Après avoir abordé le genre historique dans Rienzi, Wagner, et ce d’une manière définitive, va emprunter les sujets de ses oeuvres aux légendes et plus particulièrement aux légendes médiévales germaniques.
Après le demi-succès du Vaisseau Fantôme, il fut tenté de revenir à l’opéra historique en concevant le scénario d’un opéra en cinq actes La Sarrasine, séduit par un épisode de l’histoire de Hohenstaufen, la conquête du royaume de Sicile par Manfred, fils de l’Empereur Frédéric II.
Mais, c’est la voie de la légende qui l’emporta, avec le choix du thème de Tannhäuser considéré par Wagner comme un pas décisif dans son évolution artistique. La légende lui offrait une plus grande facilité dans la description des passions humaines alors que la multiplicité des faits historiques était une gêne pour le développement de ses propres conceptions. Pour le poète musicien qu’était Wagner, la fusion de la poésie et de la musique ne pouvait se réaliser que dans la légende.
Il emprunta le thème de son Tannhäuser à plusieurs sources littéraires dont il fit un amalgame pour tisser son récit. Mais avant d’appartenir à la légende, les personnages principaux de l’opéra, à l’exception de Vénus, ont tous existé de même qu’ont eut lieu certains événements relatés comme la guerre des chanteurs du deuxième acte.
Tannhäuser et l’histoire
L’action se situe dans les premières années du XIIIème siècle. C’est la période, en Europe occidentale et notamment dans les terres germaniques, du plein épanouissement de la poésie courtoise. Les troubadours en France, les Minnesänger en Allemagne chantent l’amour courtois où la dame aimée, belle et douée des plus hautes vertus, est idéalisée par le poète qui doit à son tour mériter les faveurs de sa dame par une soumission absolue et fervente. Cet amour ne doit pas aller jusqu’à l’assouvissement pour qu’il puisse perdurer, ainsi que l’enseigne Wolfram dans son chant de concours.
– Hermann devint Landgrave de Thuringe en 1190 après le décès de son frère aîné Louis III au cours de la Troisième Croisade. Par sa mère, il était le neveu de Frédéric Barberousse ; il épousa Sophie, fille du duc de Bavière et maria son fils aîné Louis IV à la fille du Roi de Hongrie, Elisabeth. Il mourra en 1217 en partant pour la Sixième Croisade. Le Hermann historique apparaît comme un personnage versatile, changeant plusieurs fois de camp dans la lutte qui oppose Philippe de Souabe soutenu par les Gibelins à Otton IV soutenu par les Guelfes. Il se rallie finalement à Frédéric II après l’assassinat de Philippe de Souabe et l’excommunication d’Otton IV. Hermann fut un authentique mécène faisant de sa résidence de la Wartburg un centre artistique d`un grand rayonnement. C’est là qu’aurait eu lieu, vers 1207, le célèbre Wartburgkrieg, le Tournoi des Chanteurs immortalisé par Wagner.
– Tannhäuser a réellement existé bien qu’aucun document historique ne l’atteste.
Le peu que nous savons de lui est tiré de quelques-unes de ses propres oeuvres. Il serait né vers 1205, descendant peut-être d’une ancienne famille austro-bavaroise; il a peut-être participé à la Croisade de 1228. En tout cas, il a séjourné à la Cour du Duc d’Autriche, son protecteur, Frédéric le Belliqueux, jusqu’en 1246. A la mort du duc, il mena une vie de poète errant et l’on perd sa trace en 1268. Dans ses poèmes, il raille les raffinements et les délicatesses qu’imposait l’amour courtois chanté par les Minnesänger.
C’est seulement vers le XVème siècle qu’apparaît la légende narrant sa rencontre avec Vénus et son pèlerinage à Rome. Au contraire de ce que Wagner a imaginé dans son opéra, Tannhäuser n’a pas pris part au fameux Tournoi poétique de la Wartburg.
