LISZT ET LA « PROPAGANDE WAGNÉRIENNE »

L’œuvre musicale de Richard Wagner est composée d’opéras ou “drames musicaux” allant des “Fées” (Die Feen) à “Parsifal”. Une présentation détaillée de chacune de ces œuvres majeures est ici associée à un ensemble d’articles thématiques, replaçant celles-ci non seulement dans le contexte de sa vie personnelle mais également dans son contexte social, économique et culturel. Cette section regroupe également l’ensemble des œuvres musicales (hors opéra) et son œuvre littéraire.

L'OEUVRE DE RICHARD WAGNER : ENJEUX, PARTICULARITES, COMPLEXITES

LISZT ET LA ``PROPAGANDE WAGNÉRIENNE``
Le projet de deux livres en français sur l'histoire de l'opéra et sur Wagner (1849-1859)

par @ Nicolas DUFETEL
Institut für Musikwissenschaft Weimar-Jena*

« Belloni ist jetzt hier, wie Du weißt : er hat
mir wieder viel von Paris geredet, und zu meinem
Erstaunen erfahre ich, daß Du noch immer
Welteroberungspläne mit mir im Kopfe hast :
Du Unermüdlicher !! »

Richard Wagner à Franz Liszt
(3 octobre 1852 –1)

 

Franz Liszt vers 1850

En décembre 2001, la Beinecke Library (Yale University) acquérait le manuscrit de la version originale française de l’essai de Franz Liszt sur Der Fliegende Holländer de Richard Wagner (2). Ce texte inédit, jusqu’alors considéré comme perdu, n’avait paru intégralement qu’en traduction allemande (3). Aujourd’hui, son exégèse permet à la fois d’apporter de nouvelles informations sur la question Wagner en France à la fin des années 1850 et d’aborder les écrits de Liszt, ainsi que leur réception française, sous un jour nouveau. Plus précisément encore, l’étude parallèle de ce manuscrit et de sources complémentaires souvent inédites permet de reconstituer le projet inabouti de deux livres que Liszt a voulu publier à Paris en 1859 : le premier devait réunir ses articles sur l’opéra avant Wagner (Gluck, Meyerbeer, Weber, etc.) et le second reprendre ses trois essais sur Tannhäuser, Lohengrin et Der Fliegende Holländer (4).

Les écrits de Liszt ont pendant longtemps suscité des polémiques sur leur authenticité et sur la part qu’y ont prise Marie d’Agoult puis Carolyne zu Sayn-Wittgenstein. Une approche philologique, épistémologique et méthodologique fait pourtant clairement apparaître qu’il s’agit d’un débat sans autre intérêt que documentaire – la restitution des faits tels qu’ils se sont exactement déroulés étant d’ailleurs une utopie (5). Il est indéniable que les deux « ghostwriters » mentionnées ci-dessus ont joué un rôle important dans l’écriture des textes de Liszt, du moins dans leur formulation et leur rédaction. Cependant, se concentrer sur le problème de la paternité de Liszt, c’est risquer de passer à côté du sens, de la nature et de la raison d’être de beaucoup de « ses » textes. Dans le cas des écrits de la période de Weimar (1849-1859), Liszt est bien l’Autorité, en tant que chef de le et porte-parole des Neudeutschen, qui assume le contenu parfois polémique des textes signés de son nom. La princesse Wittgenstein est en quelque sorte une secrétaire dont le rôle dépasse la simple copie, puisqu’elle inspire également certaines idées et qu’elle aide à en faire naître d’autres, qui peuvent être en germe dans l’esprit du compositeur. Elle voulait être la muse de Liszt, rôle que ce dernier se plaisait à la voir endosser : sa fonction se situe donc entre celles d’un amanuensis et d’une maïeuticienne. Il faut aussi considérer l’œuvre littéraire de Liszt de cette période comme le fruit d’une sorte d’atelier, dans le sens d’un scriptorium, où plusieurs acteurs jouent un rôle important dans les modalités d’écriture (depuis le travail de documentation jusqu’à la correction des épreuves, en passant par la rédaction, la copie et la traduction). C’est ce que les témoignages confirment. La maison de Liszt à Weimar, l’Altenburg, était ouverte à une grande communauté artistique et littéraire. Siège symbolique de l’atelier des Neudeutschen, elle était le théâtre de perpétuels échanges d’idées et un laboratoire esthétique que les contemporains ont parfois caricaturés (6). Dans ce contexte, le chef reconnu de l’avant-garde a lui seul la légitimité et le pouvoir d’assumer publiquement les idées du groupe afin de leur assurer une large diffusion. C’est pourquoi faire un procès à Liszt sur la paternité de ses écrits de Weimar est une position infondée, car ils n’ont jamais été conçus uniquement comme des créations littéraires individuelles : la plupart du temps, ils sont l’expression de l’école (« Liszt et atelier »). Il faut cependant garder à l’esprit que les positions assumées par Liszt dans ses écrits peuvent parfois être différentes de celles exprimées par d’autres plumes de la Neudeutsche Schule (7). Mais qu’il se fasse aider pour leur formulation importe finalement peu et ne doit pas venir scléroser leur utilisation. En outre, comme pour brouiller davantage les cartes, l’étude des sources montre de façon incontestable que Liszt a écrit, supervisé et corrigé certains textes signés par d’autres que lui (8).

Lorsque Wagner rencontre Liszt pour la première fois à Paris, à l’automne 1840, il est sans doute loin d’imaginer les liens amicaux, artistiques et familiaux qui se noueront entre eux quelques années plus tard (9). Sait-il que Liszt va bientôt se faire héros et héraut de sa musique, s’affairant en dèle Pylade pour sa défense et son illustration ? L’histoire de leurs rapports a déjà fait couler beaucoup d’encre. Cependant, comme l’a récemment écrit John Deathridge, « the two men had less in common than is usually thought, which is probably why they got on tolerably well (10) ». En réalité, la véritable nature de leurs relations et de leurs influences musicales réciproques reste à étudier, voire à démontrer, car elle est bien souvent réduite à des conclusions hâtives ou à des partis pris reposant rarement sur une démonstration objective et fondée. De récents articles, tels ceux d’Alexander Rehding et de Rainer Kleinertz (11), ont pourtant commencé à offrir une immersion dans les partitions visant à analyser au plus près les relations musicales entre les deux compositeurs. Wagner pensait d’ailleurs qu’elles relevaient uniquement du domaine privé et que leur révélation était une « indiscrétion » qui les « compromettait » tous les deux (12).

On sait combien la recherche sur Wagner doit s’appuyer sur l’interprétation critique des sources et des témoignages. L’autoconstruction de sa vie pousse, comme les travaux de Deathridge l’ont démontré depuis près de trente ans, à la plus grande circonspection (13). Le cas Liszt, sans être aussi caricatural, est similaire et pourrait faire l’objet, comme Wagner, d’une entreprise globale de réévaluation. Si Liszt n’a pas dicté « sa » vie comme Wagner a en partie dicté la sienne à son épouse Cosima, il faut pourtant approcher avec une extrême prudence les textes qui lui ont été consacrés de son vivant, et en conséquence les travaux (parfois récents) qui s’appuient sur eux et qui peuvent avoir des propensions à la dérive documentaire. Je rappellerai seulement que la première biographie « complète » de Liszt a été écrite par son ami Joseph d’Ortigue lorsqu’il avait vingt-quatre ans (14), et que la « somme » de Lina Ramann, sur laquelle ont longtemps reposé bien des interprétations, Franz Liszt als Künstler und Mensch (1880-1894), a été partiellement rédigée à partir de souvenirs du compositeur et sous la surveillance douairière de la princesse Wittgenstein (15).

L’image de Liszt – son mythe en quelque sorte – a été en grande partie forgée de son vivant. Comme le démontre Rehding à propos des études lisztiennes, l’exploitation de documents ne doit pas d’abord servir à établir une vérité historique : elle doit en premier lieu déconstruire et interroger certaines idées reçues, accumulées et répétées depuis main- tenant plus de cent soixante-dix ans (16). Avec Wagner et Liszt, on est bien en présence de deux compositeurs dont la « vérité poétique (17) » a été créée directement et indirectement par eux-mêmes. Les travaux de Deathridge sur Wagner et le constat de Rehding sur Liszt se rejoignent : ils plaident pour la plus grande prudence épistémologique et méthodologique face à ces deux compositeurs, a fortiori lorsqu’on aborde leurs rapports.

I. LA TRIPLE « PROPAGANDE WAGNÉRIENNE » DE LISZT :
DIRIGER, ÉCRIRE ET COMPOSER

I.1 – Wagner au centre de l’action de Liszt à Weimar

Le Théâtre Grand-Ducal de Weimar où fut créé Lohengrin de Wagner sous la direction de Liszt

En 1879, Liszt décrivait rétrospectivement ses articles des années 1850 comme de la « propagande wagnérienne » :

Mon article contre la musique d’entre acte date du commencement des années 50 alors que j’exer[ç]ais activement les fonctions de ma[î]tre de chapelle à Weimar, et publiais dans la « Neue Zeitschrift » de Brendel divers articles de propagande wagnérienne sur Berlioz, Meyerbeer, Schumann, Robert Franz (18).

Liszt n’a jamais ménagé sa peine pour diffuser la musique des compositeurs qu’il estimait. En tant que maître de chapelle du Théâtre de la cour grand-ducale de Weimar de 1848 à 1859, mais aussi par son œuvre d’écrivain et de compositeur de transcriptions et autres fantaisies virtuoses dans la tradition qui avait fait sa renommée dans les années 1830-1840, il a tenté d’offrir une tribune aux œuvres qu’il jugeait dignes d’être défendues et présentées au concert. Les exemples les plus célèbres demeurent Berlioz et Wagner. Après avoir dirigé Harold en Italie en 1851 et 1852 à Weimar, il écrit un long article sur cette œuvre qui lui donne l’occasion d’exposer ses propres conceptions sur la musique à programme (Berlioz und seine Harold Symphonie, 1852-1855) (19) ; outre les concerts où figure ponctuellement le compositeur français, il organise trois « semaines Berlioz » à Weimar en 1854, 1855 et 1856 (20). Toutefois, il consacre beaucoup moins de concerts, d’écrits et de transcriptions pour piano à ce dernier qu’à Wagner.

En effet, au-delà de son investissement pour la Neudeutsche Schule en général, à laquelle Berlioz est associé (21), c’est à la « propagande wagnérienne » que Liszt s’est surtout dévoué. La formidable énergie qu’il investit dans la cause de Wagner a sans doute été un élément important dans le refroidissement de ses relations avec le compositeur français, dont il avait pourtant défendu les œuvres à Weimar. En 1882, lorsqu’Edmond Hippeau lui demande de lui communiquer les lettres de Berlioz qu’il pourrait encore posséder, Liszt répond qu’il ne les a plus et en pro te pour expliquer la raison du « froid » entre Berlioz et lui :

De l’année 1829 – à 64 mes relations avec Berlioz furent des plus simples. Entière admiration de ma part ; cordialité de la sienne. Ainsi à Paris, Prague, et Weimar, où je tiens à honneur d’avoir fait représenter et dirigé son « Benvenuto Cellini » // œuvre admirable, magnifique, du plus vif coloris et rythme, surabondante de mélodies, non fades, et dont je souhaite la glorieuse réhabilitation à Paris, moyennant un ténoriste-Cellini, de rare sorte et rencontre.

Après 64, sans sotte brouille personnelle, la question alors br[û]lante Wagner, très attiédie maintenant[,] mit un froid entre Berlioz et moi. Il ne pensait pas que Wagner soit, comme le destin du drame musical de l’Allemagne, dépassant Beethoven et Weber (22).

Lettres de Franz Liszt à Olga von Meyendorff (1871-1886)

Wagner se trouverait-il donc au-dessus des autres compositeurs et au cœur de l’action de Liszt ? Les mots employés pour décrire ses articles dans la lettre de 1879 à Olga von Meyendorff, citée plus haut, ne sont pas anodins : pour le Liszt des années 1850, la formule « divers articles de propagande wagnérienne sur Berlioz » etc., ne semble pas être une maladresse stylistique mais bien un geste délibéré, comme pour avouer que les autres compositeurs ne sont à ses yeux que des satellites, des éléments périphériques de l’entreprise de régénération de la musique lyrique menée par Wagner. Ce dernier ne serait donc pas seulement la figure emblématique de la Neudeutsche Schule et de l’action de Liszt : il en est le cœur, du moins en ce qui concerne l’opéra et précisément le « drame musical ». Wagner occupe cette place si particulière dans les activités de Liszt car il est, selon lui, le génie absolu, l’aboutissement et le « destin du drame musical de l’Allemagne » auquel il faut (presque) tout sacrifier. C’est peut-être en ce sens, d’ailleurs, qu’il faut prendre garde à ne pas considérer les textes de Liszt comme la doctrine officielle de la Neudeutsche Schule sur le « cas » Wagner. D’autres figures du mouvement, comme Brendel, Reinecke ou Pohl en ont parlé différemment. Il y a certes des points communs, mais les articles de Liszt correspondent davantage à sa propre vision (et à celle de la princesse Wittgenstein) qu’à la position générale des Neudeutschen (23).

C’est dans ce sens qu’on peut aussi lire les lettres inédites échangées en octobre 1859 par Liszt et Hans von Bülow, personnage au centre de la tragédie familiale et musicale entre Liszt et Wagner s’il en est. Ce dernier avait écrit à Bülow, en secret, une amère et longue lettre pour se plaindre du comportement de Liszt à son égard, stigmatisant la parcimonie de ses courriers et sa prétendue indifférence face à leur amitié (24). Bülow en fait immédiatement part à son ancien maître, et, pensant ainsi lui montrer combien son affection est importante pour Wagner, propose de lui communiquer sa lettre. Liszt accepte. La version publiée de sa réponse, le 19 octobre 1859, est révélatrice du piteux état de la correspondance éditée du compositeur et de ses fâcheuses conséquences sur les travaux musicologiques. Tout le début du texte a été censuré dans la seule édition disponible des lettres entre Liszt et Bülow (1898). La franchise de ces lignes est sans aucun doute la raison pour laquelle La Mara a jugé bon de ne pas les livrer alors au public, parmi lequel bien des protagonistes étaient encore vivants (dont Cosima) :

Très cher ami,

Si la curiosité ne m’[é]tait devenue si totalement [é]trangère votre lettre aurait de quoi me rendre curieux au sujet du contenu de celle de Wagner. Quoique je ne me sente guère de tort vis-à-vis de notre ami, qui est tellement unique dans toute son exceptionnalité [sic] qu’il faut l’aimer et l’admirer quand même, je présume que son humeur présente n’est pas sans amertume. Je m’attends donc à une communication pénible mais que je vous prie de ne pas retarder – sauf à voir ensuite si j’ai à y r[é]pondre et de quelle manière. Tant que je pourrai le servir en quoi que ce soit, soyez certain que je n’y manquerai pas, quelques [sic] singulières // que puissent paraître parfois ses combinaisons [?] et ses exigences. La grandeur de son g[é]nie me fait volontiers oublier ce qu’il y a de f[â]cheux dans son caractère. Puisse-t-il seulement ne pas trop s’en ressentir lui-même – et ne point rendre ses amis responsables des tristes mécomptes auxquels il s’expose avec une sorte d’obstination ! (26)

Quelques jours plus tard, après avoir pris connaissance de la lettre de Wagner que Bülow lui a communiquée, Liszt explique à son ancien élève, dans une longue lettre entièrement inédite, les raisons de ses réserves face à Wagner, dont il regrette le comportement et l’ingratitude à l’égard de tout ce qu’il a fait pour lui depuis dix ans. Il finit par demander à Bülow s’il ne pense « pas [lui] aussi qu’il faut le traiter en grand Souverain, un peu malade, mais d’autant plus irresponsable (27) ? »

D’une façon générale, la lecture et l’analyse des très nombreux passages censurés et des centaines de lettres mises à l’écart par La Mara, car jugées incompatibles avec son processus hagiographique, permettent d’interroger et de renouveler des interprétations reposant souvent sur des fondements dont il faut, comme on le voit d’après ces deux lettres à Bülow, nécessairement douter. Cette remarque est d’autant plus valable pour la correspondance entre Liszt et Wagner puisqu’il n’en existe toujours pas d’édition critique (28). Du côté de Wagner, Das braune Buch, cahier que lui a offert Cosima en 1865 au seuil de leur liaison afin qu’il y confie ses sentiments les plus intimes, renferme aussi plusieurs lignes qui écornent l’image idéalisée de l’amitié entre les deux compositeurs (29).

