Est-ce la courte expérience révolutionnaire de Wagner lui-même, ou ses innovations dans le domaine artistique, toujours est-il que les intellectuels et artistes bolcheviques, après la Révolution de 1917 et dans l’ambiance du renouvellement artistique et théâtral, étaient dans leur majorité favorables aux idées et aux œuvres de Richard Wagner.
Un personnage-clé du constructivisme russe, Vladimir Tatlin, a dessiné entre 1915 et 1918 des décors pour Le Hollandais volant, jamais utilisés au demeurant. Parsifal fut repris dès l’époque du traité de paix de Bust-Litovslt, et dès cette saison 1917-1918, les reprises de Wagner furent régulières au GATOB (l’ex-Mariinsky), et au Bolchoï jusqu’en 1934. La position de Lénine et de son commissaire à l’instruction, Lounatcharski, sur le théâtre, la musique et l’opéra était de ne pas faire table rase des grandes œuvres du passé bien que Lounatcharski trouvât dans Art et Révolution de Wagner une vision socialiste d’une nouvelle forme d’art destinée au peuple. Le poète Ivanov prononça une conférence avant une reprise de La Walkyrie dans laquelle il déclara : “Beethoven, Wagner et Scriabine sont particulièrement chers à nous, peuple d’une nouvelle ère« . Des extraits de Lohengrin furent joués à l’ouverture du deuxième congrès de l’Internationale communiste en juillet 1920. La marche funèbre du Crépuscule des dieux fut interprétée par une Fanfare de cinq cents cuivres à la cérémonie du dévoilement du monument aux victimes de la Révolution, et également au concert donné au Bolchoï après la mort de Lénine : il y a d’ailleurs des raisons de croire que c’était le vœu de Lénine lui-même dont la passion pour Beethoven était bien connue, mais qui fit aussi, d’après sa femme, un spectateur et un bon connaisseur de Wagner.
Des productions très rénovées, dans le style constructiviste, notamment pour Rienzi et Lohengrin au Bolchoï, furent présentés avec succès. On imagina aussi, avant de pouvoir trouver la recette d’opéras réellement révolutionnaires, mettre de nouveaux titres et sujets sur d’anciennes partitions, par exemple Les Huguenots qui devenaient “Les Décembristes”, Le Prophète, “La Commune de Paris” et Rienzi, “Babeuf”. ..
Une initiative originale est encore à noter : un groupe d`une trentaine de musiciens de Petrograd créa, avec, paraît-il, les encouragements de Cosima Wagner, une “Association d’art wagnérien” ayant pour but de faire connaître les trésors de l’héritage musical wagnérien aux masses laborieuses, par des concerts « de chambre », c’est-à-dire en version de concert : seuls L’Or du Rhin et La Walkyrie purent être ainsi présentés avec deux pianos et, en guise de décors, des projections colorées. Au cours des années qui suivirent, avec la prise de pouvoir par Staline, la collectivisation forcée et l’austérité de quasi-temps de guerre, les contraintes du “réalisme socialiste », la montée du nationalisme au plan culturel accompagnant les tensions politiques mondiales, tout ceci eut comme conséquence l’abandon du répertoire wagnérien sur les scènes soviétiques du milieu des années 1930 jusqu’aux années 1960 : des dates anniversaires de Wagner, 1933 et 1938, furent toutefois marquées par des concerts, des conférences et des publications.
JB in WAGNERIANA ACTA 2009 @ CRW Lyon
Extrait de l’article « La réception du Ring aux Etats-Unis et en Russie » par par Jacques BARIOZ