– Les renseignements biographiques sur Wolfram von Eschenbach situent sa naissance vers 1170 dans une petite localité des environs de Ansbach en Franconie. Wolframs-Eschenbach est une petite cité médiévale où l’on peut voir une fontaine monumentale érigée en 1861 en mémoire du Minnesänger local. Plus tard, il séjourna dans une seigneurie, à Wildenberg, dans l’Odenwald, petit massif montagneux à l`est du Rhin. Sa présence est signalée à la Wartburg à la Cour du Landgrave Hermann, au début du XIIIè siècle. C’est là que vraisemblablement il écrivit une grande partie de son Parzival. Il est également l’auteur d’un Titurel et d’un autre roman intitulé Wilhelm dont le héros est Guillaume d’Orange. Il mourut vers 1220.
– Walther von der Vogelweide fut l’un des plus grands poètes lyriques de l’Allemagne médiévale qui a donné un accent nouveau à l’amour courtois plus proche du vrai. Né vers 1170, il a passé ses années de jeunesse à la Cour des ducs d’Autriche à Vienne puis il mena ensuite une vie errante passant au service de Philippe de Souabe, puis d’Otton IV, pour se rallier finalement à Frédéric II dont il obtînt un fief aux environs de Würzburg où il mourut vers 1230. Il a séjourné à plusieurs reprises à la Wartburg entre 1200 et 1210. A Würzburg, sur la place qui fait face à la résidence des Princes-Evêques, on peut voir une fontaine ornée de statues dont celle du Minnesänger dont plus tard le chevalier Stolzing se réclamera dans son chant d’essai au premier acte des Maîtres Chanteurs.
– On ignore si le Minnesänger Biterolf a réellement existé bien qu’il apparaisse dans La Guerre des Chanteurs à la Wartburg. Face à cette incertitude historique, Wagner a fait de Biterolf moins un poète qu’un chevalier quelque peu fanfaron prêt à défendre avec son épée la vertu et l’honneur des dames.
– Reinmar von Zweter aurait vécu entre 1200 et 1260. Né au bord du Rhin, il vécut en Autriche puis en Bohème à la Cour du roi Venceslas. Il écrivit plusieurs pièces contre le pape et le clergé défendant la cause de l’Empereur.
– Un poème composé vers 1260 par des auteurs inconnus, le Wartburgkrieg, relate une joute poétique imaginaire qui aurait eu lieu un demi-siècle plus tôt, à la Cour du Landgrave Hermann de Thuringe, dans la forteresse de la Wartburg. Le thème de ce tournoi était l’éloge des princes et il s’agissait, pour les Minnesänger, de comparer les vertus chevaleresques des différents souverains. Le débat s’engage entre un personnage sûrement imaginaire, Heinrich von Ofterdingen qui offre sa vie en enjeu, et ses rivaux qui sont Reinmar le Vertueux (et non comme chez Hoffmann et Wagner Reinmar von Zweter, trop jeune pour assister au tournoi), Walther von der Vogelweide et Wolfram von Eschenbach. Ofterdingen, qui célèbre les vertus du duc d’Autriche, est vaincu par ses rivaux qui font l’éloge du Landgrave Hermann. Il doit être livré au bourreau mais est sauvé grâce à l’intervention de l’épouse du Landgrave, la princesse Sophie. Il demande alors un nouveau jugement appelant à son aide le poète et magicien Klingsor qui affronte à son tour Wolfram dans un concours d’énigmes. Finissant par déjouer les ruses du magicien, Wolfram en sort vainqueur.
Il n’est donc nullement question de Tannhäuser dans ce concours dont le thème est d’ailleurs bien différent de celui que propose le Landgrave dans l’opéra de Wagner où il s’agit de définir l’essence de l’amour.
Dans la salle des chanteurs du château de la Wartburg, on peut voir une fresque exécutée par le peintre romantique Maurice von Schwind qui représente la fameuse joute poétique. Wagner qui visita la Wartburg en 1862 n’en fut touché que “très froidement”.