I.2 – Diriger Wagner et écrire sur ses opéras

Marie Lipsius (1837-1927) (dite « La Mara' »), amie de Franz Liszt

La propagande wagnérienne de Liszt ne se limite pas à une action de chef d’orchestre dont on connaît les grandes lignes et qu’il serait donc superflu de décrire ici en détail – je rappellerai seulement qu’en février 1849, moins d’un an après son arrivée à Weimar, il monte Tannhäuser, et que l’année suivante, il y crée Lohengrin (30). Bien plus que pour Berlioz et pour les autres compositeurs de la nébuleuse des Neudeutschen, Liszt développe pour Wagner une intense activité d’écrivain, et ce parallèlement aux opéras qu’il dirige.

Les écrits de Liszt sur Wagner, dont Kleinertz a montré l’importance pour la réception wagnérienne (31), sont regroupés au sein d’une période relativement restreinte de six ans (1849-1855) qui correspond précisément à l’acmé de son activité de chef d’orchestre wagnérien à Weimar. Entre 1848 et 1859, Alan Walker recense trente-six exécutions d’œuvres de Wagner complètes ou par extraits sous la direction de Liszt (en majorité à Weimar), contre treize de Berlioz. La plupart (35) ont lieu entre 1848 et 1857, avec un point culminant en 1852 et 1853 (15). Les œuvres représentées sont principalement Lohengrin (13), Tannhäuser (8), Der Fliegende Holländer (4), l’Ouverture de Tannhäuser (6), le duo de Der Fliegende Holländer (2), l’Ouverture de Faust, le Prélude de Tristan und Isolde et Das Liebesmahl der Apostel avec chacun une représentation (32). Il n’est pas impossible non plus que des articles ou des « brèves » sur Wagner aient parfois paru à l’instigation de Liszt, dans un but évident de réclame (33).

Les textes wagnériens publiés par Liszt de 1849 à 1855 sous diverses formes (articles en une ou plusieurs livraisons et brochures) concernent exclusivement quatre opéras : Tannhäuser, Lohengrin, Der Fliegende Holländer et Das Rheingold. Chaque texte paraissait le plus souvent dans un, deux ou trois journaux à peu de temps d’intervalle et c’est notamment à ces parutions multiples que l’on doit leurs abondantes variantes (voir tableau 1). En raison de leurs nombreuses réécritures, l’établissement d’un Urtext et d’un texte définitif est très difficile, voire impossible, même si l’appareil critique des Sämtliche Schriften permet aujourd’hui d’en appréhender les principales différences.

Le 18 mai 1849, le court article « Le Tannhaeuser », introduit par quelques lignes de Berlioz, paraît comme feuilleton en première page du Journal des débats. Le 22 octobre 1850, le même journal publie, toujours en une, le feuilleton « Les Fêtes de Herder et de Goethe à Weymar », écrit à l’occasion de la création de Lohengrin et qui sera développé dans la presse allemande (voir tableau 1). En mars 1851, Liszt écrit à Wagner qu’il republiera probablement son article sur Lohengrin sous forme de brochure, sans les coupures faites par Janin, sous le titre Fêtes de Herder et Goethe à Weymar, 25 et 28 Août 1850 (34). Mais le mois suivant, la princesse Wittgenstein lui suggère d’y ajouter son texte sur Tannhäuser (35) :

Ce me serait une charmante occupation maintenant, écrit-elle, et remplumerait la publication d’une manière satisfaisante en donnant ainsi du même coup un travail sur les deux chefs d’œuvre de Wagner. Que je serais aise que cette idée te plaise. J’écrirai pour qu’on m’envoie le feuilleton du Tannhaüser (36) et ce sera l’affaire de trois jours. Réponds moi là dessus cher Ange comme sur le titre que tu te décideras à donner au tout.

Jeanne Élisabeth Carolyne de Sayn-Wittgenstein, née Iwanowska (1819-1887)

La princesse se propose donc de commencer la rédaction, ce que Liszt accepte tout en gardant un œil sur son travail. En juin 1851, alors que la brochure est sur le point d’être imprimée, il écrit à son éditeur, Brockhaus, qu’il a profité d’un moment de « loisir » pour élargir les épreuves :

Les épreuves de « Lohengrin » m’ont trouvé à Eilsen, et si j’ai tardé à vous les renvoyer, cher Monsieur Brockhaus, c’est que j’ai profité du loisir que j’ai ici pour développer un peu quelques lignes publiées dans les Débats sur le Tannhäuser, et qui en ajoutant une cinquantaine de pages à ma brochure sur Lohengrin donneront à ceux qu’elle pourrait intéresser une idée plus complète du génie de Wagner et de ma conception de ses ouvrages. En conséquence de cette addition le titre de ma brochure a dû être modifié. Elle s’appellera simplement « Lohengrin et Tannhäuser par F. Liszt [»] (37).

Brockhaus devait donc initialement publier un essai sur Lohengrin et les fêtes de Herder où Tannhäuser n’était peut-être pas beaucoup abordé, et dont la page de titre autographe est certainement celle conservée à la Library of Congress de Washington D. C. : « Lohengrin / de R. Wagner / par / F. Liszt / précédé d’une relation des Fêtes de / Herder et Goethe / (25 et 18 Août 1850) / à / Weymar. / Leipzig / Brockhaus – etc (38) » (illustration 3).

Les deux études de Liszt sur Tannhäuser et Lohengrin, assez développées, sont comparables dans leur nature et leurs proportions au texte sur Harold en Italie. Liszt y expose le système de Wagner et sa propre « conception de ses ouvrages », pour reprendre ce qu’il écrit à Brockhaus. Cependant, s’il s’éloigne moins de l’œuvre de Wagner qu’il ne le fait de celle de Berlioz dans son texte sur Harold, c’est peut-être parce que ce dernier est pour lui une façon d’exposer (enfin) ses propres idées sur la musique à programme (39).Dès le 13 novembre 1851, le Journal de Francfort publie un compte rendu de la brochure Lohengrin et Tannhaüser (40) qui vient de paraître (« Richard Wagner jugé par Franz Liszt »). Quelques jours plus tard, le rédacteur en introduit de longs extraits en ces termes :

Nous avons fait connaître à nos lecteurs, dans notre numéro du 13 novembre, l’idée et la tendance du nouvel ouvrage de François Liszt, en promettant de donner des extraits de cette critique aussi profonde que poétique sur un des compositeurs allemands les plus distingués. Liszt a été par son piano l’apôtre de Beethoven dans les salons. Il est maintenant l’apôtre de Richard Wagner, au milieu de la nation ; car c’est à celle-ci qu’il s’adresse par son ouvrage, écrit, il est vrai, en français, mais par cela même accessible à la littérature générale.
Voici comment le poète et artiste définit la manière tout originale et le système tout nouveau du compositeur (41).

La louange du génie encore méconnu de Wagner, sorte de Dieu dont Liszt, « poète et artiste », serait l’apôtre ou le prophète, est un leitmotiv de ses essais sur Wagner dans lesquels il cherche en effet à définir le nouveau système du compositeur. Mais dans la lettre à Brockhaus citée ci-dessus, Liszt avait pris soin de préciser que le public pouvait aussi être intéressé par sa propre conception des ouvrages de Wagner. C’est un détail important sur lequel il faudra revenir puisqu’il montre que Liszt ne s’efface pas totalement derrière son objet d’étude.

Son troisième et dernier texte wagnérien de grande envergure est consacré à Der Fliegende Holländer (1853-1855) ; comme il l’écrit lui-même, l’article sur Das Rheingold n’était qu’une « kleine Indiskretion » occupant quelques colonnes seulement dans la Neue Zeitschrift für Musik, en guise de surprise pour les étrennes de Wagner de 1855 (42). Rédigé comme les autres en français, l’article sur Der Fliegende Holländer n’a malheureusement paru intégralement qu’en traduction allemande dans la Weimarische Zeitung puis dans la Neue Zeitschrift für Musik et le Frankfurter Konversationsblatt en 1854. Seule une in me partie a été publiée en français, dans Le Constitutionnel, l’année suivante (voir tableaux 1 et 4). Ces quelques lignes dans la presse française, correspondant à l’analyse du premier acte, représentent seulement un huitième du manuscrit de Yale (le reste du texte est donc inédit en français).

I.3 – Transcriptions et paraphrases des opéras de Wagner

Grande paraphrase de concert pour piano sur l’Ouverture de Tannhäuser de Richard Wagner par Franz Liszt

Troisième et dernier élément de la propagande wagnérienne de Liszt : les transcriptions et paraphrases pour piano (44). On ne s’étonnera pas qu’un regard synoptique sur leur chronologie et sur celle de ses écrits wagnériens laisse transparaître un apogée dans les années 1850. Cependant, contrairement aux textes littéraires qui ont tous été écrits en six ans seulement (et sur quatre opéras), les quatorze œuvres pour piano de Liszt d’après Wagner ont été composées sur près de trente-cinq ans, de 1847 à 1882, et sont fondées sur huit opéras : Tannhäuser, Lohengrin, Rienzi, Der Fliegende Holländer, Tristan und Isolde, Die Meistersinger von Nürnberg, Das Rheingold et Parsifal (voir tableau 2) (45). La plupart de ces œuvres (9) ont cependant été écrites entre 1848 et 1861, ce qui correspond à la présence de Liszt à Weimar : abstraction faite du Phantasiestück über Motive aus Rienzi, il s’agit des quatre pièces d’après Tannhäuser, des trois d’après Lohengrin et de celle d’après Der Fliegende Holländer, précisément les trois opéras qui ont de très loin constitué le cœur de la propagande littéraire de Liszt, les seuls qu’il ait dirigés et donc les seuls au centre de son action à triple visage.

En février 1853, Liszt écrit à Wagner qu’il vient d’arranger deux morceaux de Tannhäuser et de Lohengrin pour l’usage des salons (« zum Salon Gebrauch »), certainement à la demande de Breitkopf & Härtel pour aider à la diffusion des œuvres originales (46). Comme Rehding l’a démontré à propos des très nombreux arrangements de Tannhäuser, de telles publications devaient permettre, par le biais du salon, de familiariser le public avec la « Zukunftsmusik », qui restait une musique d’élite (47). Un tel morcellement par extraits, face auquel Wagner était très réservé, apparaît ironique lorsqu’on songe que c’est à partir de Lohengrin qu’il cherche justement à éviter la conventionnelle structure périodique de numéros fermés (48). Il faut cependant sacrifier à la tradition et aux usages du marché, ce que Liszt continuera de faire avec les opéras de Wagner pourtant composés sans numéros fermés. Les transcriptions wagnériennes de Liszt des années 1840-1850, qu’elles soient faciles à jouer (O du mein holder Abendstern) ou au contraire d’exécution redoutable (Ouvertüre zu Tannhäuser), ont une dimension clairement propagandiste (49). En revanche, celles d’après relèvent peut-être davantage d’un exercice « purement » artistique. La réputation de Wagner est certes désormais assurée, mais il reste à savoir si les compositions de Liszt répondent encore à une logique commerciale.
(Voir tableau 2 ci-après)

Tableau 2. Chronologie des transcriptions et paraphrases wagnériennes de Liszt

La triple propagande wagnérienne de Liszt se situe donc principalement entre 1848 et 1859, ce qui correspond naturellement à ses fonctions de maître de chapelle à Weimar et par conséquent aux moyens musicaux, administratifs et officiels dont il disposait pour servir au mieux « la cause ». Pendant ces années, il a dirigé plus de trente morceaux de Wagner (œuvres complètes ou extraits), a fait paraître quatorze textes en français et en allemand sur quatre de ses opéras (même s’il s’agit de variantes des mêmes quatre matrices principales) et a composé à partir d’eux sept œuvres pour piano. A l’exclusion des maigres colonnes sur Das Rheingold, la propagande de Liszt concerne donc exclusivement Der Fliegende Holländer, Tannhäuser et Lohengrin, ce dernier marquant comme on le sait une césure dans la production du compositeur. En novembre 1850, Wagner annonce à Liszt qu’il est désormais prêt à écrire un livre sur ses conceptions de l’opéra, précisément sur le rapport entre musique et drame : ce sera Oper und Drama (50). Il précise qu’il lui a fallu « en finir avec toute une vie passée » pour « entrer dans un nouveau monde » et qu’après avoir achevé cet ouvrage, il souhaite publier ses « drei romantischen Operndichtungen (51) ». Drei Operndichtungen nebst einer Mittheilung an seine Freunde als Vorwort paraîtra à Leipzig en 1852. Au début de son texte inédit sur Der Fliegende Holländer, Liszt écrit que « jusqu’au complet achèvement et la mise au jour de cette entreprise plus vaste que n’en avait encore jamais rêvée un compositeur dramatique [Der Ring des Nibelungen], Lohengrin est la dernière expression des idées de son auteur sur la manière dont on peut doter l’opéra de ressources nouvelles en répudiant beaucoup de celles qui le soutiennent actuellement, ce qui lui donne une importance majeure parmi les ouvrages de Wagner (52) ». Après Lohengrin, Wagner prend la direction du mythe et du « Bühnenfestspiel ». « Le mythe ne pourra renaître qu’en tournant le dos à l’histoire », écrit Nattiez (53). Le fait que Liszt annonce la composition du « gigantesque projet (54) » du Ring dans les pages liminaires du manuscrit de Yale et que le dernier texte qu’il ait écrit sur Wagner soit consacré à son prologue, Das Rheingold, est un beau symbole de la transition qui s’opère alors dans la production de Wagner (55) :

Les dieux de l’Olympe scandinave, et les héros demi-dieux de la mythologie du Nord y apparaissent avec une majesté et une grandeur qui frappent l’imagination à la seule lecture de ces quatre poèmes récemment imprimés, et remarquables, non seulement par leur conception, aussi étrange dans sa tendance symbolique et mythique que réussie par son intérêt dramatique, mais encore par le genre de leur versification, le poète ayant abandonné la rime et le mètre pour adopter l’allitération (56), cette forme antique usitée par les bardes Irlandais, presque toujours jadis, et parfois encore de nos jours ; il a obtenu dans ce vieux mode rajeuni, des effets de laconisme et de sonorité d’une énergie et d’une vigueur sans exemple peut-être dans cette langue (57).

C’est là que réside l’importance des pages inédites du manuscrit de Yale et de leur jugement à la fois rétrospectif et prophétique : les écrits de Liszt sur Wagner s’éteignent avec la naissance de La Tétralogie.

II. LISZT HISTORIEN DE L’OPÉRA
ET TÉMOIN DE LA NAISSANCE DU « DRAME MUSICAL » WAGNÉRIEN

II.1 – Le projet du volume Zur musikalischen Literatur rassemblant les articles de 1854

Franz Liszt vers 1854

En 1854, Liszt fait paraître plusieurs articles sur l’opéra dans la Weimarische Zeitung, de portée locale, avant de les faire rééditer immédiatement dans la Neue Zeitschrift für Musik de diffusion plus large et plus prestigieuse. D’une façon générale et comme pour les textes sur Wagner, la plupart de ces articles ont paru en relation très étroite avec les productions qu’il dirigeait au Théâtre de Weimar : Orphée (Gluck), Fidelio, La Muette de Portici, Euryanthe, Egmont, Ein Sommernachtstraum, Robert le diable, I Capuleti e i Montecchi, La Favorite, La Dame blanche, Alfonso und Estrella (par ordre de parution dans la Neue Zeitschrift für Musik, voir tableau 3) (58). Au travers de cette galerie de compositeurs, une stratégie de réclame est toujours manifestement à l’œuvre.

