Le Leitmotiv wagnérien, entre sons, parfums et couleurs…
Le Leitmotiv se présente comme un procédé utilisé indifféremment par les écrivains et les artistes, une récurrence, un signe qui revient et fait mémoire. Mais comment discerner la part d’artifice, de volonté, de rite, de conscient et d’inconscient, dans cette formulation qui ne veut pas n’être qu’une clé ? Avant Wagner, le « mot » est peu représentatif. C’est l’Œuvre d’Art Total qui va donner à penser que le terme est plus mystérieux qu’il n’y paraît, plus porteur de sens surtout. Baudelaire le pressent, dans son essai Richard Wagner et Tannhäuser à Paris de 1861. Et ce n’est pas Wagner, mais le critique musicologue Hans de Wolzogen, dans les Bayreuther Blätter, qui institue « le leitmotiv wagnérien » en tant que tel. Dès lors, ce « modèle » va émigrer de la musique vers d’autres formes d’expressions, artistiques et littéraires, retour à l’origine donc, et il donnera lieu à des exégèses multiples.
L’écriture leitmotivique représente certes une réalité esthétique. Mais peut-on vraiment affirmer, comme pour la forme sonate d’ailleurs, qu’il y ait eu une volonté réelle de la part des créateurs de vouloir suivre absolument la voie tracée par Wagner ou par un autre ? Si c’est le cas d’Edouard Dujardin, disciple affirmé du Maître de Bayreuth et fondateur de la Revue Wagnérienne en 1885, combien d’autres ont cheminé derrière le « modèle » sans le savoir, ou à l’inverse, ont cru le suivre?
Richard Wagner donne le terme de « Grundthema » (motif conducteur), pour évoquer les thèmes récurrents qu’il va utiliser systématiquement à partir de la Tétralogie. Mais l’expression est réductrice, Wagner se montre en fait plus ambitieux. Déjà esquissé dans Rienzi, décelable dans le Hollandais et Tannhäuser, le procédé d’écriture apparaît plus marqué dans Lohengrin.
Il ne s’agit nullement de « blasons», comme l’écrit perfidement Claude Debussy dans Monsieur Croche antidilettante. Les thèmes ne se contentent pas d’annoncer et de décrire le personnage à chaque apparition sur scène. Cette interprétation apparaît volontairement caricaturale et réductrice. Ce n’est pas une « épithète homérique » non plus, car trop figée, répétée sans modifications.
Baudelaire ne connaît pas grand-chose du Ring, pourtant, il a déjà perçu la complexité et l’originalité de ce système, et dans son essai sur Wagner, il reproduit le texte de Liszt (extrait du : Lohengrin et Tannhaüser), cité dans le programme d’un concert où le compositeur hongrois exprime la complexité de l’entreprise wagnérienne, disant en particulier que par sa musique :
« Il lui devient possible d’inciter nos idées, de s’adresser à notre pensée, de faire appel à notre réflexion », de dessiner « mélodiquement le caractère de ses personnages et de leurs passions principales […] forçant notre méditation et notre mémoire à un (si) constant exercice ». Les phrases musicales deviennent en quelque sorte des « personnifications d’idées ; leur retour annonce celui des sentiments que les paroles qu’on prononce n’indiquent point explicitement […]. »[1]
Ainsi, l’accent est déjà mis par le poète français sur le rôle de la « mémoire », les « idées », le « non exprimé ».
Dans la Tétralogie, l’aspect du leitmotiv est donc celui d’une cellule rythmique ou mélodique ou les deux à la fois, exprimant une idée, un état d’âme, une situation, et pas systématiquement liée à un personnage. Cette cellule va évoluer au cours de l’œuvre, « vivre » avec les personnages et l’action, avec leurs pensées, avec leur inconscient aussi. Elle s’apparente donc à une métaphore filée.
On peut dire que si avant Wagner, le procédé existe, il n’est pas systématisé. Dans cet esprit, se situe « l’ idée fixe » de la symphonie Fantastique de Berlioz, mais l’expérience est limitée puisqu’il s’agit, d’un bout à l’autre de cette symphonie, uniquement du personnage d’Harriett Smithson qui subit des métamorphoses au cours de la rêverie teintée d’opium du poète musicien. Plus proche du principe wagnérien d’écriture, on pourrait citer la Faust-Symphonie de Franz Liszt, avec en particulier ce fabuleux mouvement intitulé « Méphisto », qui ne possède aucun thème propre, mais qui est entièrement construit à l’aide des thèmes liés à Faust et à Gretchen, déformés, caricaturés, montrant en réalité leur côté sombre ; comme si en fait le personnage de Méphisto n’existait pas mais n’était que le reflet négatif des autres, ce mouvement devenant alors une sorte de réflexion sur le mal.