– L’Elisabeth historique est la fille du roi de Hongrie née en 1207, qui fut dès l’âge de quatre ans fiancée à Louis, fils aîné du Landgrave Hermann. Elle fut donc conduite à la Cour du Landgrave, élevée et éduquée avec son fiancé qui devint lui-même Landgrave en 1217 sous le nom de Louis IV. Il épousa Elisabeth en 1221, il avait vingt-et-un ans et elle, quatorze. Ils eurent trois enfants. A la mort de son époux en croisade, en 1227, elle renonça aux joies de ce monde et dut quitter la Wartburg, chassée par son beau-frère, pour se réfugier au château de Pottenstein situé à quelques kilomètres au sud-ouest de Bayreuth. L’année suivante, son beau-frère lui donna en possession la ville de Marburg où elle s’installa et où, ayant revêtu l’habit du tiers-ordre franciscain, elle se dévoua au service des malades, s’adonnant assidûment à la prière. Elle mourut trois ans plus tard, à l’âge de vingt-quatre ans, laissant une telle réputation de sainteté qu’elle fut canonisée dès 1235 par le pape Grégoire IX. En son honneur on éleva à Marburg une église gothique qui porte son nom, l’Elisabethkirche où les restes de la sainte furent placés dans une châsse richement ornée, objet de la vénération de nombreux pèlerins. À la Wartburg, Maurice von Schwind a peint dans une galerie des fresques racontant la vie d’Elisabeth : son arrivée au château, le célèbre “Miracle des Roses”, les adieux de son mari, le départ d’Elisabeth de la Wartburg, sa mort en 1231 et la sanctification de sa dépouille, scènes qui inspirèrent à Liszt son Oratorio, La Légende de Sainte Elisabeth (1862).
Le célèbre dominicain italien du XIIIème siècle, Jacques de Voragine, a raconté la vie de Sainte Elisabeth dans sa Légende Dorée.
Force est de constater que l’Elisabeth wagnérienne est bien éloignée du personnage que fut Elisabeth de Thuringe dont la présence à un tournoi de chanteurs est incompatible avec la chronologie. Seuls son séjour à la Wartburg et sa piété l’apparentent au personnage historique. Wagner, en empruntant à l’histoire le reflet mystique de l’auréole de la Sainte, a façonné son héroïne pour en faire la personnification du monde chrétien et le symbole de l’amour pur.
Les légendes de Tannhäuser
On connaît mal les origines du thème de cette légende qui a probablement pris sa source en Italie. Il est tentant, à ce propos, de rapprocher la Ballade de Tannhäuser d’une oeuvre d’Antoine de la Sale intitulée La Salade. Antoine de la Sale (1385? -1460) écrivain provençal, est l’auteur d’un recueil composé vers 1440, La Salade, qui comporte un récit troublant fondé sur une légende rattachée au Mont de la Sibylle. Un chevalier égaré chez une Vénus souterraine – ici la Sibylle (qui de prophétesse qu`elle était dans l’Antiquité est devenue une créature de séduction et de volupté) – s’aperçoit que ce monde de plaisir est aux mains du Diable. Pensant vivre un horrible péché, il est pris de remords et ne pense plus qu’à aller à Rome demander l’absolution au pape qui la lui refuse. Il retourne alors dans l’antre de la Sibylle pour y disparaître à jamais. Des messagers du pape, envoyés vers le chevalier pour lui annoncer qu’il a été pardonné, arrivent trop tard.
Dans La Ballade de Tannhäuser, poème de cent-quatre vers d’un Meistersinger inconnu, paru à Nuremberg au début du XVIè siècle, l’histoire est analogue.
Dans la littérature allemande, on voit apparaître le nom de Venusberg, Vénus ayant tout simplement remplacé la Sibylle des Italiens.
Ce Venusberg, qui reste du domaine de l’imaginaire n’a pas de localisation géographique propre même si certains monts ont été baptisés de ce terme, comme par exemple une colline à Bonn. C’est seulement au XIXème siècle qu’on a identifié ce lieu érotique à une montagne de Thuringe proche de la Wartburg, le Hörselberg.