Afin notamment de présenter des conceptions différentes de celles exposées par Wagner dans Oper und Drama, Liszt a voulu dès 1854 rassembler ses articles sur l’opéra en un seul volume, sous le titre Zur musikalischen Literatur (59). L’essai sur Der Fliegende Holländer devait venir clore la série comme « noyau central et apogée (60) » en expliquant le système par lequel Wagner a apporté des réponses aux questions que d’autres avaient soulevées avant lui sur le rapport entre musique et drame. Pour Liszt, Wagner n’arrive pas ex nihilo. Il est la conséquence directe de l’Histoire, fruit des compositeurs qui l’ont précédé et qui lui ont ouvert la voie. En revanche, Wagner, même s’il reconnaît avoir des prédécesseurs, considère que l’opéra était mort avant lui et ne se reconnaît pas comme l’aboutissement d’un quelconque progrès (61). Detlef Altenburg résume parfaitement la position de Liszt : « bemerkenswert an Liszts Darstellung ist die Tatsache, daβ er sich nicht als Apologet oder Interpret von Wagners Schriften versteht, sondern das Verhältnis Wagners zur Tradition in einem durchaus eigenständigen operngeschichtlichen Abriβ beschreibt, der immer wieder das Problem des Verhältnisses von Libretto und Musik in den Mittelpunkt stellt (62). » Dans la traduction allemande du texte de Liszt sur Lohengrin qu’il supervise en 1851, Wagner supprime quelques mentions de Meyerbeer (63). Comme l’écrit Nietzsche à propos des écrits de Wagner, en forçant naturellement le trait, « Alles, was Wagner kann, wird ihm Niemand nachmachen, hat ihm Keiner vorgemacht, soll ihm Keiner nachmachen… Wagner ist göttlich…(64) » Le rapport à l’histoire est sans doute une différence fondamentale entre les deux compositeurs. Alors que Wagner a été influencé par les Jeunes hégéliens, du moins dans ses écrits dits de Zurich et malgré de fréquents changements de position, Liszt se placerait-il dans une perspective plus proche des idées de Hegel sur le pouvoir de l’histoire, fortement critiquée, en l’occurrence, par les Jeunes hégéliens ? Même si Liszt n’a jamais été un n connaisseur ni un partisan déclaré de Hegel, les idées du philosophe avaient tellement imprégné les esprits en France dans les années 1830 qu’il n’est pas exclu qu’elles aient pu indirectement exercer une influence sur lui, qui était à cette époque très perméable aux doctrines les plus variées (65).

La galerie de portraits de compositeurs que constituent les articles de 1854 a été réunie du vivant de Liszt par Lina Ramann dans le premier tome des Dramaturgische Blätter (Essays über musikalische Bühnenwerke und Bühnenfragen, Komponisten und Darsteller (66)) des Gesammelte Schriften, avec trois autres textes qui n’ont rien à voir avec eux. Les quatre articles sur Wagner ont quant à eux été regroupés dans le second tome de ces Dramaturgische Blätter : Richard Wagner. Ramann avait en effet cherché à rassembler les textes wagnériens de Liszt sans prendre en compte son dessein initial de réunir tous les articles de 1854. Ce souhait a en revanche été partiellement réalisé en 1989 dans le cinquième volume des Sämtliche Schriften, sous le même titre de Dramaturgische Blätter, qui reprend l’ensemble des articles de la Neue Zeitschrift für Musik, dont celui sur Der Fliegende Holländer (67).  Al’instar des brochures de 1851 et 1852, le quatrième volume des Sämtliche Schriften contient quant à lui les textes français et allemand sur Lohengrin et Tannhäuser. Ces différentes répartitions éditoriales montrent bien la variété et la complexité des projets d’édition envisagés du vivant de Liszt, chacun réalisé en fonction d’une logique propre.

Tableau 3. Composition des Dramaturgische Blätter (Gesammelte Schriften et Sämtliche Schriften). Les articles suivis d’un * ont été publiés en 1854 dans la Neue Zeitschrift für Musik

II.2 – Le manuscrit de Yale. Trois opéras de Richard Wagner considérés de leur point de vue musical et poétique par Franz Liszt : un livre qui en dit autant sur Liszt que sur Wagner

Le manuscrit de l’article sur Der Fliegende Holländer conservé à Yale, entièrement et soigneusement copié à l’encre brune par la princesse Wittgenstein, comporte un certain nombre d’indications et de corrections destinées à l’édition. Le cahier est du même type que celui qui contient le texte sur Harold en Italie à la Bibliothèque nationale de France. Le texte de la Beinecke Library n’est pas à proprement parler l’original français du feuilleton paru pour la première fois dans la Weimarische Zeitung : il est légèrement plus développé et comporte des passages inédits par rapport aux versions publiées jusqu’à présent. Le stemma suivant représente la transmission du texte (les étapes en italique correspondent aux publications, celles en romain aux manuscrits ; les [ ] matérialisent les sources non localisées) :

Tableau 4. Filiation du texte de Liszt sur Le Vaisseau fantôme

Outre quelques détails de rédaction, le manuscrit de Yale comporte deux changements majeurs par rapport aux versions publiées. Le principal est l’addition d’une introduction de cinq pages portant un jugement rétrospectif sur la diffusion et la réception de la musique de Wagner en Allemagne depuis 1849 et sur la clairvoyance de Liszt à cet égard (pages inédites intégralement reproduites en annexe 2). Après l’ajout de ce nouveau propos, le changement le plus important se trouve dans la structure même de l’article : comme l’indique la princesse Wittgenstein dans l’« Avis à l’imprimerie » placé au début du manuscrit, le long parallèle entre Senta et Marie de Vandenesse, l’héroïne d’Une fille d’Ève de Balzac, doit être déplacé plus loin dans le texte (68).

Originellement conçu pour donner des indications à l’éditeur, l’« Avis à l’imprimerie » nous permet surtout aujourd’hui de retracer l’histoire du manuscrit. Il était destiné à être publié à la suite des essais sur Tannhäuser et Lohengrin (1851) pour former un livre, Trois opéras de Richard Wagner considérés de leur point de vue musical et poétique par Franz Liszt :

Avis à l’imprimerie.
Le volume qui va être imprimé sous le titre suivant Trois opéras de Richard Wagner considérés de leur point de vue musical et poétique par Franz Liszt, sera composé du résumé qui en a été fait séparément à 3 époques différentes par l’auteur, et dont deux sont imprimés dans la brochure ci-jointe, dont le troisième est en manuscrit ci-après. Les trois analyses doivent se succéder dans le présent volume selon l’ordre où elles ont été écrites, à savoir :
Tannhäuser
Lohengrin
Le Vaisseau fantôme
Chaque article doit être précédé de la date qui y est indiquée, et qui est nécessaire pour orienter le lecteur, vû [sic] que plus d’une chose qui y [é]tait prévue, s’est accomplie dans le cours des dix années qui viennent de s’écouler à partir du premier article sur le Tannhäuser –
On est prié –
1° de ne pas négliger les quelques corrections faites au crayon dans la brochure, ainsi que les erratas [sic] qui y sont indiqués à la n, et qui sont loin de contenir toutes les fautes d’impression restées encore.
2° de revoir soigneusement l’orthographe dans les [é]preuves faites sur le manuscrit où il s’est glissé beaucoup de fautes qui n’ont peut être pas été toutes corrigées ;
3° De remarquer qu’il y a dans ce manuscrit 15 pages que l’auteur désire transporteraprès l’analyse de la prière au lieu de l’y laisser avant ; la comparaison qui s’y trouve faite avec un personnage de Balzac deviendra plus claire pour le lecteur, après qu’il aura pris connaissance du poème qui provoque cette comparaison – on a indiqué au crayon bleu quelles sont les pages qui doivent être transposées et à quel endroit il faut le faire.
4° L’analyse de Tannhäuser est partagée en IV paragraphes.
Celle de Lohengrin en II
Celle du Vaisseau fantôme en V.
5° Dans la brochure l’auteur a ajouté à la page 89, quelques lignes contenant le complément de sa pensée, et qui devront être intercalées vers la fin de l’alinéa qu’il a désigné au crayon rouge. C’est la seule phrase qui y est ajoutée.

Le manuscrit a donc été envoyé avec un exemplaire de la brochure Lohengrin et Tannhaüser comportant « quelques corrections faites au crayon » et un « complément » de pensée de Liszt. Malheureusement, cet imprimé n’a pas été acquis par la Beinecke Library. Jusqu’à présent, les recherches pour le localiser sont restées vaines (les détails de l’ « Avis à l’imprimerie » devraient permettre de l’identifier aisément si jamais il réapparaissait) (69).

Trois opéras de Richard Wagner considérés de leur point de vue musical et poétique par Franz Liszt

L’ « Avis à l’imprimerie » précise l’ordre dans lequel les trois textes de Liszt doivent être publiés : Tannhäuser, Lohengrin puis Der Fliegende Holländer. Il faut s’interroger sur ce choix qui ne correspond pas à l’ordre de composition des opéras, qui est pourtant celui que Wagner a logiquement repris dans Drei Operndichtungen, c’est-à-dire Der Fliegende Holländer, Tannhäuser puis Lohengrin. Pourquoi la configuration chronologique n’est-elle pas respectée ? Cette différence est en réalité un élément fondamental pour comprendre la portée de l’entreprise de Liszt : Trois opéras de Richard Wagner considérés de leur point de vue musical et poétique n’est pas seulement destiné à la propagande wagnérienne, mais doit également mettre en valeur son auteur. Le fait que la princesse demande que les articles soient précédés de leur date de rédaction, respectivement 1849, 1850 et 1852 (70), démontre l’importance du point de vue de Liszt. Cependant, si les deux premières dates correspondent bien à la rédaction des textes sur Tannhäuser et Lohengrin (voir tableau 1), la troisième est erronée puisque Liszt a eu l’idée d’écrire un article sur Der Fliegende Holländer l’année de sa création à Weimar, en 1853 (d’après ce qu’il écrit à Wagner en juin, en évoquant « einen kleinen Aufsatz (71) »). Initialement conçu comme un article de petites dimensions, ce texte, achevé en juillet 1854 (72), a pris des proportions importantes au fur et à mesure de sa rédaction pour devenir ce que Liszt a lui-même appelé « nos fatrasies (73) », expression renvoyant à la collaboration avec la princesse. La date très précise « 1er mars 1852 » gurant sur le manuscrit de Yale fait certainement référence au cycle des trois opéras de Wagner que Liszt a dirigés à Weimar et qu’il con- sidérait comme la consécration de son action au Théâtre de la cour (illustration 4). Ses activités de maître de chapelle et de propagandiste se rejoignent. Tout comme l’essai sur Der Fliegende Holländer devait être l’aboutissement de la série d’articles sur l’opéra, sa représentation devait couronner le cycle de Weimar : « La représentation du ‘Fliegende Holländer’ et des trois ouvrages de Wagner annoncés du 27 février au 5 mars, écrit Liszt au grand-duc Carl Alexander, marquent le dernier terme du cycle que l’[é]tat dans lequel j’ai trouvé l’opéra de Weymar m’a permis de tracer et que j’espère avoir parcouru avec quelqu’honneur (74) ». Le but de ce cycle Wagner, sur lequel Liszt revient dans les premières pages du manuscrit de Yale, était de « présenter un tableau complet » de l’évolution que Wagner avait suivie depuis Rienzi, où il était encore « astreint » aux habitudes et aux traditions de ses « devanciers (75) ». Toutefois, le cycle en question a eu lieu en 1853 et non en 1852. Tout porte donc à croire qu’il faille lire « 1853 » à la place de « 1852 » en raison d’une simple erreur de copie ou de mémoire – rappelons que le manuscrit de Yale a été copié plusieurs années après les événements qu’il relate (76). Associer le texte sur Der Fliegende Holländer à la création weimarienne de l’œuvre et à la représentation conjointe des trois derniers opéras de Wagner est un moyen idéal pour conférer à l’entreprise lisztienne une forte dimension symbolique. Comme on le lit dans le manuscrit de Yale, ces œuvres forment effectivement un ensemble et marquent la fin d’un cycle, celui du « vieil » opéra. Liszt est en mesure de dévoiler au public à la fois le système de Wagner, son évolution et la révolution qu’il a apportée dans la façon de concevoir le rapport entre musique et drame. En conséquence, Der Fliegende Holländer, Tannhäuser et Lohengrin sont cités au début du texte de Yale et représentés à Weimar dans l’ordre de leur composition, car c’est le point de vue wagnérien qui prime :

Afin de présenter un tableau complet de la marche suivie par l’esprit de Wagner à partir de Rienzi, grand opéra de cinq actes, où il est encore astreint à toutes les habitudes et traditions de ses devanciers, le théâtre de Weimar a donné dans une même semaine, entre le 27 Février et le 5 Mars en 1852 [recte : 1853], les trois opéras qu’il a écrit[s] sous l’inspiration de son système particulier : le Vaisseau fantôme/Fliegender Holländer,Tannhäuser et Lohengrin, dans cet ordre qui a été celui de leur composition (77).

En revanche, présenter les textes dans l’ordre de leur rédaction, comme c’est le cas dans le manuscrit de Yale, place le lecteur d’un point de vue lisztien. Ce glissement de point de vue n’est donc pas anodin, car il révèle un nouvel angle d’approche : c’est l’avis de Liszt qui est mis en avant. Selon l’ « Avis à l’imprimerie », en effet, l’indication des dates est « nécessaire » pour le lecteur, car bien des choses annoncées par Liszt se sont accomplies entre 1849 et 1859. A l’évidence, la publication de Trois opéras de Richard Wagner considérés de leur point de vue musical et poétique se voulait être à la fois un hymne au génie de Wagner et l’affirmation du jugement de Liszt, « proto-wagnérien » en quelque sorte et pionnier de la cause wagnérienne en Allemagne comme en France, qui commençait alors à être partagé par d’autres.

Un certain nombre de bibliographies font de la brochure Lohengrin et Tannhaüser de 1851 leur première référence chronologique (78). Comme l’écrit Auguste de Gaspérini, au contraire du livre sur Chopin de 1852, qui avait, lui, été imprimé en France après y avoir été diffusé sous forme de feuilleton, elle n’a sans doute pas fait « beaucoup de bruit » à l’époque (79). Cela s’explique sans doute par le fait que Lohengrin et Tannhaüser ait été édité en Allemagne et que son style n’en ait pas fait un joyau littéraire unanimement acclamé (80). En outre, Wagner était encore bien moins populaire que Chopin. Cependant, quelques années après sa parution, alors que Wagner occupe de plus en plus de place dans le paysage musical français, quelques voix s’élèvent pour rappeler le geste pionnier de Liszt : Gaspérini, qui avait cherché à se le procurer en 1858, le cite abondamment et écrit qu’il s’agit d’une « importante brochure », « très-développée, très-intéressante », ayant beaucoup influencé son propre travail (81). Mais la plume la plus prestigieuse reste celle de Baudelaire, qui, en 1861, dans son article « Richard Wagner et Tannhaeuser à Paris » à partir duquel on a l’habitude de dater le début du wagnérisme, rend hommage à Liszt (82). Le « Thyrse » avait en quelque sorte préparé le terrain dix ans auparavant, et le rôle de ses écrits, dont Baudelaire cite d’ailleurs plusieurs extraits en en recommandant expressément la lecture « à tous les amateurs de l’art profond et raffiné », ne doit pas être sous- estimé. D’après lui, Liszt avait su « malgré cette langue un peu bizarre qu’il affecte, espèce d’idiome composé d’extraits de plusieurs langues, traduire avec un charme in ni toute la rhétorique du maître (83) ». L’éloge du poète ne devrait-il pas sonner comme un appel à la réévaluation et à la diffusion des écrits de Liszt et en l’occurrence de ceux sur Wagner ?

II.3 – Un projet de deux volumes sur l’évolution de l’opéra et sur Wagner chez Michel Lévy

L’« Avis à l’imprimerie » ne permet pas de retracer à lui seul l’histoire complète du manuscrit de Yale et du projet de publication de Trois opéras de Richard Wagner considérés de leur point de vue musical et poétique. Toutefois, l’intrigue est complétée par des lettres de l’historien de l’art Charles Perrier (1835-1860) à la princesse Wittgenstein (84). C’est Perrier qui, en 1858, a vraisemblablement songé le premier à réunir les trois essais wagnériens de Liszt.

