement, le cri du chanteur avait été suffisamment puissant pour tirer la belle de son sommeil ; le baiser aurait-il suffi ?
III. Une autre artiste interprétant également le rôle de Brünnilde endormie sur son rocher fit également dans les années soixante-dix preuve d’un certain humour.
Alors que Siegfried se préparait à découvrir la fière guerrière de son armure, et à ce moment de tension extrêmement dramatique où il s’aperçoit qu’il s’agit d’une femme, ce dernier eut beaucoup de difficultés à garder son sérieux et à réprimer le fou rire qui le gagnait.
La malicieuse soprano avait en effet glissé sous un armure un carton indiquant à son valeureux héros : « Please, do not disturb. Early morning Tea. 7 :30 A.M. » (Ne pas déranger. Servir thé tôt le matin. 7h30)
Malgré toute la gravité de l’opéra de Richard Wagner, preuve en est que les artistes ne manquent pas d’humour… même dans les situations les plus dramatiques !
NC/SB
(Ces trois anecdotes sont extraites de l’ouvrage, « Richard Wagner, the lighter side », par Terry Quinn. Editions : Amadeus Press)