Wagner, quittant Paris en avril 1842 pour rejoindre Dresde, fut transporté d’émotion en passant devant la Wartburg et décida aussitôt de baptiser Hörselberg une croupe montagneuse qui se dressait a l’écart, montant ainsi dans son imagination la scène du troisième acte de son opéra. Toutes les versions de la légende narrent l’aventure d’un chevalier qui pénètre dans le monde merveilleux du Venusberg et qui, après en avoir goûté les délices, éprouve le désir de retrouver le monde des humains. Il n’aspire plus alors qu’à se rendre à Rome pour confesser ses péchés au pape. Mais celui-ci lui refuse l’absolution en lui disant : “Tu n’obtiendras pas plus la grâce de Dieu que ce bâton ne peut reverdir”. Au bout de quelques jours le bâton se couvre de bourgeons, le pape envoie des messagers mais Tannhäuser, par désespoir, a déjà rejoint le monde de Vénus. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, la légende est reproduite avec des variantes. Puis elle est abandonnée jusqu`à la fin du XVIIIème siècle et surtout la première moitié du XIXème où les romantiques allemands redonnent vie aux textes médiévaux : Novalis, Tieck, Hoffmann, Arnim et Brentano, les frères Grimm, Heinrich Heine.
Les sources d’inspiration pour Wagner
Deux légendes, indépendantes à l’origine, vont être réunies par Wagner : celle de Tannhäuser et celle du Concours de Chant de la Wartburg. Deux légendes moyenâgeuses que Wagner a connues à travers les textes des romantiques allemands.
C’est probablement dès l’âge de quinze ans que Wagner prit connaissance de la légende de Tannhäuser dans un récit de Ludwig Tieck alors qu’il fréquentait la bibliothèque de son oncle Adolphe à Leipzig. Dans Une communication à mes amis, il affirme : “Tannhäuser n’était nullement une figure qui m’était étrangère. Je l’avais connu très tôt grâce au récit de Tieck…. le concours de la Wartburg également, j’en avais déjà eu connaissance autrefois dans un récit d’Hoffmann”.
Ludwig Tieck (1773-1853) écrivit un conte, Le fidèle Eckart et le Tannhäuser (Der getreuer Eckart und der Tannhäuser) paru dans son recueil Phantasius, que Wagner cite dans Mein Leben et que nous pouvons considérer comme l’une des sources de son opéra. Il y exprime cependant une certaine antipathie pour cette oeuvre à cause d’une “tendance à un mysticisme qui n’est que coquetterie, à un catholicisme de style frivole”.
La première partie du conte de Tieck est consacrée au fidèle Eckart, personnage des vieilles légendes germaniques, qui a pour mission d’écarter les imprudents de l’attraction maléfique du Venusberg.
Dans la seconde partie du conte, Tannhäuser, qui aime une jeune fille Emma, se voit évincé par son plus cher ami, le chevalier Friedrich von Wolfsburg. Pris de folie, il croit tuer celui-ci et croit aussi que la fiancée meurt également Il disparaît mystérieusement pour se retrouver au Venusberg dont il parvient à s’échapper après de nombreuses années.
Un jour, sous les traits d’un pèlerin, il rencontre alors son ami Friedrich qui lui apprend qu’il a épousé Emma. Tannhäuser part alors pour Rome dont il revient sans avoir obtenu la grâce du pape. Il revient chez son ami Friedrich, tue Emma endormie et disparaît à jamais dans son ancien séjour, la montagne merveilleuse, suivi de son ami Friedrich.
Si Wagner a bien connu le conte fantastique de Tieck, il semble qu’il en ait tiré assez peu de choses dans son opéra. On peut cependant noter certains traits comme :
– la description romantique du Venusberg annonçant le décor de la première scène du premier acte avec sa grotte, sa cascade, son lac, ses naïades et ses lumières magiques ;
– le motif d’un amour pur, celui d’Emma et d`un rival et ami, Friedrich (Elisabeth et Wolfram chez Wagner) ;
– le retour de Tannhäuser qui retrouve une vieille connaissance, Friedrich chez Tieck ;
– Wolfram chez Wagner ;
– autre analogie possible : le crime de Tannhäuser qui, après son séjour au Venusberg se fait le meurtrier d’Emma chez Tieck alors que chez Wagner il se rend coupable de la douleur qui transperce et déchire le coeur d’Elisabeth.