L’art français au Salon de 1857 par Charles Perrier

Collaborateur de L’Artiste dès l’âge dix-huit ans puis de la Revue contemporaine, auteur de L’art français au Salon de 1857 (85) et passionné de culture allemande, Perrier était en relation avec la princesse Wittgenstein depuis au moins 1856 (86). Comme l’écrit l’auteur anonyme de la notice biographique placée au seuil de ses posthumes Études sur les beaux- arts en France et à l’étranger, Perrier, malgré ses premiers succès de critique, « se trouvait encore éloigné du but qu’il voulait atteindre et ne se lassait pas d’étendre le cercle de ses connaissances spéciales (87). » Le jeune homme a séjourné une première fois à Weimar en 1853 et 1854 pour ses études. La notice biographique citée laisse penser qu’il y a rencontré Liszt à cette occasion (88). Par la suite, il a rendu divers services à la princesse Wittgenstein, avec qui il partageait le goût des arts, des salons et de la critique ; il a notamment été son intermédiaire à Paris pour l’achat d’œuvres destinées à sa collection, dont un dessin de Gustave Doré en 1856 (89). A l’occasion d’un second voyage en Allemagne en 1857, il côtoie Liszt, la princesse Wittgenstein et sa fille (90). C’est dans une lettre à la princesse du 11 novembre 1858 qu’il fait part de son idée de réunir les trois articles de Liszt sur Wagner et qu’il se propose de faire à Paris toutes les démarches nécessaires. « Le nom de Liszt en tête d’un ouvrage de critique musicale ne peut manquer de faire sensation, écrit-il. On en dira du bien, on en dira du mal : l’important est qu’on s’en occupe » (91).

Les lettres de la princesse n’ont malheureusement pas été retrouvées. Cependant, celle de Perrier du 6 février 1859 ne laisse aucun doute : l’idée a été bien accueillie à Weimar. A cette date, le matériel nécessaire à la publication du livre avait déjà été envoyé à Paris (la brochure Lohengrin et Tannhaüser et un manuscrit, celui de Yale). La réponse de Perrier indique également quel éditeur devait se charger de la publication : Michel Lévy, avec qui il était déjà en affaire puisqu’il avait publié son Art français au Salon de 1857.

Princesse
J’ai reçu hier votre dernière lettre et je suis allé dans la journée porter à Lévy la brochure et le manuscrit de Liszt. Je l’ai trouvé de fort mauvaise humeur. Il venait de voir annoncer sur la couverture d’un volume de la Librairie nouvelle les Bohémiens, et il m’en a paru très formalisé. Il avait cru d’abord qu’il s’agissait du livre dont je lui avais parlé à lui-même et il trouvait singulier qu’on l’eût, sans autre avis, porté à un autre éditeur. En voyant le titre de la brochure que je lui présentais il a bien vite reconnu son erreur, mais il ne // m’a pas caché qu’il aurait bien mieux aimé faire les frais de l’autre ouvrage. Cet honorable industriel se préoccupe beaucoup plus du titre que de la valeur des choses. Ce qu’il lui faut avant tout c’est une étiquette à l’adresse de ses chalands. C’est précisément à l’occasion du titre qu’il me charge de vous [é]crire. Il demande un titre plus large, plus général. Selon lui le nom de Wagner est trop peu connu, trop peu populaire en France pour justi er (au point de vue de la vente) un titre aussi spécial. Et d’ailleurs il ne voudrait pas même, assure-t-il, hasarder un livre qui serait intitulé trois opéras de Meyerbeer, ou de Rossini. Je lui ai dit ce que je pensais d’une objection qui me parait tout-à // fait puérile, mais il m’a fermé la bouche en me disant, ou à peu près, qu’il connaissait mieux que moi son public. En conséquence il demande que Liszt consente à donner un autre titre plus général comme « Une nouvelle Ecole musicale en Allemagne », ou tout autre qui n’effarouche pas la masse des amateurs par un caractère trop spécial (92)[.]

Les difficultés apparaissent déjà. En 1859, la Librairie nouvelle (A. Bourdilliat) publie en effet la première édition de Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie. Lévy, ayant finalement compris que Liszt n’avait cherché ni à le doubler ni à le duper, reste cependant très prudent : Wagner est selon lui « trop peu connu, trop peu populaire en France » pour risquer une publication avec son nom en couverture. Il propose donc à brûle-pourpoint un titre plus général (Une nouvelle Ecole musicale en Allemagne), moins risqué et moins « engagé », qui se rapproche d’ailleurs singulièrement de celui que Gaspérini choisira en 1866 (La Nouvelle Allemagne musicale. Richard Wagner). S’engagent alors des négociations entre Paris et Weimar, via Perrier. La première proposition de Lévy, notamment la suppression du nom de Wagner, n’a vraisemblablement pas plu à Weimar. Face aux réserves de l’éditeur, la princesse propose donc un nouveau titre qui ne le satisfait pas encore. Toujours par le biais de Perrier, Lévy suggère alors en mars 1859 d’ajouter le nom de Wagner en sous-titre :

L[é]vy qu’on a toutes les peines du monde à trouver chez lui depuis qu’il a pris femme n’est pas encore satisfait du nouveau titre que vous avez indiqué. Il ne voudrait pas que le nom de Richard Wagner f[û]t en t[ê]te du volume et il demande celui-ci :
D’une r[é]forme musicale en Allemagne // ou plut[ô]t :
D’une Nouvelle Ecole musicale en Allemagne Avec ce sous-titre :
– Richard Wagner – (93)

Du côté de Weimar, on a donc apparemment insisté pour que le nom de Wagner soit présent dans le titre, mais si Lévy accepte, c’est seulement en sous-titre. Perrier trouve cette substitution inutile et prévient l’éditeur que Liszt « pourrait bien ne pas être d’humeur à souscrire à cette prétention de sa part (94) ». Un peu plus tard, Perrier annonce avoir fait part à l’éditeur des « contre-propositions » du compositeur qui semblent finalement mettre tout le monde d’accord (95). Malheureusement, le jeune homme ne précise ni la nature de ces contre-propositions ni le titre adopté. Il est donc impossible de connaître le titre de compromis sous lequel le livre aurait dû paraître. En revanche, la même lettre nous apprend qu’une nouvelle idée avait vu le jour. Il était désormais question de publier deux volumes, ensemble ou à quinze jours de distance : le premier composé de textes « sur Weber, Meyerbeer, Schubert, etc. » et le second sur Wagner (Trois opéras de Richard Wagner considérés de leur point de vue musical et poétique). Lévy envisageait aussi une traduction allemande (peut-être des deux volumes). Perrier achève sa lettre en écrivant que « si ce second manuscrit est tout prêt », la princesse peut « le faire parvenir par le même canal que les autres » et qu’il ira donc le « réclamer » à Monsieur de Laporte.

Pendant l’été 1859, Perrier quitte la France pour s’installer à Rome, où il vient d’être nommé attaché d’ambassade. Le 1er août, il écrit à la princesse qu’avant de partir il a juste eu le temps d’ « aller prendre chez M. de Calonne l’article sur Berlioz et le porter chez M. Lévy (rue Vivienne, 2) avec les autres manuscrits (96) » qu’elle lui avait fait parvenir. Le premier manuscrit mentionné est certainement celui de l’article Harold en Italie aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France, que Liszt avait voulu faire publier en 1855 dans la Revue contemporaine de Bernard de Calonne (97). Lévy aurait-il envisagé de le reprendre à son compte ? En 1854, Liszt avait laissé la liberté à Richard Pohl d’en insérer la traduction allemande dans Zur musikalischen Literatur, mais il se réservait l’utilisation de la version française. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un texte sur l’histoire de l’opéra ni directement sur les rapports texte/musique, on peut donc penser qu’il a été envisagé en 1859 d’insérer le texte sur Harold dans le volume prévu chez Lévy (98). Les « autres manuscrits » cités par Perrier sont certainement celui sur Der Fliegende Holländer et le « volume sur Weber, Meyerbeer, Schubert, etc ». Des trois manuscrits qui sont passés entre les mains de l’historien de l’art, seul ce dernier, peut-être un cahier identique aux deux autres, n’a donc pas été retrouvé.

Le volume en question, mentionné par Perrier, renvoie évidemment au projet de réunir les articles de 1854, cette fois en français. Cinq ans plus tard, il est désormais question de deux livres complémentaires reprenant à grande échelle, et en l’amplifiant, la première idée : le but des articles de la Neue Zeitschrift für Musik était de dresser une galerie des compositeurs jusqu’à Wagner, qui résout en n la question du rapport entre musique et drame. Le projet de deux volumes chez Lévy est similaire puisqu’il matérialise le passage d’un « avant Wagner » à l’ère du drame musical. Dans le premier, Liszt commencerait par faire un tableau des précurseurs qui ont ouvert la voie à Wagner, le « régénérateur », terme qu’on retrouve plusieurs fois sous sa plume (99) ; c’est notamment une idée omniprésente dans ses textes wagnériens, formulée très clairement dès la première page du manuscrit de Yale. Liszt émet cependant une réserve sur la pérennité de cette régénération : est-ce un épiphénomène « exceptionnel » ou un modèle pour le futur ?

[Q]uelque [sic] soit le sort qui attende la réalisation des théories par lesquelles Wagner poursuit la régénération de l’art scénique, soit que leurs applications s’étendent, soit qu’elles demeurent exceptionnelles, l’école qu’elles auront produit [sic] n’en restera pas moins un fait marquant dans les annales de l’art (100).

La « régénération » opérée par Wagner est un élément central de la pensée de Liszt, qui considère aussi que ce nouveau système n’aurait pas pu exister sans les devanciers dont il est l’aboutissement. Cette idée est en étroit rapport avec la perpétuelle recherche chez Liszt d’une dialectique entre le passé, le présent et l’avenir, articulée par la croyance dans le progrès ou la perfectibilité en musique et par une chaîne de « faisabilité » historique (101). Le projet de deux volumes et la place donnée par Liszt à Wagner dans l’évolution de l’opéra renvoient à une perception laborieuse de l’histoire qui est également prégnante dans ses lettres et ses œuvres musicales. On est là au cœur de sa conception progressiste et téléologique de l’histoire de la musique, où Wagner serait une « figure clef » face à l’aporie de la question du rapport entre drame et musique, un peu comme ce que représentait, aux yeux de Fétis et dans le domaine du langage seulement, un Monteverdi face au règne finissant de l’unitonie (102). Cette conception de la philosophie de l’histoire de la musique est au cœur de l’interprétation lisztienne du rôle de Wagner dans l’histoire de la musique et révèle une différence fondamentale entre les deux compositeurs.

Finalement, lorsque Lévy a demandé que le nom de Wagner soit seulement placé en sous-titre du livre, Liszt aurait peut-être eu l’idée de pro ter de la contrainte pour faire une « contre proposition » de demi-mesure, c’est-à-dire de publier une histoire de l’opéra en deux volumes sous un titre général, avec deux sous-titres que l’on pourrait symboliquement imaginer ainsi : « Avant Wagner » et « Wagner et après ? » Cette configuration (supposée) peut apparaître comme une sorte de concession à la demande de l’éditeur, mais elle respecte et renforce en réalité l’idée maîtresse de Liszt.

II.4 – Pourquoi le projet de 1859 n’a-t-il pas abouti ?

En raison de son départ à Rome, Perrier prévient la princesse qu’elle devra négocier directement avec Lévy. Il regrette de n’avoir pas pu conduire « cette affaire jusqu’au bout » et lui rappelle que l’éditeur s’est engagé à lui fournir cinquante exemplaires et « à se charger du service de la presse (103) », bien qu’aucun contrat ne semble avoir été signé (104). Le jeune et diligent critique devait cependant mourir très peu de temps après, en novembre 1860. Son départ à Rome et sa disparition inattendue ont peut-être précipité l’échec du projet de publication, car il semble bien avoir été le seul intermédiaire entre Liszt, la princesse et l’éditeur parisien. Dans l’état actuel des recherches, il est pourtant impossible de définir avec certitude les motifs précis de sa non-réalisation. Tout au mieux peut-on établir un faisceau de raisons, qui, isolées ou conjuguées, auraient pu le rendre impossible et qui viennent aujourd’hui enrichir notre conception de la première réception wagnérienne française.

Premièrement, la précocité de l’entreprise. Comme le montrent les réactions de Lévy face au titre initial du livre, il est encore tôt en 1859 pour offrir à Wagner une tribune publique en France ; l’éditeur se montre frileux pour des raisons de publicité, d’intérêt du public et peut-être aussi d’image de son entreprise. Perrier avait écrit que « cet honorable industriel », qui « aurait bien mieux aimé faire les frais » du livre de Liszt sur les Bohémiens, est plus préoccupé du paraître que de la valeur des choses et qu’il lui faut « une étiquette à l’adresse de ses chalands (105). » Il faut avouer que publier alors en France un livre sur Wagner, qui plus est écrit par Liszt, un compositeur dont une grande partie de la critique refuse de reconnaître la légitimité, accumule les handicaps. Wagner n’est certes pas un inconnu du public éclairé et des dilettantes, mais les réserves de Lévy sont à placer dans la logique d’entreprise de sa maison d’édition : « Michel Lévy frères » est un éditeur de masse dont le catalogue est alors en pleine expansion et qui mène un rude combat pour la domination du marché et la démocratisation de la lecture, en réduisant notamment de façon spectaculaire le prix des livres. Lévy est bien l’inventeur de l’édition moderne, intraitable en affaires et précurseur de systèmes complexes dans lesquels « tous les mécanismes de la grande entreprise capitaliste sont utilisés » (« absorption, fusion, rachat de stocks, participation, association, entente, etc. (106) »). Le projet de Liszt aurait sans doute eu plus de chances s’il avait été lancé quelques mois plus tard, à l’occasion des concerts de Wagner au Théâtre-Italien en 1860 et des représentations de Tannhäuser en 1861 (107). En 1866, Gaspérini écrit que « la France est peu sympathique au génie allemand, elle s’en dé e, elle le redoute ; sous quelque forme qu’il se présente, elle résiste instinctivement et se dérobe bientôt […] La nébuleuse Allemagne – c’est le mot consacré, – la blesse dans ses habitudes […] (108) ». La « musique de l’avenir » n’était alors pas aussi répandue en France qu’en Allemagne, où elle faisait son chemin tant bien que mal – et plutôt mal que bien, d’ailleurs, à en croire Liszt qui écrit à Pohl en août 1858 qu’il ne faut pas s’étonner que la France soit toujours étrangère à la nouvelle école, vu que l’Allemagne elle-même n’est pas encore totalement convertie :

Je n’ai point lu l’article de d’Ortigue contre la Musique de l’avenir. Si vous avez envie de le répéter, je n’y vois point d’objection et les bons argumens ne vous manqueront certainement pas. Toutefois, je vous engage à user vis-à-vis de d’Ortigue des réserves qu’il mérite comme écrivain honnête et consciencieux, qui a fait ses preuves de dévoue- ment à l’art. S’il se trompe dans le cas présent, c’est faute d’avoir examiné suf sament[sic] les choses dont il s’agit, et il n’y a pas lieu de s’étonner qu’en France on soit resté étranger à des questions qui en Allemagne même, où nous avons le contrôle des faitssous les yeux et dans nos oreilles, sont encore si fort embrouillées par tant de mauvaise foi, d’ignorance, d’outrecuidance et de sottises (109).