Pierre Tcherniak, dans l’Avant-Scène Opéra, a su exprimer avec finesse cette spécificité du principe d’écriture wagnérien :
« L’ interprétation du leitmotiv chez Wagner ne peut se séparer d’une réflexion sur le mythe : le leitmotiv devient l’une des apparences du mythe, ou bien, comme ses images successives renvoyées par des miroirs »[2].
Des images nouvelles, transformées donc. Ce n’est pas la répétition qui provoque chez le spectateur le sentiment qu’il se trouve devant un leitmotiv fixé par le personnage ou l’action qui l’accompagne ; le leitmotiv fait appel à la mémoire inconsciente et à l’imaginaire de l’auditeur ; il n’apparaît donc pas comme un simple rappel ou un « clin d’œil ». La participation du spectateur doit être involontaire, la fonction du leitmotiv restant uniquement « poétique ». Donc, pas de « clé » dans le sens de « catalogue », tout doit être à nouveau découvert à chaque écoute. Pierre Tcherniak poursuit :
« Le leitmotiv wagnérien va, tout comme la métaphore poétique, servir de formule rituelle [..], pour toucher l’intime réalité du monde. Mais ce sera là une métaphore éternellement vive, conservant sans craindre de la perdre toute sa puissance évocatrice. Faisant intervenir les fonctions les plus subjectives de l’être, la mémoire, le rêve, l’imagination ».
Le leitmotiv conduit ainsi le spectateur vers de nouvelles découvertes, agissant : « comme le philtre de Tristan[…], il libère en nous l’énergie d’amour et de don qui était enfermée entre les murs de l’habitude, des conventions. La musique de Wagner nous fait à notre tour perdre notre moi intérieur en le sublimant et nous fait devenir, mer, espace, lumière. »[3] !!!
C’est ainsi que le spectateur attentif traverse le processus même de la création et le revit au cours de ses écoutes les plus parfaites, au moyen d’une subjectivité poussée à l’extrême, dans une perte de conscience telle que la décrit Isolde à la fin du IIIe acte de l’opéra, ce qui fera dire à François Mauriac, après une audition de Tristan : « je viens d’avaler une fameuse dose de poison », dénonçant ce poison, tel le philtre d’Isolde, soit la volonté annihilée par l’emprise de la musique. On retrouve ce reproche également chez Nietzsche qui évoque lui l’état de somnambulisme du spectateur, des effets identiques à l’alcool et à la drogue, donc une domination du spectateur auditeur vécue comme abusive (dans Le cas Wagner). Baudelaire comparait, lui aussi, la musique de Wagner à une drogue : « il semble parfois, en écoutant cette musique ardente et despotique, qu’on retrouve peintes sur le fond des ténèbres, déchiré par la rêverie, les vertigineuses conceptions de l’opium. » [4]. Mais pour lui, loin d’être une critique, c’est dans le sens quasi psychanalytique d’un transfert bien vécu avec la musique qu’il faut l’interpréter! Ce qui fait que malgré les affirmations de Wagner, la musique prime le drame « qui sert de support, plutôt que de tremplin à l’imagination re-créatrice du spectateur ». Une sorte de communion des auditeurs se crée et c’est l’Œuvre d’Art Total, qui ne peut être réussie que par l’alliance du mythe et de la musique, sans doute au détriment de l’action. Ainsi, il arrive que certains personnages perdent de leur réalité pour devenir une idée mythique (Parsifal) naissant de la musique à travers le leitmotiv (cf. les écrits d’Adorno et Boulez évoquant le conflit entre musique et poème, la première, révolutionnaire, et le second réactionnaire en comparaison)[5].