Quoi qu’il en soit les deux conclusions sont bien différentes : Wagner a choisi le thème du renoncement : celui d’Elisabeth qui offre à Dieu le sacrifice de sa vie pour le salut de Tannhäuser qui lui-même ne trouve la paix que dans la mort, alors que le héros de Tieck retourne dans le royaume souterrain chargé du poids de ses péchés.
Une deuxième source, à laquelle Wagner lui-même fait deux fois allusion, dans Une Communication à mes Amis puis plus tard dans Mein Leben, est le recueil de Ludwig Bechstein. Dans les deux cas, il affirme avoir trouvé la donnée fondamentale de son opéra dans un livre populaire sur la légende de Tannhäuser, tombé par hasard entre ses mains à Paris. Or, comme ce livre populaire sur Tannhäuser n’existe pas, les spécialistes de la littérature allemande pensent que Wagner voulait parler d’un recueil de légendes de Thuringe, paru en 1835, Légendes d’Eisenach et de la Wartburg, du Horselbergh et de Reinhardsbrunn, ouvrage de Ludwig Bechstein dans lequel on trouve relié pour la première fois les deux légendes indépendantes de Tannhäuser et de la guerre des chanteurs.
Le récit nous présente Tannhäuser en route vers la Wartburg convié par le Landgrave au tournoi des chanteurs et attiré sur son chemin par Vénus dans le Horselberg dans la région d’Eisenach. Plus loin, dans le même recueil, un récit indépendant raconte l’histoire du tournoi des chanteurs où l’on voit le Landgrave Hermann, Walther von der Vogelweide, Wolframm von Eschenbach, Biterolf et Heinrich von Ofterdingen.
Peut-être est-ce cette narration juxtaposant les deux textes qui suggéra à Wagner leur fusion telle qu’il la fît connaître à son correspondant Karl Gaillard : “Pour mon prochain opéra, j’ai choisi la belle et singulière légende de Tannhäuser qui a séjourné au Venusberg et partit ensuite à Rome pour expier. J’ai associé cette légende à la guerre des chanteurs à la Wartburg où Tannhäuser a pris la place de Heinrich von Ofterdingen : grâce à ce rapprochement, j’obtiens une vie dramatique riche”.
Mais Wagner, à la fin de son séjour parisien, a connu aussi un autre texte qui lui avait été communiqué par son ami le philologue Samuel Lehrs : un volume des études historiques et littéraires de la Société Royale Allemande de Koenigsberg datant de 1838 contenait une étude intitulée À propos du Tournoi de la Wartburg d’un certain Lucas, professeur au Lycée de Koenigsberg.
L’auteur y suppose que Tannhäuser pourrait être le surnom de Heinrich von Ofterdingen, les deux trouvères ne formant en définitive qu’un seul et même personnage. D’ailleurs Wagner, dans son opéra, a conservé le prénom de Heinrich pour désigner Tannhäuser.
Un autre récit que Wagner avait en mémoire est le tournoi des chanteurs de E.T.A. Hoffmann, intégré dans son cycle de contes des Frères Sérapion.
Il faudrait aussi citer les Frères Grimm qui, dans leur recueil des Légendes allemandes, ont relaté l’histoire de la guerre des chanteurs, mais aussi l’histoire deTannhäuser ainsi que des éléments sur le Hörselberg et le fidèle Eckart.
La dernière source est bien sûr le Tannhäuser de Heinrich Heine.
Bien que Wagner ne le mentionne pas dans son autobiographie, il n’est guère vraisemblable qu’il ait ignoré ce poème de Heine dont il était un lecteur assidu et dont il s’était déjà précédemment inspiré pour son Vaisseau Fantôme.