La deuxième raison qui pourrait expliquer que le livre de Liszt n’ait pas été publié, c’est qu’avec la fin de l’année 1858 commence pour le compositeur et la princesse Wittgenstein une période difficile au cours de laquelle bien des choses vont changer : c’en est ni des années weimariennes tellement attachées aux batailles de l’avant-garde et à la propagande pour les Neudeutschen. En décembre 1858, à la suite d’une cabale contre Der Barbier von Bagdad de Cornelius, Liszt commence en effet à réfléchir à un changement dans sa vie et dans sa carrière. En 1861, il s’installe à Rome. L’année suivante, il écrit à Franz Brendel qu’après s’être consacré au « problème » symphonique en Allemagne, il veut désormais s’attaquer à celui de l’oratorio : « Nachdem ich die mir gestellte symphonische Aufgabe in Deutschland, so gut ich es vermochte, zum grösseren Theil gelöst habe, will ich nunmehr die oratorische (nebst einigen zu derselben in Bezug stehenden Werken) erfüllen (110). » A Weimar, son activité d’écrivain avait coïncidé avec son action pour la diffusion de la nouvelle musique, mais maintenant qu’il veut se consacrer à l’Église, il est certainement moins préoccupé par la diffusion de ses écrits associés à l’avant-garde dont il n’est plus ni la plume ni l’actif propagandiste et chef de file. En témoigne ce qu’il confie en 1864 à la princesse Wittgenstein alors qu’elle s’est inquiétée de le voir s’éloigner des affaires musicales de l’Allemagne : « Croyez-le bien mon bon ange, quelque chance de réussite qui se puisse rencontrer pour la ‘Neudeutsche Schule’ (que vous avez tenu [sic] avec tant de larmes sur les fonds [sic] de baptême) je ne puis et ne veux y participer qu’à Rome ! (111) »

Enfin, le fait que Lévy ait été l’éditeur de Berlioz a-t-il pu empêcher la publication du livre sur Wagner (112) ? L’éditeur ne pouvait pas risquer de se mettre à dos une valeur sûre de son catalogue, qui était, de surcroît, un puissant critique musical. Les idées antisémites publiées par Wagner auraient-elles aussi pu jouer un rôle, même si Lévy n’a jamais prêté beaucoup attention à ce genre de problèmes en jouant le jeu de l’insertion dans la bourgeoisie parisienne (113) ? Le refroidissement des relations entre Liszt et Wagner à la fin de l’année 1859, évident dans les lettres inédites de Liszt à Bülow évoquées plus haut, a-t-il pu freiner l’engouement pour un livre qui, même s’il était aussi destiné à mettre en valeur son auteur, se serait lu au premier degré comme une louange du compositeur qui en est l’objet ? On le voit, bien des facteurs auraient pu empêcher la parution du livre de Liszt, les deux principaux restant la disparition de Perrier et le changement radical qui s’est opéré au même moment dans sa carrière de compositeur.

Tableau 5. Transmission du manuscrit du texte sur Le Vaisseau fantôme de la Beinecke Library

II.5 – Liszt et Wagner sur la touche ?

Une double question, et non des moindres, reste finalement en suspens : les premiers concernés, Wagner et Liszt, étaient-ils informés du projet qui semble n’avoir été négocié qu’entre la princesse Wittgenstein et Perrier ? Wagner avait bien conscience de l’importance des textes français de Liszt lors de son séjour parisien de 1859-1861, puisque le 26 décembre 1859, il demande à Gaetano Belloni, ancien secrétaire de Liszt et encore son factotum parisien, d’écrire à Weimar à sa place afin d’« arranger ‘instamment’ une édition française de la brochure de Liszt sur [s]es opéras ». Il ne veut pas écrire lui-même « à cause de mille raisons » mais précise « qu’on peut être sur [sic] du consentement, l’édition allemande étant épuisée (114). » Ces « mille raisons » qui empêchent Wagner d’écrire lui-même à Liszt ou à la princesse pour demander un service, précisément à l’époque où le projet de publication est encore en cours, dissimulent-elles quelque embarras face à leur brouille et aux distances prises par Liszt ? Toujours est-il que Wagner mentionne uniquement la brochure déjà publiée sur Lohengrin et Tannhäuser et aucun nouveau projet de publication.

Quant à Liszt, rien ne permet d’affirmer aujourd’hui qu’il ait été directement impliqué dans le processus. Mais il ne faut pas oublier qu’il vivait alors avec la princesse et qu’il est impossible de percer le secret des discussions de leur intimité quotidienne. Au contraire du manuscrit du texte sur Harold en Italie, celui de Yale n’est pas signé et on n’y trouve pas son écriture. Toutefois, les lettres de Perrier évoquant les « contre-propositions » rapportées par la princesse laissent penser qu’il était au courant et qu’il avait donné son avis sur le titre. On sait en outre que Liszt faisait aveuglément confiance à son amanuensis sur bien des points, notamment pour tout ce qui concernait les matières littéraires et la publication de ses œuvres littéraires (avec parfois les tristes conséquences que l’on connaît (115)). C’est la plupart du temps à la princesse de régler ce que Liszt appelle ses « sottes puérilités grammaticales », ses « scrupules » et ses « anxiétés (116) » littéraires avant de négocier la publication des articles qu’il la charge de « colloquer (117) » aux éditeurs.

CONCLUSION

En 1849, Liszt avait été le premier à écrire sur Wagner dans la presse française. Dix ans plus tard, il aurait pu également être le premier à lui consacrer un livre en France. Mais ce projet, sans doute trop précoce, a finalement accumulé un certain nombre de handicaps : la mort de Perrier, le départ de la princesse Wittgenstein et de Liszt pour Rome, le refroidissement de leurs relations avec Wagner, la frilosité de Lévy face au marché des amateurs, le style littéraire, etc. L’inachèvement de l’entreprise est également symptomatique de la question Wagner à Paris vers 1859. Certes, le milieu musical le connaît, mais il n’est pas assez célèbre (et quand il l’est, c’est de façon trop polémique) pour qu’un éditeur de masse risque une telle publication. L’idée de Trois opéras de Richard Wagner considérés de leur point de vue musical et poétique, même avortée, est en somme révélatrice du rôle pionnier de Liszt dans l’essor de la musique de Wagner. Naturellement, il est loin d’avoir été le seul à œuvrer pour sa diffusion à Paris dans les années 1850 : Champfleury, Théophile Gautier, Léon Leroy, Gérard de Nerval, et même son gendre, Émile Ollivier, avaient été ses premiers thuriféraires (118). Il resterait cependant à savoir quelle a réellement été la place des écrits de Liszt à l’aube de la grande époque (française) du wagnérisme, et aussi, pourquoi pas, celle de ses transcriptions d’opéras.

Car alors qu’on cite généralement l’article de Baudelaire pour dater le véritable début, en France, du wagnérisme, l’initiative de Perrier pour diffuser les textes wagnériens de Liszt pourrait apparaître, tel une sorte de chaînon manquant, comme l’aboutissement de la propagande des « premiers amis français » de Wagner et comme un essai qui sera finalement transformé par le poète moins de deux ans plus tard. Il faut bien remarquer, en effet, que Baudelaire abordera les trois mêmes opéras que Liszt, comme s’il donnait lui-même corps au projet avorté de Michel Lévy avec qui il était d’ailleurs en affaires. A cette date, Baudelaire connaissait les textes de Liszt et il lui avait même envoyé un exemplaire dédicacé de ses Paradis artificiels ; il avait aussi lu Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie que Liszt lui avait offert, avec un envoi (119). Mais était-il au courant du projet de les réunir en 1859 ? En réalité, l’idée qu’a Perrier de rassembler les trois textes wagnériens de Liszt pourrait autant être la conséquence logique des premiers écrits français sur Wagner que de sa relation avec la princesse Wittgenstein. Et l’analyse des opéras d’un « point de vue musical et poétique » pourrait nalement être perçue comme une tentative de compenser les écrits des dilettantes littéraires, poètes et critiques d’art, tout en offrant une approche qui, émanant d’une autorité musicale comme Liszt, serait un puissant contrepoids aux écrits de Fétis, qui avaient jusqu’alors dominé la critique wagnérienne musicale (120). Liszt n’avait-il pas écrit en 1855 que les compositeurs avaient le devoir de se faire critiques musicaux face à l’invasion menaçante, dans la presse, de plumes non spécialisées devenues une « industrie » presque usurpatrice ? « Empfinden kann die Literatur die Kunst, eingehend beurtheilen können sie nur die Künstler », écrit- il, ou encore : « Wer auch nur sein Handwerk recht versteht, wird selbst ohne besondere Kunst der Rede sich besser darüber aussprechen können als die Ignoranten, welche so vielfach die Druckereien mit ihrem rhapsodischen Kunstgeschwätz darum überschwemmen, weil die Künstler selbst nichts in ihrer eigenen Angelegenheit liefern (121) ».

L’exégèse du manuscrit de Yale et des documents qui retracent son histoire apporte aussi un éclairage nouveau sur l’œuvre littéraire de Liszt. Il ne faut pas séparer ses écrits sur Wagner de ses articles sur l’opéra, qui constituent un ensemble fondé sur des conceptions personnelles de l’histoire de la musique. En réalité, Liszt et Wagner jugent de la même façon l’importance et l’avènement du drame musical. Seules divergent leurs vues sur la nature de sa naissance et sur son insertion dans l’Histoire. Dans ses écrits sur l’opéra, Liszt n’est ni un simple analyste, ni un exégète anonyme et effacé derrière les œuvres qu’il présente, dans le double sens dé ni par Gérard Genette (122). Ses textes, mis en écho les uns avec les autres, le montrent en observateur de l’évolution – c’est-à-dire de la perfectibilité – de l’art lyrique. D’une part, il loue Wagner dont il excuse la « maladie » caractérielle par égard pour son génie. D’autre part, il défend ses propres idées dans des textes qui vont au-delà de la simple propagande. En fin de compte, Liszt n’est pas un critique musical ou un musicographe comme les autres. Lui aussi est un créateur, et il a une profonde connaissance des partitions qu’il aborde puisqu’il les a transcrites et dirigées ; c’est ainsi que s’éclairent ses nombreuses remarques sur la formation des chanteurs, les effets instrumentaux et la présence de « phrases artères (123) » (les leitmotive). C’est là que réside le poids de son analyse musicale par rapport à celles, littéraires, des premiers wagnériens français. Il reste donc à étudier la façon dont il construit ses textes, façonnés par son expérience de chef d’orchestre, ses discussions et sa correspondance avec Wagner.

Depuis Baudelaire, plusieurs voix se sont élevées pour recommander la lecture de Liszt, les dernières en date étant peut-être celles de Joël-Marie Fauquet et de Christian Thorau qui rappellent la modernité de l’essai sur Lohengrin, et plus précisément celle de ses analyses leitmotiviques (124). Cependant, pour bien lire ses textes sur Wagner, il faut matériellement disposer d’éditions correctes d’un point de vue philologique et, surtout, les remettre dans le contexte de ses autres écrits sur l’opéra. Car finalement, Liszt, plutôt que d’écrire sur les Boieldieu, Gluck et autres Meyerbeer, puis sur Wagner, écrit davantage sur l’histoire de l’opéra en général, et sur l’évolution du rapport entre musique et drame, que sur des cas particuliers.

ANNEXES

1. Lettre de Liszt à Bülow, le 24 octobre 1859 (D-WRgs 59/60,1 no 62a ; brouillon : D-WRgs 59/60,1 no 62b )

Le chef d’orchestre Hans von Bülow (1830-1894)

Très cher ami,
La lettre de Wagner ne saurait ni me surprendre ni me blesser. Il y a longtemps que je me sens vis-à-vis de lui deux torts aussi involontaires que difficiles à me faire pardonner.
Le premier : celui de ne point appartenir à la très estimable classe des rentiers (d’un gros calibre), par conséquent de ne point me trouver en position de prévenir ses embarras d’argent qui lui crispent les nerfs et lui font perdre tout équilibre d’esprit. – Le second : de manquer de l’influence et des moyens de persuasion nécessaires tant sur les susdits rentiers, que sur des personnages encore plus haut placés qui seraient à même d’améliorer durablement son sort.
On sait que je n’ai pas négligé d’intercéder et je puis même dire de travailler pour ses intérêts autant que la mesure de sa dignité que je devais sauvegarder le permettait, – mais malheureusement mes efforts n’ont abouti jusqu’ici qu’à des résultats très minimes en comparaison des exigences qu’il pose –
A part ces deux torts dont j’ai à souffrir en premier lieu // je ne puis en conscience me reconnaître fautif d’aucun autre envers Wagner, et quand il lui plaira d’user complètement du mode de sentiment propre aux nobles amitiés (– et peut-être aussi de ressentir un peu de ce « Schamgefühl » qu’il m’attribue avec une sorte de générosité empressée) il s’apercevra qu’on pourrait tenir plus compte qu’il ne s’en avise maintenant du chagrin très pénible qui m’est resté par suite de l’insuccès de mes démarches pour lui, ainsi que des réserves que le peu d’utilité de mon dévouement m’oblige à garder.
Pour ne rien laisser dans le vague, je dois revenir encore sur l’incident du retard de l’envoi de ma « Dante Sinfonie » (125) et à ce sujet je crois déjà vous avoir confié que ma négligence apparente avait été provoquée et motivée par plusieurs lettres et dépêches télégraphiques que Wagner m’adressa de Venise au moment de la publication de ma partition. – Ces lettres et dépêches disaient toutes avec un rinforzando qui n’avait rien de flatteur pour l’oreille : « – que le Diable emporte tous les sentimens d’admiration, d’enthousiasme, de dévouement et d’affection qu’on affecte de me témoigner de droite et de gauche. Qu’ai-je à faire de la gloire, du succès, de mes amis et de leurs phrases ? – C’est de l’argent qu’il me faut, envoyez-moi vite de l’argent, beaucoup d’argent, et rien que cela (126) » –
Vous conviendrez que de pareils aveux encouragent peu les communications artistiques et viennent singulièrement à l’encontre des relations de cœur. De plus cet accès de // cynisme de bourse paraissait moins explicable au printemps dernier qu’en d’autres occurrences, car Wagner venait de recevoir alors son honoraire pour le Lohengrin de Vienne ainsi que plusieurs autres renforts d’argent.
Aussi, réflexion faite (Wagner m’ayant [é]crit dix fois auparavant que jamais il ne m’ennuierait de ses interminables questions d’argent !) n’ai-je pas hésité à lui répondre ceci :
« Um nicht mehr der Gefahr ausgesetzt zu sein Dir durch ‘pathetisch ernste’ Redensarten lästig zu fallen, schicke ich den 1. Akt des Tristan an Härtel zurück […] (127) »
C’est la seule fois que j’aie [é]crit dans cette tonalité à Wagner, durant ces dix années de notre intimité, et je n’ai pas besoin de vous dire que j’ai toujours gardé à son [é]gard // toutes les formes comme le fond du respect et de l’attachement soumis et subordonné que je dois à son génie.
En même temps que je lui expédiais la lettre citée à Venise, j’[é]crivis au Grand Duc et à la Grande Duchesse (128) pour leur demander au plus tôt un entretien au sujet de Wag: en leur représentant respectueusement combien il serait d[é]sirable que Leurs Altesses rendent plus efficaces [sic] l’intérêt qu’elles lui portent, etc etc etc –
Ces précédens excuseront j’espère auprès de vous, très cher ami la faute d’omission que je conviens d’avoir commise en envoyant l’exemplaire de dédicace non relié de la Dante Sinfonie à Wagner qui me l’avait redemandé.
Quant aux « überschwängliche Zeilen» que j’y ai ajouté[es] libre à lui d’en penser et d’en dire ce que bon lui semble. Pour ma part je n’ai point à les désavouer car elles concordent parfaitement avec ce que j’ai dit cent fois en public et en particulier, consid[é]rant Wagner ainsi que Dante, Virgile comme

« lo mio maestro e il mio autore (129) »

et persuadé que si tous les musiciens n’avaient rien de sérieux à faire d[é]sormais que de se mettre à son [é]cole, je suis plus que d’autres en devoir de ne pas rester parmi ceux qui en profitent le moins.
Du reste je ferai publier à la première occasion où la « Dante Sinfonie » sera exécutée de nouveau ces « überschwängliche Zeilen » (qui seraient déjà imprimées en tête de la partition si la publication n’avait coïncidée [sic] si malencontreusement avec la correspondance de Venise !) et je chargerai Pohl de commettre ce nouveau méfait dans Brendel (130) et ailleurs, sans nullement craindre comme Wagner semble l’insinuer d’encourir l’improbation de la Princesse.
Ici nous touchons à un point excessivement délicat, et qui m’est plus sensible que tout autre —
La princesse s’est tellement identifiée, à tous risques et périls, de par ce dévouement sublime, exclusivement inhérent au fanatisme de l’amour, à tout ce qu’il y a de bon et de meilleur en moi, que je ne puis supporter l’idée de la voir méconnue et calomniée par ceux qui me tiennent de près. – Je ne sais que trop, hélas ! quoique je n’aie jamais souffert qu’on m’en parl[â]t explicitement, qu’il en a été ainsi plus d’une fois. C’est un outrage profond qu’on me fait à moi et que je repousse du haut de ma conscience. Que ceux qui me portent quelqu’affection me l’[é]pargnent d[é]sormais, en s’abstenant de suppositions mensongères d’une aussi palpable absurdité que l’est celle d’une prétendue influence f[â]cheuse de la princesse sur mes sentiments ou sur mon activité ! – // —