L’action en effet doit se plier au « fait musical ». Par exemple, lorsque le thème de la rédemption retentit à la fin de la Tétralogie, c’est la douce phrase de Sieglinde, la mère souffrante, et l’action se plie en effet au « fait musical ». Cette phrase sublime a été donnée par Sieglinde à Brünnhilde. Dans une lettre à Louis II (11 septembre 1865), Wagner écrit que ce qu’il entend par rédemption n’est pas la connaissance du péché, mais la « rédemption de l’univers », donc l’accord avec le monde qui conduit à l’artiste absolu : Parsifal. Mais en réalité, chez Wagner et surtout dès la Tétralogie, le terme de « régénération » serait plus approprié que celui de « rédemption ».
Revenons sur le terme de « wagnérisme ». Il représente essentiellement à la fin du XIXe siècle une orientation esthétique qui se réclame de thèmes mythiques ou de procédés d’écriture, le leitmotiv étant la base du système. Des ouvrages paraissent prétendant répertorier tous les leitmotive, le plus célèbre étant celui d’Albert Lavignac, Le Voyage artistique à Bayreuth, chez Delagrave en 1897. La tonalité de l’ouvrage est donnée dès l’introduction qui nous dit :
« On va à Bayreuth comme on veut, à pied, à cheval, en voiture, à bicyclette, et le vrai pèlerin devrait y aller à genoux. ».
On trouve une quantité effrayante de leitmotive répertoriés, mais le livre reste bien fait avec des tableaux pédagogiques. Néanmoins, le critique Willy le traite de « guide-ânes » comme les autres, considérant ce type de nomenclature réductrice. En effet, l’apparente multitude peut se décrypter en un certain nombre de thèmes de base desquels tous les autres découlent.
Revenons donc à l’œuvre de Wagner. L’Or du Rhin présente dès le prélude ce que sera le leitmotiv. De l’accord de mi b majeur initial, longue pédale de 136 mesures, naît le thème de la nature, puis se dessine, plus agité, le thème du Rhin ; le thème d’Erda la déesse mère (appelé aussi thème des nornes, qui sont ses filles, les « Parques » de la mythologie grecque), autre origine du monde, c’est le même thème du Rhin, mais en plus grave et lent, mode mineur, puis Erda s’inversant devient l’annonce de la fin des dieux, le déclin des Dieux. Ce thème initial de la nature va donc donner naissance à une multitude d’autres qui vont accompagner l’œuvre : les éléments, la forêt, le tonnerre, mais aussi les divers sommeils, et la notion de temps, un temps mythique qui se dilate donc, temps et espace confondus (cf. Parsifal, acte I, la montée vers le château de Montsalvat : « ici, le temps et l’espace ne sont qu’une seule et même chose », dit Gurnemanz à Parsifal).
Les deux thèmes liés au désir de puissance, l’anneau et le Walhall, naissent l’un de l’autre et l’un n’est donc que la variante de l’autre, cela au cours du magique interlude entre la 1e la 2e scène de L’Or du Rhin. On peut parler là de genèse, c’est vraiment la « naissance » du monde dès la 1e scène. Tout naît de l’accord initial. Notons que la voix est traitée comme un instrument de l’orchestre à l’intérieur de la mélodie continue, ainsi les filles du Rhin, dont les onomatopées s’intègrent comme l’arrivée de solistes, images musicales qui elles, n’évolueront guère au cours de l’œuvre, comme tous les thèmes liés à des personnages élémentaires ou « simples » (les géants, Hunding, l’oiseau…), à la différence d’autres thèmes plus complexes.
Exemple d’évolution d’un leitmotiv, c’est-à-dire de son passage à un personnage autre et dans une situation différente : le renoncement à l’amour, qui apparaît comme l’interdit lancé par les filles du Rhin, puis prononcé avec violence et haine par Alberich (qui lui, en rajoute et « maudit » l’amour), et à l’orchestre sous les paroles de Siegmund au 1e acte (scène 3) de La Walkyrie lorsqu’il arrache l’épée et commence une nouvelle vie, d’amour justement, avec Sieglinde. L’apparente contradiction de la situation et de la musique s’explique par la nature même du héros. Nous sommes dans le mythe nordique et pas dans le monde grec. Le héros ne se révolte pas pour échapper à son destin (Œdipe, lui, essaie de jongler avec les prédictions de la Pythie en fuyant ses « parents adoptifs » ; là, on ne « fuit » pas, on ne se révolte pas…). Siegmund assume lucidement, il « renonce » donc au « choix » de vie, et subira ce qui est décidé pour lui depuis qu’il a été « nommé » et a reçu « l’épée » scellant sa destinée, et cela des mains même de Sieglinde. Le « nom » et « l’épée», deux réalités qui lui donnent définitivement sa stature de « héros »nordique (cf. les Eddas scandinaves et la Saga des Volsungs, et les écrits de Régis Boyer sur les mythes islandais). Ici, l’évolution du thème apparaît particulièrement éloquente. Dans La Tétralogie, on voit la pensée wagnérienne passer de l’action au renoncement, ceci à travers l’évolution des leitmotive qui suivent le personnage du dieu Wotan du désir de puissance à son désir de mort, désir vécu comme un renoncement libérateur.