Force est de constater ici également quelques analogies frappantes entre le Tannhäuser de Heine et celui de Wagner particulièrement dans la manière dont ils font l`éloge de l’amour et rendent hommage à Vénus.
Les deux héros vivent prisonniers de la séduction de la déesse, ils éprouvent l’un et l’autre le désir de s’en séparer et le besoin de souffrir. Mais le héros de Heine va droit à Rome, alors que celui de Wagner ne s’y rend qu’après avoir révélé son aventure à l’assemblée de la Wartburg et s’être rendu indigne de l’amour d’Elisabeth, personnage absent de la légende de Heine.
Pour sa conclusion et suivant son habitude, Heine tombe dans l’ironie et fait se réconcilier familièrement Tannhäuser et Vénus, alors que le héros de Wagner, en proie au désespoir et au désir effréné de volupté, s’effondre rédimé à l’annonce du sacrifice d’Elisabeth.
C’est évidemment une différence essentielle qui donne une toute autre portée à l’oeuvre de Wagner.
Le survol des diverses versions de la légende et des sources littéraires dont Wagner s’est incontestablement inspiré permet de comprendre comment il a su les modeler et les amalgamer, n’hésitant pas à bousculer la réalité historique pour les besoins de l’action de son drame.
Bien mieux que ses devanciers, il a su dépeindre le pathétique conflit entre le monde païen de Vénus et le monde chrétien, personnifié par Elisabeth, deux mondes entre lesquels Tannhäuser se trouve déchiré. Cette lutte s’achève par la victoire de la prière sur la malédiction du péché, le salut de Tannhäuser grâce au sacrifice de la femme rédemptrice, autre motif majeur de l’oeuvre wagnérienne.
Cette dualité, inhérente à l’âme humaine, cette recherche de conciliation entre deux tendances, Wagner l’a bien exprimée dans Une Communication à mes amis :
«Dans Tannhäuser; j’avais rêvé de sortir d’une sensualité frivole qui me dégoûtait, la seule que connaissent nos contemporains. Je me sentais attiré vers une pureté, une chasteté, une virginité inconnues, un élément qui pût satisfaire un désir noble bien que toujours sensuel en son fond, un désir que h frivolité du présent, en tout cas, ne pouvait combler. Sa force m’avait permis de monter jusqu’à ce sommet de pureté de chasteté auquel j’aspirais : je me sentais en dehors du monde moderne, dans l’éther sacré, transparent, et ma solitude se transformant en ravissement, j’étais rempli d’un effroi voluptueux comme nous en éprouvons au sommet des Alpes, lorsque dans cette mer bleue de l’air qui nous entoure nous voyons se dessiner plus bas des chaînes de montagnes et de vallées… Ce qui m’avait poussé à ce sommet, c’était un désir d artiste, d’homme avec toute sa sensualité ce n’était pas la chaleur de la vie que je voulais fuir mais le bouillon fangeux de la sensualité vulgaire d’un certain type de vie, la vie des temps modernes. Sur ce sommet, le rayon de l’amour venait encore me réchauffer; lui seul m’avait porté. Or, à peine ce sentiment de bonheur dans la solitude s’était- il emparé de moi qu’il éveillait un nouveau désir indiciblement puissant, le désir d’aller du haut vers le bas, de la splendeur ensoleillée de la plus chaste pureté vers l’ombre intime de l’étreinte amoureuse. Du sommet où j’étais, mon regard chargé de désir vit le Femme : la femme vers laquelle le Hollandais Volant, du fond de son océan de misère levait les yeux, la femme qui, comme une étoile au ciel, indiquait à Tannhäuser le chemin qui conduisait de l’antre voluptueux du Venusberg vers le haut, voilà qu’elle ramenait Lohengrin de la hauteur ensoleillée vers la chaleur du sein de la terre. »
in WAGNERIANA ACTA 2003 @ CRW Lyon