En voilà déjà trop long pour aujourd’hui, très cher ami. Permettez-moi seulement de vous remercier encore d’avoir si bien mené à bonne n la petite négociation avec Bock (131). Auquel je serai charmé d’offrir occasionnellement tel ou tel arrangement « welches den Erwartungen der Rentabilität entspricht » si tant est que je suis à même d’en écrire de semblables ! […]

[suivent ici des considérations sur Bock, Zellner et des commissions qui ne sont pas dans le brouillon de la lettre : Liszt n’a esquissé que le plus sensible : le propos sur Wagner. Il y revient encore à la n de la lettre, dans des lignes qu’on trouve aussi dans le brouillon :]

Relativement aux commissions dont Wagner vous charge à Berlin, je vous engage à y mettre toute la mesure convenable, en ne vous tenant pas strictement à la lettre de ses instructions si souvent fantasques et contradictoires. C’est à mon sens la seule manière de le servir effectivement – ce que nous faisons sans relâche, lors même qu’il nous le rendrait plus dif cile qu’il n’y aurait lieu.
Ne pensez-vous pas aussi qu’il faut le traiter en grand Souverain, un peu malade, mais d’autant plus irresponsable ? – […]

2. Franz Liszt, « Le Vaisseau fantôme / Grand opéra romantique / Poème et musique de Richard Wagner », US-NHub General Collection Music Manuscript Miscellany Group 71/Vol 27, p. 1-5 (texte inédit)

« Der Fliegende Holländer » – Transcription de la Ballade de Senta par Franz Liszt

Le 1er Mars 1852
Il y a six ans que nous rendions compte dans le journal des Débats d’un autre opéra de Wagner, Tannhäuser, qui alors était pour la première fois représenté sur une autre scène que celle de Dresde, où il avait été monté par l’auteur, maître de chapelle à cette époque de S.M. le roi de Saxe. Depuis Tannhäuser a été exécuté sur la plupart des théâtres de l’Allemagne, même à Riga, où le souvenir de Wagner qui y avait été aussi maître de chapelle quelque temps, se montra plein de vie et de reconnaissance dans l’accueil enthousiaste qui fut fait à son œuvre. Plus encore : le système que Wagner tend à faire prévaloir dans la conception même de l’opéra a acquis de si nombreux adeptes en Allemagne, qu’ils forment une partie dont on ne saurait contester l’importance, car il compte dans ses rangs des musiciens de talent et d’intelligence, et des écrivains pleins de conviction et de verve, si bien que quelque soit le sort qui attende la réalisation des théories par lesquelles Wagner poursuit la régénération de l’art scénique, soit que leurs applications s’étendent, soit qu’elle demeurent exceptionnelles, l’école qu’elles auront produite n’en restera pas moins un fait marquant dans les annales de l’art, les luttes qu’elles provoquent seront certainement profitables à celui-ci, et l’énergie de leurs défenseurs, comme la passion de leurs adversaires rappelleront les combats des Gluckistes et des Piccinistes au dernier siècle. Aujourd’hui nous continuons la tâche que nous avons entrepris[e] il y a six ans, en entretenant le public français de ce compositeur qui maintenant occupe si vivement les artistes de ce côté du Rhin, et dont la presse musicale parisienne a souvent en dernier lieu répété le nom. Lorsque le théâtre de Weimar prit une initiative osée en représentant, lors des fêtes célébrées à l’inauguration de la statue de Herder en 1850, Lohengrin le dernier opéra composé par Wagner, nous avons dû parler dans une brochure spéciale de cet ouvrage, pour l’analyser suffisamment, en montrer l’ordonnance nouvelle, en expliquer les principes, en faire comprendre la monumentale grandeur, impossible à nier, quelque soit le degré de sympathie qu’on accorde à sa forme et à son style. Il est probable que l’auteur conservera absolument et exclusivement les mêmes formes dans l’exécution du gigantesque projet auquel il travaille depuis plusieurs années. Der Ring des Niebelungen. Ein Bühnenfestpiel für drei Tage und einen Vorabend. L’anneau [du] Niebelungen sous ce titre il comprend un cycle de trois grands opéras, précédés d’un quatrième sous le nom de prologue, embrassant la même donnée poêtique dont le sujet est emprunté à l’Edda. Les dieux de l’Olympe scandinave, et les héros demi-dieux de la mythologie du Nord y apparaissent avec une majesté et une grandeur qui frappent l’imagination à la seule lecture de ces quatre poèmes récemment imprimés, et remarquables, non seulement par leur conception, aussi étrange dans sa tendance symbolique et mythique que réussie par son intérêt dramatique, mais encore par le genre de leur versification, le poète ayant abandonné la rime et le mètre pour adopter l’allitération, cette forme antique usitée par les bardes Irlandais, presque toujours jadis, et parfois encore de nos jours ; il a obtenu dans ce vieux mode rajeuni, des effets de laconisme et de sonorité d’une énergie et d’une vigueur sans exemple peut-être dans cette langue. Toutefois, jusqu’au complet achèvement et la mise au jour de cette entreprise plus vaste que n’en avait encore jamais rêvée un compositeur dramatique, Lohengrin est la dernière expression des idées de son auteur sur la manière dont on peut doter l’opéra de ressources nouvelles, en répudiant beaucoup de celles qui le soutiennent actuellement, ce qui lui donne une importance majeure parmi les ouvrages de Wagner. Aussi son exécution a été pour le monde musical un événement, auquel l’intérêt toujours croissant qu’il excite donne de plus en plus signification. Afin de présenter un tableau complet de la marche suivie par l’esprit de Wagner à partir de Rienzi, grand opéra de cinq actes, où il est encore astreint à toutes les habitudes et traditions de ses devanciers, le théâtre de Weimar a donné dans une même semaine, entre le 27 Février et le 5 Mars en 1852 [sic], les trois opéras qu’il a écrit[s] sous l’inspiration de son système particulier : le Vaisseau fantôme/Fliegender Holländer, Tannhäuser et Lohengrin, dans cet ordre qui a été celui de leur composition.