Autre exemple lié à l’utilisation du leitmotiv, mais pour montrer non pas l’évolution d’un même thème, mais au contraire, il s’agit là d’exprimer une sorte de contradiction entre le destin tracé et la réalité de l’individu. Ainsi le thème « héroïque » de Siegfried qui fixe son destin avant même sa naissance, quand Brünnhilde lui donne son « nom » et donne en même temps les tronçons de l’épée de Siegmund, brisée par Wotan, à la pauvre Sieglinde (IIIe acte, 1e scène, La Walkyrie), ce thème de Siegfried gardien de l’épée, accompagne le héros, mais Wagner a besoin d’un autre type de thème pour ce personnage superficiel et qui ne tiendra pas les promesses de sa prestigieuse naissance, un thème léger, papillon, qui rebondit et s’envole, c’est le cor de Siegfried, le cor joyeux et triomphant de l’homme sauvage, qui vit l’instant sans réfléchir…un thème plus proche du caractère de ce personnage qui ne pourra être le héros attendu. Mais au finale du Crépuscule des Dieux, lorsque tout est repris en mains par Brünnhilde, on entend le thème initial, celui du héros que Siegfried « aurait dû » être tel qu’elle l’avait « programmé », ce que Brünnhilde « veut » donc qu’il demeure dans la mémoire des spectateurs, même si c’est elle, en fait, qui accomplit la mission rédemptrice, agissant à sa place en permettant à l’or de revenir aux filles du Rhin. Les deux thèmes subissent évidemment de multiples transformations au niveau orchestral, mais la ligne mélodique et rythmique n’en est jamais altérée, le personnage demeurant le même d’un bout à l’autre de l’oeuvre.
Wagner manie aussi l’humour en jonglant avec ses leimotive . Le cride triomphe du Nibelung n’est qu’un montage entre deux thèmes, le solennel Walhall et le pétillant motif de Loge, ironisant à l’orchestre sous les propos du dieu du feu qui se moque de l’ambition dominatrice du nain ; le thème du Walhall est joué très rapidement, à l’aigu, et il s’y rattache, comme une pirouette légère, celui de Loge avec un petit côté mutin et moqueur, dans le style d’Offenbach, pour accompagner la chute d’Alberich.
Passage d’une image à une autre, le symbole de la puissance de Wotan, le Walhall, devient, démantelé, celui du « Wanderer » dès la deuxième journée du Ring, Siegfried. On assiste à une mise en situation de Wotan au prélude du IIIe acte, où ce thème du Wanderer se mêle à celui de la fuite – un thème proche aussi de celui de la chevauchée des Walkyries , rappelant sa fuite devant le monde, alors qu’auparavant l’on fuyait par crainte devant lui au temps de sa splendeur, s’y ajoute le thème de la servitude, qui lui, montre son asservissement à ses propres lois, ces lois qui l’étouffent ; et le thème des nornes ou d’« Erda », c’est l’intangibilité, le destin, associé à celui de la fin des dieux. Tout est en place pour que ce soit LA fin, sa fin. Et cela sans aucun texte, tout est dit par un jeu de leitmotive, comme Wagner en a le secret ; de même, la célèbre « Ode funèbre à Siegfried » qui raconte le destin des Wolsüngs, la lignée malheureuse de Wotan….et aussi tous ces raccourcis orchestraux, récits du passé renouvelés que sont les interludes où disparaît totalement la notion de temps (il prolonge infiniment, comme dans la scène finale de Siegfried ou la scène des Nornes du Götterdämmerung, pour obtenir un effet similaire).