© Nicolas DUFETEL

NOTES :
* Nicolas Dufetel poursuit actuellement un programme de recherche posdoctoral soutenu par la Alexander von Humboldt-Stiftung.
1 – Richard Wagner, Sämtliche Briefe, vol. 5 (September 1852-Januar 1854), éd. Gertrud Strobel et Werner Wolf, Leipzig, Deutscher Verlag für Musik, 1993, p. 66. Je tiens à remercier très chaleureusement Michel Noiray, Dana Gooley, John Deathridge, Serge Gut, Rainer Kleinertz et Alexander Rehding pour leurs précieux conseils pendant la rédaction de cet article. Je remercie également Detlef Altenburg et Bernhard Post pour avoir rendu mes recherches à Weimar possibles.
2 – Franz Liszt, « Le Vaisseau fantôme / Grand opéra romantique / Poème et musique de Richard Wagner », US-NHub General Collection Music Manuscript Miscellany Group 71/Vol 27. 27 x 19,5 cm, couverture bleue ; broché, 177 pages écrites par la princesse Carolyne zu Sayn-Wittgenstein. Corrections au crayon à papier et au crayon bleu. (Merci à Thierry Bonin pour les renseignements aimablement communiqués au sujet de ce manuscrit). Par la suite, la référence à ce manuscrit sera ainsi faite : Liszt, « Le Vaisseau fantôme ». Voir l’illustration 1 (page de titre).
3 – Pour la première fois dans la Weimarische Zeitung du 20 mai au 2 juillet 1854 et pour la dernière fois à ce jour dans Franz Liszt, Sämtliche Schriften, dir. Detlef Altenburg, Wiesbaden, Breitkopf & Härtel, vol. 5 (Dramaturgische Blätter), éd. Dorothea Redepenning et Britta Schilling, commenté avec D. Altenburg, 1989, p. 68-114. Voir le tableau 1 pour les différentes publications du vivant de Liszt.
4 – Le présent auteur prépare actuellement l’édition de ce livre, qui comprendra le manuscrit inédit de Yale.
5 – Voir Nicolas Dufetel, « Les écrits de Franz Liszt. Quelques réflexions épistémologiques et méthodologiques sur leur paternité et leur typologie », Ecrits de compositeurs (1850-2000). Problèmes, méthodes et perspectives de recherches, dir. Michel Duchesneau, Valérie Dufour et Marie-Hélène Benoit-Otis, Paris, Vrin, sous presse.
6 – Dès 1838, Heine critiquait la tendance de Liszt à s’intéresser aux courants de pensée les plus variés avant de conclure : « Le Ciel sait dans quelle écurie philosophique il trouvera son prochain dada ! ». « Lettres confidentielles », Revue et Gazette musicale de Paris, 4 février 1838, p. 12.
7 – Voir à ce sujet « Defending Liszt : Felix Draeseke on the Symphonic Poems », introduit et édité par James Deaville, traduit par Susan Hohl, Franz Liszt and His World, éd. Christopher H. Gibbs et Dana Gooley, Princeton, Princeton University Press, 2006, p. 485-514.
8 – Voir le cas du programme de la Dante-Symphonie dans Dufetel, « Les écrits de Franz Liszt ». Il faut cependant faire attention aux problèmes posés par les réécritures de la princesse Wittgenstein à qui Liszt a parfois laissé le soin de réviser ses textes. Voir l’exemple extrême de l’antisémitisme dans Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie (Klára Hamburger, « Understanding the Hungarian Reception History of Liszt’s Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie (1859/1881) », Journal of the American Liszt Society (Flores Musicais. A Festschrift in Honor of Fernando Laires upon his 80th Birthday), 54-56 (2003-2005), p. 75-84. Voir aussi Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 1 (Frühe Schriften), éd. Rainer Kleinertz et commenté avec la collaboration de Serge Gut, 2000, p. 484-503 (« Zur Autorschaft »).
9 – La bibliographie sur les rapports entre Liszt et Wagner étant considérable, on renverra à Michael Saffle, Franz Liszt. A Guide to Research, New York et Londres, Routledge, 2004, p. 231-234 (3e edition parue en 2009). A en croire la première lettre de la correspondance éditée entre les deux compositeurs, Wagner a été présenté à Liszt par Maurice Schlesinger. Voir la lettre de Wagner à Liszt du 24 mars 1841 : Wagner, Sämtliche Briefe, vol. 1 (Briefe der Jahre 1830-1842), éd. Gertrud Strobel et Werner Wolf, Leipzig, VEB Deutscher Verlag für Musik, 1967, p. 460-461. On trouvera un « calendrier » des rencontres entre Liszt et Wagner dans Serge Gut, Franz Liszt, Paris, Éditions de Fallois/L’Âge d’homme, 1989, p. 256-264 (éd. rév. allemande : Sinzig, Studio verlag, 2009, p. 355-364).
10 – John Deathridge, Wagner Beyond Good and Evil, Berkeley, University of California Press, 2008, p. 201.
11 – Alexander Rehding, « Liszt und die Suche nach dem ‘TrisZtan’-Akkord », Acta Musicologica 72/2 (2000), p. 169-188. Rainer Kleinertz, « Liszt, Wagner and Unfolding Form : Orpheus and the Genesis of Tristan und Isolde », Franz Liszt and His World, p. 231-254.
12 – Wagner à Bülow, le 7 octobre 1859. Wagner, Sämtliche Briefe, vol. 11 (1. April bis 31. Dezember 1859), éd. Martin Dürrer et Isabel Kraft, Wiesbaden, Breitkopf & Härtel, 1999, p. 280-285.
13 – John Deathridge et Carl Dahlhaus, The New Grove Wagner, New York, Norton, 1984.
14 – Joseph d’Ortigue, « Etudes biographiques. I. Frantz Listz [sic] », Gazette musicale de Paris, 14 juin
1835, p. 197-204.
15 – Lina Ramann, Franz Liszt als Künstler und Mensch, 3 vol., Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1880-1894. Sur les Fragezettel, voir Rena Charnin Mueller et Susan Hohl (trad.), « From the Biographer’s Workshop: Lina Ramann’s Questionnaires to Liszt », Franz Liszt and His World, éd. Christopher H. Gibbs et Dana Gooley, Princeton, Princeton University Press, 2007, p. 361-424. Sur les grands chantiers de la recherche lisztienne, voir Die Projekte der Liszt-Forschung. Bericht über das internationale Symposion Eisenstadt, éd. Detlef Altenburg et Gerhard J. Winkler, Eisenstadt, Burgenländisches Landesmuseum, 1991 (particulièrement Altenburg, « Eröffnungsvortrag. Auf dem Weg zu einem neuen Liszt-Bild », p. 9-17).
16 – Alexander Rehding, « Inventing Liszt’s Life: Early Biography and Autobiography », The Cambridge Companion to Liszt, éd. Kenneth Hamilton, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 14-27.
17 – Deathridge et Dahlhaus, The New Grove Wagner, p. 91 (« Letters, diaries, autobiography »). Il faut cependant rappeler que cette « vérité poétique » fait aussi partie de l’histoire, et qu’elle revêt cette nature uniquement face à la vérité empirique que l’on cherche à construire : « Understanding the paths along which Wagner’s imagination set off is more important than correcting conscious or unconscious inaccuracies. Yet editorial meticulousness is not to be despised: it is only against the background of empirical truth that the ‘poetic truth’ can be recognized for what it is – another truth and not a distortion that the exegete is at liberty to dismiss. »
18 – Liszt à Olga von Meyendorff, le 17 décembre 1879, US-CAh AM16 (Enveloppe IX, 1878-1879). Texte inédit en français ; trad. anglaise dans The Letters of Franz Liszt to Olga von Meyendorff, 1871-1886, in the Mildred Bliss Collection at Dumbarton Oaks, éd. William Tyler et Edward N. Waters, Washington DC, Dumbarton Oaks/Harvard University Press, 1979, p. 361-362.
19 – « Berlioz und seine Harold Symphonie », Neue Zeitschrift für Musik, 15 juillet-24 août 1855. Liszt n’avait pas réussi à faire publier ce texte en France ; en 1882, il écrit à Malwine Tardieu qu’il « devait être inséré dans une revue célèbre de Paris » mais qu’on l’a trouvé « trop élogieux » (12 septembre 1882, Franz Liszt’s Briefe, éd. La Mara, Leipzig, Breitkopf & Härtel, vol. 2, 1893, p. 329-331). Une partie du manuscrit de la version française originale inédite (de la main de la princesse Wittgenstein avec ajouts de Liszt) est conservée au département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France (Sur Harold symphonie de / Berlioz / par F. Liszt, F-Pn MS 24359). Cécile Reynaud en prépare actuellement l’édition (Paris, Van Dieren).
20 – Pour un aperçu de l’activité de Liszt en tant que chef d’orchestre, voir Alan Walker, « Liszt the Conductor », Franz Liszt, vol. 2 (The Weimar Years. 1848-1861), New York, Alfred A. Knopf, 1989, p. 270-299.
21 – Serge Gut, « Berlioz, Liszt und Wagner : Die französischen Komponenten der Neudeutschen Schule », Franz Liszt und Richard Wagner. Musikalische und geistesgeschichtliche Grundlagen der neudeutschen Schule. Referate des 3. europäischen Liszt-Symposions : Eisenstadt 1983, éd. Serge Gut, Munich et Salzbourg, Emil Katzbichler (Liszt-Studien, 3), 1986, p. 48-55 ; Rainer Kleinertz, « Zum Begriff ‘Neudeustche Schule’ », Liszt und die Neudeutsche Schule, éd. Detlef Altenburg Laaber, Laaber Verlag, 2006, p. 23-31.
22 – Liszt à Edmond Hippeau, le 15 mai 1882, F-Pn L. a. 67 no 34 (dans Franz Liszt’s Briefe, vol. 8, 1905, p. 396-397).
23 – Voir à ce sujet James Deaville, « Defending Liszt : Felix Draeseke on the Symphonic Poems » (trad. Susan Hohl), Franz Liszt and His World, p. 485-514.
24 – Wagner à Bülow, le 7 octobre 1859. Wagner, Sämtliche Briefe, vol. 11, p. 280-285.
25 – Bülow à Liszt, le 16 octobre 1859, D-WRgs 59/10 no 62 (début de la lettre censuré dans Briefwechsel zwischen Franz Liszt und Hans von Bülow, éd. La Mara, Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1898, p. 273-275).
26 – Liszt à Bülow, le 19 octobre 1859, D-WRgs 59/60,1 no 61. Tout ce passage est censuré dans Briefwechsel zwischen Franz Liszt und Hans von Bülow, p. 276-277 (La Mara a mis des parenthèses à ses extrémités sur l’original de la lettre). Le 22 juin 1864, Liszt tient à son cousin Eduard des propos similaires, également censurés par La Mara (Franz Liszt’s Briefe, vol. 2, p. 70) mais rétablis dans Michael Short, Liszt Letters in the Library of Congress, Hillsdale, Pendragon (Franz Liszt Studies Series, 10), 2003, p. 329-330.
27 – Liszt à Bülow, le 24 octobre 1859. D-WRgs 59/60,1 no 62a (brouillon conservé sous la même cote, no 62b). Lettre inédite reproduite partiellement en annexe 1. Sur le développement puis l’apaisement de la « crise » entre Liszt et Wagner de décembre 1858 à février 1859, voir Franz Liszt – Richard Wagner. Briefwechsel, éd. Hanjo Kesting, Francfort-sur-le-Main, Insel Verlag, 1988, p. 591-614.
28 – L’édition de Kesting n’est pas une édition critique et plusieurs lettres, publiées dans d’autres éditions, en sont absentes. La traduction française disponible est très approximative et contestable (Correspondance de Richard Wagner et de Franz Liszt, trad. Leopold Schmidt et Jacques Lacant, Paris, Gallimard, 1943). Une nouvelle édition, par Georges Liébert, est annoncée. Pour les lettres de Wagner, on peut cependant se reporter aux Sämtliche Briefe en cours de publication (Leipzig, VEB, puis Wiesbaden, Breitkopf & Härtel, 1967- ).
29 – Voir par exemples les entrées de Das braune Buch aux 1er, 4 et 11 septembre 1865. Wagner écrit que Liszt lui « répugne » (« Dein Vater ist mir widerwärtig »), qu’il fait tout pour le séparer et l’éloigner de Cosima dont il arrange les cheveux de façon à ce qu’elle ait l’air vieille et « épouvantable » (« garstig »). Richard Wagner, Das braune Buch. Tagebuchaufzeichnungen. 1865 bis 1882, éd. Joachim Bergfeld, Munich, Piper, 1988, p. 74-75, 78 et 85-86.
30 – Pour un aperçu des œuvres de Wagner dirigées par Liszt, voir Gut, Franz Liszt, p. 256-270 (éd. allemande p. 354-373), et Walker, Franz Liszt, vol. 2, p. 285-295.
31 – Rainer Kleinertz, « Zu Liszts Bedeutung fur die Wagner-Rezeption », Die Projekte der Liszt-Forschung. Bericht über das internationale Symposion Eisenstadt, 19.-21. Oktober 1989, éd. Detlef Altenburg et Gerhard J. Winkler, Eisenstadt, Burgenländisches Landesmuseum (Wissenschaftliche Arbeiten aus dem Burgenland, 87), 1991, p. 77-89.
32 – La liste que Walker intitule « Liszt the Conductor » (Franz Liszt, vol. 2, p. 285-295), compilée grâce à différentes sources, n’est pas exhaustive, et il n’est pas certain que Liszt ait dirigé intégralement les œuvres citées. Pour une précieuse chronique quotidienne de la vie du Théâtre de Weimar, voir Adolf Bartels, Chronik des Weimarischen Hoftheaters 1817-1907. Festschrift zur Einweihung des neuen Hoftheater Gebäudes 11. Januar 1908, Weimar, Hermann Böhlaus Nachfolger, 1908. Voir aussi le Theaterzettelprojekt du Thuringisches Hauptstaatsarchiv Weimar et de l’Universität Jena : http://archive.thulb.uni-jena.de
33 – Voir la lettre de Liszt à Wagner du 21 septembre 1860, Kesting, Franz Liszt – Richard Wagner. Briefwechsel, p. 652.
34 – Liszt à Wagner, le 1er mars 1851, Kesting, Franz Liszt – Richard Wagner. Briefwechsel, p. 164.
35 – La princesse Wittgenstein à Liszt, le 25 avril 1851 (D-WRgs 59/33,3). Cité dans Sämtliche Schriften, vol. 4 (Lohengrin et Tannhaüser de Richard Wagner), éd. Rainer Kleinertz, commenté en collaborationavec Gerhard J. Winkler, 1989, p. 225-227.
36 – Comme il l’écrit à Brockhaus le 10 août 1851, Liszt choisit d’orthographier « Tannhaüser » pour le public français afin de se rapprocher de la prononciation allemande (« Tannhäuser ») : « Je vous remercie beaucoup d’avoir eu la complaisance de faire remettre sur les premières pages et la brochure l’orthographe propre au Tannhaüser, et que je maintiens pour changer le moins possible les noms propres. Le tréma  ̈ sur l’u suffira pour indiquer la prononciation de celui-ci aux lecteurs français. » (Leipzig, Sächsisches Staatsarchiv, Bestand 21083 Verlag F. A . Brockhaus Leipzig, 268, f. 15r). L’orthographe prescrite par Liszt est d’ailleurs la même que celle reprise par quelques-uns des premiers auteurs français sur Wagner, dont Baudelaire dans son célèbre article, paru pour la première fois dans la Revue européenne sous le titre « Richard Wagner » (1er avril 1861), puis publié comme brochure sous le titre Richard Wagner et Tannhaüser à Paris (Paris, Dentu, 1861) et repris dans L’Art romantique (Paris, Michel Lévy, 1868). Au contraire de ce qu’on peut parfois lire, il ne s’agit pas d’une faute mais d’une particularité française de la première réception wagnérienne (parfois, on trouve aussi la transcription directe de l’Umlaut dans l’orthographe « Tannhaeuser »). Voir Charles Baudelaire, « Richard Wagner et Tannhäuser à Paris », Œuvres complètes, éd. Claude Pichois, Paris, Galimard, (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), tome 2, 1976, p. 779-815 et 1451-1469 (notes). Pichois a systématiquement uniformisé en « Tannhäuser ». L’orthographe employée par Liszt a-t-elle influencé la façon d’écrire le nom de l’opéra de Wagner dans les premiers textes français ?
37 – Liszt à Brockhaus, le 15 juin 1851 (Leipzig, Sächsisches Staatsarchiv, Bestand Brockhaus, 268, f. 11r). Cité dans Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 4 (Lohengrin et Tannhaüser de Richard Wagner), p. 229. Liszt a accepté la suggestion faite par l’éditeur d’ajouter le nom de Wagner au titre (Leipzig, Sächsisches Staatsarchiv, Bestand Brockhaus, 268, f. 13r).
38 – US-Wc ML .H43g n° 34 Case.
39 – Kleinertz, « Zu Liszts Bedeutung fur die Wagner-Rezeption » ; Gerhard J. Winkler, « Liszt als Interpret Wagners », Die Projekte der Liszt-Forschung, p. 77-89 et 90-105.
40 – Liszt, Lohengrin et Tannhaüser de Richard Wagner, Leipzig, Brockhaus, 1851.
41 – Journal de Francfort, 21 novembre 1851 (rubrique « Variétés », dernière page). Le 29 juin 1854, le même journal, décidément acquis à la cause de Wagner et de Liszt, entame une nouvelle publication d’extraits de « l’écrit spirituel de M. François Liszt » précédé d’une courte introduction, citée dans Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 4 (Lohengrin et Tannhaüser de Richard Wagner), p. 236.
42 – Wagner n’était vraisemblablement pas au courant de la préparation de cet article. Liszt lui écrit le 1er janvier 1855, le jour de sa publication, pour le lui annoncer : « In der Brendel’schen Zeitung habe ich mir eine kleine Indiskretion erlaubt […]. » Kesting, Franz Liszt – Richard Wagner. Briefwechsel, p. 396. Voir aussi Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 5 (Dramaturgische Blätter), p. 182-183.
43 – Tableau réalisé à partir de Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 4 (Lohengrin et Tannhaüser de Richard Wagner), p. 234-239, et vol. 5 (Dramaturgische Blätter), p. 160-164. Seules les publications en français et en allemand sont incluses, à l’exception des rééditions dans les deux tomes du vol. 3 des Gesammelte Schriften édités par Lina Ramann (Dramaturgische Blätter : I. Essays über musika- lische Bühnenwerke und Bühnenfragen, Komponisten und Darsteller et II. Richard Wagner, Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1881).
44 – Sur la place des arrangements de Liszt dans l’optique du « souvenir » de l’exécution d’un opéra, voir Alexander Rehding, Music and Monumentality. Commemoration and Wonderment in Nineteenth-Century Germany, Oxfort, Oxford University Press, 2009, p. 73-108.
45 – Pour une approche générale des transcriptions de Liszt d’après les œuvres de Wagner, voir Helmut Loos, « Liszts Klavierübertragungen von Werken Richard Wagners. Versuch einer Deutung », Franz Liszt und Richard Wagner, éd. Gut, p. 103-118. La liste des œuvres fournie par Loos, bien que complète, doit être utilisée avec précaution en raison de l’imprécision des titres, des dates de composition et des adresses bibliographiques.
46 – Liszt à Wagner, le 18 février 1853. Kesting, Franz Liszt-Richard Wagner. Briefwechsel, p. 269. Cette lettre est un bon exemple des problèmes posés par l’absence d’une édition fiable de la correspondance entre les deux compositeurs. Voici la version de Kesting : « Schreibe mir bald, welchen Titel ich dem Tannhäuser-Marsch und der Lohengrin-Prozession (Es-dur zweiter Akt), die ich für Hans zum Salon-Gebrauch klaviermäβig arrangiert habe, geben soll. Hans hat Dir auch zwei Briefe migeschickt […] » A la place de « Hans », l’édition Gallimard propose « Haertel », qui a bien édité la partition en question (Correspondance de Richard Wagner et de Franz Liszt, p. 191). Les Sämtliche Briefe de Wagner, qui ne reproduisent pas la lettre de Liszt mais où on peut lire une note rattachée à la réponse de Wagner, mentionnent Bülow (vol. 5, p. 211).
47 – Rehding, Music and Monumentality, p. 106.
48 – Deathridge, Wagner Beyond Good and Evil, p. 43. Kleinertz, « Liszt, Wagner and Unfolding Form », Franz Liszt and his World, p. 242.
49 – Rehding, Music and Monumentality, p. 84-95.
50 – Richard Wagner, Oper und Drama, Leipzig, Weber, 1852.
51 – Wagner à Liszt, le 25 novembre 1850 (trad. de l’auteur). Wagner, Sämtliche Briefe, vol. 3 (Briefe der Jahre 1849-1851), éd. Gertrud Strobel, Werner Wolf et Isabel Kraft, Leipzig, VEB Deutscher Verlag für Musik, 1975, p. 467. Avant et pendant la rédaction d’Oper und Drama, on trouve plusieurs fois dans la correspondance des deux compositeurs des propos sur le rapport entre musique et drame.
52 – Liszt, « Le Vaisseau fantôme », p. 4.
53 – Jean-Jacques Nattiez, Wagner androgyne. Essai sur l’interprétation, Paris, Christian Bourgois, 1990
54 – Liszt, « Le Vaisseau fantôme », p. 3.
55 – Sur l’opposition mythe/histoire, voir Deathridge, Wagner Beyond Good and Evil, p. 251-252, et, de façon plus générale, les chapitres 1 (« Wagner’s Lives ») et 8 (« Don Carlos and Götterdämmerung. Two Operatic Endings and Walter Benjamin’s Trauerspiel »), p. 3-17 et 79-101.
56 – Le Stabreim, décrit par Wagner dans Oper und Drama, p. 184-190.
57 – Liszt, « Le Vaisseau fantôme », p. 4.
58 – Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 5 (Dramaturgische Blätter), p. 154-155, 158 et 164.
59 – Le 7 juillet 1854, jour où il achève son article sur Der Fliegende Holländer, Liszt envoie le manuscrit de son article sur Harold en Italie (« deutlich, schön und von liebster Hand geschrieben », i. e. le manuscrit de la Bibliothèque nationale de France). Il laisse à Pohl le soin de publier la traduction allemande qu’il va réaliser mais se réserve l’original français pour un journal français ou pour le volume Zur musikalischen Literatur qu’il envisage (Short, Liszt Letters in the Library of Congress, p. 300). Liszt avait déjà évoqué cette idée dans une lettre non datée (mai ou avril 1854) à Louis Köhler : « Nach und nach werden sich wohl diese Aufsätze zu einem Band aufschwingen, welcher dann die gesammelten Artikel enthalten soll » (Franz Liszt’s Briefe, vol. 1, 1893, p. 153). Voir Liszt, Sämtliche
Schriften, vol. 5 (Dramaturgische Blätter), p. 141 et 156.
60 – « Kernstück und Höhepunkt », d’après Britta Schilling et Detlef Altenburg, dans Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 5 (Dramaturgische Blätter), p. 181.
61 – Nattiez, Wagner androgyne, p. 45-49.
62 – Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 5 (Dramaturgische Blätter), p. XI (Detlef Altenburg, « Vorwort »).
63 – Voir Rossana Dalmonte, « Les révélations d’une traduction ‘fidèle’ : Lohengrin de Liszt-Wagner », Ecrits de compositeurs, sous presse. Il faut cependant émettre un doute sur la version française que Wagner a eue sous les yeux : s’agissait-il de la version « finale » que l’on connaît aujourd’hui ou bien d’une version intermédiaire, la gestation d’un article de Liszt étant, comme on l’a déjà vu, soumise à de multiples réécritures et ajouts ? Lorsqu’elle commente à Liszt la traduction de Wagner, la princesse Wittgenstein ne mentionne pas l’omission de Meyerbeer, mais une phrase qu’elle considère être une « bêtise » : « Wagner a été d’une étonnante modération. Il n’a ajouté de son cru qu’une seule et longue phrase. Une b[ê]tise naturellement, sur l’identité du St Graal, avec le Niebelungen Horts [sic] ! a n de se donner une petite mine mécréante ! Cela ne fait rien à ton article. Cela fera seulement rire un peu les gens qui le liront. Dieu merci ce n’est point dans ton original. » (25 avril 1851, D-WRgs 59/33,3).
64 – Friedrich Nietzsche, Der Fall Wagner, dans Sämtliche Werke, vol. 6, éd. Giorgio Colli et Mazzino Montinari, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag, et Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1988, p. 35. Sur les écrits de Wagner, voir James Treadwell, « The Urge to Communicate: the Prose Writings as Theory and Practice », The Cambridge Companion to Wagner, éd. Thomas S. Grey, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 179-191. Treadwell aborde le rapport entre théorie et pratique dans les écrits de Wagner ; il considère que ce dernier écrit davantage en journaliste qu’en théoricien. Voir aussi Dieter Borchmeyer, « Critique as Passion and Polemic: Nietzsche and Wagner », The Cambridge Companion to Wagner, p. 192-202.
65 – Thomas Christensen, « Fétis and Emerging Tonal Consciousness », Music Theory in the Age of Romanticism, éd. Ian Bent, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 49. Voir aussi Nicolas Dufetel, « La musique religieuse de Liszt à l’épreuve de la palingénésie de Ballanche : réforme ou régénération ? », Revue de musicologie 95/2 (2009), p. 359-398, et Palingénésie, régénération et extase dans la musique religieuse de Franz Liszt, thèse de doctorat, 2 vol., université François-Rabelais, Tours (2008).
66 – Sur le choix de ce titre, voir Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 5 (Dramaturgische Blätter), p. 167.
67 – Les éditeurs y ont cependant ajouté l’article sur Das Rheingold. Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 5 (Dramaturgische Blätter), p. 115-117.
68 – Voir ci-dessous le point no 3 de l’« Avis à l’imprimerie ». Voir aussi dans le manuscrit la note au crayon bleu dans la marge, p. 15 (illustration no 2).
69 – En revanche, le manuscrit a été vendu avec trois feuillets manuscrits de la main de la princesse Wittgenstein qui sont conservés sous la même cote. Présentées comme un « fragment de critique musicale » dans le catalogue de vente, ces quelques lignes sont en réalité l’original français d’une note de bas de page de l’article sur Harold en Italie : Liszt, Gesammelte Schriften, éd. Lina Ramann, Leipzig, Breitkopf & Härtel, vol. 4 (Aus der Annalen des Fortschritts. Konzert-und-kammermusikalische Essays, 1882), p. 13-15. La Musikabteilung de la Staatsbibliothek de Berlin conserve un exemplaire de la brochure française avec quelques annotations manuscrites (de main non identiée) dans la deuxième partie de l’article sur Tannhäuser (D-Bsb DW Mus 1025). Il s’agit principalement de corrections grammaticales et stylistiques (p. 122, 124-130). En revanche, rien n’est ajouté à la p. 89. Cet exemplaire provient de la succession de Dionys Pruckner, un élève de Liszt, ce qui le relie directement à l’Altenburg.
70 – Le manuscrit de Yale porte en exergue la date « 1er mars 1852 ».
71 – Liszt à Wagner, le 8 juin 1853, Kesting, Franz Liszt-Richard Wagner. Briefwechsel, p. 300. L’opéra avait été donné pour la première fois à Weimar le 16 février 1853 (voir illustration n°4).
72 – Liszt, Sämtliche Schriften, vol. 5 (Dramaturgische Blätter), p. 141 et 156.
73 – Liszt à la princesse Wittgenstein, le 17 juillet 1854, Franz Liszt’s Briefe, vol. 4 (An die Fürstin Carolyne Sayn-Wittgenstein, vol. 1, 1900), p. 204.
74 – Liszt à Carl Alexander, 16 février 1853, Thüringisches Hauptstaatsarchiv Weimar, Großherzogliches Hausarchiv, A XXVI 560 A38-39. Version éditée dans La Mara, éd., Briefwechsel zwischen Franz Liszt und Carl Alexander Grossherzog von Sachsen, Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1909, p. 40-42. Le présent auteur prépare actuellement, dans le cadre d’une recherche postdoctorale  nancée par la Alexander von Humboldt-Stiftung, une nouvelle édition de cette correspondance, à paraître à Paris (Société française de musicologie).
75 – Liszt, « Le Vaisseau fantôme », p. 5.
76 – Lina Ramann précise elle aussi les dates de parution dans le second volume de ses Dramaturgische Blätter (1881) : 1849, 1850 et 1854 (1855 pour le texte sur Das Rheingold). Notons qu’elle ne respecte pas l’ordre de composition des opéras mais bien celui des essais de Liszt.
77 – Liszt, « Le Vaisseau fantôme », p. 5.
78 – Henri Silège, Bibliographie wagnérienne française donnant la nomenclature de tous les livres français intéressant directement le wagnérisme parus en France et à l’étranger depuis 1851 jusqu’à 1902, 1° par ordre alphabétique des noms d’auteurs et de traducteurs, 2° par ordre alphabétique des titres, Paris, Fischbacher, 1902. Pascal Bouteldja et Jacques Barioz, Bibliographie wagnérienne française (1850-2007) (Bibliographie critique de la littérature consacrée à Richard Wagner, son œuvre et au wagnérisme, écrite ou traduite en français), Paris, L’Harmattan, 2008, p. 232.
79 – Auguste de Gaspérini, La Nouvelle Allemagne musicale. Richard Wagner, Paris, Heugel, 1866, p. 78. Franz Liszt, F. Chopin, Paris, Escudier, 1852 (paru en feuilleton l’année précédente dans La France musicale).
80 – Susan Bernstein, Virtuosity of the Nineteenth Century. Performing Music and Language in Heine, Liszt, and Baudelaire, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 109-130 (« Liszt’s Bad Style »). Voir aussi Dufetel, « Les écrits de Franz Liszt ».
81 – Gaspérini, La Nouvelle Allemagne musicale, p. 73 et 78. Dans une lettre à Pohl du 1er août 1858, Liszt écrit que Gaspérini, qui avait sans doute demandé à Pohl comment se procurer la brochure, ferait mieux de contacter directement Brockhaus (Short, Liszt Letters in the Library of Congress, p. 317-318).
82 – Baudelaire, « Richard Wagner et Tannhäuser à Paris ». Voir Hervé Lacombe, Annegret Fauser et Manuela Schwartz, « Wagnérisme », Dictionnaire de la musique en France au XIXème siècle, dir. Joël-Marie Fauquet, Paris, Fayard, 2000, p. 1306-1307.
83 – Baudelaire, « Richard Wagner et Tannhäuser à Paris », Œuvres complètes, tome 2, p. 801.
84 – D-Bsb Nach. Sayn-Wittgenstein, K 6, « Perrier, Charles » (dix lettres de 1856 à 1859).
85 – Charles Perrier, L’Art français au Salon de 1857. Peinture, sculpture, architecture, Paris, Lévy, 1857.
86 – Charles Perrier, Études sur les beaux-arts en France et à l’étranger, Paris, Hachette, 1863. Pour la biographie de Perrier, voir la « Notice biographique » placée en tête du même volume, p. III-VIII.
87 – « Notice biographique », Études sur les beaux-arts en France et à l’étranger, p. VI.
88 – Ibid., p. IV.
89 – Perrier à la princesse Wittgenstein, les 16 avril 1856 et 18 juin 1858, D-Bsb Nach. Sayn-Wittgenstein, K 6, « Perrier, Charles » (no 2 et 4).
90 – Ibid., le 14 novembre 1857 (no 3).
91 – Ibid., le 11 novembre 1858 (no 5).
92 – Ibid., le 6 février 1859 (no 6).
93 – Perrier à la princesse Wittgenstein, le 16 mars 1859, D-Bsb Nach. Sayn-Wittgenstein, K 6, « Perrier, Charles » (no 7).
94 – Ibid.
95 – Ibid., non datée (no 1).
96 – Ibid., le 1er août 1859 (no 9).
97 – Voir les lettres de Berlioz à Liszt, à la princesse Wittgenstein et au vicomte de Calonne, dans Hector Berlioz, Correspondance générale, dir. Pierre Citron, vol. 5 (1855-1859), éd. Hugh J. Macdonald et François Lesure, Paris, Flammarion, 1989, p. 149, 154, 156, 161, 185-186, 211-213. Sur les raisons de l’échec de cette publication, voir ci-dessus la note no 19. La consultation du fonds de Calonne aux Archives nationales de France (F-Pan 278 AP) n’a pas dévoilé de documents concernant le projet de livre sur Wagner.
98 – Liszt à Pohl, le 7 juillet 1854, Short, Liszt Letters in the Library of Congress, p. 300. Reste à savoir dans quel volume il aurait été inséré. Certainement pas dans celui sur Wagner. Aurait-il trouvé sa place dans celui sur Gluck, Meyerbeer, etc. ? C’est ce que laisse penser la lettre à Pohl. Dans ce cas, selon la logique lisztienne, Berlioz aurait donc été considéré comme un des devanciers de Wagner. Encore une fois, on retrouve l’idée que Wagner est bien l’aboutissement des compositeurs qui se sont posé les mêmes questions que lui sur le rapport entre livret et musique, même si le cœur de l’article sur Harold est la musique à programme.
99 – Voir Dufetel, Palingénésie, extase et régénération dans la musique religieuse de Franz Liszt.
100 – Liszt, « Le Vaisseau fantôme », p. 1-2. Voir en annexe la reproduction des cinq premières pages du manuscrit.
101 – Sur la notion hégélienne d’œuvre ou de « faisabilité » de l’histoire, expression empruntée à Reinhardt Koselleck (Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990, p. 233-247), voir Dufetel, « La musique religieuse de Liszt à l’épreuve de la palingénésie de Ballanche ».
102 – Christensen, « Fétis and Emerging Tonal Consciousness », p. 51-52.
103 – Perrier à la princesse Wittgenstein, le 27 juin 1859, D-Bsb Nach. Sayn-Wittgenstein, K 6, « Perrier, Charles » (no 8).
104 – Aimable communication de Jean-Yves Mollier que je tiens à remercier chaleureusement des informations qu’il a bien voulu me donner sur les frères Lévy en complément de sa monographie : Michel & Calmann Lévy ou la naissance de l’édition moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 265.
105 – Perrier à la princesse Wittgenstein, le 6 février 1859, D-Bsb Nach. Sayn-Wittgenstein, K 6, « Perrier, Charles » (no 6).
106 – Mollier, Michel & Calmann Lévy, p. 265 (à propos d’un simple contrat d’édition des œuvres de George Sand en 1855).
107 – Sur ce sujet, voir Annegret Fauser, « ‘Cette musique sans tradition’ : Wagner’s Tannhäuser and its French Critics », Music, Theater, and Cultural Transfer: Paris, 1830-1914, éd. Annegret Fauser et Mark Everist, Chicago, University of Chicago Press, 2009, p. 228-255 ; « The Parisian Press in 1861 », Wagner and his World, éd. Thomas S. Grey, Princeton, Princeton University Press, 2009, p. 231-234, (je remercie Annegret Fauser pour m’avoir aimablement communiqué ses travaux alors sous presse). Voir aussi la thèse de doctorat de Sabine Le Hir actuellement en préparation à l’université François-Rabelais (Tours) et son mémoire de master : Étude sur la réception de l’œuvre de Richard Wagner en France. Les représentations de Tannhäuser à l’Académie Impériale de Musique en 1861, 2 vol. (université François-Rabelais de Tours).
108 – Gaspérini, La Nouvelle Allemagne musicale, p. 5.
109 – Liszt à Pohl, le 1er août 1858, Short, Liszt Letters in the Library of Congress, p. 317-318.
110 – Liszt à Franz Brendel, le 8 novembre 1862, Franz Liszt’s Briefe, vol. 2, p. 28.
111 – Liszt à la princesse Wittgenstein, le 21 septembre 1864, D-WRgs 59/83,3 no 38. Franz Liszt’s Briefe, vol. 6 (An die Fürstin Carolyne Sayn-Wittgenstein, vol. 3), 1900, p. 53.
112 – Il avait publié Les Soirées de l’orchestre en 1852.
113 – Informations aimablement communiquées par Jean-Yves Mollier.
114 – Wagner, Sämtliche Briefe, vol. 11, p. 426. Wagner fait référence à Lohengrin und Tannhäuser (1852).
115 – Voir note no 8.
116 – Liszt à la princesse Wittgenstein, D-WRgs 59/83,2 no 2 ; lettre inédite, non incluse par La Mara dans son édition en raison des con dences faites par Liszt sur sa dépendance littéraire et matérielle envers la princesse, écrite après le 14 août 1863 selon Rolf Dempe (Verzeichnis der Briefe von Franz Liszt an Carolyne von Sayn-Wittgenstein, 1958, D-WRgs, Usuels). Voir Dufetel, « Les écrits de Franz Liszt ».
117 – Liszt à la princesse Wittgenstein, le 17 juillet 1855, Franz Liszt’s Briefe, éd. La Mara, Leipzig, Breitkopf & Härtel, vol. 4, 1899, p. 226-228.
118 – Pour une vision d’ensemble, bien que datée, des premiers partisans de Wagner en France, voir Maxime Leroy, Les premiers amis français de Richard Wagner, Paris, Albin Michel, 1925. Voir aussi le résumé dans Baudelaire, Œuvres complètes, tome 2, p. 1451-1460.
119 – Charles Baudelaire, Correspondance, éd. Claude Pichois avec la collaboration de Jean Ziegler, tome 2 (mars 1860-mars 1866), Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1973, p. 726-728. Liszt était d’ailleurs à Paris lors de la sortie de la brochure de Baudelaire sur Wagner (mai 1861) et il a cherché à le rencontrer. Voir la lettre que Baudelaire lui écrit vers le 10 mai 1861 dans Baudelaire, Correspondance, tome. 2, p. 162.
120 – Sur les écrits de Fétis et leur poids dans la réception française de Wagner, voir Katharine Ellis, « Wagnerism and Anti-Wagnerism in the Paris Periodical Press, 1852-70 », Von Wagner zum Wagnérisme: Musik, Literatur, Kunst, Politik, éd. Annegret Fauser et Manuela Schwartz, Leipzig, Universitätsverlag, 1999, p. 51-83.
121 – Liszt, « Robert Schumann », Gesammelte Schriften, vol. 4 (Aus den Annalen des Fortschritts. Konzert-und-kammermusikalische Essays), Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1882, p. 129 et 137. Voir aussi p. 138 sur la « survie » et l’« existence spirituelle » du musicien (« […] wo Tod oder Leben unserer geistigen Existenz auf dem Spiele steht »), et Dufetel, « Les écrits de Franz Liszt ».
122 – Il s’agit d’introduire et de « rendre présent », c’est-à-dire d’assurer la réception d’une œuvre. Gérard Genette, Seuils, Paris : Seuil, 1987, p. 7. Voir Dufetel, « Les écrits de Franz Liszt ».
123 – Liszt, dans Sämtliche Schriften, vol. 4 (Lohengrin et Tannhaüser), p. 46 (Lohengrin).
124 – Joël-Marie Fauquet, « Relire Liszt », Lohengrin. L’Avant-scène opéra, no 143/144 (1992), p. 155- 156. Christian Thorau, Semantisierte Sinnlichkeit. Studien zu Rezeption und Zeichenstruktur der Leitmotivtechnik Richard Wagners, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2003 (Beihefte zum Archiv für Musikwissenschaft, vol. 50), p. 38-58.
125 – Épisode bien connu des relations entre Liszt et Wagner, sur lequel la présente lettre apporte un nouvel éclairage : Liszt voulait envoyer sa Dante Symphonie à Wagner. Mais l’envoi de la partition nouvellement éditée avait pris du retard, en raison, officiellement, des délais d’impression. Cependant, Wagner, dans un accès de caractère, avait répondu qu’il lui importait peu de recevoir des œuvres, car il avait besoin d’argent. Voir l’échange de lettres entre le 21 novembre 1858 et le 8 mai 1859 dans Kesting, Franz Liszt-Richard Wagner. Briefwechsel, p. 584-621. Cette affaire a donc marqué une brèche dans l’amitié entre les deux hommes.
126 – Voir la lettre de Wagner à Liszt du 31 décembre 1858, Richard Wagner, Sämtliche Briefe, vol. 10 (17. August 1858 bis 31 März 1859), éd. Andraes Mielke et Isabel Kraft, Leipzig, Breitkopf & Härtel, 2000, p. 206-207.
127 – Voir la lettre de Liszt à Wagner, le 4 janvier 1859, Kesting, Franz Liszt-Richard Wagner. Briefwechsel, p. 599.
128 – Carl Alexander von Sachsen-Weimar-Eisenach et son épouse Sophie.
129 – Dédicace sur l’exemplaire de la Dante Symphonie envoyé à Wagner. Dante, Inferno, chant I, v. 85. Voir Kesting, Franz Liszt-Richard Wagner. Briefwechsel, p. 617.
130 – Dans la Neue Zeitschrift für Musik, dirigée par Brendel.
131 – Liszt avait demandé à Bülow, alors à Berlin, d’arranger l’édition de sa Huldigungs-marsch par un éditeur de cette ville, Bote & Bock, qui la publia bien. Voir Briefwechsel zwischen Franz Liszt und Hans von Bülow, p. 273-279.