C’est donc, pour reprendre l’expression baudelairienne «une forêt de symboles », des signes que doit décrypter l’auditeur, avec sa sensibilité, son intuition et sa mémoire involontaire. Plus besoin d’un catalogue toujours arbitraire et incomplet, et qui démythifie l’œuvre, la rigidifie, pas de « clés », il faut savoir tout oublier pour pouvoir tout retrouver à chaque écoute, modifié cependant par cette même mémoire involontaire.
On voit que la mémoire ne joue pas de rôle, bien évidemment, dans la constitution du leitmotiv, mais dans son évolution.
Mais n’oublions pas que l’Œuvre d’Art Total est aussi faite pour être « vue », elle fait appel à tous les sens (cf . encore les Correspondances baudelairiennes), et c’est le rôle difficile et passionnant du metteur en scène de « faire passer » le jeu du leitmotiv en images et en couleurs, ce qu’avait su réaliser parfaitement le petit fils trop tôt disparu du compositeur, l’irremplacé Wieland Wagner, en usant de jeux de lumière avec une géniale intuition. Dans le Ring um den Ring, ballet de Maurice Béjart (cet ami de Wieland, lequel lui avait demandé de réaliser la chorégraphie de la bacchanale de Tannhäuser à Bayreuth dans les années 1958-60) on retrouve par moments cette magie dans la traduction du mythe (gestes stylisés, lumières).
Pour en revenir à l’influence de Wagner, peut-on dire qu’il existe une véritable « école wagnérienne » ? D’autres compositeurs ont utilisé le mode d’écriture wagnérienne (Dukas, d’Indy, Debussy, parmi bien d’autres), un vaste sujet à développer par ailleurs. Notons cependant que si musicalement, les Viennois, « les trois A. » (Arnold Schönberg, Alban Berg et Anton Webern) se réclament, avec la musique sérielle, de l’atonalité de Tristan, les « séries » ne sont pas des leitmotive.
C’est la littérature, curieusement, qui a le plus été impressionnée, surtout à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, par l’écriture leitmotivique, revendiquant le plus souvent l’influence de Wagner ; des œuvres riches et variées, sujets de nos journées d’études, ont ainsi vu le jour.
Mais concernant Wagner, il faut tout de même préciser que l’on a assisté, plus particulièrement en France, à un phénomène rare : la création d’un mouvement qui se réclame de lui, qui revendique son esthétique, et qui n’est pas « musical », du moins pas seulement. Ce sont les littéraires, quelques peintres aussi, qui autour d’Edouard Dujardin ont créé en 1885 cette fameuse Revue Wagnérienne qui a donné le ton, revue essentiellement « Symboliste », même si quelques Naturalistes comme Zola ont subi aussi une influence évidente du maître de Bayreuth. (Le même Edouard Dujardin, théoricien donc du wagnérisme, dans son roman Les Lauriers sont coupés, a développé une technique de « monologue intérieur », inspirée de la « mélodie continue » wagnérienne, que reprendra Joyce dans les Ulysse). Proust, Julien Gracq plus récemment, n’ont pas fait mystère de l’importance de Wagner dans leur mode d’écriture, et Thomas Mann en Allemagne… Et dans le domaine pictural, illustré entre autres par Monet, avec ses nymphéas et ses cathédrales, ou la fontaine du parc du château de Pubol de Salvador Dali avec les masques mortuaires de Wagner, peut-on considérer ces créations comme des variations autour d’un thème, ou comme de vrais leitmotive, même si non revendiqués comme tels ?
Tout cela nous conduit à constater que partie de la littérature, cette formule « rituelle et magique » très liée au mythe y retourne, et qu’elle évolue à travers toutes les formes d’art, et ceci plus particulièrement après son utilisation systématique par le re-créateur de l’Œuvre d’Art Total, Richard Wagner.
article publié dans la revue « Champs du Signe », n° 30 (p.97-104), Editions Universitaires du Sud,
et reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteure
[1] Charles Baudelaire, Critique Littéraire et Musicale, Paris, A. Colin, 1961, p. 382/4.
[2] L’Avant-Scène Opéra, L’Or du Rhin, 1978, p.138/142.
[3] Op.cit.p.139.
[4] Op.cit. p.365
[5] -in l’Avant-Scène Opéra (1978-1992, numéros consacrés à la Tétralogie), et Adorno : Essai sur Wagner, Paris, Gallimard, 1966.